Chapitre I

Echec et mat, ma Reine !

1ère Epoque: Chapitre 1

Abysses

Un son strident se fit entendre au loin, La Reine avait trouvé un autre jeu, l'homme disposait d'un peu de répit.

Effondré dans des chaînes forgées par la volonté de Sa Ténébreuse Majesté, le mage reprenait péniblement son souffle, 4 ans, 4 années de tortures plus atroces les une que les autres. Chaque jour il avait cru mourir de douleur, chaque jour voyait sa raison vaciller un peu plus. Mais jamais, jamais il ne céderait. Il avait été le maître de son destin pendant vingt-huit ans, La Reine Noire ne gagnerait pas. La volonté implacable qui l'avait maintenue en vie le forçait maintenant à lutter contre la folie. Il lui aurait été pourtant si facile de se laisser aller…la fin des angoisses, la fin de la terreur…avec un grondement, le mage tira une fois encore sur les chaînes quasi-vivantes qui le tourmentaient ; combien de fois il les avait vues prêtes à ce rompre, et toujours elles se retendaient cruellement, marquant un peu plus la chair à vif de ses poignets. Même sa magie l'avait fuie, son esprit s'engourdissait, ses gestes se faisaient lourds, sa langue butait sur des mots pourtant connus et reconnus mille fois.

Son regard dériva autour de lui, comme toujours, il n'y avait rien, rien qu'un paysage mort, rougit d'un éternel crépuscule…

Le son strident se rapprochait de nouveau, une longue et fine queue de lézard, aux proportions formidables, glissa sous sa gorge, relevant de force son visage vers les cinq têtes de dragon.

"- Hé  bien petit mage, t'es-tu suffisamment reposé ?" Grinça la tête rouge

"- Nous nous ennuyons …" Continua la bleue

"- Aussi allons nous changer de jeu…" Souffla la blanche

"- Tu es libre…" Grinça la verte en volatilisant les chaînes

L'humain s'écroula lourdement au sol.

"- Cours petit mage, cours, avec de la chance tu pourras peut-être m'éviter…" Ricana la noire

"- Reprends un peu de force, humain, la chasse ne reprendra pas avant deux jours…" recommença la rouge

"- Comment puis-je savoir que vous allez tenir parole ?" Lança-t-il avec défi

Les cinq têtes éclatèrent de rire, le corps monstrueux du dragon glissa vers lui.

"- Mais parce que je te le dis petit mage, tu m'as bien divertie pendant des années, il serait dommage que le jeu s'arrête..." Gronda la noire

Le mage lança un regard mauvais à la Reine et s'éloigna en chancelant, sentant les regards brûlants du dragon sur sa nuque.

***

L'humain se retourna, il avait une fois de plus semé le dragon, mais comme toujours l'abominable créature n'allait pas tarder à le retrouver. Depuis maintenant une semaine, il fuyait devant le souffle de la Déesse. Elle se jouait de lui, prenant à malin plaisir à le débusquer quand il s'y attendait le moins, l'évitant pendant des heures, le laissant prendre quelque repos avant de l'attaque de plus belle. Mais le jeune homme était tout sauf sans ressource, le peu de repos qu'il réussissait à glaner lui apportait un peu plus de force à chaque réveil. Ses idées étaient plus claires, son corps répondait mieux, les sorts qu'il avait appris il y a si longtemps remontaient lentement à sa mémoire. Bientôt son identité lui serait rendue…peut-être. Le mage s'assit sur une pierre, reprenant son souffle. Avisant une forme noire au loin, il étrecit les yeux pour la distinguer plus nettement…l'espace sembla couler autour de lui. Un instant il était assit sur une pierre à plusieurs kilomètres d'un temple et l'instant d'après, il était assis à côté. Un souvenir confus remonta à sa mémoire.

"- Oui, je me rappelle, Tass me l'avait dit, il suffit de se concentrer sur quelque chose pour être automatiquement transporté vers lui… Mais qui est Tass ?"

Le mage ferma les yeux et s'appuya sur la lourde muraille de pierre  

"- Tasslehoff Raclepieds je crois…" L'image d'un petit bonhomme espiègle, bavard, aux oreilles pointues se présenta à son esprit. Un elfe ? Non, cela ne correspondait pas. Un vieux souvenir de bourses empruntées à leur légitimes propriétaires se fit jour. L'humain fronça les sourcils de concentration.

"- Un kender…c'est cela un kender." D'autres visages se présentèrent "Tanis… Flint … Strum…Caramon…Mon jumeau…donc j'ai un jumeau…pourquoi je n'arrive pas à me souvenir !" Gémit-il

Une mélopée profonde et grave le tira de sa rêverie.

