Harry errait dans les couloirs de Poudlard, un peu hagard. Il avait été convoqué chez Dumbledore et appréhendait l'entrevue.

Quelques heures auparavant, il avait intentionnellement blessé Drago Malefoy. Ce qui avait été, pour lui, de la légitime défense pouvait facilement passer pour un règlement de comptes. Un règlement de comptes dans les toilettes des filles, qui plus est. Difficile à justifier.

Dumbledore lui parut très fatigué, particulièrement ennuyé par l'incident. Il l'interrogea sur les circonstances de l'affrontement.

Harry, gêné, tenta d'expliquer l'enchaînement malheureux des évènements : les chuchotements derrière la porte, la découverte de son ennemi en pleurs, puis l'altercation entre eux et les sorts qui avaient fusé des deux côtés. Harry avait juste été le plus rapide des deux.

Il se garda bien de dire qu'il le surveillait depuis de nombreuses semaines, et avait plusieurs fois souhaité le mettre hors d'état de nuire.

Dumbledore le fixa quelques instants d'un œil scrutateur, et dit :

« Est-ce que tu te rends bien compte de la gravité de ce sort, Harry ? Sais-tu que si le professeur Rogue n'était pas intervenu rapidement, le pire aurait pu arriver ? »

« Mais, professeur, c'est lui qui a commen… »

« Cà suffit, coupa-t-il. On ne parle pas d'une bataille de boules de neige, mais d'un sort très grave. Le Sectumsempra génère des plaies pouvant conduire à la mort de la victime».

Il ajouta, d'un ton las : « Fais attention, Harry, n'utilise pas des pouvoirs que tu ne maîtrises pas. Pas contre n'importe qui. »

Harry baissa la tête. N'importe qui.

« Malefoy n'est pas n'importe qui. Il prépare un mauvais coup depuis plusieurs semaines, je vous le dis ».

« Malefoy n'est pas Voldemort. Il a 16 ans.» répondit Dumbledore sèchement.

Harry serra les poings. Il se remémora les coups que son ennemi lui avait assénés dans le train, à la rentrée. Son nez cassé. Il l'avait détesté plus que tout, à ce moment-là. Et depuis ce jour-là il l'espionnait.

« Tu peux rentrer, Harry. Mais réfléchis à ce qui s'est passé, tires-en les conséquences ».

L'adolescent fronça les sourcils et sortit, mécontent. Et puis quoi encore ? Réfléchir à quoi ? Quelles conséquences ? C'était un stupide accident, rien de plus.

En regagnant son dortoir, il se dit qu'il n'avait rien promis, et qu'il avait autre chose à faire. Il tenta d'oublier l'incident en rédigeant un long devoir de potions.

Mais évidemment, au réfectoire, tout le monde ne parlait que de çà, et Harry se sentait sans cesse observé. Crabbe et Goyle en particulier le fixaient d'un air menaçant.

Le regard d'Harry était malgré lui attiré par la place vide à côté d'eux. Le brouhaha des rires et conversations lui donnait mal à la tête.

Ron et Hermione lui posaient aussi des questions en rafale, jusqu'à qu'il leur demande de se taire et de parler d'autre chose. Il y avait des sujets plus intéressants, non ?

Ron replongea le nez dans son assiette et Hermione haussa les épaules.

Aussitôt son repas terminé, il se leva et partit marcher dans le parc, pour se calmer.

Le soir était doux. A travers les arbres, il apercevait quelques fenêtres éclairées, et derrière les nuages, les étoiles. Tout était tranquille, et il sentait les battements de son cœur diminuer tandis que ses poumons s'emplissaient d'air frais. Une chouette hululait tout près.

Il s'arrêta près d'un chêne et s'appuya contre son tronc. Il s'efforçait d'oublier les évènements de la journée, de se concentrer sur le paysage. De respirer profondément.

Il entendit un craquement près de lui. Il se retourna, un peu effrayé :

« Qui est là ? ….Ah, C'est toi Neville ? Tu m'as fait peur… »

« Désolé…je ne voulais pas t'effrayer. Cà va ? »

« Franchement, pas trop…et j'ai pas trop envie de parler, là ».

