Un matin comme un autre, au milieu de matins comme les autres

Un matin comme un autre, au milieu de matins comme les autres. Un matin normal, tant qu'un matin sans nuit puisse l'être.

La comédie humaine recommençait, inexorablement. Se lever sans s'être couché, se faire passer pour un autre, suivre les autres. Suivre les cours. Ce n'était pas bien difficile, à mes yeux. A nos yeux. Rien ne l'était, d'ailleurs. Sauf une chose. La raison pour laquelle nous vivions ainsi. Ce qui nous faisait paraître un tant soit peu plus humains que nos congénères. Au bout de dizaines d'années d'existence, j'avais cru que tout serait plus facile. Que jamais, jamais, je ne pourrais me laisser tenter, passer au delà de mes convictions. Comme quoi un simple matin peut apporter à la fois la joie, le bonheur plus intense qu'il puisse exister, et la haine, la destruction. La fin.

Tous ne parlaient que d'elle. Ceux qui n'en parlaient pas le pensaient. Plus fort, plus souvent que les autres. Conversations à voix haute, pensées les plus profondes, toutes étaient dirigées vers elle. Vers cette fille.

La fille du chef Swan. Certains la redoutaient, en tant que fille du shérif. Certains ne comprenaient pas. Beaucoup ne comprenaient pas. D'autres cherchaient par tous les moyens à s'en approcher. Les réflexions humaines sont d'une bassesse épouvantable. Ennui. Avant même qu'elle arrive, elle était la proie de tous les commérages. Il ne pouvait en être autrement. Une ville comme Forks, une ville que nous avions choisi… Que Carlisle avait choisi pour cela. Pour son manque d'activité, pour son insignifiance. Une nouvelle élève ne pouvait susciter que de nouvelles, et fort nombreuses interrogations. Comme notre arrivée en avait déclenchée.

Au moins, nous ne serions plus le centre de l'attention. Pour quelques jours, du moins. Nous étions arrivés deux ans plus tôt, un matin semblable à celui-ci. Froid, grisâtre. La particularité de la péninsule d'Olympic. Par rapport l'Alaska, pas de grand changements. Un peu plus chaud peut-être. Moins froid, plutôt. Des autochtones bien moins accueillants, bien plus curieux. Des regards que nous n'avions plus senti peser sur nous depuis des années. Des dizaines d'années. Depuis le pacte.

Des possibilités de chasse bien plus grandes. A dire vrai, les ours blancs ne sont pas particulièrement… rassasiants. Du moins pour moi.

Carlisle a bien sur trouvé une place dans l'hôpital de la ville. Ils étaient bien trop heureux d'avoir, enfin, un médecin digne de ce nom. Un médecin qui pourrait le sauver, qu les sauverait, car c'était là sa vocation. Un homme capable d'en sauver d'autres. L'ironie de la chose me faisait encore sourire. Certes, il m'avait sauvé, comme il en avait sauvé bien d'autres. Esmé, Rosalie. Emmett. Il avait fait pour nous ce qu'aucun autre n'eut put faire. Il s'était trouvé au bon endroit. Au bon moment.

Comédie humaine. Certes, je considérais Alice et Emmett comme mes frères et sœurs. Jasper et Rosalie tout autant. Il ne pouvait en être autrement. Nous avions passé tellement de temps ensemble. Carlisle et Esmé étaient mes parents. Carlisle, à plus d'un titre. Il aurait été difficile de trouver quelqu'un qui pouvait, plus que lui, revendiquer ce droit sur moi. Esmé, elle, était pour nous tous une mère, froide mais aimante. Celle que certains d'entre nous n'avaient pas eu l'occasion d'avoir, de contempler. Celle à qui ils n'avaient pas souri, pas annoncé les bonnes nouvelles, pas fait part de leurs premières amours. L'histoire servie aux habitants de la bourgade n'était pas assez forte pour décrire ce qui nous unissait. Les liens que le sang n'avait pas pu nous donner étaient plus présents entre nous que dans n'importe quel foyer. Fut-il humain.

Nous échangions les rôles dans les différentes villes où nous passions. Cette fois ci, c'était à Rose, Jasper et Emmett de jouer les aînés. Il n'y avait rien de bien étonnant à cela. Ils étaient plus jeunes que moi dans la famille, mais plus vieux pour les humains. Etre le benjamin ne me dérangeait plus comme autrefois. J'avais grandi, pas de corps, mais d'esprit. Ma puérilité, ma naïveté s'étaient envolées. C'est ce que je croyais.

Nous étions dans la plus grande salle du lycée, la cafétéria, entourés d'élèves bruyants, tant dans leurs paroles, dans leurs gestes, que dans leurs pensées. Nous étions les seuls à ne pas tenir compte de l'ambiance plutôt chaleureuse du jour, de l'excitation que tous ressentaient à l'approche de l'arrivée de la fille du chef.

Qu'ils soient en seconde, trop jeunes pour s'y intéresser, en terminale, trop occupés à réviser leurs examens qu'ils auraient du être, tous ne pensaient qu'à une chose. Bella Swan.

