Et voilà. Le dernier chapitre de cette histoire, 7 ans après qu'elle a été entamée, pour me soigner de cette atroce saison 3 dont je ne me suis jamais remise (et que je n'ai jamais revue).

Pour bien comprendre cette conclusion, je vous conseille de garder en mémoire de nombreuses informations distillées au cours des chapitres 1, 4, 6, 7, 13, 19 (et d'autres)… Avec un peu de chance, ce qui s'est passé fera sens autant que ça vous surprendra… Et surtout, j'espère qu'après toute cette attente, vous ne serez pas déçu(e)(s). Car ce que vous lisez est bel et bien ce que j'avais prévu il y a des années lorsque j'ai imaginé les prémices de cette fausse saison 4.

Sans plus attendre…

420

ROBIN'S SECRET

« Emily, amenez-moi ce dossier ! »

Veronica sursauta et retira les écouteurs de ses oreilles violemment après un grognement irrité.

« Ça ne mène nulle part ? » demanda Logan depuis son lit. Il surfait sur le web depuis plus d'une heure à la recherche d'un local où héberger son association.

Veronica pencha sa tête en arrière et jeta les écouteurs sur son bureau dans un geste de désespoir, puis passa une main épuisée sur son visage.

« Non. Il passe son temps à hurler après ses employés, mais globalement rien n'a changé en une semaine. Sa seule conversation avec le garde du corps et les fichiers que tu as réussi à copier montrent qu'il a effectivement des liens avec la mafia mais ça semble bien plus récent que le décès de Robin. »

Logan reposa l'ordinateur à côté de lui et croisa le regard de sa petite amie.

« Je suis désolé. J'espérais vraiment qu'on pourrait avancer de façon significative. »

« Et moi donc… » grommela la jeune fille en se levant pour le rejoindre. Logan se décala pour la laisser se glisser contre lui. « Je ne comprends pas. Donc la mafia s'intéresse à lui et à Joanne il y a quelques semaines et ça n'a rien à voir avec Robin ? »

« Tu sais que le concept de 'coïncidence' existe pour de vrai, n'est-ce pas ? »

Veronica leva les yeux au ciel.

« Ce qui m'ennuie surtout c'est qu'on est de retour à la case départ. »

Ce fut au tour de Logan de soupirer. Il attrapa distraitement la pointe de ses cheveux et commença à jouer avec du bout des doigts.

« Je sais que tu n'as pas envie d'entendre ça, mais… »

« Elle ne s'est pas suicidée, Logan, » coupa Veronica en se redressant sur un coude. Ses cheveux glissèrent des doigts de Logan, tandis qu'elle plongeait son regard dans le sien avec conviction. « Je le sais, je le sens, j'en suis plus que sûre. »

« D'accord, » concéda Logan, levant les mains en l'air. « D'accord. Peut-être que tu as juste besoin de prendre un peu de recul. Ca fait des mois que tu es dessus, et tu n'as même pas encore commencé à travailler tes partiels. »

Veronica grimaça et se laissa retomber sur le lit, les mains venant couvrir son visage.

« Mes partiels ! »

« Ha, tu vois, le bon côté d'avoir abandonné la fac, c'est que moi je ne suis pas embêté avec ces broutilles. »

Veronica écarta les doigts et lui jeta un regard meurtrier.

« C'est la semaine prochaine. Je n'ai même pas commencé les lectures recommandées par les profs… Je suis en retard sur presque tous les dossiers à rendre. »

Logan ricana sans pitié.

« C'est le moment où tu admets que tu as besoin de recul ? »

« Tu veux dire que je n'ai pas raison ? »

« C'est toi qui l'as dit, pas moi. »

Veronica soupira profondément et lança une œillade déprimée dans la direction de son bureau sur lequel étaient empilés livres après livres.

« En plus j'avais dit à Flora que je lui écrirais une enquête pour le journal de la fac. J'aurais jamais le temps… »

« Annule, » fut la réponse de Logan, agrémentée d'un haussement d'épaules nonchalant.

« Je voulais aussi organiser un petit truc avec tout le monde. »

Logan fronça les sourcils.

« Qui ça tout le monde ? »

« Je sais pas, Wallace, Mac, Weevil… Dick, si tu as envie. J'ai bien conscience que si j'ai survécu à cette année c'est grâce à eux, et… » Veronica déglutit devant le regard surpris de Logan, « je sais pas, je me disais que je pourrais faire un petit truc pour les remercier ? Non ? »

Logan cligna des yeux et repositionna une mèche de cheveux blonds derrière l'oreille de Veronica, les yeux scintillants de fierté.

« Si. Je sais pas si c'est une bonne idée de mélanger tous ces gens ensemble, mais le côté remerciements me convient. »

« C'est pas toi qui me reprochais de refuser de mélanger les gens dans ma vie ? » grommela la jeune fille avec mauvaise foi. Elle amorça un mouvement de recul, prête à se lever, mais Logan l'attrapa par le bras et l'attira contre lui.

« C'est une bonne idée. »

« J'ai un partiel de psychologie à préparer, Logan, » commença Veronica, mais son petit ami secouait déjà du chef comme s'il ne l'entendait pas.

« Du recul, Veronica. Il te faut du recul, » répéta Logan, la tête déjà penchée vers son cou qu'il couvrit de baisers langoureux.

« Ça, c'est ta définition du recul ? » rit Veronica.

Elle sentit plus qu'elle n'entendit l'acquiescement de Logan contre sa peau. Ses mains remontèrent et se posèrent sur son torse, l'attirant plus proche d'elle encore.

« Bon, d'accord mais après je révise. »

oOoOoOo

Deux jours plus tard, Veronica soupira, ajustant la bandoulière de son sac sur son épaule. Elle n'avait pas hâte de devoir expliquer à Flora qu'elle avait mal géré son emploi du temps et devait la lâcher parce qu'elle était incapable de prendre du recul sur une enquête de meurtre jugée comme un suicide.

Techniquement, Flora était au courant. Mais Veronica avait toujours un peu de mal à admettre qu'elle avait des tendances obsessionnelles compulsives, et elle craignait que planter la nouvelle petite amie de Wallace ne tendent ses relations apaisées avec le concerné.

Veronica avait contemplé la possibilité d'appeler Flora pour lui annoncer qu'elle ne pourrait répondre à ses besoins puis s'était dit que la moindre des choses était de le faire face à face (pas qu'elle avait du temps à perdre, mais avec toute cette remise en question, Veronica espérait que Wallace serait moins enclin à lui arracher la tête).

Elle s'avança vers un bureau central devant lequel un jeune homme barbu était assis et relisait des feuilles imprimées qu'il rayait avec un acharnement qui ressemblait étrangement à de la colère.

« Wow, y a autant de fautes d'orthographe ? » tenta de plaisanter Veronica.

L'étudiant leva la tête vers Veronica, l'air interrogatif.

« Je peux t'aider ? »

Bon, apparemment le moment n'était pas à l'humour.

« Je cherche Flora Newlin ? »

« Elle n'est pas là aujourd'hui, seulement les mardis et jeudis. Tu es là pour qu'elle te refourgue un article ? C'est toi celle qui a l'habitude de faire des enquêtes ? »

Veronica fronça les sourcils et pencha la tête, surprise.

« Je… Ne sais pas trop comment le prendre. Oui. Mais Flora a juste mentionné qu'elle avait besoin d'articles un peu bateau, genre, sur l'éducation ou les tendances à l'université, rien sur une investigation. »

Elle sentait déjà les pincements de curiosité parcourir ses bras et se diffuser jusqu'au bout de ses doigts. Une enquête ? Mais elle n'avait pas le temps. Ce n'était pas le moment. Elle avait ses partiels, la mort de Robin qui demandait plus que jamais des réponses, et définitivement pas le temps pour une autre enquête qu'il faudrait qu'elle rédige et qui aurait vocation à être publiée. Et puis qu'est-ce qu'elle mettrait dans son article comme preuve ? Jusqu'à présent, rien de ce qu'elle parvenait à obtenir n'était légal. Alors secret journalistique, peut-être, mais Veronica n'était pas convaincue que ça fonctionnait tant qu'elle n'avait pas la carte de presse… Écrire un article édifiant sans preuve (ou avec des preuves obtenues illégalement), c'était la meilleure façon de se retrouver en prison.

Veronica hocha la tête pour elle-même, fière de sa réflexion et d'avoir réussi à lutter contre ses instincts premiers.

« Oh, c'était pour ça. Merde, c'est vrai que j'ai oublié de lui parler de l'article de l'autre tarée. »

Cette fois-ci, Veronica ne put s'en empêcher.

« L'autre tarée ? »

« Oui, on est tellement en galère d'articles que j'ai fouillé dans les anciens mails pour voir si on avait pas un vieil article perdu venant des mois précédents, mais rien à part une ébauche de quelque chose qui aurait pu être faux. »

Veronica haussa un sourcil, perdue.

« Du coup, l'autre tarée, c'est qui ? »

« Tu sais, celle qui s'est suicidée en décembre dernier. Elle avait envoyé un mail en novembre disant qu'elle avait un article sidérant à envoyer qui serait prêt pour bientôt. On lui avait demandé un synopsis histoire de savoir globalement de quoi le truc allait retourner, et elle nous avait renvoyé un pauvre papier sur des mensonges et les gens riches ou je sais pas. Mais bon, au pire, on l'aurait mis dans la tranche fiction, ou opinions. »

Le cœur de Veronica manqua un battement, un grésillement désagréable résonnant dans ses oreilles tandis qu'elle essayait de digérer les informations que ce parfait inconnu délivrait sans le moindre problème.

« Attends, tu es en train de me dire qu'une fille qui s'est soi-disant suicidée a menacé d'écrire un article sur des secrets et quand elle meurt quelques semaines plus tard, tu ne penses pas à en parler à la police ? » s'écria-t-elle finalement.

Barbu — Veronica l'avait baptisé ainsi — lui jeta un regard condescendant.

« Elle ne s'est pas 'soi-disant suicidée', elle s'est suicidée un point c'est tout. Et puis c'est un journal de fac à Neptune. Le meurtre de Lilly Kane est le seul cas extraordinaire qui aura jamais lieu dans cette ville de l'ennui. Son article sur 'les mensonges et les familles riches' ? C'était juste de la provoc' pourrie, encore une théorie du complot. »

Veronica cligna des yeux d'ébahissement. Elle voulut l'insulter pour son clair manque de flair journalistique mais réalisa au moment où ses lèvres s'écartaient pour laisser passer l'injure que c'était une mauvaise idée puisqu'elle comptait lui demander une faveur. Ainsi, elle força un sourire de circonstance, les dents bien serrées pour contenir les mots grossiers qui menaçaient de s'échapper, puis inspira profondément.

« On peut la lire, la provoc' pourrie ? Si c'est de la fiction, ça m'intéresse quand même. »

L'étudiant fronça les sourcils.

« Euh… »

« Je dois écrire un article tendance pour Flora, mais je peux reprendre le synopsis d'article que tu as reçu et voir où je le mène. »

Barbu secoua la tête.

« Non, on n'a pas le temps, on est trop dans l'urgence, là. Il faut que tu ailles sur ton idée de tendance dans la fac. »

Veronica pinça les lèvres, agacée. Elle avait l'air de s'intéresser aux tendances sur les campus universitaires ? Elle ressemblait à une bimbo passionnée par la mode et le maquillage ? Ou par les gadgets technologiques ?

Non.

Bon, peut-être pour les gadgets technologiques. Mais pas comparé à la possibilité de résoudre une énigme qui la rendait folle depuis six mois.

Décidément, Barbu avait le pire flair journalistique au monde. Veronica le regarda avec la plus profonde condescendance — elle ne trouvait plus la force de faire semblant face à cet imbécile profond.

« Je crois que tu n'as pas bien compris. Je devais rendre service à Flora parce que je veux qu'on soit amies. Mais il est hors de question que j'écrive sur autre chose maintenant que je sais qu'il y a une enquête de possible. Alors c'est soit tu me donnes tout ce que tu as sur l'article de Robin McCherry, soit tu n'auras pas du tout d'article. Tu choisis. »

Barbu secoua la tête.

« J'ai pas de temps à perdre avec ces conneries. Fais l'article, ne le fais pas, tout est sur l'ordinateur là-bas. »

Il pointa dans la direction d'un mac allumé sur de nombreux logiciels d'édition. Veronica hocha la tête et ne perdit pas de temps avant de s'asseoir devant l'ordinateur et d'ouvrir les emails. Sachant que Barbu refuserait de l'aider d'avantage, elle tria les mails par date et par adresse emails. Il ne lui fallut pas tant de temps que ça pour mettre la main sur des messages envoyés entre Samuel (qu'elle soupçonnait être Barbu) et Robin.

Ils remontaient effectivement à fin novembre et, le cœur battant, Veronica ouvrit chaque message de Robin.

De :

Le : 27/11/2007

Hey, j'ai entendu dire que tu cherchais des articles pour ton journal. Je pense que je peux te faire un papier assez intéressant qui créerait la controverse sur une grande famille de Neptune et qui pourrait te mener aux infos locales. Intéressé ?

