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Voyage vers Port-Royal
Chapitre 1
Sur le départ
« Messieurs, au nouveau gouverneur de la Jamaïque ! »
Tous les hommes autour de la table reprirent le toast en chœur tandis que Weatherby Swann tentait tant bien que mal de garder un air naturel.
Les invités se levèrent pour aller rejoindre les dames, qui avaient quitté la table quelques temps auparavant, et Lord Ingram, l'hôte de la soirée, se dirigea vers Swann avec un grand sourire.
« Prêt pour le départ ? »
Ce n'était que la vingtième fois qu'on lui posait la question depuis qu'il était arrivé à ce repas donné par ses amis en son honneur.
« Eh bien, euh, oui, balbutia-t-il pour la vingtième fois. Nous partons demain avec la marée, m'a dit le capitaine Nash, et nous embarquerons au matin. Le capitaine a dit qu'il avait quelques détails à régler et que ce sera son premier lieutenant qui nous conduira à bord.
– Le capitaine Nash, oui, j'en ai entendu dire beaucoup de bien. Il commande le HMS Intrépide, un des plus beau vaisseau de ligne de la flotte.
– Je trouve étrange que vous fassiez le voyage sur un vaisseau de la Royal Navy, tout de même, intervint un autre invité, un grand homme rougeaud du nom d'Octavian Ford, les navires de la Compagnie des Indes sont nettement plus confortables.
– C'est ce que j'ai entendu dire, approuva Swann, mais vous savez tout comme moi que la décision s'est prise si vite… De plus nous ne serons que quatre passagers, ma fille, sa femme de chambre, mon valet et moi. Ils nous trouveront bien de la place, et j'ai pensé à emporter quelques provisions de bouche. En plus de celles du capitaine, nous n'aurons sans doute pas à nous contenter de l'ordinaire du bord avant la fin du voyage ! »
Ford hocha la tête d'un air entendu.
« À propos de la Compagnie des Indes, avez-vous entendu parler de ce qui est arrivé au plus jeune fils de Lord Beckett ? lança Ingram avec le sourire réjoui qu'on adopte quand un adversaire de longue date tombe enfin sur un os.
– Non. Je ne crois pas le connaître, d'ailleurs, répondit Swann, intéressé malgré tout.
– Figurez-vous qu'il comptait faire carrière dans la Compagnie, et avec ses appuis, son père lui a trouvé une place très avantageuse. Personne ne doutait que son ascension serait fulgurante, quand tout s'est écroulé comme un château de cartes. »
Ingram fit une pause qui poussa Ford à exprimer son impatience :
« Alors ? demanda –t-il.
– Les directeurs de la Compagnie avaient besoin d'urgence d'un capitaine pour une cargaison délicate – des esclaves – et le jeune Cutler Beckett s'est porté garant d'un de ses amis, un rien du tout dont j'ai oublié le nom, vraiment sorti de nulle part, qui, à peine était-il en possession du chargement… vous ne devinerez jamais.
– Il est allé le revendre à son compte ?
– Encore mieux, il a relâché tous les esclaves sur une côte quelconque.
– Ce devait être un de ces abolitionnistes exaltés comme on en voit quelquefois, fit Swann en secouant la tête.
– Je l'ignore. En tout cas, Beckett aurait dû être meilleur juge de caractère. Comme on s'en doute, les directeurs de la Compagnie étaient furieux, et davantage encore quand cet excentrique capitaine leur a filé entre les doigts avant d'être pendu haut et court pour son méfait.
– Et qu'est-il arrivé au fils Beckett ? demanda Ford, que cette anecdote semblait amuser autant qu'Ingram.
– Il aurait été radié de la Compagnie, n'eut été l'influence de son père, mais il peut désormais s'attendre à rester un obscur gratte-papier jusqu'à la fin de ses jours. Les directeurs peuvent être rancuniers. »
La conversation dériva sur d'autres sujets, et quand Swann regagna l'auberge où il était descendu avec sa fille en attendant le moment de quitter l'Angleterre, il ne lui restait plus que quelques heures de sommeil pour récupérer de ses excès.