Je me concentrais sur les esprits de mes frères et sœurs pour ne pas être pris dans le brouhaha des pensées de ces lycéens. Savoir toujours ce que les gens pensent peut se révéler une arme redoutable, mais aussi un don impardonnable. Un ennui considérable.

Rosalie se regardait au versant d'une cuillère. Attitude qui eut pu me faire rire, si elle avait été exécutée par quelque autre personne que ce soit. Je comprenais Rosalie. En fixant son reflet déformé, elle tentait, une fois de plus, de trouver sa part humaine dans ce qui était devenu une beauté improbable. J'aurais aimé être moins belle. Avoir des enfants. Ils pourraient rire au milieu de ces gens. Je me détournais d'elle. Trop personnelles, ces pensées. Elle ne s'était doutée de rien. Elle avait appris à vivre en ma compagnie, à savoir que jamais elle n'aurait aucun secret pour moi. Je le savais, et je respectais son intimité.

Je me tournais, en esprit seulement, vers Jasper, assis à coté d'elle. Le plus proche de mes frères. Il me sourit, d'un sourire crispé, et se détendit immédiatement, tandis qu'une atmosphère plus calme flottait autour de nous. C'était pour lui. Pas le droit. Envie, mais pas le droit. Ce soir, ce soir. Emmett m'accompagnera. Son sevrage était difficile. Il avait plus de volonté que n'importe qui. Il réussirait. Nous l'en empêcherions. Il s'en empêcherait. Ses pensées se tournèrent vers Alice, et alors je quittais son esprit. Je n'avais pas le droit. Je n'avais pas envie.

Emmett était concentré sur autre chose, de bien différent. Tordant ses doigts au dessus de son plateau, il s'interrogeait. Encore une fois. Il voulait essayer, mais sans savoir ce qui se passerait. Carlisle ne m'en a jamais parlé. Ça pourrait être drôle. Je sais très bien qu'il n'y aura pas de retentissement sur ma manière de m'alimenter. Il ne peut y en avoir. Je devrais proposer à Edward. J'étouffais un rire en lui lançant un coup de pied dans le tibia. Non. Je ne goûterais pas de nourriture humaine. Il n'y avait aucun intérêt. Ce n'était même pas un défi qu'il me lançait, juste une question. L'enjeu n'était pas assez élevé.

Alice, enfin. Je faillis soupirer lorsque j'interrogeais ses pensées. Une fois encore, elle m'empêchait d'y pénétrer, en se concentrant sur les paroles de l'hymne national, mais dans une langue que je ne connaissais pas. C'était devenu son grand jeu. Quand elle ne souhaitait pas que je puisse entendre quoi que ce soit, elle fermait occupait totalement son esprit, concentrée sur des futilités. Elle ne voulait pas me dire quoi que ce soit ? Très bien. Je saurais en temps voulu. J'avais quelques capacités de persuasion. En particulier dans le domaine automobile.

Toutes les pensées de la cafétéria convergèrent soudain vers une seule personne. Une jeune fille insignifiante qui s'installait à une table de premières. Ainsi, c'était elle ? Bella Swan ? Rien de très intéressant. Je retournais aux pensées de mes frères, après avoir jeté un bref regard sur la fille. Rosalie avait laissé tomber sa cuillère et était penchée vers Emmett, de l'autre coté de la table. Il faisait de même. Ils ne parlaient pas, se contentant de s'observer, toujours. Je faillis les rappeler à l'ordre. Ils n'avaient absolument pas l'attitude de deux adolescents pris dans la passion d'un flirt récent, comme ils étaient censés l'être. Je ne le fis pas, cependant. Ils étaient mari et femme. Leur comportement, s'il paraissait inhabituel aux yeux des étudiants, ne serait qu'un sujet d'interrogation de plus pour eux, pas aussi important que la similaire couleur de nos yeux, ou nos cernes, incrustées autour de nos yeux comme des tatouages.

Les Cullen.

On avait prononcé mon nom. Notre nom. Je n'avais pas eu besoin d'écouter aux portes, comme disait souvent Emmett pour me faire enrager. On avait quasiment crié mon nom à l'autre bout de la cafétéria, et je l'avais entendu. Jasper et Alice, à leur tour plongé dans une contemplation de l'autre, n'avaient rien entendu, pas plus que Rosalie et Emmett. Ma solitude était décidément un atout, parfois.

Je cherchais de qui avait pu venir cet appel, qui n'en était pas un mon regard tomba sur la table des premières, de mes condisciples, parmi lesquels s'était assise Bella Swan. Logique. Mais ce n'était pas elle qui avait prononcé mon nom. Une autre fille, que je connaissais, de vue et de pensées. Jessica Stanley. Pas vraiment méchante, mais pas très intéressante non plus. Je tournais mon regard, brièvement, vers Bella Swan. Elle me regardait. Elle nous regardait. Je détournais les yeux. Encore une personne qui allait cancaner sur nous.

