L'obscurité :
Voldemort
La maison était nette et bien rangée.
Lily avait été prise d'une frénésie de ménage la veille et avait décroché chaque rideau, battu chaque tapis et déplacé chaque meuble alors que James lisait une histoire à Harry dans la chambre d'enfant.
Mais la maison était silencieuse - déserte et figée.
Lily avala sa salive et tira nerveusement sur le bouton qui fermait sa manche gauche. Elle traversa le salon, essayant de ne pas penser à ce que James et elle s'étaient dit plus tôt - aux mots amers, plus crachés que prononcés auxquels aucun d'eux n'avait réfléchi avant de les jeter à la face de l'autre.
Enfermement, solitude.
Cachés, cachés jusqu'à disparaître et...
Potter... Je n'aurais jamais dû accepter de porter ce nom maudit !
Elle se prit à se ronger les ongles comme elle le faisait du temps où les examens de fin d'année faisaient d'elle une incontrôlable boule de nerfs et s'obligea à mettre les mains dans ses poches. Oui, elle était nerveuse, nerveuse et triste et...
Mais James ne semblait plus là. Tout était trop calme, comme s'il n'y avait plus personne depuis des années. Peut-être qu'il avait emmené Harry chez Sirius ?
Non, décida-t-elle, c'était trop dangereux. Même fou de rage, James ne l'aurait pas risqué. Pas le fragile petit Harry que James aimait par-dessus tout.
Elle prit une grande respiration et ouvrit la bouche, puis hésita au dernier moment et la referma sans avoir émis un son.
Allons, ça ne pouvait pas être si difficile : ils s'étaient battus des dizaines de fois et il savait qu'elle ne le pensait pas.
N'est-ce pas ?
Elle pensa à la montre en argent qu'elle avait cachée dans le tiroir du haut de sa table de nuit (Noël était encore loin, mais l'objet criait James et elle n'avait pas pu s'empêcher de la prendre même si elle était un peu au-dessus de la ligne imaginaire qu'elle avait elle-même soigneusement tracée entre ce qui était "dans leurs moyens" et ce qui ne l'était pas).
Si elle la lui offrait maintenant, peut-être qu'il accepterait ses excuses silencieuses. Alors, il la prendrait dans ses bras sans rien dire et tout irait bien à nouveau parce qu'elle serait là où elle devait être.
"Ta place est ici, Lily, tu le sais ?" demanda James, la serrant plus fort contre lui.
Elle le regarda et hocha lentement la tête, oubliant les rires avinés de leurs amis et les jurons de Sirius qui avait réussi à étaler le glaçage blanc du gâteau sur son smoking de témoin du marié.
L'idée de la montre lui fit monter les larmes aux yeux et elle se demanda vaguement pourquoi.
"James ? appela-t-elle finalement d'une voix mal assurée. Harry ?"
Harry ne pouvait pas répondre grand chose, bien sûr : il avait à peine un an. Mais à cet instant, Lily se serait damnée pour entendre les pleurs qui la faisait grincer des dents la veille.
"James ?"
Elle traversa l'entrée et s'arrêta net. Sans comprendre pourquoi, Lily sentit son cœur se serrer et elle croisa les bras étroitement contre sa poitrine. Tout était étrangement confus : chaque chose paraissait à sa place, pourtant Lily avait le sentiment d'avancer dans l'obscurité, quelque part où tout aurait été étouffé et ralenti.
"James ?" hoqueta-t-elle de nouveau.
Elle secoua la tête et gravit l'escalier qui menait aux chambres à coucher pour aller dans celle d'Harry.
Vraiment, tout était parfaitement à sa place. À part le lit d'enfant, bien sûr, et Sirius, à genoux par terre.
Lily le regarda un instant avec confusion.
Il releva la tête et elle crut entendre des cris lointains.
Harry ?
Sirius pleurait.
Elle se mordit les lèvres. Sirius s'était effondré contre le plancher et les sons qui sortaient de sa gorge paraissaient à peine humains. Mais rien n'était pire que le sourire triste qu'il eut en se relevant, alors qu'il recouvrait quelque chose d'indiscernable avec l'une des couvertures d'Harry, celle couverte de petits chiens noirs qui faisait tant rire Remus et qui avaient d'un coup une allure sinistre.