Veronica secoua la tête et cliqua sur le message suivant, qui évoquait une grande famille de Neptune qui mentait à la communauté depuis des années et dont l'hypocrisie pourrait être révélé au grand jour. Elle demandait un léger délai, le temps d'obtenir des preuves, une ou deux semaines maximum.

Veronica calcula. Elle était morte dix jours plus tard. Le ton du message ne semblait pas dépressif. D'ailleurs, Veronica se souvenait précisément que son amie n'était pas du tout déprimée la veille de sa mort. Elle était enjouée… Sa mauvaise note de psychologie l'avait laissée parfaitement de marbre.

Ce n'était pas un suicide, Veronica en avait l'absolue certitude, elle le sentait au plus profond d'elle-même.

Et elle commençait à comprendre que depuis tout ce temps elle était probablement passée à côté de quelque chose. De ce mystérieux article sorti de nulle part. Veronica transféra les mails vers son compte personnel. Maintenant, il fallait trouver un moyen de savoir s'il y avait plus qu'un synopsis. S'il y avait une ébauche d'article.

Ou les preuves de cette controverse qu'il lui fallait encore assembler.

oOoOoOo

Le problème, quand on confrontait toute une famille membre après membre avec des théories de meurtres, c'était que les membres de la famille susmentionnée étaient peu enclins à rendre service. Ou à lui ouvrir la porte pour lui donner accès à l'ordinateur personnel de leur fille défunte.

Il ne restait donc que l'illégalité pour accéder à ce dont Veronica avait besoin. Il lui était impossible d'approcher Joanne et de lui exposer ses théories. Elle ne la croirait jamais et ne voudrait pas l'aider. Veronica savait que la jeune fille argumenterait que sa sœur avait menti par colère.

Veronica essayait de s'empêcher de réfléchir aux possibles mensonges auxquels Robin faisait référence. Quelle pouvait être la controverse, la grande hypocrisie d'une famille de Neptune ? Ce n'était pas comme s'il en restait tant que ça d'ailleurs. Les Kane, les Echolls, les Casanblanca, les Goodman, les Pomroys… À qui Robin pouvait bien faire référence ?

Comment pouvait-elle obtenir l'ordinateur portable de Robin sans que personne ne s'en aperçoive ? Elle ne pouvait pas demander à son père un mandat. Il fallait des preuves bien plus tangibles que cette assurance d'avoir raison au fond d'elle. Un juge n'autoriserait pas la saisie de l'ordinateur pour une affaire de suicide.

Il ne lui restait donc que la voie illégale.

Cela faisait vingt-quatre heures que Veronica avait fait sa découverte, et qu'elle réfléchissait sans cesse à un moyen de venir à bout de son problème. Il lui était presque impossible rester en place, mais Veronica avait promis à Logan de ne pas se mettre inutilement en danger, et tant qu'elle n'avait pas de plan clair, il lui était impossible de mettre la main sur le précieux objet, la possible clé à ce mystère qui la hantait depuis six mois.

« Ca y est, ça y est, je suis là ! » s'écria Wallace en poussant la porte de Mars Investigations.

Mac, Weevil, Dick et Logan tournèrent la tête vers le jeune homme qui resta figé quelques instants.

« C'est une intervention ? » demanda-t-il, inquiet.

Veronica lui offrit un sourire faussement pincé.

« Si qui que ce soit mérite une intervention, c'est moi, rassure-toi ! » plaisanta-t-elle.

Elle apprécia moyennement les reniflements d'acquiescement de ses amis mais ne releva pas.

« Qu'est-ce qui se passe ? » reprit Wallace. « Il y a un mort ? Un problème ? »

« Non ! » rétorqua Veronica. « Surprise ! »

Elle tendit les bras vers la petite table basse devant le vieux canapé, qu'elle avait couvert de gâteaux, biscuits et bouteilles. Cela n'effaça pas l'inquiétude du visage de Wallace.

« Euh, c'est pas mon anniversaire. » commenta-t-il.

« C'est pas son anniversaire non plus ! » grommela Dick. « Sans rire, tu fais flipper Veronica, c'est quoi ça ? Tu as un cancer, tu vas mourir ? »

« Quoi, on ne peut pas organiser une petite soirée entre… amis et presque amis qui se tolèrent, comme ça, sans raison ? » insista la jeune fille.

Encore une fois, Veronica apprécia peu les regards dubitatifs que lui lancèrent ses invités.

« C'est-à-dire que c'est pas tout à fait ton genre, en fait. » explicita Weevil.

« Ouais, généralement quand tu nous appelles à Mars Investigations c'est pour nous demander des faveurs. » poursuivit Mac.

« Moi, tu m'invites jamais à Mars Investigations. » continua Dick.

« Oui, d'ailleurs, qu'est-ce qu'il fait là lui ? » reprit Wallace.

Veronica pinça ses lèvres, tandis que Logan se décidait à se décoller du mur, parfaitement amusé.

« Justement. Veronica a cherché à être gentille. Et à vous remercier pour votre soutien au cours de cette année. »

Cette déclaration fut suivie d'un silence aussi pesant que choqué.

« Je ne comprends pas. » déclara Dick, au grand soulagement de tout le monde.

« Eh bien… » commença Veronica difficilement, « l'année n'a pas été simple. Soit j'ai été une mauvaise amie » elle posa son regard en direction de Wallace et Mac, « soit je vous ai accusés à tort de la mort de Robin », elle indiqua du pouce Dick et Logan dont le sourire carnassier s'étendit, « ou… Je n'ai pas pensé à vous proposer un boulot. » termina-t-elle à l'adresse de Weevil. « Mais quand j'ai eu besoin de vous, vous avez tous répondu présents et… Logan m'a dit de prendre du recul. Ça fait plus ou moins longtemps que vous m'aidez à résoudre mes enquêtes, ou essayez de me faire garder la tête sur les épaules ou… » elle fixa Dick quelques secondes, cherchant ses mots, « ou vous m'avez rendue dingue et irritée. Et du coup… Du coup, je voulais être… Gentille. Et dire merci. »

Il y eut un nouveau silence pendant lequel chacun de ses amis cligna des yeux d'ébahissement.

« Donc merci. » articula Veronica.

« De rien. » commenta Logan.

« C'est flippant, quand t'es gentille. » ne put s'empêcher de dire Dick.

« Tu veux que je sorte mon taser ? » grommela-t-elle, irritée.

« Ah ! Voilà, ouf, c'est mieux là je te reconnais ! »

Veronica leva les yeux au ciel, et s'approcha des bouteilles pour servir à boire tandis que les autres ricanaient. Une étrange conversation commença, conversation à laquelle tous se mêlèrent. Veronica observa ses amis, ses alliés, interagir les uns avec les autres, épatée par le respect qu'elle trouva dans leurs échanges.

Logan lui avait reproché récemment de séparer toutes les sections de sa vie, de sectionner chaque partie de sa vie. Son cœur battit plus fort parce que cette soirée, cet effort de les faire vraiment tous se connaître, de créer des liens les uns avec les autres, c'était d'une certaine façon un moyen pour elle de laisser tomber le sacro-saint contrôle dont elle avait tant besoin.

C'était aussi une façon de s'assurer qu'elle avait la preuve vivante qu'elle n'était plus seule. Elle avait Logan grâce à qui elle parvenait à tenir et à s'ouvrir. Elle avait Wallace et Mac qu'elle avait tenus à bout de bras, pour qui elle n'avait pas été toujours là et qui ne lui avaient jamais, pas une seule fois, failli. Elle avait Weevil qui essayait de faire mieux, qui croyait en elle et qui était toujours prêt à la sortir des ennuis. Et, le plus étrange de tous, elle avait Dick avec qui elle avait en quelque sorte fait la paix. Jamais elle ne pourrait lui pardonner de l'avoir étendue sur le lit à la fête de Shelly toutes ces années auparavant. Mais elle pouvait avancer, et avoir un minimum de confiance en lui.

Ses amis. Son entourage. Ses alliés. Son armée.

Le moins qu'elle leur devait, à ce stade, c'était la vérité.

Veronica soupira. Logan leva les yeux vers elle et croisa son regard.

« J'ai appliqué ta technique, » lui dit-elle, interrompant la conversation entre tous les autres, « et j'ai peut-être trouvé quelque chose sur la mort de Robin. »

Cela coupa définitivement court aux derniers rires, mais entraîna quelques grognements. Veronica commença alors à expliquer ce qu'elle avait découvert, ses soupçons sur le fait que ce soit la cause de sa mort. Dick leva les yeux au ciel.

« Comme si toutes les familles de riches avaient quelque chose à cacher ! »

Veronica arqua un sourcil dans sa direction, et il comprit la référence extrêmement silencieuse à Cassidy, puis haussa une épaule contrite et baissa le regard.

« Tu es sûre que ce n'est pas une autre impasse ? » insista Wallace.

« Oui. » affirma Veronica. « Et si j'ai tort, ou si ça ne mène nulle part, je vous promets à tous que je laisse tomber. Si ce n'est pas concluant, j'arrête. Juré. »

Personne ne la crut. Elle ne les blâma pas. Elle ne se serait pas crue non plus.

« Qu'est-ce que tu comptes faire ? » demanda finalement Mac.

Veronica secoua la tête.

« Je ne sais pas. Je ne peux pas risquer d'aller chez les McCherry récupérer son ordinateur sans me faire attraper. Si jamais c'était le cas je risque gros et mon père ne peut plus me protéger. Si vous avez des idées, je suis preneuse. »

Elle rata la surprise de ses amis. C'était la première fois qu'elle ne demandait pas de faveur mais de l'aide. Même Logan observait sa petite amie comme s'il la découvrait.

« Les McCherry, ce sont des bourges, non ? »

Veronica pencha la tête vers Weevil.

« Oui, et ? »

« Et ils ont une femme de ménage, ou font appel à une société, un truc du genre j'imagine ? Ils ne lavent pas leurs sols eux-mêmes parce que ça fatigue ? »

Tous ignorèrent le « hey » offensé de Dick, Veronica la première.

« Si tu payais grassement la femme de ménage pour voler l'ordinateur, ou t'incruster dans la chambre pour que tu cherches ce que tu veux, tu penses que c'est jouable ? »

Veronica cligna des yeux, épatée de ne pas y avoir pensé toute seule.

« Il faudrait avant tout savoir si la chambre de Robin a été débarrassée. Mais je ne pense pas. »

La famille Kane n'avait pas touché à la chambre de Lilly pendant plus d'un an avant de la débarrasser à la demande de Duncan l'été après qu'Aaron eut été arrêté.

« Une fois qu'on a cette information, il faut être sûrs qu'elle travaille les jours où le père McCherry est absent. Si c'est le cas, je peux aller chercher ce dont j'ai besoin discrètement. »

Weevil hocha la tête.

« Okay, je suis sur le coup. »

« Au pire, je peux occuper McCherry, » proposa Logan, « et assurer le fait qu'il soit au bureau le jour où tu veux passer. »

« Et moi je peux vérifier que Joanne n'est pas dans les parages ! » lança Dick.

Veronica resta bouche bée, tandis que Mac et Wallace souriaient avec plaisir.

« Pour une fois que c'est pas à nous de te rendre service ! » s'exclama Wallace.

Veronica leur fit un sourire ravi. Elle s'approchait du but. Elle le sentait. Et elle n'avait eu à forcer personne pour parvenir à ses fins.

oOoOoOo

Il fallut quelques jours à Weevil pour entrer en contact avec la femme de ménage des McCherry. C'était une quinquagénaire qui avait émigré du Honduras, et lorsque Weevil lui avait proposé une jolie somme pour laisser la porte ouverte et ignorer des bruits inhabituels, contre la promesse que rien ne serait volé et que personne n'en saurait jamais rien, la dame avait acquiescé et demandé de ne pas lui en dire plus. La femme de ménage venait deux fois par semaine : le lundi et le vendredi.

Comme convenu, Logan convint un rendez-vous avec le patriarche dans son entreprise l'après-midi où Veronica devait s'infiltrer dans la maison, et Dick contacta Joanne pour lui proposer d'aller boire un verre ou cinq. Joanne l'informa qu'elle partait en week-end à Vegas — ce qui arrangeait tout le monde.

Il fut décidé que Weevil ferait le guet devant la maison, se faisant passer pour le neveu de la femme de ménage si jamais quelqu'un devait se présenter subitement et poser des questions.

Si Veronica n'était pas sujette à la mauvaise foi, elle admettrait que c'était le plan le mieux pensé qu'elle ait jamais exécuté. Savoir qu'elle avait des plans B qui n'impliquaient pas son tasers et la peur tenace de mourir était une sensation nouvelle à laquelle elle réalisa qu'elle pourrait s'habituer.

Ainsi, le vendredi, Mrs Barabas ne referma pas la porte à clefs derrière elle avant de commencer le grand nettoyage. Veronica attendit plusieurs minutes, puis lorsqu'elle entendit le bruit de l'aspirateur, décida de pénétrer dans la maison le plus discrètement possible, à l'affût malgré tout d'une mauvaise surprise.

