LA COLO

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Avant-propos

° Cette fanfiction est publiée à deux endroits : ici-même et sur livejournal (vous trouverez l'adresse dans ma bio). Deux intérêts à la publication sur livejournal : les chapitres y sont postés généralement un peu en avance, et je réponds sans faute à toutes les reviews (et vous pouvez me répondre en retour).

° Il est important de savoir que cette fanfiction comporte une bande originale. Ce n'est pas une songfic et rien ne vous force à écouter les chansons, c'est juste un bonus. Mais si cela vous intéresse, vous les trouverez sur livejournal ou dans ma bio (et je vous invite vraiment à y jeter un œil).

° Cette fanfiction devrait comporter une vingtaine de chapitres.

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Prologue

The Killing Moon

J-3

« Une colonie de vacances, répéta Severus, appuyant chaque syllabe pour y injecter un peu d'incrédulité.

– Une colonie de vacances », confirma Minerva.

Severus cligna des yeux. Deux fois.

« Une colonie de vacances.

– Oui, Severus. Une colonie de vacances. »

Severus se prit le visage entre les mains.

« Une colonie de vacances », murmura-t-il dans un souffle.

°o°o°o°

« Qu'est-ce que c'est que ce délire ? s'écria Sirius. D'où me sortez-vous un plan aussi grotesque ?

– L'idée était d'Albus lui-même, dit calmement Minerva. En consultant ses notes, vous aviez peut-être découvert qu'il espérait vous voir tous les trois à la tête de ce projet.

– Wow… C'est une nouvelle… étonnante », balbutia Remus, optant délibérément pour l'euphémisme.

Sirius le regarda comme s'il avait perdu l'esprit, puis revint à Minerva McGonagall. Il se pencha par-dessus son bureau de directrice et parle d'un air grave.

« Si c'est censé nous faire rire, ça ne marche pas. Pas du tout. »

Remus fut touché de voir qu'il faisait des efforts considérables pour se contrôler. Il ne tiendrait pas bien longtemps, si l'on en jugeait par la façon dont ses doigts se tordaient sur le bord du bureau et l'agitation frénétique de sa jambe droite, mais au moins, il essayait.

« Il ne s'agit en aucun cas d'une plaisanterie, Sirius, fit sèchement Minerva. La situation est pour le moins pressante.

– Mais… Mais… Mais… »

Remus donna un discret petit coup de genou à celui de Sirius pour le débloquer.

« Mais la colo démarre dans trois jours ! Vous ne pouvez pas sérieusement nous demander de revoir tous nos plans, tous nos…

– Bien sûr que non. Tout va se dérouler exactement comme prévu.

– Oui, à ce détail près que vous remplacez Kingsley par… par… par… »

Remus lui administra un nouveau coup de genou. Il bondit sur ses pieds.

« Par cette espèce de sale…

– Héros de guerre ? » finit Minerva d'un air moqueur.

Sirius lâcha un petit rire consterné et retomba sur sa chaise.

« Je pensais plutôt à "pourriture" ou "connard avarié", ou même quelque chose de plus imaginatif comme "vomissure d'engeance de fasciste dégénéré de Snape" – mais il semble en effet que ces termes ne soient plus contradictoires de nos jours. »

°o°o°o°

« Une colonie de vacances », se répétait Severus Snape, dans la solitude de ses cachots.

°o°o°o°

« Sirius…

– Et les enfants, vous avez pensé aux enfants ? C'est dangereux pour eux de l'avoir au camp !

– Sirius, je n'aime pas beaucoup être prise pour une idiote incompétente, dit Minerva d'un ton sec. Bien sûr que nous y avons pensé. Des mesures de sécurité supplémentaires ont été prises. Mais le camp était déjà bien protégé, vous le savez : c'est une véritable forteresse de charmes et sortilèges. Il n'y a aucune raison que quelque chose tourne mal. »

L'air désespéré, Sirius chercha de l'aide du côté de Remus. Celui-ci, front plissé, se redressa péniblement dans son siège.

« C'est tout de même, hm, une drôle d'idée », bredouilla-t-il peu inspiré.

Quelquefois, il lui semblait plus facile de parler à la place de Sirius que pour lui-même, lui-même étant trop naturellement mesuré pour exprimer clairement son avis sans y avoir longuement réfléchi au préalable. À cet instant, par exemple, sa seule et unique certitude était qu'il ressentait une démangeaison dans la narine droite.

« Ce sont des orphelins de guerre, rappela Sirius. Vous ne pensez pas qu'ils ont déjà suffisamment souffert comme ça ?

– Assez de méchanceté gratuite…

– Je suis sérieux ! Cette colo devait être un moyen pour eux de reprendre goût à la vie, pas de rencontrer d'anciens Mangemorts possiblement responsables de la mort de leurs parents ! »

Remus toussota.

« Sirius, je crois que tu…

– Bon sang, Remus, tu ne vas pas être contre moi ! »

Rien ne déstabilisait Remus comme ce ton accusateur. Il impliquait trop de souvenirs, trop d'erreurs, trop d'horreur. Il lui fallut un gros effort de volonté pour reprendre :

« Non, simplement, Minerva finance ce projet, alors peut-être qu'on devrait considérer…

– Oh, tais-toi. Je sais déjà ce que tu vas dire, fit Sirius en roulant les yeux.