Ils ont débarqué il y a deux ans d'Alaska. Mais pourquoi veut-elle savoir ça ? Ca ne lui suffit pas d'avoir tous les garçons normaux à ses pieds, elle veut en plus les Cullen ?

Je me tournais une nouvelle fois vers la table. La nouvelle réprima un sourire, et je ne pus m'empêcher de faire de même. Elle n'était pas si commune, peut-être. Elle se moquait des commérages, à priori.

On dit toujours que la première impression est la bonne. En des dizaines d'années d'existence, sous différentes formes, je n'avais jamais trouvé un quelconque argument en faveur d'une telle théorie. Mais j'espérais que, cette fois-ci, le dicton collerait à la réalité.

J'avais entendu dire, ou plutôt j'avais intercepté quelques conversations sur elle. Elle venait de Phœnix. Comme tous les lycéens rassemblés ici, je m'étais attendu à voir une fille blonde, grande, sportive, la peau mate. Comme quoi, même en vivant des années, en s'attendant à avoir son propre avis, on prête toujours aussi attention aux préjugés. Bella était pâle, plus que pâle. Elle n'aurait eu cette délicate rougeur sur les joues, j'aurais pu croire qu'elle était comme moi. Comme nous. Mais elle serra ses lèvres en une ligne mince et délicate quand elle se rendit compte que je l'observais. Mais je la contemplais. Elle était humaine, et cependant la plus parfaite des créatures que je n'ai jamais rencontré. Et je ne m'approchais même pas de la réalité.

J'avais vécu des années, des dizaines d'années en compagnie de Rosalie. Encore aujourd'hui, je me hérissai lorsque je captais les conversations intimes des hommes qui posaient le regard sur elle. Rosalie était belle, pour moi, pour tous. La plupart des gens, qu'ils soient humains ou monstres, s'accordaient sur cela. Mais Rose était ma petite sœur, et il n'en serait jamais autrement. Carlisle avait eu, à une époque, d'autres desseins, mais jamais la beauté de Rosalie ne m'avait fait changer d'avis.

Bella –penser son nom me procurait une sensation que je n'aurais pas su décrire- était belle, d'une autre manière. Pas comme Rose, pas comme Tanya, pas même comme Alice.

Aucune des filles d'ici n'est assez bien pour lui. Ce n'est qu'un petit frimeur, qui se croit intéressant… juste parce que la moitié des filles seraient prêtes à se damner pour lui. Ou pour ses frères.

Je souris une nouvelle fois. Jessica avait raison. Aucune des filles de Forks n'était assez bien pour moi. Je le savais, et elle le savait. Mais aucune de ces filles innocentes ne pouvait savoir pourquoi il était si important que je ne m'attache pas, qu'aucune d'elle n'attire mon attention.

Je me concentrais sur les pensées de la nouvelle. Je vis, comme de très loin, Alice se lever rapidement avec un regard pour Jasper qui cligna de l'œil dans sa direction. Cette réaction aurait du me faire réagir, néanmoins j'étais trop perturbé pour pouvoir remarquer cette absence soudaine à mon coté.

Je secouai la tête. J'avais été distrait. Je fixai de nouveau Bella Swan.

Et ce fut le vide. Le vide absolu. Pas une sensation, pas une pensée, pas une idée. Rien. Je cherchais autour de moi, me débattant dans des limbes inaccessibles à tous. Rien. Pas une vibration, pas un bourdonnement, pas même un simple bruit pour me mettre sur la voie de ses pensées. Elle était loin de moi. Je ne pouvais atteindre son esprit.

Jasper me donna un coup dans le genou avant de me fixer avec attention. Je n'avais pas remarqué que les deux autres faisaient de même.

Que se passe t-il ?

Jasper. Je lui fit signe que tout allait bien, avant de me replonger dans les pensées de mes condisciples. J'entendais. Distinctement. Plus distinctement que je n'avais jamais entendu, peut-être. Jasper qui s'inquiétait et qui se demandait s'il aurait à me retenir, si j'allais me jeter sur un humain qui passait à proximité. Typique. Rosalie qui se demandait, si, finalement, elle n'allait pas nous accompagner à notre partie de chasse de la soirée. Emmett qui riait déjà à cette perspective.

Un de mes camarades de cours d'espagnol qui se demandait si l'interrogation prévue pour le jour même allait lui permettre de remonter ses moyennes. Jessica Stanley qui fantasmait sur les nombreuses situations où, en restant en compagnie de Bella, elle pourrait adresser la parole à Mike Newton. Ce dernier qui pensait à ce qu'il pourrait faire pour la mettre en confiance. Eric Yorkie, au fond de la salle, qui lui adressait silencieusement des bordées d'injures, toutes plus violentes les unes que les autres.