Sachant que McCherry Père faisait suivre sa fille et craignait pour sa sécurité, Veronica s'était renseignée et avait découvert qu'il avait aussi amélioré la sécurité chez lui. Il avait fallu plusieurs heures à Mac pour prendre le contrôle des quelques caméras qui avaient été installées dans la maison — sans compter le temps passé à enregistrer un passage en boucle pour le diffuser le temps que Veronica serait dans la maison.

Une fois dans le hall d'entrée, Veronica n'attendit pas avant de se diriger vers le grand escalier de marbre froid qui menait à l'étage. Elle ouvrit plusieurs portes le plus discrètement possible à la recherche de la chambre de Robin. À la cinquième porte, Veronica sut qu'elle était au bon endroit.

Les rideaux étaient tirés, un mince faisceau de lumière parvenait difficilement à pénétrer dans la pièce qui sentait la poussière. Cela dit, rien ne semblait avoir été touché. Veronica distingua facilement le grand lit en hauteur de Robin, les draps repassés et tendus de part en part, et la peluche qui trônait entre les deux oreillers dont elle ne s'était probablement jamais servi.

Veronica se souvenait de la chambre de Lilly après son décès. C'était la même chose. Céleste Kane avait fait ranger la chambre comme si Lilly était toujours en vie, puis l'avait organisée à l'image qu'elle voulait garder de sa fille. Il semblait que Mme McCherry avait fait le même choix. Sauf pour les photos.

Veronica ne put se retenir de faire un pas dans la chambre, distraitement, refermant la porte doucement derrière elle. Elle préféra utiliser son téléphone comme source de lumière, et se dirigea vers la table de chevet de Robin, sur laquelle elle trouva un cadre photo où figuraient deux petites filles au sourire édenté. Veronica n'eût aucun mal à reconnaître Joanne et Robin, et fut troublée par la troublante ressemblance entre les deux jeunes filles lorsqu'elles étaient plus jeunes. Une sensation de gâchis vint donner un goût d'amertume dans la bouche de Veronica. Elle reposa le cadre à son emplacement exact, plus décidée que jamais à découvrir ce qui s'était passé.

Pour sa santé mentale certes, mais aussi pour cette enfant heureuse qui semblait avoir été dévastée par la rancœur.

Veronica marcha en direction du bureau ordonné de Robin, à la recherche de l'ordinateur, le cœur battant à tout rompre. C'était sa dernière chance, la dernière chose qu'elle s'autorisait avant de tout laisser tomber, avant de renoncer définitivement à éclaircir ce mystère qui la hanterait à jamais. Si l'ordinateur de Robin avait disparu… s'il avait été donné, ou vidé par douleur… Si Joanne y avait mis la main dessus, tous les espoirs de Veronica s'effondraient et partaient en fumée.

Veronica ouvrit un premier tiroir rempli de cahiers. Elle les ouvrit un par un mais rien d'intéressant n'y figurait (de vieux cahiers d'école). La jeune fille s'intéressa donc au second tiroir, qui regorgeait de stylos, brosses variées, quelques objets pratiques pour se maquiller, dans un beau bazar éclectique et étrangement désordonné. La cage thoracique compressée, Veronica se força à ouvrir le dernier tiroir et éclata d'un petit rire épaté et soulagé. Au fond, comme s'il attendait là depuis des mois d'être trouvé, reposait le gros ordinateur portable de Robin.

Veronica l'extirpa sans attendre, l'ouvrant et priant pour que la batterie ne soit pas vidée. Il lui fallut plusieurs secondes avant de pouvoir brancher l'objet et l'allumer, auxquelles vinrent s'ajouter d'interminables minutes le temps que l'ordinateur soit lancé totalement. Veronica connaissait le mot de passe de Robin qui lui avait laissé son portable à d'innombrables reprises, ne serait-ce que pour qu'elle le transmette à Mac pour le réparer.

Elle commença par explorer sa boîte emails, mais cela n'apprit rien à Veronica qu'elle ne savait pas déjà. Robin n'avait pas envoyé de message pour récupérer des informations sur la mystérieuse famille que son amie avait mentionné dans son message à Samuel. L'estomac de Veronica se contracta, car cette absence de vérification et d'emails allant vers l'extérieur venait nourrir l'impression que la mystérieuse famille n'avait rien du tout de mystérieux.

L'impression devenait certitude. Compte tenu de la rancœur et de la colère de Robin à l'encontre de sa famille, plus aucun doute n'était possible. Robin comptait se venger en exposant les secrets des McCherry.

Mais quel squelette pouvait-il y avoir dans leur placard ? Et quel squelette mènerait Margareth ou Sandford à tuer leur fille ? Veronica était incapable d'imaginer Margareth comme une tueuse de sang-froid, capable d'orchestrer une telle mascarade pour couvrir ses arrières. Sandford… Veronica eut l'impression qu'on lui donnait un coup de poing.

Sandford et la mafia. Et si Robin avait prévu de révéler que son père avait été sauvé par la mafia albanaise et leur était infiniment redevable ? Mais quelles preuves pouvait-elle avoir ? Que pouvait-elle utiliser qui démontrerait qu'elle disait la vérité ? Et les fausses overdoses faisaient-elles vraiment partie du modus operandi de la mafia ?

Veronica se força à tempérer ses ardeurs et retenir ses réflexions, décidant de copier tous les fichiers principaux et cachés qui faisaient partie de son ordinateur. Le temps que les fichiers se transfèrent sur sa clé usb, Veronica parcourut le plus d'éléments possible, allant de dossier en dossier, d'image en image, incapable de faire sens de tout ce qu'elle voyait à cause du trop plein de curiosité qui s'était emparé d'elle.

Après de nombreuses minutes qui s'écoulèrent à une lenteur inattendue, Veronica éteignit l'ordinateur, et se força après un dernier regard en direction de la photo aux deux petites filles, à quitter la chambre sombre de Robin. Sa main serrait la clé USB si fort que ses ongles perforèrent la peau de sa paume.

Elle était proche. Elle le sentait.

oOoOoOo

Weevil accepta de laisser de l'espace à Veronica et la raccompagna chez elle en sécurité au cas où elle ferait une découverte épatante et révolutionnaire (ses mots, pas ceux de Veronica). Jusqu'à présent, Veronica était toujours allée au devant du danger lorsqu'elle avait compris qui étaient les coupables. Aaron, Cassidy, Mercer… Elle avait toujours été proche d'eux lorsqu'elle avait su ce qu'il s'était réellement passé.

Weevil avait été ouvert à cette présentation des événements (la sienne tournait plus autour d'une théorie d'aimant à ennuis) et avait fini par acquiescer, lui faisant promettre de l'appeler si elle soupçonnait quelqu'un de vraiment dangereux. Margareth étant à l'autre bout du monde, Sandford au travail et Joanne à Vegas, Veronica doutait profondément du fait qu'elle courait un risque chez elle — ce qui était rassurant.

Elle prévint donc Logan de ses potentielles découvertes, et lui proposa de venir la rejoindre dès qu'il aurait un moment. Veronica contempla une seconde la possibilité de ne pas explorer les dossiers de Robin au profit de révisions importantes pour ses partiels. Une seconde à peine, puis elle écarta l'idée aussi vite qu'elle était venue : elle serait incapable de se concentrer sur ses cours de toute façon et n'en retiendrait rien. Elle faisait des efforts, mais il lui restait clairement du chemin à parcourir.

Comme chez les McCherry, Veronica eut des difficultés à faire sens du manque d'organisation de Robin même dans ses dossiers. Elle n'avait rien qui répertoriait les articles ou ses écrits, il fallait donc pour Veronica aller dans chaque dossier l'un après l'autre à la recherche d'informations. Ce fut au bout d'une demi-heure qu'un fichier datant du 28/11 attira le regard de Veronica. Il avait pour titre « hahaha » ce qui avait originellement laissé penser à la jeune fille qu'il ne s'agissait pas de quoi que ce soit de sérieux.

Veronica cliqua quand même sur le fichier, et ne put retenir un « bingo ! » satisfait.

Car en première ligne, gras, police énorme, était écrit : « De l'hypocrisie Neptunienne : le cas des McCherry »

La main tremblante, le souffle coupé, Veronica entama la lecture de l'ébauche d'article.

'J'ai grandi en entendant les contes de fées. Ceux adaptés de Disney : Blanche Neige, Cendrillon, la Belle au Bois Dormant. Vous voyez un lien entre tous ces contes ? Des histoires où la princesse attend sagement que son Prince Charmant vienne la chercher et la sauve.

Celle où le 'ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants' n'a qu'une résolution possible.

Je n'ai pas grandi en rêvant de devenir une de ces princesses. Des robes qu'on ne salit pas ? Des comportements exemplaires qui se conforment aux règles strictes que tout le monde applique sans pouvoir les expliquer ? Attendre que Monsieur Parfait débarque sur son cheval blanc et vienne me sauver d'une vie incomplète avant lui ?

Non merci.

Je suis née au vingtième siècle, à l'aube du vingt-et-unième et imaginer mon futur avec un mari obligatoire, le seul homme que j'aurais jamais connu pour que mes parents puissent garder la face devant leurs amis, me projeter 'bien rangée' avec deux enfants, la maison aux volets bleus et la barrière blanche qui délimite mon jardin tondu par un gentil jardinier immigré ? C'est à ça que je dois aspirer ?

J'ai toujours été une enfant turbulente, pleine de vie, pleine de colère aussi parce que j'étais 'insupportable', 'bruyante', parce 'qu'une fille de bonne famille ne se comporte pas de cette façon voyons'. J'ai essayé pendant des années de faire comprendre à mes parents que je ne serais jamais cette jolie princesse aux longues robes qui dirait merci en faisant une courbette. Que j'avais essayé pendant si longtemps mais que je n'y arrivais pas. Qu'ils pouvaient l'accepter maintenant ou le refuser, mais que de toute façon rien ne changerait. Ils n'ont pas voulu l'accepter.

On a passé mon enfance et mon adolescence à me répéter qu'une 'bonne' femme était à l'écoute de son mari, qu'elle le soutenait, qu'ils formaient une équipe infaillible parce que Dieu l'avait voulu. Dieu, rendez-vous compte. Dieu me jugeait de son piédestal, nous jugeait tous et nous disait quoi faire.

Quand j'ai eu 17 ans, j'ai eu un accident : une dispute avec ma sœur a dégénéré. Mes parents ont cherché à se débarrasser de moi. Ils ont fait croire à leur entourage que j'étais dépressive, ou dérangée mentalement — ça expliquait mon comportement dissolu que mes parents méprisaient. Quand j'ai répété que ce n'était qu'un accident banal et non un appel à l'aide, personne n'a voulu m'écouter. J'ai été internée, punie, sentence à laquelle il a fallu que je me soustraie pendant des mois à devoir faire semblant d'accepter que j'étais malade.

Et eux, les parents parfaits, étouffés dans leurs principes, transpirant leurs valeurs anciennes et vétustes, qui m'ont imposé sentence après sentence pour me punir d'être qui je suis me regardaient de haut en m'affichant leur réussite.

Ah, la haute société de Neptune bien pensante, incarnée par les McCherry. Bonne chrétienne, qui va à l'église tous les dimanches, qui juge les âmes perdues, qui a honte de ne pouvoir contrôler leur enfant sans accepter une seconde de les comprendre, et qui donnent des leçons à tout le monde…

Sois ravi, Neptune, de savoir que ta belle société est pétrie de secrets. Lilly Kane, tuée par Aaron Echolls parce qu'ils couchaient ensemble ? Ce n'est que le haut de l'iceberg. La famille McCherry a ses propres mensonges, ses parts d'ombre qu'il est grand temps de livrer au grand jour. On peut pardonner à un gentil couple qui essaie d'être le meilleur — on peut leur pardonner d'avoir un vilain petit canard.

Peut-on pardonner à Margaret McCherry, à la Matriarche de la Communauté Chrétienne de Neptune, la grande Impératrice de la Morale Vertueuse et son attitude pharisaïque de tromper son mari ? De faire interner son enfant contre son gré, contre son bienêtre pour pouvoir poursuivre une relation extraconjugale avec une réelle couverture ? De'

La phrase s'arrêtait là. Veronica se força à déglutir. Elle se doutait qu'il n'y avait pas de suite par manque de temps. Mais cela révélait deux choses. D'abord, Veronica avait raison : le « grand secret » concernait bel et bien les McCherry. Ensuite, que Robin n'avait jamais pardonné à ses parents de l'avoir hospitalisée contre son gré, d'avoir refusé de la croire.

Si les McCherry avaient pris connaissance de cet article, le champ des possibles venait de s'ouvrir. Sandford et Margareth venaient de remonter vers le haut de la liste des suspects. Veronica fixait pensivement les dossiers qu'elle avait constitués avec tous les indices glanés ci et là au cours des six derniers mois. Quelque chose la dérangeait.

Sandford McCherry avait fait la guerre, il avait été soldat. Mais il aimait profondément ses enfants, malgré la déception que Robin représentait clairement à ses yeux. Veronica avait des difficultés à l'imaginer commanditer le meurtre de sa fille pour un article. Si elle ne doutait pas une seconde qu'il pouvait se montrer violent, Veronica n'arrivait pas à imaginer le père de famille utiliser du GHB, droguer sa fille et l'enfermer dans sa chambre pour couvrir un meurtre. Il n'aurait jamais été jusqu'à la voir sur le campus pour la confronter.