…
Il fut réveillé bien plus tôt que prévu par des gambades et des cris excités dans la chambre voisine. Elizabeth avait douze ans, un esprit audacieux, et la Jamaïque ne signifiait pour elle qu'aventures et exotisme, certainement pas les fièvres, un climat insupportable, et une bonne société restreinte à quelques familles.
George, son valet de pied, avait à peine finit de le vêtir quand l'aubergiste entra dans la chambre, le plateau du petit-déjeuner sur les bras. Swann, grimaça. Il avait un mal aux cheveux carabiné et la vue des œufs sur le plat ne lui remonta pas le moral.
« Vous avez un visiteur, monsieur, annonça le tavernier.
– Sans doute le second de l'Intrépide. Il doit être en avance.
– Non monsieur, ce n'est pas un officier. Un certain Mr Beckett, monsieur. »
Swann se souvint de la conversation de la veille et fronça les sourcils. Mais il y avait plus d'un Beckett au monde.
« Bien, faites-le entrer. »
Le visiteur était un jeune homme de petite taille, qui avait dû être grassouillet peu de temps auparavant avant de perdre du poids d'un seul coup.
« Bonjour, gouverneur Swann. Je suis Cutler Beckett, commença-t-il.
– Ou, j'ai entendu parler de vous », répondit Swann avant de se dire qu'en l'occurrence, c'était peut-être un peu maladroit.
Beckett eut l'air un instant contrarié.
« Vous connaissez mon père, je crois », continua-t-il.
En fait, ils avaient été au collège ensemble, tendres années pendant lesquelles le futur Lord Beckett avait mis au point une panoplie de stratégies pour rendre la vie impossible aux camarades de dortoir qu'il n'appréciait pas. Weatherby Swann, pour n'en citer qu'un.
« En effet. Nous ne nous sommes pas vu depuis bien des années. »
Et je ne m'en porte pas plus mal, ajouta-t-il intérieurement.
« Je tenais à vous féliciter personnellement pour votre nomination au poste de gouverneur de la Jamaïque, poursuivit Beckett.
– Merci…
– J'y ai également vu l'occasion de vous proposer une association.
– Une association, répéta bêtement Swann, pris au dépourvu.
– Oui, si vous me laissiez exposer mon projet, vous verrez que j'ai de quoi faire de nous des hommes riches. »
Swann trouva cette dernière réflexion de la plus grande vulgarité.
« Mr Beckett, je ne suis pas un commerçant. Et je suis déjà un homme riche. »
Les yeux gris du jeune homme lancèrent des éclairs, mais il garda son calme et reprit d'une voix douce :
« Quand je vous aurais confié mon projet…
– Père ! »
Dans un tourbillon, Elizabeth entra dans la pièce.
« J'ai vu un homme à la fenêtre, un officier de marine, il se dirigeait vers l'auberge, je suis certaine qu'il vient nous chercher, lança-t-elle avec excitation.
– Elizabeth, voyons, calme-toi ! » répondit Swann en souriant avec indulgence et en posant ses mains sur les épaules de sa fille.
Celle-ci prit une grande inspiration et arrêta de s'agiter, avant d'apercevoir Cutler Beckett.
« Excusez-moi, père, je ne savais pas que vous aviez un visiteur.
– Ce n'est rien, justement, monsieur s'en allait, dit Swann d'une voix qui avait perdu toute indulgence.
– Bonne journée et bon voyage, alors, » rétorqua sèchement Beckett.
Après une inclination et un dernier regard glacial à Swann et sa fille, il tourna les talons.
Quel affreux petit bonhomme, pensa Swann.
« Descendons dans la grande salle, proposa Elizabeth. Si je ne me suis pas trompée, l'officier doit déjà y être. »
Elle ne se trompait pas. Un grand jeune homme en uniforme de lieutenant les attendait.
« James Norrington, premier lieutenant du HMS Intrépide. Le capitaine Nash m'a envoyé vous chercher.
– Enchanté. »
Elizabeth lança à Norrington un air de défi pendant qu'elle saluait. Elle avait déjà rencontré des capitaines et même des amiraux. Ce n'était pas un simple lieutenant qui l'impressionnerait, décida-t-elle.
Peu de temps après, Norrington et les Swann se trouvaient à bord de la chaloupe qui les conduisait vers leur navire. Bagages et domestiques suivraient.