Mais d'elle, rien. Son esprit ne répondait pas à mon appel. Pas de la même façon qu'Alice, qui avait trouvé comment protéger ses pensées en pensant à autre chose. Bella ne pensait à rien. Mon talent fonctionnait sur les autres, mais pas sur elle. Il fonctionnait sur tous ceux dont je me contrefichais totalement, mais pas sur celle que je voulais entendre. Il n'y avait aucune explication logique. Mon don n'était pas en cause, ce n'était pas possible, je l'utilisait depuis… depuis… Non. C'était son esprit. A elle. Et cela ne put que me rendre plus curieux de ce que je ne parvenais pas à avoir.

Edward !

La voix de Jasper me sortit de mes réflexions. Lui, qui avait tant de mal à se contrôler, lui avait ressenti, au plus profond de lui même, que quelque chose avait changé, quelque chose qu'il ne parvenait pas à déceler. Et moi non plus. Il m'avait senti tendu, à bout de nerfs. Je ne savais pas ce qui se passait, pour la première fois depuis des années, et ça me mettait hors de moi.

Tu as besoin d'aide ?

-Non, fis-je à voix haute.

Je n'allais pas leur confier mon incapacité à lire dans les pensées de cette fille. Je n'allais pas leur montrer ma faiblesse.

-Il faut y aller.

Emmett. D'un même mouvement, nous nous relevâmes, tous les quatre. Je pus voir de nombreux regards se détacher de la table de Bella Swan pour venir se fixer sur nous. Nous étions là depuis deux ans, et toujours pas fondus dans le décor. Nous faisions partie intégrante du paysage, mais pas comme une étendue plate, plutôt comme une colline au milieu de leurs vies bien ordonnées. Je saisis mon plateau du bout des doigts. Emmett, moins prudent, comme d'habitude, joueur, comme d'ordinaire, le saisit entre deux doigts. Rose lui écrasa le pied pour qu'il arrête. Ne pas attirer l'attention. Comme si c'était facile.

Le grognement déçu de mon frère résonna dans mon esprit, mais il était occupé par autre chose, et je ne lui prêtais guère d'attention.

Nous quittâmes la cafétéria ensemble, nous les quatre paria de cette école. Emmett riait encore de l'effet que nous faisions aux pauvres élèves du lycée. A ses plaisanteries incessantes, je souriais. Il était le frère que nous aurions tous aimé avoir. Néanmoins, je ne fus pas mécontent de les quitter, lui, Jasper et Rose, pour me rendre à ma première heure de cours de l'après midi.

Je m'installais à ma paillasse habituelle, en salle de biologie. Le cours passerait lentement, comme à son habitude. Tout ce que dirait Mr Banner aurait une sensation de déjà vu. Ce n'était pas étonnant. Il n'y avait aucun doute possible, je savais plus de choses que lui sur la matière qu'il enseignait. J'avais aidé Carlisle assez souvent pour tout connaître de la médecine et des sciences. Au moins, j'aurais une heure pendant laquelle je n'aurais rien à faire, et toute la liberté de penser que je voulais. Je ne serais pas interrompu par une Alice en rogne, ou un Jasper inquiet.

J'étais arrivé dans les premiers dans la salle. Il m'était plus facile de jouer le rôle d'un élève sérieux. Au moins, peu étaient ceux qui m'adressaient la parole. Pourtant, ce jour la, on le fit. Une voix derrière moi interrompit le cours de mes réflexions, dirigées, une fois de plus, sur la chasse de ce soir.

-Cullen ?

Je me retournait vers celui qui venait de m'apostropher avec tant de délicatesse. En vérité, je n'avais pas besoin de l'écouter, ni même de lui prêter attention. Je me raidis. Mike Newton.

Allez, Cullen, sois sympa dis oui, laisse moi ta place. Bella vient dans ce cour et je veux être à coté d'elle, même si je suis pour cela obligé de te parler… Tu n'en a rien à faire d'elle, tu t'en fiche de tout le monde, de toute façon… Puis : elle me sera reconnaissante si je lui garde une place. Peut-être qu'elle aura du mal et que je pourrais lui proposer des cours… de se retrouver le soir pour bosser la bio…

-Je…

-Non ! l'ai-je coupé.

Durement, trop durement. Trop vite aussi, il n'avait pas eu le temps de formuler sa question à voix haute. Il m'a regardé avec des yeux ébahis, avant de froncer les sourcils.

Personne ne m'énervait plus que Mike Newton. Tout simplement. Je n'aurais pas su dire pourquoi, il n'avait rien fait de spécial, il n'était pas antipathique, il ne prenait personne de haut. Le prototype du jeune homme qui, s'il se sait aimé, est convaincu de son extrême popularité. Ses pensées vis à vis de Bella Swan n'étaient pas évasives. Du tout. Il savait ce qu'il voulait. Et celles qu'il avait laissé échapper en face de moi n'étaient rien par rapport à ce que j'avais surpris de lui, à la cafétéria et ailleurs.

-Mais, je…

-Newton. Je sais que tu prends ton rôle de protecteur de la nouvelle très au sérieux, mais je ne bougerais pas d'ici.

-Cullen…

-Non.

Dans le tiroir sous ma paillasse, je plaquais les mains contre le rebord. Trop violemment. Je sentis mes doigts s'enfoncer dans le bois ciré. Je fis signe à Newton de reculer, avant de sortir mes affaires de mon sac.