Mais à bien y penser, Veronica n'imaginait pas Margareth le faire non plus. Pourtant… La jeune fille se remémora sa conversation avec la mère dévastée de son amie.

« J'ai été une mauvaise femme, une mauvaise épouse, une mauvaise mère, une mauvaise chrétienne. Je suis la pire femme au monde, et Dieu m'a punie pour mes péchés, il m'a punie, et ma fille a payé pour mes péchés, oh, Seigneur, pourquoi elle ? Pourquoi sa vie et non la mienne ? »

Au cimetière, avant de fuir le pays, la femme s'était affligée des pires fautes : mauvaise mère, mauvaise épouse, mauvaise chrétienne… Avait-ce été sa façon de confesser ses fautes ? D'avouer qu'elle avait tué sa fille dans un accès de colère, par trahison ? Après tout, Veronica ne la connaissait pas personnellement. Rien dans les informations qu'elle avait assemblé à son propos ne laissait supposer qu'elle souffrait de troubles mentaux mais…

Veronica fronça les sourcils. Quelque chose clochait. Encore une fois, comment Margareth aurait-elle pu savoir que ce que Robin détenait était du GHB ? Et pourquoi sa fille aurait payé pour ses péchés si elle avait tué Robin elle-même ?

Veronica avait une certitude : le crime était passionnel et prémédité. Il s'agissait d'humiliation publique, d'amour ou de sexe mis à jour, révélé aux yeux scrutateurs de toute la communauté. Il s'agissait de fierté.

Il restait donc une personne.

L'homme avec qui Margareth entretenait une relation extra-conjugale. L'autre moitié à cette histoire d'amour cachée. Le sang de Veronica se glaça à cette révélation. Si, comme elle le pensait, c'était l'amant de Margareth qui avait tué Robin, il s'agissait bel et bien d'un meurtrier qui avait eu le cran non seulement de se rendre chez Robin pour la tuer, préparant son plan et étant assez rationnel pour condamner Robin à mort. Cet homme était définitivement dangereux — peut-être plus qu'Aaron Echolls que Veronica pensait s'être perdu par son impulsivité. Pire peut-être même que Beaver qui avait orchestré une mort brutale et immédiate pour ses camarades.

Qu'avait à perdre cet amant pour tuer Robin ? Qui était-il ?

Margareth McCherry avait-elle vraiment interné sa fille — ou laissé sa fille à l'hôpital — pour avoir une excuse pour disparaître ? Ou n'était-ce que la rancœur qui parlait ?

Veronica déglutit, plus décidée que jamais à trouver qui était ce mystérieux amant. La sonnerie de son téléphone retentit, sortant Veronica de sa torpeur.

« Allô ? » demanda-t-elle distraitement.

« Veronica, t'es où, le prof va distribuer les copies là ! » chuchota Mac rapidement.

« Quoi ? De quoi tu parles ? »

« Le partiel de littérature ! C'est maintenant ! »

« Mais non, c'est la semaine prochaine ! » affirma Veronica, le ton pourtant peu péremptoire.

« Puisque je te dis que c'est maintenant ! Dépêche-toi, c'est quatre heures y a moyen que tu le loupes pas trop ! »

Veronica raccrocha, attrapa ses clés et se rua hors de son appartement. Comment voulait-on qu'elle prenne du recul quand elle parvenait enfin à trouver une piste ?!

Quatre heures plus tard, Veronica sortit de l'amphithéâtre épuisée et vidée. Aller à un partiel lorsqu'on avait à peine lu les cours et vouloir à tous prix le réussir tenait de l'exploit. Elle ne savait pas trop dans quelle mesure son enseignant serait satisfait, mais au moins elle avait rédigé tant et si vite que son poignet l'élançait douloureusement.

Vivement le jour où l'on pourrait passer ses partiels à l'ordinateur.

« Tu t'en es sortie ? » lui demanda Mac.

« J'en sais trop rien. Heureusement que tu m'as donné tes notes la semaine dernière… »

« Tu avais pu réviser un peu quand même ? »

« Absolument pas, » répondit Veronica, puis elle entama un récit abrégé de ses dernières découvertes.

« Robin était prête à anéantir sa famille ? » réagit Mac, la voix aussi blanche que son visage.

« Je pense qu'elle n'a jamais supporté toute l'hypocrisie qui a entouré son internement. C'était sa façon de leur faire payer toute la colère qu'elle avait en elle. »

« Mais ça ne se voyait pas ! Elle était tellement nonchalante à propos de tout ! » s'exclama Mac, comme incapable d'accepter ce que lui annonçait Veronica.

« Je sais. Elle ne voulait peut-être pas montrer ce qu'elle ressentait… Je peux comprendre. »

Mac lui glissa un regard, et ne put retenir un petit sourire amusé face à cette admission.

« Du coup tu penses que c'est l'amant qui a fait le coup ? » reprit Mac après quelques secondes.

Veronica haussa les épaules, reprenant sa route pour rejoindre le parking où était garé sa Saturn.

« Je n'ai aucune preuve, pour personne. Cet article me donne la certitude que quelque chose cloche, ou du moins vient confirmer qu'il y a trop de choses louches pour que Robin se soit suicidée. Cet article prouve qu'elle avait encore des choses à faire et qu'elle voulait aller au bout de sa colère. Peut-être même qu'elle savait qu'elle était enceinte et qu'elle a voulu se battre pour son enfant. Que sa mère ou que l'amant de sa mère ait voulu intervenir… Comment veux-tu que je prouve ça ? »

Mac grimaça, compatissante.

« Tu sais que c'est le GHB qui a tué Robin, tu penses vraiment que quelqu'un comme Mrs Mc Cherry serait prête à tuer sa fille comme ça ? Peut-être que le coupable voulait simplement faire croire qu'elle prenait des drogues et qu'il n'y avait aucun crédit à accorder à une fille dérangée ? »

Veronica arrêta de marcher, et resta silencieuse, réfléchissant aux mots de son amie.

« Mais pourquoi du GHB ? Pourquoi pas de la coke, ou de l'herbe ? Ou même de l'ecstasy ? Non seulement c'est bien plus simple de s'en procurer, mais en plus il y avait moins de risque d'une overdose. »

« Donc Robin se serait enfermée à clefs dans sa chambre droguée sans le savoir ? »

« Ou la personne est restée le temps de s'assurer que Robin ne contacterait personne dans son état, pris la clé et refermé derrière elle, en glissant la clé sous la porte. Le shérif a retrouvé sur le sol comme si elle était tombée, mais ce n'est pas forcément le cas. »

Mac soupira.

« C'est quand même tiré par les cheveux. Je veux dire, tu n'as aucune preuve tangible. Kendra a admis que Robin savait pour la drogue, elle a même affirmé qu'elle soupçonnait que Robin l'ait volée. Pourquoi, si elle ne voulait pas s'en servir ? »

« Je ne sais pas, » admit Veronica. « C'est pour ça qu'il faut que je trouve ce mystérieux amant. Il faut que je sache qui c'est, pour lui poser des questions et définir s'il a le profil d'un meurtrier ou non. »

Mac haussa les sourcils, et ricana.

« Rien que ça. Tu sais où chercher au moins ? »

Veronica réfléchit une seconde, alors qu'elles arrivaient devant sa voiture.

« Robin accusait sa mère de l'avoir maintenue à l'hôpital pour voir son amant. »

« C'est bien, ça réduit vachement les possibilités, » rétorqua Mac sarcastiquement. « Y a que deux mille personnes qui bossent ou passent dans un complexe hospitalier, c'est super simple. »

« Autant que je m'y mette tout de suite dans ce cas. »

Veronica déverrouilla sa voiture, et ouvrit la porte chauffeur.

« Et tes autres partiels ? Ça ne peut pas attendre ? Ça ne ramènera pas Robin, et le coupable est clairement sûr que personne ne le soupçonne… C'est pas comme si c'était un tueur en série. »

Veronica fit de son mieux pour écouter l'argument de Mac. Elle avait raison. Rien n'urgeait. Mais elle n'arrivait pas à contrôler la sensation bouillonnante qui l'animait. Elle était si près du but, si proche de la solution… Et pour changer, le timing était mauvais. Veronica hocha la tête malgré elle, se forçant à se raisonner.

« C'est vrai. J'aimerais pouvoir te dire que je vais me concentrer sur mes partiels… »

« Mais tu vas être obsédée par toutes les possibilités jusqu'à ce que tu ailles au bout ? » sourit Mac.

Veronica grimaça tout en se glissant sur le siège conducteur. Mac soupira.

« Si tu as raison, cette personne est extrêmement dangereuse et capable de tuer quelqu'un froidement puis cacher que c'est un meurtre. Tu veux pas finir ton année avant de prendre le risque de te retrouver dans un cercueil ? »

Le ton était nonchalant, mais Veronica pouvait entendre l'inquiétude dans la voix de son amie. Elle soupira à son tour.

« D'accord. Je te promets que je vais faire de mon mieux pour que ça ne dégénère pas et que je vais faire de mon mieux pour réussir mes partiels. »

« Ça me va, » lui sourit Mac.

« Tu veux venir chez moi ? Je crois que Jane doit dîner à la maison. »

Mac arqua un sourcil.

« Tu m'invites pour faire le tampon entre vous, par nécessité de soutien ou parce que tu as envie d'être avec moi ? »

Veronica lui sourit de toutes ses dents.

« Mais voyons, Mac, pour ton excellente compagnie ! On n'a qu'à dire à Wallace de se joindre à nous ! »

Mac éclata de rire mais secoua la tête.

« J'ai un partiel demain matin hyper tôt et je voudrais vraiment me concentrer. Je crois que Wallace est dans le même cas que moi, mais appelle pour être sûre. Au pire, si t'as vraiment besoin de quelqu'un pour t'empêcher de tuer Jane, je suis sûre que Logan sera motivé. »

« Ça va beaucoup mieux entre nous, quand même, » rétorqua Veronica. « Elle ne sera jamais ma personne préférée dans l'univers — c'est une place spécialement réservée pour toi évidemment… »

« Pf ! Tu dis la même chose à Wallace et Logan ! » ricana la jeune fille, ce que Veronica ignora superbement.

« Mais j'ai fait la paix avec beaucoup de choses grâce à elle et… bon, c'est ennuyeux mais il faut bien que je le reconnaisse. »

Mac fit semblant d'écraser une larme, puis referma la porte de Veronica.

« Prends du recul, et révise, d'accord ? »

La blonde ne répondit rien. À ce stade, elle faisait vraiment ce qu'elle pouvait.

Veronica poussa la porte de chez elle, rendant chaleureusement à Backup l'accueil heureux qu'il lui faisait puis se força à aller dans sa chambre pour ouvrir un livre et rattraper le retard accumulé. Elle se força même à ne pas appeler Logan, sachant pertinemment que lui résumer les événements comme elle l'avait fait avec Mac ruinerait tous ses efforts.

À sa plus grande fierté, Veronica tint deux heures.

Elle réussit à être concentrée, recoupant ses notes avec ce qu'elle avait surligné dans ses livres et ses recherches sur internet. Au bout de deux heures, son œil tomba sur le dossier « Robin » qu'elle avait sur son bureau d'ordinateur. Et son cerveau se remit en branle.

Veronica grogna et se leva, entreprenant de faire une lessive, commencer le ménage, tout pour éviter de céder à la tentation. Elle était au milieu d'un nettoyage très efficace des placards de la cuisine lorsque son père rentra du travail. Il s'arrêta en plein mouvement lorsqu'il aperçut à quoi s'affairait sa fille, qui se figea en retour.

« Je ne me rappelle pas avoir engagé une femme de ménage ! » s'exclama Keith, pince sans rire.

« Et pourtant, » enchaîna Veronica, « ce ne serait pas du luxe. Maintenant que tu es redevenu shérif, tu penses qu'il y a moyen de se faire plaisir ? »

« Tu ne voulais pas plutôt un poney ? »

Veronica haussa une épaule, et fit une mine d'y réfléchir.

« Un poney qui fait le ménage, ça existe ? »

« Si tu l'entraînes, qui sait. »

« Ah, en voilà un beau projet ! »

Keith lui sourit, puis ferma la porte derrière lui, l'informant que Jane viendrait se joindre à eux pour dîner. Peu de temps après, l'amie de son père toqua à la porte et les rejoignit tandis que Veronica faisait la cuisine. Jane embrassa Keith discrètement — ce que Veronica fit de son mieux pour ignorer — puis proposa son aide à Veronica qui avait commencé à préparer le dîner.

« Tu ne révises pas ? » s'enquit Jane.

La jeune fille sentit une vague de culpabilité monter en elle. Au moins, elle ne focalisait pas sur Robin. C'était prendre du recul, non ?