« OK. Je comprends… ».

Neville se tut, baissa la tête et s'appuya lui aussi contre le chêne, immobile à côté de lui. La nuit bruissait autour d'eux. Un léger parfum de feuille morte flottait dans l'air. Harry se sentait apaisé par cet environnement, apaisé par la présence de son ami.

Au bout de quelques minutes de silence, Harry sourit :

« C'est sympa de rester avec moi, Neville ».

« C'est rien, je sais que parfois c'est bien d'être juste là. »

« Oui, merci »

Harry ferma les yeux. Sa colère avait disparu, à présent. Une légère tristesse l'emplissait. Il imaginait tous les étudiants dans leur dortoir, au chaud, et lui, dehors. Volontairement exclu. Comment s'était-il encore fourré dans cette histoire ?

Puis il rouvrit les yeux et vit que presque toutes les lumières de Poudlard étaient éteintes.

Neville fixait le ciel d'un air intéressé :

« T'as vu la lune rousse? »

« Mmm…quoi ? Où çà ? »

« Là-bas, regarde… ». Effectivement, l'astre paraissait nimbé d'une auréole jaune.

« Et alors ? » reprit Harry, moyennement intéressé.

« D'après la prof de divination, il se passe des choses bizarres à la Lune Rousse. Les gens deviennent fous car ils ne peuvent plus réfréner leurs impulsions»

Il se lança dans un descriptif animé de toutes les calamités susceptibles d'arriver. Harry l'écoutait distraitement. Le froid commençait à l'engourdir. La lune disparut derrière un nuage.

Dans l'obscurité, il ne subsistait plus qu'une fenêtre faiblement éclairée.

« Tu crois qu'il dort ? » demanda Neville

« Qui ? »

« Ben, Malefoy…il paraît que quand les plaies se referment, c'est très douloureux »

« Oh, pitié, Neville, t'as rien trouvé d'autre à dire ? Juste quand je commençais à oublier » gémit Harry.

« Ben…je …excuse-moi…. » bafouilla Neville.

« C'est bon, je rentre. Merci d'avoir essayé…A demain » dit Harry en s'éloignant à grands pas.

Il retraversa le parc rapidement, arpenta les couloirs en courant presque et se réfugia dans son dortoir. Tous ses camarades étaient déjà couchés, sauf Neville.

En s'allongeant dans l'obscurité, il essaya de se concentrer sur ses cours du lendemain. En vain. Il se tournait et se retournait, mal à l'aise. L'affrontement de l'après-midi le poursuivait.

Il ne pouvait s'empêcher de penser à Malefoy, couché à l'infirmerie. Dormait-il ? Neville avait dit que la guérison était douloureuse, et Harry réalisa qu'il aurait préféré ne pas le savoir.

Certes il le détestait, mais le voir à terre, exsangue, dans une mare de sang et d'eau, çà avait été un choc. Il revoyait Rogue passer sa baguette sur son corps tremblant, en spasmoldiant des sorts d'une voix sourde, lancinante, et les plaies qui se refermaient, peu à peu.

Mais tout ce sang par terre.

Il finit par plonger dans un sommeil fiévreux, haché. Parfois, il se réveillait en sueur. Il revoyait sans cesse les multiples coupures sur le visage fin, la poitrine pâle. Le regard effrayé du garçon blessé. Ses propres habits couverts d'eau et de sang.

Puis, dans son rêve, c'était lui qui saignait, et Drago souriait, la tête penchée sur le côté. Il riait en voyant le sang d'Harry s'écouler…il tendait une main vers lui.

Harry se réveilla, le cœur battant.

Il s'assit sur son lit. Il avait envie de vomir.

Il repensa à ce qu'il lui avait dit, à genoux à côté de lui, en le voyant blessé. Que non, il n'avait pas voulu çà. Le sang, les larmes, la souffrance. Mais était-ce suffisant ?

Tout à coup l'énormité de son geste et ses conséquences lui apparurent clairement.

Et Neville qui avait dit que c'était très douloureux….d'un bond, il se leva.