Je n'aurais pas su dire pourquoi j'avais refusé cela à Newton. Peut-être pour laisser à Swan le choix de ne pas s'asseoir à coté de lui, peut-être aussi pour l'obliger à prendre place à coté de moi. Après tout, j'étais le seul qui n'eus pas encore de voisin attitré en biologie. Je voulais savoir pourquoi ses pensées me résistaient, pourquoi je n'arrivait pas à savoir ce qu'elle pensait, ce qu'elle voulait.

Je sus qu'elle arrivait dans la salle avant même que mon regard, fixé sur la porte, ne la découvrit. Sa présence me frappa, durement. Plus que je ne l'aurais jamais imaginé, plus que je ne l'aurais jamais souhaité.

Elle n'était pas encore rentrée. Et elle n'était pas seule. Mais peu m'importait, dorénavant. Elle était là.

De tous mes sens qui avaient repéré sa présence, pourquoi fallait-il que ce soit mon odorat qui la ressente avec autant d'intensité ? D'un coup, toutes mes préoccupations disparurent. Peu m'importait de savoir pourquoi son esprit me restait obstinément fermées, pourquoi elle ne pensait pas, pourquoi elle était là. Tout ce que je voulais, c'était elle.

Mais pas de la façon dont les hommes veulent une femme. Cela m'était impossible. Je la voulais autrement. A ma manière. A notre manière, mes frères et à moi. Je désirais sa vie. Je désirais son sang. J'aurais tout donné pour lui.

La vie que je me refusais depuis tant d'années, la vie de force et de toute-puissance que Carlisle avait tenté de bâtir autour de moi était en train de s'écrouler, pour une humaine.

Je ne pouvais pas détacher mes yeux de ma paillasse, je ne pouvais pas détacher mon nez de sa fragrance. A chacun de ses gestes, fussent-ils exécutés à une dizaine de mètres de moi, je me redressais, envahi par une nouvelle vague d'émotion, de sensations. Jamais mon odorat ne m'avait paru si complet, si parfait. Je sentais tout. Tout d'elle.

Je sentais les odeurs artificielles, le parfum qu'elle avait mis le matin même, espérant sans doute se fondre dans la masse avec une senteur connue, passe-partout, qui, pourtant, sur elle, semblait nouvelle, cohérente. Je sentais son shampooing, une délicate odeur de fraise mêlée à celle, non moins attirante, de ses cheveux eux-mêmes. Je sentais par delà tout ça l'odeur, ô combien mille fois perturbante, de ses vêtements.

Mais je n'étais pas humain. Je sentais plus, toujours plus. La parfum de sa peau, qui m'appelait, ne cessait de hurler mon nom. Celui de chez elle, imbibé dans sa personne, jusqu'au plus profond de son être. Mais le plus fort était sans doute celui que j'aurais espéré ne jamais sentir. Celui de son sang.

Je pouvais presque en deviner le cheminement dans son corps, tant je le sentais chanter, vague de douceur et de sérénité. Pour moi. Il était à moi. Elle était à moi.

Elle était restée au fond de la salle, tout ce temps, ignorante de mes réflexions, de mes turpitudes. Lentement, elle traversa l'allée centrale.

Je n'avais pas eu le temps de me préparer. Je ne pouvais pas savoir. Quand elle passa près de moi, je me raidis. Je me tendis pour ne pas bondir. Je ne pouvais pas la laisser me tenter ainsi. Elle était jeune, elle était pure. Elle était le démon. Arrivée à ma table, près de ma table, elle me frôla, sans en avoir l'intention, sans en avoir conscience. Son contact, aussi infime ait-il été, me fit comprendre sa fragilité. Elle trébucha. Je me retins pour ne pas sauter sur elle, pour ne pas l'attaquer. Il aurait été tellement facile de le faire, de ne pas me retenir. J'en avais envie. Désespérément, irrémédiablement envie.

Quand elle s'approcha du bureau du professeur, Mr Banner, je compris. Enfin. Je compris ce que j'avais fait, en refusant à Mike Newton d'échanger ma place avec la sienne.

Une nouvelle élève. Oh, oui. La fille de Charlie. Le chef Swan. Elle n'a pas l'air de poser trop de problèmes… une place libre. Une seule. A coté de Cullen.

A coté de moi. La jeune fille se retourna et se dirigea vers moi, pas très rassurée. Comment aurait-elle pu l'être ? Je rêvais de l'attaquer, de lui bondir dessus, de goûter, enfin, de ne plus me faire confiance, de ne plus me maîtriser et de lui montrer, enfin, qui j'étais… ce que j'étais. Mes dents grincèrent.

L'appel de son sang. L'appel de la chaleur de son corps… elle s'assit sur le tabouret à coté de moi. Précautionneusement. Lentement. On aurait cru qu'elle risquait de le faire s'effondrer.

Et le cours commença.