« J'avais déjà un partiel cet après-midi. Je n'en ai pas avant quelques jours, j'ai vérifié. »

« Prête pour celui de psychologie ? Il ne sera pas simple, je vous l'ai dit à tous. »

« Je me souviens, » répondit Veronica nerveusement. Elle avait potassé les deux heures sur cette matière. « Avec un gros focus sur le diagnostic des psychoses et détachement de la réalité. »

« Exactement. J'espère que tu connais ces chapitres sur le bout des doigts. »

« Pas encore, mais je les saurai pour lundi prochain, ne t'inquiète pas. »

Jane hocha la tête.

« De toute façon ce n'est pas moi qui corrigerai les copies mais mon assistant. Toi-même tu sais qu'il est plus sévère que moi. »

Veronica lui sourit, et se pencha pour sentir la sauce qui mijotait dans la casserole. L'odeur parfumée lui chatouilla les narines, la faisant éternuer à deux reprises.

« Ça va ? » rit Jane en lui tendant un mouchoir.

« Trop poivré ! » répondit Veronica en ajoutant du coulis de tomates pour adoucir la sauce.

La jeune fille dut faire plusieurs pas et s'éloigner totalement de la cuisine avant de pouvoir ouvrir ses yeux qui piquaient et s'essuyer correctement. Veronica observa le mouchoir en tissu — cela devait faire des années qu'elle n'en avait pas vu. Il était même brodé de deux lettres. Veronica fronça les sourcils, saisie d'une impression de déjà-vu.

Elle retourna vers le bar, les yeux toujours fixés sur le mouchoir, fouillant sa mémoire à la recherche de l'endroit où elle l'avait déjà vu. La jeune fille se retint de lever les yeux au ciel — ce n'était pas comme si elle manquait de mystères à résoudre ces temps-ci et avait du temps à consacrer à ce genre de sottises.

« Tout va bien, Veronica ? »

La jeune fille lui fit part de son trouble, mais Jane haussa les épaules.

« Ça m'étonnerait que tu l'aies déjà vu, c'est un truc que j'ai récupéré après une rupture. »

Veronica fronça les sourcils à nouveau, incapable d'expliquer pourquoi, mit le mouchoir au sale après un dernier regard puis se dirigea vers les placards propres pour en extraire les assiettes bien rangées par ordre de couleur et par forme. Elle débarrassa le bar, et installa les assiettes, dressa le couvert parfaitement.

« Veronica ? » demanda Keith, la voix inquiète.

La jeune fille leva les yeux pour croiser ceux de son père, et remarqua qu'elle avait les mains serrées sur les couverts qu'elle venait de déposer.

« Tout va bien ? »

Non. Tout n'allait pas bien du tout. Quelque chose clochait. Quelque chose venait de se déclencher dans la tête de Veronica qu'elle était incapable de nommer et d'identifier. C'était une sensation à la fois désagréable, excitante et familière. Ce même bouillonnement qui faisait vibrer son sang plus tôt.

« Huh-huh, » acquiesça-t-elle toutefois.

En fait, quelque chose commençait à faire sens et c'était le problème. Quelque chose de lourd avait pris place dans le ventre de Veronica, quelque chose qui ressemblait à une certitude. La certitude qu'elle avait toutes les pièces d'un puzzle, la pièce centrale peut-être même, celle qui délivrerait l'information finale.

Elle repéra du coin de l'œil qu'elle était le centre de l'attention de la pièce, et se força à secouer la tête.

« Je reviens, » dit-elle, marchant en direction de sa chambre, luttant contre une atroce envie de vomir.

Cette lourde certitude qui lui pesait, Veronica voulait la transformer en doute. Voulait la contredire. Voulait prouver que c'était le contraire.

La jeune fille s'assit à son bureau, ouvrit tous les fichiers et relut le début d'article de Robin, son estomac se tournant et se crispant douloureusement de nervosité. Le mouchoir l'avait saisie d'un terrible doute, un doute qui faisait remonter un souvenir mis de côté. Lorsqu'elle avait fait les recherches sur Jane en apprenant sa relation avec son père, Veronica avait découvert que Braun avait travaillé jusqu'en 2005 dans un hôpital psychiatrique avant de démissionner. Une recherche rapide lui confirma ce qu'elle redoutait.

C'était le même hôpital que celui de Robin. Veronica déglutit. Ça ne prouvait rien. Comme Mac l'avait dit, plus de deux mille personnes travaillaient dans un complexe hospitalier. Elle se montait encore un film, exagérait la situation et choisissait de voir le pire, comme d'habitude.

Les mains tremblantes, elle se leva, puis alla vers les tiroirs de sa commode qu'elle tira de toutes ses forces, retournant ses affaires à la recherche de la preuve qui dissiperait le terrible doute.

Elle avait une idée de l'endroit où elle avait vu ce mouchoir. Elle savait pourquoi il lui était familier. Pourquoi les initiales lui rappelaient quelque chose. Mais c'était impossible, Veronica ne pouvait se résoudre à penser qu'elle avait si peu de chance.

Veronica se força à déglutir, mais la nausée qui l'avait envahie était tenace. Si jamais elle avait juste, il allait falloir contenir cette panique, garder son sang froid et trouver le moyen de s'en sortir sans finir dans un réfrigérateur, sans être tenue en joue par un revolver, sans être droguée… Veronica ferma les yeux et se força à respirer calmement, les mains toujours enfouies dans le dernier tiroir. Puis elle se figea. Car elle reconnut la douceur du tissu entre ses mains. La même douceur que celui que Jane lui avait donné.

Les doigts tremblants, Veronica extirpa le mouchoir du tiroir et l'étira complètement sous ses yeux. Son cœur s'arrêta, tandis que le sang bouillonnait dans ses veines. Le dernier détail, la pièce centrale du puzzle, celle qui donnait la réponse, venait de lui être offerte, par le plus pur des hasards.

Les mouchoirs étaient identiques. Celui de Jane était peut-être un peu plus usé, mais les initiales demeuraient parfaitement reconnaissables. Un M et un C noirs entrelacés.

McCherry.

Margareth McCherry.

Veronica déglutit, tandis que toutes les pièces du puzzle s'emboîtaient subitement parfaitement les unes dans les autres.

« Braun sortait d'une relation vraiment difficile et douloureuse, avec une femme qui n'assumait pas son attirance pour le même sexe, et qui lui a brisé le cœur. » lui avait expliqué Flora.

« J'ai été une mauvaise femme, une mauvaise épouse, une mauvaise mère, une mauvaise chrétienne. » avait pleuré Margareth au cimetière.

La compréhension fit l'effet d'un uppercut dans l'estomac de Veronica. Margareth McCherry n'avait pas un amant. Elle avait eu une maîtresse. C'était ce que l'article de Robin allait révéler : le comble de l'hypocrisie, juger tout le monde en bon chrétien, punir ses enfants pour des comportements désapprouvés par leurs valeurs et se permettre de trahir toutes ces valeurs avec hypocrisie. Veronica avait peine à admettre que Robin pouvait être aussi cruelle au point d'humilier sa mère de façon aussi publique. Mais elle comprenait la rancœur et le besoin de blesser sa mère et de la trahir comme elle l'avait été.

Veronica ne doutait pas une seule seconde que Robin se moquait éperdument du fait que sa mère avait eu des sentiments pour une autre femme. En d'autres circonstances, elle aurait probablement adoré l'ironie et soutenu Margareth. Mais sa mère avait pris la décision de la faire interner, de ne pas l'écouter, et elle était persuadée (à tort ou à raison) qu'elle était restée à l'hôpital précisément parce que sa mère aimait Jane.

« Et si je te dis que le karma est un salaud, et que d'une manière ou d'une autre cette espèce de dragonne le paiera ? Ca te remonte le moral ? » avait ricané Robin la veille de sa mort.

Tout faisait sens, Veronica en avait le tournis.

Robin savait quelles répercussions sa révélation aurait sur Jane. Elle savait que son père ne tolèrerait pas la nouvelle, que sa famille éclaterait, que Sandford serait capable de beaucoup de choses par colère et humiliation et qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour ruiner la femme qui lui avait volé son épouse.

C'était un meurtre à double effet : non seulement Jane pouvait protéger la femme qu'elle aimait et dont elle ne digérait pas la rupture, mais en plus elle se mettait en sécurité, sans le moindre risque que qui que ce soit annonce la nouvelle à Sandford.

« Veronica ? À table ? » s'exclama Keith depuis le salon.

Le cœur de Veronica reprit ses battements à une vitesse frénétique. Le sang lui monta à la tête, provoquant un tournis désagréable qui faisait empirer la sensation nauséeuse qui la rendait malade.

Que faire ? Comment réagir ? Elle ne pouvait rien dire pour l'instant. D'abord : elle n'avait aucune preuve tangible. Le mouchoir était ce qui prouvait que Jane avait été la maîtresse de Margareth, et qu'elles avaient eu une histoire d'amour. Mais de là à prouver que l'article était un mobile de meurtre ? De là à prouver que Jane était prête à préméditer un meurtre, celui de la fille de la femme qu'elle aimait ?

Le sang de Veronica se glaça. Jane lui avait sauvé la vie, lorsque les Fitzpatricks l'avaient enlevée, et elle se souvenait du regard parfaitement froid de son enseignante lorsqu'elle avait tué son geôlier. Une balle tirée à bout portant. C'est parce que ce n'était pas la première fois qu'elle causait la mort de quelqu'un.

Pourtant elle avait tout : l'accès au GHB que Robin (ou était-ce Jane ?) avait volé à Kendra, la relation avec Robin qui l'avait laissée entrer, la connaissance de son passé troublé… Elle pouvait parfaitement s'imaginer ce qui s'était passé.

Comment Veronica n'avait-elle pas fait le lien plus tôt ?

« Veronica, tout va bien ? » demanda Jane derrière elle.

La jeune fille sursauta, les yeux exorbités, essayant de toutes ses forces de garder la face et de ne rien montrer de ses découvertes. Mais Jane avait déjà repéré le mouchoir que Veronica tenait entre ses doigts. Et elle l'avait reconnu. La certitude de Veronica venait de se confirmer, et rien ne la terrifia davantage.

Elle vit Jane cligner des yeux, puis marcher avec assurance dans sa direction pour récupérer le tissu brodé.

« Il me semblait bien que j'en avais plusieurs ! J'ai dû l'oublier ici à une autre occasion… »

Les lèvres de Veronica s'étirèrent dans un sourire qui ressemblait plus à une grimace, tandis que Jane attrapait le mouchoir et le fourrait dans sa poche.

« Ça explique où tu l'avais vu ! » rit Jane, mais il était aussi faux que le sourire de Veronica.

« Oui, » répondit cette dernière, la voix presque assurée.

Elle pouvait le faire. Elle pouvait le faire, elle pouvait tenir une soirée entière avec Jane et faire semblant, elle pouvait laisser son père passer la nuit avec elle. Elle ne pouvait pas partir et le laisser sans protection.

« J'arrive, » ajouta-t-elle, cherchant où elle avait pu mettre son téléphone.

Jane hocha la tête brièvement, mais Veronica pouvait sentir la tension émaner d'elle. Jane savait que Veronica menait une enquête sur la mort de Robin. Elle savait qu'elle était plutôt douée, et la jeune fille pouvait voir les rouages tourner et calculer la menace potentielle que Veronica représentait. Elle devait chercher la façon dont Veronica avait pu mettre la main sur ce mouchoir, sur ce que cela signifiait qu'elle savait, sur ce qu'elle soupçonnait.

Le bruit de son sang battant dans ses tempes assourdissait Veronica qui réfléchissait à toute vitesse. Elle faisait le funambule sans filet, et il allait falloir la jouer fine. Ne pas mettre la puce à l'oreille de Jane, jouer les hypocrites tout en restant sur ses gardes. Jane avait déjà tué au moins deux personnes, dont une avec préméditation. Elle était capable de les tuer, Keith et elle, si elle se sentait en danger. Mais elle était aussi brillante, et pouvait s'enfuir et disparaître dans la nature afin de n'être jamais trouvée.

Veronica doutait de son envie de fuir, elle devait trop tenir à son statut, à son poste, et fuir signifiait qu'elle était coupable.

« Il y aura peut-être Logan, Mac et Wallace qui passeront tout à l'heure pour réviser, » l'informa Veronica sur un ton qui se voulait parfaitement nonchalant.

Plus ils seraient nombreux, plus il y avait de personnes au courant, capables de relayer les informations, plus il y aurait de témoins, plus ils seraient en sécurité.

« Parfait, » rétorqua Jane sur un ton qui laissait entendre tout l'inverse.

« Je vous rejoins. »

« Je te conseille de ne pas trop tarder. »

La voix de Jane était si péremptoire que Veronica sentit la menace jusqu'au plus profond d'elle-même. Elle avait compris son petit jeu, et les deux femmes savaient à quoi s'en tenir. Il ne restait plus qu'une personne à atteindre : Keith. Il lui fallait prévenir quelqu'un à tout prix, quelqu'un qui pourrait agir.

Jane tourna les talons le plus lentement possible et Veronica se sentit perdre pied. Devait-elle prendre le temps de téléphoner, d'envoyer un message à Logan, ou rester en présence de son père ? Elle se força à ne pas réfléchir, suivre son instinct. Elle se rua sur son téléphone le plus discrètement possible et sélectionna Logan parmi ses contacts.

