-EPILOGUE-

Debout face à la mer, le sorcier contemplait le bloc de granit, ses yeux verts perdus dans les souvenirs. Il y était, cette fois, c'était le jour. Il avait vaguement espéré… mais c'était impossible, bien-sûr. Lentement, il leva sa baguette de houx et la dirigea vers la pierre, murmurant à voix basse. Des morceaux de rocher se détachèrent tandis que l'inscription apparaissait :

Harry Potter

31 juillet 1980 – 2 novembre 1999

Héros du monde des sorciers

R.I.P

Quand le dernier éclat de pierre fut tombé, le hibou qui était resté perché sur son épaule vint se poser sur la stèle. L'homme ne pu s'empêcher de sourire.

« Tu te rappelles, Eole ? C'est ici qu'on venait pêcher. »

Le vieux hibou hulula en réponse. Ses longs cheveux blonds dansant dans le vent, le sorcier s'avança vers la pierre et mit un genou en terre pour parcourir l'inscription du bout de ses doigts.

« J'ai tenu ma promesse. Je n'ai pas oublié. Je n'aurai pas pu… et aussi bon sorcier que soit mon père, il a toujours admit que j'étais un meilleur occlumens. »

Il soupira, une grimace traversant son visage.

« Mon troisième père. Tu l'as bien choisi. Et tu avais raison, j'ai été heureux. Même si ça a été dur de te pardonner. »

Le souvenir de ces longues nuits, à Rainbow's Place ou à Poudlard, pendant lesquelles il n'avait pu s'arrêter de pleurer, comme si le monde venait de s'écrouler devant lui… ces cauchemars incessant, son rejet de tout ce qu'Albus avait voulu lui offrir… mais le vieil homme avait été patient, très patient. Et c'est finalement dans ses bras qu'il avait trouvé le réconfort qu'il recherchait, qu'il avait pu surmonter le chagrin du départ de son gardien. Ceux de Minerva aussi, bien sûr…

Et le temps avait passé, l'amour inconditionnel de ses deux parents et de toute la petite famille que constituait les professeurs de Poudlard avaient eu raison de sa peine. Elèves comme professeurs avaient adopté le jeune sorcier comme une nouvelle mascotte, le protégeant et le faisant participer à leurs jeux, lui apprenant à voler sur leurs balais et à parcourir les passages secrets du château.

Combien de fois Albus avait-il du ameuter tous les élèves pour le retrouver, lors d'une de ces escapades… mais ils le retrouvaient presque toujours dans la cabane d'Hagrid, à s'occuper des animaux, ou endormi entre les sabots des sombrals. Sa capacité à voir ces derniers avait toujours laissé Albus songeur… et plein de culpabilité.

Il savait, et-il savait que le garçon savait. Ce qu'il ignorait, en revanche, était les brefs éclairs venus d'une autre vie qui n'avaient jamais cessé d'assaillir l'enfant puis l'adulte tout au long de sa vie. De rares aperçus d'un autre Poudlard, de personnes qui n'avaient jamais existé, de visages légèrement différents, de scènes se déroulant dans ces murs et qui résonnaient comme les échos d'un autre monde. D'une autre vie. Une vie qu'il n'avait jamais regretté.

Pas même quand il avait croisé, dans les couloirs de Poudlard, un certain Severus Snape qui avait tout juste son âge. Un garçon calme mais souriant et sûr de lui, toujours flanqué de son amie d'enfance Bellatrix qu'il avait d'ailleurs fini par épouser.

Il n'avait rien regretté non plus quand le choixpeau, posé sur sa tête pour sa première rentrée, avait murmuré :

« Cette fois-ci, ce sera Serdaigle. Il faut varier les plaisirs. »

Il était simplement allé s'asseoir parmi ses nouveaux amis au milieu des cris de joie des Serdaigles, ravis de se voir attribuer la mascotte de l'école, le grand enjeu de cette rentrée.

Severus Snape, lui, fut envoyé à Serpentard dont-il devint, quelques années plus tard, le directeur de maison. Cela n'empêcha pas les deux garçons de rester amis et de travailler ensemble sur plusieurs potions, y compris la potion Tue-Loup et la potion Raviv-Vie, à base de poudre de licorne et de crins de Sombrals, qui avait permis de sauver de nombreuses vies.

Non, il n'avait rien regretté, et surtout pas de n'avoir pas oublié.

Derrière lui, il entendit des pas sur le sentier et une voix familière l'appeler.

« Harry ? »

Une seconde plus tard, une sorcière aux cheveux roux et dont les yeux ressemblaient tant aux siens vint se poster à ses côtés, passant un bras autour de sa taille.

« C'était donc cela ? » fit elle doucement en se blottissant contre lui.

Sans quitter la stèle des yeux, il serra sa femme contre lui.