Je ne pouvais faire autrement que sentir sa présence, si proche, si chaude, si… envoûtante. Elle avait sorti ses affaires, et ses doigts étaient crispés sur un stylo, prenant des notes d'une écriture minuscule, serrée. Ses mains… je laissais mon regard tourner vers son poignet. La veine de son poignet. Bleue. Elle ressortait sur sa peau blanche, si évidente que j'eus du mal à ne pas flancher, à ne pas…

Je ressentais sa présence par tous mes sens. Je la voyais, sa peau d'albâtre, ses grands yeux bruns, ses cheveux noirs qui lui tombaient au milieu du dos… ses yeux… Elle tenta un bref regard de mon coté.

Ses cheveux bougèrent en même temps que son visage, m'apportant une nouvelle dose de parfum, de cette fragrance insoutenable. Je tentais de respirer par la bouche, mais ne pus. Tous mes sens étaient en éveil, et je ne pouvais me priver d'aucun d'eux.

Je l'entendais. J'entendais son cœur battre, vite, très vite. Le plus doux bruit du monde, celui d'un cœur vivant. A peine un tressaillement dans la trame du silence, à peine une esquisse de ce que pourrait être le débit de ce sang, qui coulait, sans s'arrêter. Le bruit de ses soupirs, quand Mr Banner s'arrêtait quelques instants pour reprendre son souffle.

Mon odorat ne pouvait que m'apporter l'ombre de ce que mon goût pourrait sentir. Une telle odeur ne pouvait que dénoter une perfection de la matière. Elle était parfaite, dans le sens sanguin du terme. Je désirais avoir accès à ce sang, je le voulais, et je l'aurais.

J'étais un vampire.

Côtoyer des humains s'avérait de plus en plus facile pour moi. Il y avait maintenant des dizaines d'années que je n'avais pas goûté au sang d'un homme. Carlisle m'avait tout appris, comment me nourrir sans faire de mal à ceux qui ne nous voyaient pas comme des prédateurs. Comment accepter la sensation de faim, de désir jamais rassasié. Nous comblions notre faim, notre soif, par des animaux. Je m'efforçais de penser à la chasse du soir.

Je n'avais pas touché au sang humain depuis plus de cinquante ans.

Je n'avais pas chassé depuis deux semaines.

Je n'avais pas le droit de m'abreuver à son sang. Je n'avais pas le droit. Cela menacerait mon espèce tout entière, menacerait la vie de Carlisle, de Rose, d'Esmé, d'Emmett, Jasper et Alice.

Elle était trop tentante. Elle secoua encore une fois ses cheveux, et se mordit les lèvres. Non. Pas ça.

Carlisle. Les valeurs qu'il t'a enseignées. Sois attentif, concentre toi sur autre chose.

L'envie. Le besoin.

Ton âme.

Le sang.

Il était tellement facile de la convaincre, elle devait être comme toutes ces filles. Suis moi. Sur le parking. Tu veux que je t'accompagne à ton prochain cours ?

Elle me suivrait. Elle me suivrait, et alors, je l'attaquerais. Je la mordrais, juste une fois. Pour savoir. Jamais plus je ne recommencerais.

Elle n'était qu'une fille, sa présence ou son absence ne changerait rien au monde dans lequel nous évoluions.

Je tendis la main. Pour attraper la sienne, pour toucher la chaleur de sa peau, pour sentir son sang couler dans ses veines, contre ma peau, et le sentir évoluer dans son corps. L'avoir, enfin, pour moi, et pour moi seul. Elle m'appartenait. Je devais la prendre. Elle était mienne, et son sang coulerait en moi !

Je m'apprêtais à rapprocher le tabouret que je venais, me semblait-il, d'écarter. Et la cloche sonna.

Je me relevais, bondissant sur mes pieds plus vite que je ne l'aurais souhaité, plus vite qu'un humain aurait pu le faire. Elle me fixa de ses yeux chocolat. Incompréhension. Rage, aussi.

Elle ne me suivrait pas. Je n'aurais qu'à les tuer, tous. Les élèves. Mr Banner. Un homme frêle. Je n'aurais aucun mal à leur enlever la vie, à tous. J'étais mille fois plus fort, mille fois meilleur qu'eux. Je me promettais de ne boire que le sang de Bella, elle seule. Les autres pourraient mourir en paix. Je ne désirais qu'elle. Vite. Il fallait que je le fasse, vite. Je me penchais vers Bella. Elle n'avait rien remarqué, elle était encore juchée sur son tabouret, son stylo à la main. J'approchais ma bouche de son cou. Délicieuse fragrance…

Je ne pouvais pas résister. J'allais le faire, trop rapide pour que qui que ce soit ne comprenne ce qui se passait. Elle mourrait. Elle ne ferait plus barrage entre la bonté et moi.

Edward !

La voix d'Alice. Je relevais la tête, et la localisait, plantée derrière la porte de la salle de biologie. Comment avais-je pu ? J'aurais du savoir qu'elle serait au courant, qu'elle ne laisserait pas cela arriver… je bondissais loin de Bella, le plus loin possible., ouvrait la porte et me glissait dans le couloir, encore désert, mis à part la présence d'Alice. Elle me fixait de ses yeux sombres, noirs comme l'encre.