« Êtes-vous parent avec l'amiral Norrington ? demanda poliment Swann pour meubler le silence guindé qui régnait.
– Il y a plusieurs amiraux dans ma famille, répondit le lieutenant avec un sourire un peu crispé. L'amiral Lawrence Norrington est mon père. Mon oncle Henry est également amiral.
– Oh, je vois. C'est très bien. Vous ne manquerez pas de suivre leurs traces, j'imagine.
– Je l'espère. »
Elizabeth leva les yeux au ciel devant le peu d'intérêt de la conversation. Mais bientôt, la chaloupe approcha de l'Intrépide et elle ne put cacher son admiration devant le magnifique navire. Plusieurs semaines à son bord ! Elle en explorerait tous les recoins !
Une certaine effervescence semblait dominer sur le pont et Norrington fronça les sourcils.
« Oh, ce n'est pas vrai, » marmonna-t-il.
Il monta prestement à l'échelle de coupée une fois la chaloupe rangée contre la coque de l'Intrépide, et tendit la main à Elizabeth en la soulevant presque pour la faire monter sur le pont quand elle arriva à sa portée, ce que la jeune fille trouve inutile : elle n'avait pas eu de mal à grimper jusque-là, après tout. Son père eut moins de chance et ses bas étaient trempés quand il les rejoignit.
Sur le pont, une foule de matelot s'activaient. Ou plutôt, jugea Swann, une partie d'entre eux travaillaient tandis que d'autres semblaient très intéressés par une compagnie de dames dont certaines, avec un peu de chance, devaient être leurs épouses. Il lança un regard inquiet vers Elizabeth, mais celle-ci, toute à la contemplation des mâts qui s'élançaient vers le ciel, n'y prêtait guère d'attention.
« Mr Jenkins, lança Norrington à l'adresse d'un aspirant qui passait à sa portée, veillez à l'installation de nos passagers dans leurs quartiers. »
Le jeune garçon salua et fit signe à Swann et Elizabeth de le suivre. Ceux-ci lui emboîtèrent le pas et eurent encore le temps d'entendre Norrington crier :
« Mr Spencer, auriez-vous l'obligeance de me dire ce que ces dames font encore à bord ? »
Weatherby Swann s'était attendu à une installation spartiate, mais finalement, cela ne s'annonçait pas si mal. Ils avaient visiblement hérité des quartiers du capitaine (qui irait dormir dans la cabine de son premier lieutenant, qui irait dormir… eh bien c'était son affaire). Des cloisons avaient été aménagées pour conserver un semblant d'intimité entre père, fille et serviteurs.
Alors que ces derniers arrivaient et que les malles étaient installées, un concert de sifflets et de battements de pieds sur le pont retentit. Le capitaine montait à bord et l'équipage se rangeait pour l'accueillir.
Après les saluts réglementaires, Nash, un petit homme filiforme, sourit à Swann.
« Juste à temps pour la marée, gouverneur. Mr Norrington, à vous le soin ! »
La voix de Norrington claqua et des matelots se précipitèrent dans les enfléchures. Tout le monde paraissait parfaitement rôdé et bientôt, les voiles se gonflèrent et les autres navires restés à l'ancre défilèrent sous leurs yeux. Elizabeth contemplait le spectacle avec émerveillement. Weatherby Swann était moins enthousiaste. Le souvenir des libations de la veille revint à sa mémoire, ainsi que la vision des œufs sur le plat du matin, auxquels il n'avait pas touché, et la bile lui monta brutalement dans la gorge. La main sur la bouche, il se dirigea en titubant vers un bastingage quand le lieutenant Norrington le prit fermement par le bras et lui fit faire demi-tour.
« De l'autre côté, gouverneur, cela vaudrait mieux, » dit-il d'une voix respectueuse.
Pendant qu'Elizabeth continuait de pousser des cris d'admiration devant le déploiement des voiles et le paysage que l'Intrépide dépassait avant de n'avoir plus que la mer et le ciel pour décor dans les semaines à venir, Weatherby Swann, gouverneur de la Jamaïque par décret royal, faisait ses adieux à sa terre natale en vomissant tripes et boyaux.
À suivre.