« C'est important. Vraiment important. »

« Je sais, » répondit elle.

Oui, elle savait… il n'aurait pas pu ne pas le lui dire. Bien sûr, elle n'avait pas besoin de savoir qui avait été ce mystérieux inconnu qui l'avait sauvé, ni pourquoi il portait le même prénom que lui… pas plus qu'il n'était nécessaire qu'elle sache qu'il ne l'avait pas toujours porté.

Des cris joyeux retentirent derrière eux et deux adolescents essoufflés firent irruption à leurs côtés.

« J'ai gagné ! » s'écria le plus jeune, le plus blond aussi, un grand sourire aux lèvres.

« Attends juste qu'on fasse la course sur balai et tu vas voir, » rétorqua le second, qui le dépassait d'une tête.

« Et vous avez encore laissé votre sœur derrière, je présume ? » soupira leur père.

« Rose arrive, » répondit le premier, « elle voulait cueillir des fleurs, je ne sais pas trop pourquoi. »

Rose et son intuition, songea l'homme. Elle l'effrayait presque parfois, avec sa façon de voir et de savoir des choses que tout le monde ignorait… mais elle était si douce et délicate, ressemblait tant à sa mère, la joie et la bonté incarnées, qu'il était impossible de s'inquiéter trop longtemps.

La petite fille arriva enfin dans la trace de ses frères, un bouquet à la main qu'elle tendit à son père.

« Tiens, papa. C'est pour l'autre Harry. »

Emu, le père se pencha pour embrasser sa fille.

« C'est très gentil, Rose. »

« C'est pour ça que tu nous as fait revenir de Poudlard ce week-end, papa ? » demanda l'aîné en détaillant la stèle.

« En effet. Tempus, Perceval, Rose, venez vous mettre ici. »

Les trois enfants obéirent et s'installèrent dans un silence solennel devant la pierre, entourant leurs parents.

« C'est lui dont tu nous racontes toujours les histoires, pas vrai ? » demanda Perceval, le plus jeune des fils.

« Exactement. »

« Et-il est mort… aujourd'hui ? » demanda Tempus. « Mais papa, il a vraiment existé ? »

« Harry Potter a disparu un 2 novembre 1999, oui. Et je vous ai fait venir ici pour célébrer sa mémoire. C'est une longue histoire que vous n'entendrez sans doute jamais, mais sachez que c'est grâce à lui que nous sommes tous réunis ici, chez nous, à Rainbow's Place. Grâce à lui également que vous pouvez aller à Poudlard en toute sécurité, et revenir voir vos vieux parents quand vous le souhaitez. »

« Vous n'êtes pas vieux, » protesta Perceval.

« Et je ne suis pas si certain pour 'en sécurité', Snape n'était pas très content de me laisser partir un week-end d'expérimentation… » ajouta Tempus. « Rose a trop de chance, grand-mère n'a même pas protesté ! »

« Le professeur Lovegood non plus, » fit Perceval, « mais elle m'a demandé de lui ramener un Bazul des marais de la maison, tu sais ce que c'est, papa ? »

« Je crois que ça peut s'arranger, » fit le père le riant.

« Mais moi, » interrompit Rose, « je veux en savoir plus sur l'autre Harry. Tu l'as connu, papa ? »

Il y eut un long silence.

« Je l'ai connu, oui. Et-il a habité ici. En réalité… il m'a sauvé la vie, et celles de beaucoup d'autres. C'est une très longue histoire, une que je ne vous ai encore jamais racontée. Et maintenant, j'aimerai une minute de silence en sa mémoire et que vous réfléchissiez tous à la chance que nous avons de vivre ici, en famille, et dans notre monde. Plus un bruit. »

Sans un mot, Lily vint se blottir contre lui, les yeux fixés sur la stèle tandis que Rose déposait son bouquet. La chance… oui, la chance, Harry, songea-t-il. J'avais tort, tu étais bien un héros. Quoique je fasse, je ne pourrais jamais changer le passé pour te rendre ce que tu as perdu… mais j'ai tenu ma promesse. A défaut d'autre chose, j'ai tenu ma promesse.

Autour de lui, les trois enfants fixaient la stèle d'un air grave, perdus dans leurs pensées. Les trois magnifiques enfants qui leurs ressemblaient tant, à Lily et à lui, Harry Dumbledore, sous sa nouvelle apparence.

Trois nouvelle vies. Quatre en comptant la sienne. Il ne put s'empêcher de sourire à la vue des petits visages concentrés. Toute sa vie… et tellement plus encore.

« Qui veut aller pêcher ? » demanda-t-il soudain.

« Moi ! » répondirent quatre voix en même temps, avant d'éclater de rire.

Il sourit.

Juste le bonheur. Promesse tenue, papa.