Jane a tué Robin. Mac expliquera. Jane à la maison. HELP.

Puis elle se força à transférer le même message à Mac et Wallace.

Elle savait que Logan accourrait chez elle pour la protéger mais elle savait aussi que Mac et Wallace seraient plus raisonnés, qu'avant de venir jusqu'à son appartement ils appelleraient la police. Veronica ne saurait pas ce qu'elle leur dirait (dans le cas où elle serait encore en vie à ce moment-là), elle n'avait aucune preuve surtout si Jane décidait de ne rien faire et de fuir.

Elle se força à prendre son sac à main, sachant qu'il y avait ses outils habituels (son fidèle taser, et son dictaphone) puis passa la porte vers le salon et la cuisine.

Veronica ne savait pas trop à quoi elle s'attendait lorsqu'elle entra dans le salon, mais certainement pas à trouver Jane et Keith calmement attablés devant le bar. Elle garda son téléphone dans la poche à portée de main, tandis que l'autre plongeait dans son sac pour activer son dictaphone et enregistrer la conversation au cas où.

« Tu pars ? » interrogea Keith.

Veronica vit les lèvres de Jane dessiner un rictus, et secoua la tête faiblement. Elle retira la main de son sac qu'elle posa entre son père et elle, ignorant superbement le regard désapprobateur qu'il lui accorda.

« Tu as l'air pâle, Veronica ? » fit semblant de s'inquiéter Jane.

« Tout va bien, » parvint-elle à dire. Sa poche se mit à vibrer. Logan avait dû recevoir son message et s'inquiétait. Veronica sentit le soulagement l'envahir.

Des preuves. Il lui fallait des preuves, sinon tout ce qu'elle avait fait ne reviendrait à rien. Il fallait qu'elle admette avoir tué Robin. Il fallait qu'elle ait son aveu, qu'elle l'enregistre et elle aurait la loi de son côté. Une véritable enquête menée par son père pourrait corréler tout ce que soupçonnait Veronica.

« Je ne suis pas sûre de te croire. Les accusations que tu as faites dans la chambre sont graves, Veronica. Je suis vraiment inquiète, ça ressemble à des délires lorsqu'on décompense en phase maniaque. »

La jeune fille resta bouche bée, tandis que la main de Keith s'interrompait entre l'assiette et sa bouche ouverte.

« Pardon ? »

« Dis-lui de quoi tu m'as accusée, Veronica. On verra s'il te croit. »

Veronica se sentit bouillir, se souvenant brutalement du fait qu'elle s'était ouverte à Jane. Elle lui avait dit pour Lilly, avait expliqué la raison pour laquelle résoudre des enquêtes était si important pour elle. Elle lui avait confié son manque de confiance en elle, la douleur de ces dernières années, l'importance de la justice et la nécessité pour elle d'avoir raison.

Clairement, Jane avait décidé d'utiliser tout cela contre Veronica.

Elle serra les dents malgré elle. Le rouge lui monta aux joues. Un rouge de colère — contre elle-même, mais surtout contre Jane, contre son père qu'elle ne pourrait blâmer s'il ne se rangeait pas de son côté — un rouge de honte aussi — de s'être ouverte à une meurtrière, de ne pas avoir su lire entre les lignes, de ne pas avoir deviné plus tôt. Un rouge d'humiliation.

« Je ne t'ai accusée de rien du tout. Je n'ai rien dit. »

« Vraiment ? »

« Quelqu'un peut m'expliquer ce qu'il se passe ? » exigea Keith.

« Veronica pense que j'ai tué son amie Robin. »

Les poings de la jeune fille se serrèrent de leur propre gré.

« Quoi ? Pourquoi penses-tu ça ? » demanda-t-il à l'adresse de sa fille.

Il ne fallait pas rentrer dans son jeu, Veronica se répétait sans cesse qu'il ne fallait pas rentrer dans son jeu. Il ne fallait pas l'accuser à tout va et lui dire tout ce qu'elle savait. Jane ne semblait pas vouloir lui faire de mal physiquement, elle souhaitait la discréditer. Pas question de lui donner ce plaisir.

« Ça ressemble à de la paranoïa, Jane. Je sais que je n'ai pas été très facile jusqu'à présent, mais de là à t'accuser d'avoir tué mon amie… Quels arguments aurais-je donné ? »

Keith regardait sa fille et son amie comme on observait une partie de ping-pong, comprenait que quelque chose n'allait pas mais incapable de savoir quels étaient exactement les enjeux auxquels il était confronté. Veronica pria pour qu'il saisisse rapidement ce qu'il se passait et qu'il mette Jane à la porte. Après cela, il allait falloir être prudent car elle semblait assez dingue pour maquiller leur meurtre en accident. Ce n'était pas comme si elle ne l'avait jamais fait.

« Eh bien justement c'est bien le problème, rien ne justifiait de telles accusations. »

Keith fronça les sourcils, les yeux fixés sur Jane, puis il tourna lentement la tête pour croiser le regard de sa fille.

« Veronica ? »

La jeune fille secoua la tête.

« Je ne comprends pas où Jane veut en venir. J'ai juste remarqué qu'elle et la mère de Robin avaient exactement le même mouchoir. Jane me disait que c'était celui de son ex. J'étais juste surprise que Margareth McCherry ait trompé son mari. D'autant plus surprise que, croyante comme elle est, je l'aurais crue moins… disons « ouverte » sur l'homosexualité que cela. Surtout la sienne. »

Veronica vit le regard de Jane s'enflammer, et elle comprit. Jane aimait toujours la mère de Robin. Flora lui avait dit qu'elle avait eu le plus grand mal à s'en détacher. Clairement, le meurtre de Robin était un crime passionnel : elle aimait toujours Margareth. Et elle ne souffrait pas d'entendre des choses négatives sur elle. Peut-être était-ce la faiblesse que Veronica pouvait exploiter.

Keith en revanche fronça les sourcils et soupira, repoussant sa fourchette.

« Je sais ce que tu penses des personnes infidèles, Veronica et tu as été claire sur… »

« Je mentionnais simplement ma surprise ! » s'exclama Veronica, frustrée. « Je n'étais pas en train d'accuser Jane de quoi que ce soit. C'est elle qui saute sur des conclusions, » la jeune fille dirigea son regard vers celle de l'amie de son père, « et je ne comprends pas pourquoi tu me mets en porte à faux de cette façon. »

Jane pencha la tête sur le côté, affectant d'être inquiète, et tenta de poser une main rassurante sur celle de Veronica. Là, c'était trop. La jeune fille serra les dents et retira sa main de la table.

« Veronica, je suis inquiète. C'est la première fois qu'elle fait ça, Keith ? » demanda-t-elle. « Qu'elle ment pour se protéger ? »

Keith observa sa fille qui le supplia du regard. Elle lui avait déjà menti en le regardant droit dans les yeux. Et ils avaient eu leurs différends cette année… sur les non-dits, sur la rancœur, sur les secrets que Veronica dissimulait. Pourtant… Il fallait qu'il la croie. Il fallait qu'il la soutienne et qu'il ne se laisse pas convaincre par les mots de Jane.

« Veronica ? »

La jeune fille déglutit, et secoua la tête. Keith fronça les sourcils, puis soupira.

« Jane, je suis désolé mais je pense que je vais devoir discuter avec ma fille, encore une fois. Il est temps de résoudre cette histoire une bonne fois pour toute parce que ça commence à me fatiguer. »

Le cœur de Veronica manqua un battement, mais elle ne baissa pas les yeux. Elle n'était pas en tort. Elle avait même raison.

« Tu préfères que je parte ? » demanda Jane, incapable de cacher la surprise dans sa voix.

« Je suis vraiment désolé, » s'excusa Keith à nouveau, poussant Veronica à redresser la tête, elle aussi épatée. Son père ne la croyait peut-être pas, mais il ne la rejetait pas totalement. C'était plus qu'elle ne pensait qu'elle aurait car elle ressentait l'épuisement et l'irritation profonde que Keith ne parvenait plus à garder en lui.

Jane darda un regard mauvais sur Veronica qui réfléchissait toujours à toute vitesse. Logan, Mac et Wallace devaient être en chemin. Laisser Jane partir signifiait prendre de nombreux risques. Mais tant pis. Il allait falloir être prudents dans les prochains jours et mener une enquête rapide. Veronica se leva en même temps que Jane, incapable de la quitter du regard, suivant chacun de ses mouvements des yeux.

Jane récupéra ses affaires, puis se pencha vers Keith qu'elle embrassa passionnément, renforçant la nausée de Veronica qui lutta pour ne pas lever les yeux au ciel. Sa main glissa dans le sac pour se saisir de son taser au moment où Jane reculait. Veronica se rapprocha de son père discrètement tandis que Jane disparaissait par la porte.

« Mais qu'est-ce qui se passe, bon sang ? »

Veronica n'attendit pas que Keith commence sa phrase pour se diriger vers la fenêtre et observer Jane courir jusqu'à sa voiture. Elle en releva la plaque d'immatriculation, tout en sachant que ce serait probablement inutile.

« Je n'ai pas accusé Jane d'avoir tué Robin, mais c'est elle qui l'a fait. Tout ce cirque, c'était pour se protéger. J'ai un article de Robin qui comptait révéler l'infidélité de sa mère, humilier sa famille et détruire la carrière de Jane. »

« Quoi ? Veronica, arrête, ça n'a pas de sens… »

« Réfléchis Papa ! Elle est capable de tuer, elle l'a prouvé lorsqu'elle est venue me sauver des Fitzpatricks. Elle avait accès à tout : à la chambre de Robin comme au GHB — la vendeuse était son élève. Robin comme Jane auraient pu mettre la main dessus, mais je pense que c'est Jane qui l'a volé pour s'en servir contre Robin lorsqu'elle a su qu'elle écrivait l'article. »

« Et comment l'aurait-elle su ? Tu vas trop loin, cette fois ! »

Veronica se retourna, des larmes de frustration lui montant aux yeux.

« Je sais de quoi j'ai l'air en te disant ça ! Mais… Mais j'ai raison Papa, je te jure que j'ai raison, la réaction de Jane le prouve ! Flora m'a confirmé que Jane aimait profondément la mère de Robin, cette dernière m'a dit elle-même qu'elle pensait que Dieu l'avait punie pour ses actes, et tout colle ! Jane travaillait dans l'hôpital psychiatrique où Robin était internée, au moment où Robin le fréquentait ! »

Quelque chose frappa Veronica. La familiarité de Robin envers Jane. La colère et le détachement froid de Robin.

« Combien tu paries que Jane était la psy de Robin à l'hôpital ? »

« Veronica, » commença Keith.

Mais la jeune fille ferma la porte à clefs, puis fonça dans sa chambre pour rapporter les preuves imprimées, sous le regard éberlué de son père. Elle montra les dates d'internement de Robin, celles pendant lesquelles Jane avait officié dans le même hôpital, et au fur et à mesure que les mots sortaient de sa bouche, la certitude de Veronica se renforçait tout en entendant à quel point elle paraissait folle.

« Dis-moi que tu me crois, » supplia Veronica à la fin de son exposé.

Keith cligna des yeux, et Veronica réalisa à cet instant qu'elle était en train de briser le cœur de son père. Tout le combat la quitta, car quelle que serait la réponse de son père, qu'il la croie ou non, quelque chose serait brisé en lui.

Keith ferma les yeux, et se les frotta pensivement, expulsant un soupir qui fendit littéralement l'âme de Veronica.

« Comment peux-tu prouver qu'elle a tué Robin ? Même si elle l'a fait, ce que je ne suis pas en train de reconnaître, il faudrait qu'elle soit stupide pour qu'on retrouve du GHB chez elle… »

« Je ne sais pas encore, mais la preuve doit être quelque part et Jane va faire tout ce qu'elle pourra pour la détruire. Ce que je t'ai donné là peut te permettre d'obtenir un mandat, tu peux perquisitionner son appartement, son bureau, la police a bien relevé des empreintes dans la chambre de Robin, non ? Si on trouve les empreintes de Jane… »

« Ça ne reste que des empreintes. Tu as un mobile, pourquoi pas, mais crois-tu vraiment que Margareth McCherry viendra témoigner devant un jury de sa relation ? »

Veronica déglutit.

« Elle est à l'autre bout du monde dans un couvent à expier ce qu'elle pense être ses fautes. Sandford McCherry sera un homme doublement brisé par la cruauté de sa fille et la tromperie de sa femme… »

« Robin ne méritait pas de mourir parce qu'elle allait blesser sa famille ! » s'exclama Veronica, blême.

« Ce n'est pas ce que je suis en train de dire ! Mais on ne peut pas courir après Jane comme ça, sans preuve, en dépit de tes certitudes ! »

« Cherche des preuves dans ce cas ! Prouve qu'elle savait pour l'article de Robin ! Il devait y avoir un mail, il devait y avoir quelque chose qui prouvait qu'elle savait ! Robin avait dû le lui dire, le lui jeter à la figure ! »

« Et si ce ne sont que des mots, comment fait-on ? Sans admissions, sans aveu, on ne peut rien faire ! »

Veronica se mordit les lèvres, et allait répliquer lorsque quelqu'un tambourina à la porte.