"- Un temple, je suis près d'un temple dédié à la Déesse !"

Jetant un coup d'œil par l'une des nombreuses fenêtres aux vitraux translucides, le mage resta figé de surprise. Des dizaines de prêtres, principalement des humains, agenouillés sur la pierre froide chantaient les louanges de la Reine. Un nouveau groupe s'avança du transept vers le chœur. Des enfants, une douzaine peut-être, s'avancèrent vers l'autel pour y déposer des offrandes.

Le mage quitta son poste d'observation et se camoufla comme il put dans l'ombre.

"- Des enfants…le temps ne s'écoule pas dans les Abysses, il passe mais sans incidence sur l'état physique de ses pensionnaires." Une vague d'exaltation traversa l'homme. "Un portail, un portail est ouvert entre Krynn et les Abysses." Il devait en apprendre plus. Avec un peu de chance cela signifierait son retour parmi les siens.

Prenant bien soin de camoufler au maximum sa présence mentale, il se laissa glisser dans la gueule du loup, sa robe noire déchirée se fondant dans les ombres, imitant tant bien que mal la chasuble des prêtres.

Entrant par une petite porte, il explora les quelques mètres de couloirs qui le séparaient de la nef et découvrit une porte ouvrant sur un petit escalier. Avec appréhension, il escalada furtivement les degrés de pierre avant de se glisser dans un nouveau couloir, large et bien éclairé celui-ci, sur lequel s'ouvrait quantité de portes, suffisamment rapprochées les unes des autres pour qu'il puisse en déduire qu'il s'agissait des cellules des prêtres. Sans bruit, il se glissa dans l'une d'elle. Il laissa échapper un soupir de satisfaction devant le spectacle qui s'offrait à lui et referma la porte derrière lui. La chambre, bien que petite, possédait un lit, une armoire et un petit espace réservé à la toilette, et comble de joie, l'épaisse couche de poussière qui couvrait les meubles indiquait que la pièce n'avait pas reçue d'occupant depuis longtemps. Avec espoir, il ouvrit le placard et en sortit avec ravissement des vêtements propres. Le pichet d'eau était plein et fermé hermétiquement, preuve que si le temps n'avait pas d'effet sur les individus, la poussière était ici comme ailleurs, le cauchemar de tout un chacun. Versant l'eau froide dans le plat réservé à cet effet, le mage se décrassa de son mieux, ravit de constater la rune d'infini que portait le pichet. Enfin propre, il revêtit les robes de prêtres avant de s'enfoncer sous les draps du lit.

Il eut soin, avant de s'endormir de tracer autour de lui les sorts de discrétion qui lui étaient remontés en mémoire.

***

Le mage ouvrit un œil, hésitant entre se rendormir et partir en exploration. La raison pris le pas sur la fatigue et il se leva, faisant craquer au passage plusieurs vertèbres.

Il colla son oreille sur la porte, attentif à ne pas traduire sa présence, lorsqu'un monstrueux coup de tonnerre déchira le ciel au-dessus du temple. Des bruits de cavalcades se firent entendre dans les couloirs pendant que les prêtres se précipitaient dans la nef du temple. Enfin, les couloirs redevinrent silencieux, le calme de l'étage seulement rompu par les hurlements du vent et les éclairs qui couraient dehors.

L'humain sortit précautionneusement de la pièce et redescendit les marches qu'il avait gravi la veille. Un véritable beuglement de fureur parvint jusqu'à lui.

"- OU EST-IL ?" Hurlait la Reine. "Il n'a pas put ce volatiliser comme ca ! On est dans les abysses ! Trouvez-le ! Il ne peut s'enfuir ! Ramenez-le-moi, je le veux vivant !"

"- Votre Majesté…" Plaida un jeune prêtre. "Vous avez peut-être fait une erreur en le relâchant…il n'a jamais été du genre à ce laisser manipuler…"

"- UNE ERREUR, MOI !" Beugla la masse informe et noire sur l'autel. "JE NE FAIS PAS D'ERREUR, JAMAIS, JE SUIS JUSTE ENTOUREE D'INCAPABLES." Conclue-t-elle  en égorgeant le jeune homme d'un coup de griffe.

"- Nous...nous ferons de notre mieux, ô, Ma Reine." S'inclina un vieux prêtre.

"- JE VOUS LE CONSEILLE !" Conclue Sa Ténébreuse Majesté en disparaissant.