Que s'est-il passé, Edward ? J'ai eu... j'ai eu une vision… Je ne comprends pas.

Je courai, le plus vite possible, jusque dans ma voiture. Déverrouillant la portière, je rentrais à l'intérieur et m'installais derrière le volant.

Je respirais, enfin, à fond. Je ne pouvais pas retourner en cours. Ici, à des centaines de mètres de Bella Swan, j'arrivais à peine à reprendre mes esprits.

Elle était la tentation. Emmett. Emmett. Il était le seul à qui cela était déjà arrivé. Mais je m'étais contenté d'écouter ce qu'il racontait, sans y accorder une grande importance, convaincu qu'il avait exagéré les choses, que cela ne pouvait être vrai. Je n'étais pas Emmett. J'étais Edward, et j'étais plus fort qu'Emmett, j'étais mille fois plus fort que lui.

Je posai alors mes avant-bras sur le volant, une main de chaque coté de la tête. Vivre cela. J'avais vécu des dizaines d'années, et malgré ce que je pensais, je n'étais pas capable de résister à la tentation d'une simple petite humaine. Je fixai alors le rétroviseur.

Le visage de celui qui me faisait face ne m'était pas inconnu, mais je m'étais juré de ne plus jamais le revoir, de ne plus jamais avoir à le contempler. Ce visage avait plus de soixante-dix ans, et je ne tenais pas à le voir reparaître.

Il était mien pour la plus grande partie. La peau blanche, tirée sur une mâchoire carrée, je la reconnaissais. Les lèvres serrées, crispées, je les retrouvais aussi. De même pour le nez, le front, les sourcils, le cheveux…

Je ne pouvais détacher mon regard de mes propres yeux. Ils auraient du être noirs, noirs comme ceux d'Alice, noirs comme ceux de tous mes frères et sœurs, comme ceux de Carlisle et Esmé.

Ils l'étaient. Mais il y avait dedans une lueur, une lueur que je n'avais pas vue depuis que j'avais quitté la famille, il y a presque un siècle. Une lueur écarlate. Une lueur de tueur.

Je ne savais pas. Je n'avais pas le droit d'avoir cette couleur. Je n'avais rien fait de mal. Rien, pour l'instant. Je n'avais pas tué, pas encore. Je n'avais pas bu, pas à ma connaissance.

Le désir que je lisais dans mes yeux, le désir de ne plus être cet Edward bon et obligeant, taraudait mon esprit. J'étais déjà un meurtrier, au plus profond de mon âme. De mon corps. Je n'avais pas d'âme, pas en ce jour. Le désir avait été plus fort que la raison. Et si je n'avais pas suivi les conseils de ma conscience, les conseils de Carlisle, c'est que j'avais été interrompu au mauvais moment. Ou au meilleur.

Je commençais à prendre conscience de ce qui s'était passé, et je me sentais de plus en plus ridicule. J'avais fui. Moi, Edward, un vampire âgé de plus de cent ans, j'avais fui devant une humaine. Une simple humaine. J'avais trouvé mon maître, mon diable, mon erreur. Au même temps que je réalisais cela, je prenais conscience d'une chose nouvelle. Je ne pourrais plus, je ne devais plus me retrouver en compagnie de Bella Swan.

Je le savais. J'aurais du le savoir, j'aurais du le sentir. Néanmoins, quand je me convainquis de cela, je fus affecté dans une zone de mon être que je pensais ne plus jamais faire souffrir. J'eus mal, dans le coté gauche de ma poitrine.

Pour moi, cela ne pouvait signifier qu'une seule chose. Son sang, son sang était ce qui m'importait le plus, ce qui me permettrait de rester en vie, de rester dans ce semblant de vie que je menais depuis ma transformation. Elle avait fait renaître en moi les sentiments les moins recevables de ma vie de vampire.

Et Alice savait. Alice avait su, et ne m'avait rien dit. Alice avait vu. Au déjeuner, la cachette de ses pensées au déjeuner prenait une autre dimension. Ce n'était pas, comme d'habitude, par futilité, ou pour le simple plaisir de m'irriter. Elle avait voulu me dissimuler une information vitale. Qui était que je flancherais, que je ne pourrais sûrement pas me retenir. Mais la vision n'avait pas été prophétique, elle était intervenue. Mais, maintenant, c'était trop tard. Je me savais un danger pour la famille. Et je devais fuir.