Lily se sentait oppressée par ce brouillard qui recouvrait toute chose. Où était Harry ? Et James ?
"Lily, prends Harry et cours !"
"Sirius ? Où est James ?"
Sirius ne répondait pas. Il s'approcha du lit et se pencha pour prendre...
Harry ? Qu'est-ce qu'Harry faisait là ?
Essuyant ses yeux du revers de sa manche, il réajusta l'enfant dans ses bras. Celui-ci éclata en sanglots bruyants et Sirius se mit à le secouer doucement, ne sachant visiblement pas quoi faire.
"Allez, Harry... Du calme, mon grand, ça va aller. Je vais m'occuper de toi, tout va bien se passer", dit-il.
Lily avança d'un pas sans comprendre. La panique commençait à l'envahir : elle voulait James. Maintenant.
"Sirius ? Donne-moi Harry. Qu'est-ce que tu fais ? Où est James ?"
Harry pleurait toujours et à présent, Sirius faisait les cent pas dans la chambre, évitant la couverture.
Ses mains tremblaient si fort que Lily avait peur qu'il ne le lâcha.
"Shh, shhh, arrête de pleurer. Oh, Harry, s'il te plaît ! Silteplaît silteplaît !"
Lily, pétrifiée, regarda alors que les sanglots le secouaient de nouveau. Il pressa Harry contre lui et enfouit son visage contre ce dernier.
"Je suis désolé, Harry. Je suis tellement tellement désolé."
Lily hoqueta. Elle porta une main à son visage et regarda ses doigts dégoulinants sans rien y comprendre avant de s'apercevoir qu'elle pleurait aussi.
James. James, James, James, James !
Puis Sirius sembla arriver à une décision et hocha la tête résolument avant de sortir de la pièce.
"Sirius, qu'est-ce que tu fais ? Reviens ici - qu'est-ce que tu fais avec Harry ?"
Mais il ne l'écoutait pas, traversant le corridor, descendant l'escalier...
Hagrid ? Il pleurait aussi, mais qu'est-ce qu'il faisait là ? Hagrid n'était pas censé connaître cet endroit - personne ne pouvait y accéder.
A part Peter, bien sûr.
Les deux hommes parlèrent, gesticulant, et Sirius paraissait en colère. Cependant, tout se perdait dans le clair-obscur et les mots se mélangeaient les uns avec les autres jusqu'à former un langage étrange et incompréhensible. Lily essaya de tirer sur la manche du géant, mais il ne lui prêta pas attention et prit Harry ainsi qu'un trousseau de clefs.
Elle reconnaissait ces clefs, c'étaient celles qui ouvraient tout ce qui avait trait à la moto de Sirius.
Sûrement, il ne comptait pas transporter Harry sur cet engin ? Sirius essaya de discuter encore, sans conviction cependant. Hagrid se dirigea vers la porte en secouant la tête, répétant quelque chose au sujet de Dumbledore.
La panique s'abattit sur Lily telle une immense vague d'eau glaciale, la laissant frissonnante et horrifiée.
"Qu'est-ce que vous faites ? Sirius ? Hagrid ? Donnez-moi mon bébé... Je ne veux pas..."
Sans qu'elle s'en aperçoive, les larmes avaient recommencé à couler.
"Je ne te laisserai jamais pleurer. Je serai là pour essuyer tes larmes et arranger les choses", murmura James à son oreille.
Et elle ne répliqua aucune des choses logiques et amères qu'elle lui aurait renvoyées au visage plus jeune parce qu'ils étaient en guerre, que c'était le jour de son mariage et que c'était exactement ce qu'elle voulait entendre.
"Hagrid ! On ne peut pas sortir Harry de la maison ! Dumbledore a dit que c'était trop dangereux ! Hagrid !" protesta-t-elle.
Mais personne ne l'écoutait et Hagrid sortit de Godric Hollow, le bébé enveloppé dans une couverture serré dans ses bras, pour se diriger vers l'énorme moto dont les chromes brillaient d'un éclat froid aux lumières du porche.