***

Le mage retint un rire, la Reine ne pouvait pas le repérer ici ! Il esquissa deux pas de danse avant d'entreprendre l'exploration des bâtiments.

Tournant et retournant dans l'effroyable dédale que constituait l'improbable bâtiment, l'humain explorait chaque niveau, chaque pièce, bien aidé par les propres recherches de la Reine qui avaient pour ainsi dire vidé le Temple de ses habitants.

Enfin, avec milles précautions, il atteignit le sous-sol. Se retrouvant bloqué devant une lourde porte de bronze, il soupira de contrariété, sortit sa dague d'argent et entreprit de crocheter la serrure. Après quelques minutes d'effort, un déclic ce fit entendre et le penne joua. Il ouvrit lentement le battant, l'infime chuintement des gonds bien graissés lui semblant plus bruyant qu'un troupeau de chevaliers solamniques à l'entraînement. Tout aussi doucement, il referma la porte derrière lui et se tourna vers le centre de la pièce. Un fin cercle de métal y occupait une estrade, un bouillonnement presque palpable trahissant l'activité de l'artefact. Le souvenir d'un autre portail bondit à l'esprit du mage, celui qu'il avait jadis dans son laboratoire…Mais ici, pas de tête de dragons hurlants de rage, pas de prêtresse de Paladine pour ouvrir le passage…L'humain tendit une main vers le cercle de puissance. Une détonation inaudible résonna jusque dans la moelle de ses os et une image apparue. Le laboratoire. Au fond de l'image, le portail trônait, inerte. Un peu à droite, sur le mur, était appuyé le bâton de Magius. Une vague d'exaltation parcouru le mage en même temps qu'un monstrueux hurlement s'abattait sur le temple. L'homme fit la grimace. En touchant un artefact de la Reine, il lui avait littéralement envoyé un carton d'invitation. Sa concentration s'évanouissant, l'image dans le portail s'effondra sur elle-même. Dans un effort désespéré, il parvint à soutenir l'image lorsqu'une voix haineuse se fit entendre.

"- Bien petit mage, très bien, je n'aurais jamais pensé que tu aurais l'idée de te cacher parmi mes prêtres. Décidément, tu es une véritable plaie pour moi." La Reine se jeta sur lui, ses ongles griffant l'air pour l'atteindre.

Avec un sanglot de bête pris au piège, le mage chercha des yeux une issue Son regard tomba sur le cercle de pure énergie du portail toujours ouvert et il s'y jeta en priant pour ne pas se tuer à l'arrivé, poursuivi par un cri de rage de la Reine.

Il atterrit dans l'épaisse poussière couvrant le sol du laboratoire avec un bruit mat. Il essaya de se relever et une violente douleur lui déchira la jambe droite. Clopinant comme il pouvait vers le mur, il saisit le Bâton de Magius; se réveillant d'un sommeil de 4 années sur une seule pensée de son maître, le cristal qui le couronnait s'embrasa. Un bruit de clou rouillé rayant une ardoise le fit se retourner. La Reine tentait de le suivre, mais le portail, trop petit pour elle la retenait prisonnière dans son plan. A grands coups de griffes rageurs, elle tenta de l'agrandir et parvint enfin à poser une patte avant sur le sol du laboratoire. Le mage lança quelques sort qui restèrent sans effet sur la formidable créature. Avec un sanglot de rage, il planta sa misérable petite dague dans le cuir fragile des coussinets. La Reine hurla et releva la patte. poussant son maigre avantage, il lui fit perdre tout appuis. Relâchant sa concentration sur le portail, il abattit le bâton sur le membre blessé de la déesse. La Reine hurla encore une fois de douleur puis se retira. Privé de tout soutient, le portail s'effondra sur lui-même, fermant pour jamais le passage que l'homme venait d'employer.

Le mage s'effondra à genoux dans la poussière. Un sanglot convulsif dans la gorge, il serra le bâton contre lui. Les yeux fermés, prostré à l'endroit où il était tombé, il trempa sa robe de larmes pendant de longues minutes, ne pouvant bouger, ravagé par un chagrin et un soulagement trop longtemps contenu et attendu. Enfin, lorsque ses yeux n'eurent plus de larmes à verser, il se releva péniblement, s'appuyant lourdement sur le bois du bâton et se dirigea à petits pas comptés vers le fauteuil le plus proche. Il s'affala dedans et d'une main lasse, arracha l'une des tentures qui couraient  le long des murs glacés. La douleur le long de sa jambe s'engourdit. S'entortillant tant bien que mal dans la couverture de fortune, il sombra dans un profond sommeil avant même de s'être un peu réchauffé.     

 

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