Je passai l'heure suivante dans ma voiture, seul. Toujours seul. Il me fallut une bonne vingtaine de minutes pour me débarrasser de l'odeur, ô combien attirante pour quelqu'un comme moi, de Bella Swan. Elle s'était incrustée en moi, dans mes pensées, dans mes envies. Je la sentais partout, sur mes vêtements, sur ma peau, sur mon volant. J'avais envie, trop envie, de retourner la voir, de demander après elle dans sa salle de cours, de lui demander, une fois encore, de me suivre, de venir me voir. Je pourrais lui proposer de la ramener chez elle, et… Je ne pourrais pas m'en empêcher. Autant mettre le plus de distance possible entre elle et moi. Pas physiquement. Mais je ne devrais pus assister à aucun de ses cours. Il n'y avait que la biologie, ce serait facile. J'étais un élève brillant, sans tache, à part quelques absences répétées lors des jours de beau temps… Je pourrai convaincre n'importe qui de m'accorder la faveur de déplacer mes cours.

Je décidai de mettre toutes les chances de mon coté en attendant la fin des cours. Si j'étais allé au secrétariat dès maintenant, la question de mon assiduité aux cours aurait, bien évidemment été abordée.

Je sortis de ma voiture quelques secondes avant que la cloche ne sonne. Fier de moi. Je n'avais pas espionné, je n'avais pas cherché à savoir où était Bella, ce qu'elle faisait. J'avais réussi à passer outre mes envies pour respecter mes convictions.

Je vérifiai une dernière fois que mes yeux avaient perdu cette lueur meurtrière avant de me rendre au secrétariat. Je frappai, d'un coup sourd mais doux.

Qui cela peut-il bien être ? A cette heure ?

Il arrive que les interrogations humaines soient vaines, sans intérêt. C'était le cas de cette femme, Mme Cope. J'entrai dans le bureau et ses yeux s'écarquillèrent.

Un Cullen. Emmett. Non. Le plus jeune. Le plus… hum. Edward.

Je savais mieux que quiconque ne pas montrer mes sentiments. Ne pas réagir face aux pensées des hommes, et surtout des femmes, était devenu un art pour moi. Il était difficile de paraître humain. Une comédie difficile à jouer que celle de l'humanité.

La première fois que je me trouvais en compagnie d'un humain, d'une humaine, depuis l'incident et la tentation. A ma grande satisfaction, je ne ressentis rien. Presque rien. L'appel du sang, l'appel du goût était toujours présent, et ce depuis des années. Mais la plupart des humains ne constituaient pas un gros défi pour nous. Pour moi.

-Je suis pris dans un dilemme, Mme Cope, fis-je alors de la voix la plus douce que je pus en sa compagnie.

Oh, Edward, ne me fais pas ces yeux la. Je te donnerais tout ce que tu veux.

- Que puis-je pour toi ?

Sa voix était bien différente, trop différente. Si ses pensées étaient presque suaves, sa voix, basse mais commune pour une oreille comme la mienne, ne présentait aucun intérêt.

-Les cours de biologie de Mr Banner, en première heure de l'après-midi…

La porte s'ouvrit derrière moi, rapidement, et quelqu'un entra. Je ne fis pas attention, mon esprit trop occupé sur autre chose.

-Oui ?

Une interrogation qui m'était adressée, un sourire pour le nouvel arrivant. Je soupirais tout en serrant les poings.

-Je suis désolé, nous sommes déjà à la moitié de l'année… Mais vous savez que nous avons déménagé… Et j'ai déjà étudié cette partie du programme.

-Tu voudrais déplacer tes cours de sciences naturelles ?

-Oui.

Derrière moi, un soupir. Je tressaillis. Il me semblait reconnaître… Mais non. Je me faisais des idées. Je devenais paranoïaque.

-Je ne vois pas…

On ne saurait rien lui refuser… Mais je crains que…

Des pas… Une porte qui s'ouvre… Et le monde qui bascule.

Etrange comme une simple brise peut tout changer. Tout d'un coup, je n'ai plus rien senti d'autre qu'elle. Il y avait trois personnes dans ce bureau. Une femme insignifiante. Une femme dont le sang, le sang, m'attirait plus que tout au monde, et dont l'odeur parvenait jusqu'à moi sans faiblir. J'étais la troisième personne. J'étais au bout. J'étais le prédateur.

Je n'en désirais qu'une et je ne pouvais l'avoir sans tuer l'autre. Elle n'était qu'à deux mètres de moi. Celle que je voulais. Son cœur prit un rythme affolé, ce pendant que je lui lançais un regard noir. Brûlant. Je sentis revenir dans mes yeux cette lueur infernale.

-Je ne peux rien faire pour toi pour l'instant, Edward. Mais tu peux attendre dans ce bureau quelques instants. Je m'occupe de Bella et je suis de nouveau à toi.

Tout à toi.

Je me retins de rugir, je me retins de ne pas lui tordre le cou. Je n'avais qu'un pas à faire, et je serais sorti de ce bureau, loin de celle qui me tentait et qui faisait de moi un étranger. Mais un pas également, et je serais sur elle, libre de faire ce que je voulais, d'assouvir, enfin, ma soif.

Je compris qu'il ne suffisait pas que je quitte son cours de biologie. Qu'il ne suffisait pas que je reste à une distance suffisante d'elle ; il fallait que je la quitte, totalement. Que je quitte cette ville, que je m'en aille, enfin, pour être libéré.

-Je comprends. Il n'y a pas de problème.