Le désespoir se fit jour encore bien plus brutalement : elle ne pouvait pas passer la porte.
Elle essaya pourtant, mais c'était comme si un grand mur de verre était venu boucher l'entrée et à ce point il ne sortait plus de sa bouche qu'une inaudible litanie.
Jeveuxmonbébé, jeveuxmonbébé, je...
Rendez-le moi, par pitié ! Rendez-moi mon bébé, il n'est pas en sécurité dehors ! Il a besoin de moi - si on lui fait du mal...
Et le bébé pleurait, pleurait sans discontinuer, et elle ne pouvait que regarder alors qu'Hagrid tremblait lui-même trop pour y faire quoi que ce soit.
Elle se détourna du spectacle qui lui donnait envie de tomber à genoux à son tour pour crier jusqu'à ce que sa cordes vocales refusent de fonctionner et se mit à chercher James frénétiquement dans la maison alors que Sirius pleurait en silence devant l'escalier devant lequel il était prostré.
"Je ne comprends pas, qu'est-ce qui se passe ? sanglota-t-elle. Je veux James. Je veux James maintenant", ajouta-t-elle comme une enfant entêtée.
Prends Harry... Prends Harry et cours !
Lily s'approcha lentement de l'escalier, dévorée par un sentiment de terreur.
"James, je suis désolé. James, pardonne-moi. Ne me laisse pas !"
Elle entendait les propos incohérents de Sirius et son cœur battait si vite et si fort qu'il semblait devoir écraser ses os pour sortir de sa poitrine.
Les yeux tellement noirs qu'ils étaient presque rouges.
La porte d'entrée explosant pour laisser entrer la silhouette (noire, noire et sombre).
Lily se retourna, se demandant comment elle n'avait pas jusque-là remarqué l'état de l'entrée - les zones brûlées du tapis, les fragments de la porte dont les restes pendaient des gonds et le vase brisé dont le verre était répandu partout sur le sol.
Les cris, le rire et Ava...
Non.
Lily approcha de l'endroit où Sirius était agenouillé, tournant puérilement la tête de côté pour ne pas voir tout de suite ce devant quoi il était affalé.
Une forme floue, obscure. Tout ça n'avait aucun sens.
"Je ne comprends rien, dit-elle. Rien du tout."
James et elle s'étaient disputés et elle était sortie faire un tour, seulement maintenant qu'elle était revenue...
"Mais non, Lily, dit une voix derrière elle. Tu sais, souviens-toi."
Elle fit volte-face et ne fut qu'à moitié surprise de découvrir une petite fille très blonde derrière elle - après tout, que n'avait-elle pas vu en treize ans de vie dans le monde des sorciers ? L'enfant, qui ne pouvait avoir plus de huit ou neuf ans, lui sourit calmement.
"Me souvenir ? Mais je viens juste de...
- Regarde, commanda-t-elle, indiquant le masse indistincte.
- Qu'est-ce que..."
Prends Harry et cours !
"Non. Ça ne peut pas..."
Mais déjà sa voix tremblait et se brisait et elle savait.
"James ? Ce n'est pas possible : je suis partie à peine une heure.
- Non, Lily, dit la petite fille en secouant la tête. Ce n'est pas ça, ça c'était..."
Hier.
Ça, c'était hier.
"Oui, c'est ça", dit la petite fille.
Et soudain, la forme au pied de l'escalier était horriblement claire et Lily eut l'impression de sentir quelque chose exploser dans sa poitrine, ou peut-être était-ce son estomac, parce que James n'était plus là, , qu'elle avait dit qu'elle regrettait de l'avoir épousé la veille et qu'il avait menti : il ne serait plus jamais là
"Mais, la montre, protesta-t-elle faiblement. C'est son cadeau de Noël et elle est...
- Elle restera dans le tiroir, Lily. Je suis désolée, dit la petite fille. Tu dois te souvenir du reste, maintenant. À l'étage.
- À l'étage ? Harry va bien", répondit Lily, et ce n'était pas vraiment une question.
Oui, le berceau, Sirius et la couverture.
Écarte-toi !