« VERONICA ! VERONICA, réponds ! »

C'était Logan. Veronica ferma les yeux, gênée, et se dirigea vers la porte pour l'ouvrir. Il se rua à l'intérieur, les yeux fouillant chaque recoin de la pièce, repoussant délicatement Veronica derrière lui, et se détendit instinctivement lorsqu'il réalisa que personne n'était là à part Keith.

« Tout va bien, elle est partie, » tenta de l'apaiser Veronica.

« Évidemment, » soupira Keith en comprenant pourquoi Logan était venu. « Tu y crois ? » demanda-t-il.

Le jeune homme semblait toujours sur ses gardes et dévoré par l'inquiétude. Il posa instinctivement sa main sur le bras de Veronica, se rassurant de sa sécurité d'un simple geste.

« D'après ce que Mac m'a répété ça avait du sens. La police est en chemin… »

Keith leva les yeux au ciel.

« Tu as la moindre idée de ce à quoi on va ressembler avec tes appels au loup ? » grommela-t-il en direction de sa fille, tout prenant son téléphone sur la petite table à côté de l'entrée. « Il va falloir que je leur dise qu'il s'agit d'un malentendu, encore une fois à cause de ma fille ! »

La porte s'ouvrit subitement, et personne n'eut le temps de réagir lorsque Jane pénétra dans la pièce et tira. Keith poussa un cri de douleur en tombant, le bras blessé. Veronica et Logan sursautèrent en même temps.

Veronica n'eut pas le temps de se précipiter sur son père, Logan l'avait déjà repoussée violemment derrière le bar tandis que Jane pénétrait dans l'appartement, les dents serrées, le même pistolet qu'elle avait utilisé pour sauver Veronica au poing, mais avec l'ajout d'un dispositif silencieux à l'extrémité.

La jeune fille tourna la tête et vit les yeux écarquillés de Keith. Toute la trahison, toute la douleur qu'il éprouvait étaient affichées sur l'expression de son visage. C'était l'erreur de trop. Veronica comprit qu'il ne l'avait pas vraiment crue jusqu'à cet instant, jusqu'à ce que Jane Braun ne craque, ne doute de son plan, ne revienne sur ses pas.

« Jane ! » s'exclama Keith, incapable de prononcer autre chose, d'exprimer son choc.

Il recula du mieux qu'il put vers le canapé, la main gauche resserrée sur son immobile bras droit. Le sang en coulait à flots sous les yeux terrorisés de Veronica qui, pour la première fois de sa vie, se trouva vissée sur place. Elle voulait réagir, elle savait quoi faire — ce n'était pas la première fois qu'elle était dans une telle situation malheureusement — mais elle restait accroupie près du bar, les yeux fixés sur son père, bloquée par une force indescriptible.

Jane ne répondit pas. La jeune fille sentit sa main se crisper sur le bras de Logan qu'elle força à s'accroupir près d'elle tandis que Jane repoussait du pied le téléphone de Keith et pénétrait dans la cuisine. Oubliant son sac qui contenait le taser, Veronica suivait des yeux Jane qui avançait vers eux avec assurance en leur accordant un signe négatif de la tête.

« Toi » s'adressa-t-elle à Logan, « ne joue pas aux héros comme tu en as l'habitude quand il s'agit de cette peste. Tu gâches toujours tout, Veronica. » cracha-t-elle.

Veronica ne répondit pas. Elle avait mis un nom sur la force. C'était de la peur. Habituellement, la peur, le risque, lui faisaient l'effet d'un moteur. Mais son enlèvement par les Fitzpatricks lui revenait en violents flashbacks qui la pétrifiaient malgré elle. Elle se trouva incapable de contrôler les tremblements qui la secouaient et l'immobilisaient. La jeune fille se força à déglutir et prendre sur elle mais c'était impossible. Le coup de feu et le sang qui coulait lui avaient retourné l'estomac, elle luttait contre tous ses instincts pour ne pas vomir sur place. En faisant des pas en arrière pour rejoindre Keith, Logan faisait reculer Veronica qui ne quittait pas l'amie de son père des yeux.

Depuis quand l'instinct ne réagissait pas pour qu'elle s'en sorte ? Elle qui était toujours parvenue à se sortir des pires situations ! Elle qui avait passé la dernière demi-heure à réfléchir à toutes les solutions possibles et imaginables, elle qui avait pour la première fois de sa vie couvert ses arrières et savaient que la cavalerie était en route…

« La police est en chemin, vous ne pourrez pas vous en sortir, » tonna Logan, toujours placé devant Veronica.

Toujours debout entre le bar et la gazinière, son pistolet fermement serré dans une poigne solide, Jane arqua un sourcil méprisant, et se pencha pour ouvrir le placard sous l'évier. Elle en extirpa un bidon d'huile de cuisine dont Keith se servait pour faire les frites qu'elle ouvrit d'un geste rapide sans lâcher son arme, et renversa son contenu sur le comptoir, par terre, pour finalement le jeter en direction des Mars. Le bidon finit de se vider dans un lent arc de cercle qui parvint jusqu'aux pieds de Logan et Veronica.

Logan amorça un geste vers Jane qui pencha la tête et tira dans le mur juste au-dessus d'eux. La peur fit place à la terreur, un bourdonnement désagréable raisonna dans les oreilles de Veronica à la vue du canon dirigé vers son visage. Elle ne contrôlait rien. Ni son corps. Ni la situation. Comme chez les Fitzpatricks… Et cette fois-ci Jane n'était pas présente pour la sauver.

« J'ai dit, ne joue pas aux héros, » répéta-t-elle. « La prochaine sera dans ton crâne. »

« Avec autant d'huile partout, vous pensez vraiment que quelqu'un va croire à l'accident ? »

« Qui a parlé d'accident ? » railla Jane, répétant les mêmes gestes avec un nettoyant ménager que Veronica avait rangé plus tôt. Bouchon dévissé. Bidon renversé, cette fois-ci devant la porte, sur la moquette… Pour finir aux pieds de Keith. « Avec les Fitzpatricks qui réclament leur vengeance ? Quelques coups de feu d'un pistolet silencieux, et un témoin qui a survécu miraculeusement… »

Le sang de Veronica se glaça dans ses veines. Jane plongea son regard froid dans celui de la jeune fille, ses lèvres s'étirant dans un rictus lorsqu'elle comprit de quoi souffrait son ancienne élève, pourquoi elle était si silencieuse et paraissait si passive.

Jane avait parfaitement saisi qu'il ne s'agissait pas de passivité. Et que la crise d'angoisse jouait précisément en sa faveur. Elle ricana cruellement, puis tourna ses talons secs, enjambant les zones humides pour se diriger vers le palier.

« Non, » murmura Keith. « Non ! »

Toujours secouée de douloureux tremblements, Veronica vit son père se redresser pour se jeter vers Jane mais un geste du poing tenant le revolver le força à rester coi.

« Je n'ai jamais voulu te faire de mal. Tout ce qu'on a vécu… Tout était vrai, » lui avoua-t-elle, et pour la première fois sa voix faiblit.

L'odeur de l'huile et des détergents mélangés finit de rendre Veronica totalement malade. À la nausée s'ajouta un mal de crâne saisissant. Dans l'embrasure de la porte d'entrée laissée ouverte, Jane plongea sa main libre dans la poche intérieure de sa petite veste, en tira un briquet et alluma un Zippo.

« Non ! » s'écria Keith en faisant un nouveau pas vers elle, tandis que Logan faisait la même chose.

Les yeux de Veronica étaient fixés sur la flamme dansante. Il fallait qu'elle bouge, qu'elle lutte contre son malaise. Il fallait qu'elle réagisse. Elle n'était pas dans un réfrigérateur en flammes, elle n'était pas bloquée, ils étaient trois contre une, dont deux jeunes. Ils n'étaient pas obligés de tous mourir. Pas comme ça.

Mais Jane n'attendit pas que Keith l'atteigne pour jeter le briquet allumé dans leur direction. Il atterrit devant les chaussures de Veronica sur la moquette qui prit feu aussi vite que le briquet était tombé. Le bruit mouillé suivi de celui de l'embrasement sortirent Veronica de sa torpeur, plus que le bruit d'un corps qui tombait au sol.

La flamme partit de la petite table et rejoignit en une seconde le bar encore couvert de nourriture, preuve d'un repas de famille entamé pas même une heure plus tôt. Veronica se retourna et saisit la couverture qui traînait sur le sol, essayant d'étouffer les flammes qui montaient déjà. Mais ce fut peine perdue : la moquette était imbibée et les liquides inflammables se propagèrent rapidement sur la couverture. Très vite (trop vite), Veronica dut lâcher le tissu qui vint alimenter le feu déjà vif.

Elle réalisa qu'elle était derrière une sorte de mur de flammes qui produisaient une fumée grise presque opaque, et l'odeur fit que l'espace d'une seconde elle était à nouveau dans ce réfrigérateur, incapable de sortir.

Il y eut un bruit sourd et un cri qui lui firent lever la tête. Sous ses yeux ébahis, Veronica vit Jane s'effondrer dans les flammes qui s'étaient diffusée dans la cuisine, plaquée par une forme indiscernable dans la fumée qui s'épaississait, embrumant la vision de la jeune fille et provoquant rapidement une quinte de toux brûlante.

« VERONICA ! » appela-t-on.

La jeune fille cligna des yeux. Elle reconnaissait cette voix. C'était celle de Mac. Elle reconnut à peine sa silhouette dans l'embrasure de la porte, penchée en avant et tirant vers l'extérieur une forme méconnaissable. Si Mac était là… Le cœur de Veronica s'arrêta. Était-ce Wallace qu'elle avait vu se jeter sur Jane ?

« Veronica sors de là ! » criait Mac encore.

Mais elle s'était piégée toute seule derrière les flammes qui formaient désormais plus qu'un rideau, un véritable mur infranchissable. Pétrifiée, Veronica recula vers le couloir, tandis que la voix de Mac prenait une tonalité complètement hystérique. Puis ses yeux perçurent une autre forme étendue non loin des flammes, et le temps s'arrêta. Logan était allongé. Logan était le bruit sourd que son cerveau avait refusé d'enregistrer, Logan était tombé. Et il ne bougeait pas.

La vision de Logan allongé provoqua de nouveaux souvenirs insupportables. Veronica serra les dents, et se focalisa sur la colère et la peur pour Logan plus que pour elle que cette vision suscitait. Il était hors de question que Logan soit blessé — ou pire, mais elle ne pouvait pas penser à pire — alors que pour une fois elle avait suivi les règles. C'était inconcevable. Elle n'avait pas accusé à tort, elle avait contacté le plus de monde possible, elle allait chercher les dernières preuves pour prouver ses dires.

Logan ne pouvait pas mourir quand elle avait respecté toutes les règles. Elle pouvait tolérer de s'être mise en danger même si ce retournement de situation était injuste, mais savoir que Logan était à terre par sa faute… Elle l'avait mis en danger. S'il était étendu, c'était parce qu'il était venu pour elle. Pour « jouer au héros », comme l'avait dit Jane. Qu'il meure de cette façon ? Non. Non. Elle avait tout fait correctement. Elle mènerait cette décision à son terme. Elle irait jusqu'au bout. Logan ne mourrait pas.

Les instincts qui avaient fait faux bond à Veronica revinrent aussi subitement qu'ils avaient disparu. La jeune fille se retourna, courut dans sa chambre attraper son ordinateur portable par pur réflexe, et partit se saisir de sa couverture dans laquelle elle s'emmitoufla du mieux qu'elle put pour se protéger. La réalité fut que cette fois-ci, Veronica ne réfléchit pas. Elle se trouva à franchir le premier mur de flammes qui la terrorisait pourtant encore quelques secondes auparavant et qui avait épaissi encore, et se trouva bientôt aux côtés de Logan qui était toujours sur le sol. Des flammes venaient lui mordre les chaussures, mais Veronica choisit de ne pas s'en préoccuper.

Elle se pencha vers lui et le secoua, n'hésita pas même à lui mettre des gifles pour le réveiller — elle savait que porter un poids mort qui faisait presque le double du sien tenait de l'impossible — ses yeux revenant inlassablement vers les chaussures qui se couvraient de suie.

« Logan ! Logan, réveille-toi ! »

Ses paupières papillonnèrent d'abord, puis Logan revint à lui, mais pas assez vite. Veronica tira sur son bras avec une force qu'elle n'aurait jamais soupçonnée et parvint à le faire s'asseoir, lui permettant de reprendre suffisamment conscience pour réagir et se redresser légèrement. Veronica étendit sa couverture qui prenait feu pour recouvrir Logan et les obligea à courir à travers le second rideau de flamme, trouvant la porte encore ouverte par miracle. La tâche à peine accomplie, Veronica repoussa la couverture dans l'appartement, tandis que Logan tombait à genoux sur le pallier où Mac et Wallace soutenaient Keith et tentaient de le faire descendre vers le parking.