Mais non, il fallait protéger Harry, à n'importe quel prix parce qu'il était petit, fragile et qu'il ressemblait tellement à James qu'à chaque fois que celui-ci partait en mission Lily ne pouvait regarder son fils sans se mettre à pleurer.
"Avada Kedavra, dit-elle, vaincue.
- Oui, Avada Kevra", répéta la petite fille en hochant la tête.
Elle-même tombant sous la lumière verte et les pleurs hystériques d'Harry alors que son lit à barreaux qui devenait trop petit pour un enfant d'un an s'effondrait, heurté par le corps tombé.
"Il est tout seul, dit-elle, suppliant la petite fille de comprendre et de la renvoyer. Il est trop petit pour être tout seul : il va souffrir. Ils vont tous souffrir, murmura-t-elle, observant Sirius recroquevillé sur le plancher près du corps de son presque frère et sanglotant comme un enfant.
- Je suis désolée, Lily", répéta la petite fille.
Et la Mort semblait si jeune, si innocente. Elle aurait presque pu être sa propre fille, songeait Lily, et elle avait l'air tellement triste et désolée qu'elle se sentit presque obligée de la rassurer, de lui dire que ça ne faisait rien, que ce n'était pas grave. Sauf que ça l'était, alors Lily ne garda le silence et la Mort parut comprendre.
Sirius se redressa enfin, essuyant ses yeux du revers de sa manche et reniflant, le visage figé dans une expression froide alors qu'il serrait le corps de James avant de se lever tout à fait pour quitter la maison.
"Ils se relèveront, reprit-elle. Ils se relèvent toujours."
Lily essaya de toucher le bras de Sirius pour le réconforter, mais elle passa au travers. Il frissonna et s'arrêta, faisant face à la porte.
"Je vous vengerai, toi, Lily et Harry. Je vous vengerai même si je dois en crever. Parole de Maraudeur."
Lily voulait lui dire que ce n'était pas la peine, qu'assez de vies avaient été perdues et que vivre heureux était la meilleure chose qu'il puisse faire pour eux, mais il ne l'entendait plus.
"C'est inutile. Tu ne peux rien pour eux. Il est temps de les laisser partir, maintenant.
- Je sais."
Et c'était horrible, horrible à admettre. Tellement que Lily voulait de nouveau pleurer toutes les larmes de son corps et qu'elle aurait presque souhaité pouvoir oublier : Sirius, Hagrid, la vie sombre et chaotique mais si merveilleuse à la fois qu'elle avait construite avec James et le bébé enveloppé dans la couverture qu'elle ne verrait pas grandir ni aller à l'école et qui devrait se battre seul contre le vaste monde pour trouver sa place.
"James ?" demanda-t-elle, et c'était presque une supplique.
Sans James, elle préférait disparaître. Mais, ça ne pouvait pas arriver, n'est-ce pas ?
Jusqu'à ce que la Mort vous sépare.
La petite fille lui tendit la main sans répondre et Lily la prit sans hésitation, prête à se fondre dans l'obscurité.
"Lily, quoi qu'il arrive, je te promets de toujours être à tes côtés. Oublie ce serment débile : la Grande Faucheuse elle-même ne pourra pas m'en empêcher.
- Je sais, James. Je sais."
Elle regarda dans ses yeux si sérieux et si sincères et elle le crut de toute ses forces, s'accrochant à cette idée comme un enfant à une couverture.
Elle le croyait encore.
N/A : voilà, c'est terminé ! Le fait qu'ils meurent toujours à la fin est ce qui rend toutes les fictions sur James et Lily assez tristes, non ? Même quand elles s'arrêtent pendant leurs années à Hogwarts, je ne peux pas m'empêcher de penser que ça donne un goût amer à l'histoire... mais peut-être que c'est juste moi :)
En tout cas, merci à tous ceux qui ont suivi jusqu'au bout et à tous les reviewers (larmes de reconnaissance).
Maintenant que c'est terminé, je ne sais pas trop ce que je vais écrire. Si vous avez envie de lire quelque chose en particulier, n'hésitez pas à passer commande XD
Amicalement,
Shizuka21