Elle ne rata pas leurs regards emplis de soulagement lorsqu'ils les perçurent en entier.

« Veronica, » toussa Logan, la voix enrouée, les yeux brillants, « ça va ? »

Saisie d'un petit rire complètement hystérique, les larmes aux yeux, la jeune fille saisit en tremblant le bras de son petit ami et le passa par dessus son épaule, son ordinateur toujours sous le coude. Évidemment, il lui demandait comment elle allait alors qu'il avait failli faire le plat principal d'un barbecue spécial et qu'il souffrait probablement d'un traumatisme crânien. Elle le serra plus fort contre elle, incapable de résister au besoin de le sentir proche, en vie.

Elle avait tout bien fait. Dans les règles. Ça ne pouvait pas mal se finir. Logan était en vie.

Quelque chose de poisseux glissa entre ses doigts lorsqu'elle enlaça sa taille, provoquant en elle une nouvelle vague d'angoisse.

« Qu'est-ce qui t'est arrivé ? » lui demanda-t-elle en descendant les escaliers.

« Braun m'a tiré dessus je crois, » avoua-t-il d'une voix blanche.

« Ça va aller, » se trouva-t-elle à dire la voix chevrotante, mais elle ne savait plus où elle en était, pour qui s'inquiéter.

Son père semblait vaseux dans les bras de ses meilleurs amis, Wallace avait probablement plaqué Jane dans l'appartement et elle ne s'expliquait pas comment il n'était pas plus brûlé qu'elle, Logan avait lui aussi été touché par une balle… Comment était-elle indemne ? Et surtout…

« Où est Jane ? » s'exclama-t-elle tandis que Logan avait de plus en plus de mal à tenir la rambarde en bois. Elle s'affaissait de plus en plus sous son poids, mais Veronica ne s'en rendit pas compte. « Où est-elle ? »

Mac se retourna, les yeux hantés, ses iris reflétant l'appartement dont des flammes s'échappaient en langues immenses et Veronica manqua de rater la dernière marche. À cet instant, les sirènes de la police se firent entendre dans la rue, tandis que les voisins sortaient tous de leur appartement et cherchaient à s'éloigner de l'incendie.

Mac et Wallace déposèrent Keith le plus loin possible. Il était aussi blanc que rouge, mais il respirait et à ce moment précis c'était tout ce qui comptait pour Veronica. Sa tâche à peine accomplie, Mac se précipita vers Logan et elle mais la jeune fille se contenta de lui donner son ordinateur alors que les jambes de Logan lâchaient. Les larmes qui embuaient les yeux de Veronica n'avaient plus rien à voir avec la fumée épaisse qui avait failli l'étouffer.

« Tu gâches toujours tout, Veronica, » avait dit Jane.

Ce n'était pas parce qu'elle était folle à lier que ses mots n'étaient pas vrais.

« Logan, » appela-t-elle en l'étendant sur le bitume. « Logan ! Reste avec moi ! Reste avec moi… »

La sensation de déjà-vu sous tous points de vue rendait la situation insoutenable. Il devait aller bien. Il fallait qu'il reste éveillé. Elle agrippait le t-shirt du jeune homme, tentant de protéger ses plaies, ses paumes comprimant le point qui saignait au niveau de sa taille, des larmes sales coulant librement le long de ses joues.

Plus tard, elle se souviendrait des pompiers venus porter secours à Logan et son père, de son incapacité à savoir où donner de la tête, à quelle émotion céder. Elle garderait en mémoire le soulagement écrasant d'être en vie, la reconnaissance éperdue d'avoir été sauvée par son armée une fois de plus, son armée infaillible, son soutien indéfectible, la terreur ingérable devant l'état de santé des deux hommes qui comptaient le plus au monde, la douleur saisissante de sa peau qui avait été attaquée par le feu, la culpabilité dévorante d'avoir une fois de plus mis tous ceux qu'elle aimait en danger pour obtenir la vérité.

En revanche, acte manqué, elle oublia aussi tôt qu'ils s'échappèrent de ses lèvres les trois mots qu'elle avait toujours refusé de dire à Logan et qui pourtant les franchirent ce jour-là. Ça n'eut pas d'importance. Elle les répéta le moment où il ouvrit les yeux.

.ÉPILOGUE.

A LONG TIME AFTER, WE ARE STILL BEST FRIENDS

2 ans plus tard

« Si tu m'offres une maison comme cadeau de fin d'études, je t'arrache la tête. »

Logan pencha la tête, une main lâchant le volant pour venir saisir les doigts de sa petite amie.

« Tu sais à quel point j'aime nos préliminaires, » ricana-t-il. « C'est la maison ou le mariage. »

Veronica leva les yeux au ciel. Ils avaient eu cette dispute d'interminables fois. Logan voulait se marier. Veronica lui argumentait que 50% des mariages se terminaient en divorce et que rien ne les empêchait de construire leur vie sans contrat. Elle avait accepté d'emménager définitivement avec lui la semaine précédente, ce qui l'avait menée à penser que la discussion était close, mais cette dernière pique lui laissait aisément supposer que ce n'était pas tant le cas que ça.

« Allez, trêve de plaisanteries, » reprit Logan en ouvrant la porte de la voiture.

Il fit le tour, et observa Veronica qui restait obstinément assise, les sourcils levés. Un combat de regards fut entamé, combat que bien évidemment, Logan perdit. Il finit par lever les yeux au ciel, ouvrir la porte de la jeune fille et soupirer.

« Je te promets que cette maison n'est pas pour nous. Ça te convient ? »

Veronica feignit un éclat de rire.

« Si tu achetais la maison de mon père, je serais déçue. »

« Annonce-lui déjà que tu quittes cette maison et après on verra. »

Les yeux de Veronica se couvrirent d'un voile de peur. Logan soupira.

« Tu comptes lui dire aujourd'hui ? »

La jeune fille grimaça.

« Je pensais lui envoyer un mail, en fait. »

Logan leva les yeux au ciel à nouveau, tandis que Veronica se levait.

« Courageux. C'est pas comme s'il était tout seul… Il a Alicia désormais, et c'est toi qui te plaignais de ne plus te sentir chez toi pas plus tard qu'hier. »

Veronica lui jeta un regard mauvais, et raffermit sa poigne sur la boîte de gâteau qu'elle avait apporté. Il fondait déjà, elle en était sûr. Il avait fallu un long moment pour que les choses s'apaisent après la catastrophe de l'appartement. Au-delà de l'aspect physique, les problèmes matériels et émotionnels avaient été bien plus compliqués à gérer.

Matériellement, les choses s'étaient améliorées rapidement. La police avait conclu l'affaire comme une tentative de meurtre ce que cinq témoins racontant la même histoire avait prouvé. Veronica garderait toujours la rancœur de ne pas avoir pu prouver que Robin avait été assassinée (même si cela figurait dans le rapport), mais les McCherry n'avaient pas été contactés lorsque Veronica et Keith avaient présenté leurs suspicions. Après cela, l'assurance de Jane comme celle du complexe de l'appartement avait couvert tous les frais et offert une somme si énorme comme dédommagement émotionnel que Keith avait pu s'acheter six mois plus tard une petite maison entre le coin des 09ers et les lieux moins chics.

Durant cette période, la famille Fennel avait offert d'héberger les Mars, et Veronica serait à tout jamais reconnaissante de la patience et de la compréhension dont avait fait preuve Alicia. Pendant plus d'un an les anciens amants étaient restés amis, dans une sorte de limbo relationnel indéfinissable, mais Alicia avait permis à Keith de faire la paix petit à petit avec la culpabilité et la douleur que la trahison de Jane Braun avait suscité en lui.

« Je préférais quand je ne savais vraiment pas ce qu'ils étaient l'un pour l'autre, » grommela Veronica.

« Pas moi. Tu n'as pas idée à quel point tu étais insupportable. »

Veronica pencha la tête, alors qu'une Honda Civic se garait derrière la décapotable de Logan. Un Wallace souriant en sortit, les cheveux complètement ébouriffés.

« Veronica Mars ! » s'exclama-t-il.

Il ouvrit la portière de sa conjointe, et une jeune fille magnifique aux jambes interminables s'en extirpa. Veronica arqua un sourcil, mais Wallace avait l'air particulièrement fier de lui. Logan siffla discrètement.

« C'est la sixième qu'il ramène cette année non ? »

« Il tombe facilement amoureux, » chuchota Veronica.

Wallace avait mis du temps à reprendre les choses correctement aussi. Il avait admis plusieurs mois après leurs mésaventures qu'il avait essayé de sortir Jane des flammes lorsqu'il avait vu qu'elle était assommée par sa chute. Mais Mac avait hurlé en voyant la jambe de Keith s'embraser et Wallace avait réagi instantanément. Plus que jamais, Veronica était reconnaissante de son entourage, et elle avait appris à le leur faire savoir et à le montrer (non sans quelques réflexions choquées de la part des intéressés évidemment).

Wallace avait encore du mal à se pardonner mais il compensait avec une vie sociale pour le moins accomplie et une jolie réussite dans ses études d'ingénierie. Le basket lui manquait, mais son frère avait pris la relève une fois calmé dans son adolescence et la famille entière n'aurait pas pu être plus fière.

La nouvelle compagne de Wallace se présenta, et si Logan retint immédiatement son prénom (ses mensurations aussi probablement), Veronica choisit de ne pas faire l'effort (inutile, elle ne la reverrait peut-être que deux fois grand maximum).

« Wallace Fennel ! Ou est-ce Mars, maintenant ? Wallace Mars ? Ça sonne bien, non ? »

Wallace lui jeta un faux regard méchant.

« Je resterai toujours Wallace Fennel ! »

« Mais maintenant qu'on est frère et sœur, je peux enfin te coiffer, ma jolie poupée ! »

Elle amorça un mouvement en direction de ses cheveux mais Wallace recula, les yeux menaçants.

« Bas les pattes ! »

Les deux couples s'avancèrent vers la porte d'entrée. Wallace ne prit pas la peine de toquer, il ouvrit directement la porte et alla embêter son frère automatiquement, laissant la pauvre demoiselle à ses côtés se débrouiller seule.

Alicia accueillit ses hôtes avec un grand sourire chaleureux, serrant Logan dans ses bras, tandis que Keith accourait enlacer et embrasser sa fille. Il serra la main de Logan, puis insista pour lui faire goûter une bouteille de bourbon dont il venait de découvrir la marque tout en lui demandant des nouvelles de l'association. Logan avait trouvé un grand bâtiment grâce à ses levées de fonds et il venait ainsi en aide à de nombreuses personnes. Son association était même mentionnée aux informations locales et nationales à l'occasion.

Alors que Logan se lançait dans l'explication d'une affaire particulièrement difficile en ce moment, la sonnerie retentit. Voyant que tout le monde était occupé, Veronica alla ouvrir la porte à Mac qui arrivait avec un saladier aussi large qu'elle.

La jeune fille avait terminé ses études avec un semestre d'avance et des notes si impressionnantes que Google lui avait proposé un poste. Elle avait accepté sans se poser de questions et n'était revenue sur Neptune qu'une petite semaine pour la cérémonie de remise des diplômes de Wallace et Veronica qui avait eu lieu quelques jours plus tôt.

Lorsqu'elle pénétra dans le salon et aperçut la nouvelle copine de Wallace, Mac s'arrêta et glissa un regard en coin à sa meilleure amie.

« Encore une ? »

Veronica haussa une épaule en riant.

« Ah, Mac ! Te voilà ! » s'exclama Keith. « Tu n'aimes pas le Bourbon, je me trompe ? »

Veronica se dirigea vers la cuisine pour déposer le saladier, tandis que tout le petit monde se déplaçait bruyamment vers la terrasse où Alicia avait dressé le couvert. Par la porte vitrée, Veronica put voir son père s'asseoir en bout de table, Alicia pile en face de lui à l'autre extrémité, puis les autres convives s'installer.

Une boule inexplicable s'installa dans sa gorge alors qu'elle observait tous les sourires sur ces visages pourtant dévastés deux ans plus tôt. Elle s'était habituée à la sensation de paix qui l'envahissait régulièrement. Une sensation de paix avec elle-même, de paix avec ses démons. Elle savait que tout irait bien, et les moments comme celui qu'elle vivait là en étaient la preuve.

« Veronica, tu viens ? » appela Logan.

Mac, Wallace, Alicia, Darrell et Keith tournèrent la tête vers elle. Veronica attrapa le saladier de Mac et marcha pour rejoindre sa famille.

Tout irait bien. Elle avait deux anges qui l'observaient de là-haut. Au moment où elle eut cette pensée, Veronica fut sûre d'entendre un rire retentir au loin. Le rire de Lilly ou de Robin, elle n'en savait rien. Peut-être qu'elles riaient ensemble. L'idée lui plaisait assez.

FIN

C'est la gorge nouée et très émue que je termine cette histoire et tourne la page Veronica Mars. J'espère que la fin aura été à la hauteur de vos attentes.

Merci encore à tous et à toutes de ne pas avoir abandonné, et merci de vos gentils mots tout au long de ces (interminables !) années pour m'encourager. Je vous suis éternellement reconnaissante.