– Ah, bon. » Remus se frotta discrètement l'aile du nez. « Qu'est-ce que je vais dire ?

– Qu'il faut laisser sa chance à Severus, que Severus a joué un rôle clef dans la victoire, qu'il faut faire confiance à Severus et qu'on devienne les meilleurs amis du monde tous les trois, dans la joie et la bonne humeur, youkaïdi, youkaïda. »

Il conclut sa réplique par un geste vague pour indiquer qu'il abandonnait le débat.

« Je savais que tu finirais par mûrir », le taquina Remus.

Sirius lui tira la langue.

« Bien ! Puisque nous nous sommes mis d'accord, passons maintenant à la bonne nouvelle, dit Minerva avec davantage d'entrain.

– J'espère que ce n'est pas encore quelque chose "que le professeur Dumbledore aurait voulu", vu ce à quoi ça nous mène », grommela Sirius.

Minerva remonta ses lunettes avec un sourire crispé.

« Eh bien, si, précisément.

– Oh. »

De deux doigts, Sirius appuya sur ses paupières et soupira légèrement. Puis il se redressa et sourit bravement en portant à ses lèvres une tasse de café au lait.

« L'école va rouvrir en septembre, expliqua Minerva, et voilà que nous avons des postes vacants. Or, il se trouve qu'Albus aurait aimé que vous soyez assis à la table des professeurs à la prochaine rentrée. »

Atteinte d'un dysfonctionnement subit, la main de Sirius qui tenait la tasse manqua sa bouche et renversa le café sur son pantalon.

°o°o°o°

« Je ne sais pas à quoi tu penses, Sirius, mais j'espère que c'est à ton futur appartement, dit gentiment Remus en lui mettant sa tasse sous le nez.

Je réfléchissais à un truc… On avait discuté des orphelins de guerre avec Dumbledore, tu te rappelles ?

Vaguement…

Il faut qu'on le fasse.

Qu'on fasse quoi ?

Ce serait un genre d'hommage. Il avait dit qu'il avait déjà pris des dispositions, il doit en rester quelque chose…

De quoi tu parles ?

Tu sais bien ! La colonie de vacances pour les orphelins de guerre !

– …

– …

Pardon ?! »

°o°o°o°

« Bon sang, et dire que je commençais juste à me sentir chez moi dans mon appartement », prononça Sirius d'une voix lointaine.

Professeur de Métamorphose. Lui. Professeur. Successeur de Minerva McGonagall. Pas de doute, la guerre avait laissé ce monde sens dessus dessous.

« Heureusement que je n'ai pas déménagé, finalement », rit Remus.

Sirius coula un regard vers lui. Remus ne riait pas souvent pour rien. Bon sang, il était heureux.

Cela angoissa légèrement Sirius. Il n'avait encore jamais eu l'occasion d'avoir un véritable métier. Remus, lui, savait ce qu'il voulait pour une fois il était fait pour être professeur. Nouvelle matière en son honneur : Éducation Magique contre la Menace des Ténèbres. Assez semblable à l'ancien cours de Défense Contre les Forces de Mal, la malédiction en moins.

« Ne vous inquiétez pas, Sirius, le rassura Minerva, faisant preuve d'une étonnante perspicacité. Vous vous en sortirez très bien. »

Sirius composa un air étonné et bredouilla qu'il ne se faisait aucun souci, pas le moindre, enfin quelle idée.

« Il ne reste alors plus que la question du logement, conclut Minerva. Préférez-vous avoir chacun votre appartement, ou…? »

Remus et Sirius tendirent chacun l'oreille, attendant la fin de la phrase. Qui ne vint pas.

« Hem. Oui, chacun le vôtre, naturellement », dit finalement Minerva avec embarras en remuant ses papiers.

Les deux hommes échangèrent un regard.

°o°o°o°

« Tu y crois, toi ? fit Sirius en s'affalant, jambes sur un accoudoir, dans l'un des fauteuils moelleux du minuscule appartement de Remus. Même Minerva McGonagall nous traite comme un vieux couple !

– C'est ridicule… acquiesça mollement Remus. Thé ?

– Non, merci. »

Sirius fixa un instant Remus du regard, avant de renverser la tête en arrière pour observer le plafond.

« On a couché ensemble quelquefois, mais…

– Ce n'est pas comme si nous étions ensemble, compléta Remus en sirotant son thé.

– Oui, voilà » fit Sirius avec un rire consterné.

Remus reposa un peu brutalement sa tasse sur la table.

« À propos, tes amours, Padfoot, qu'en est-il ? demanda-t-il d'un ton ennuyé. Homme, femme récemment ?

– Non, mais un joli Golden Retriever.

– Mmh, moi non plus. »

Sirius roula la tête du côté de Remus et il s'amusa de voir l'autre homme considérer d'un air soucieux la pilosité de son avant-bras.

« La pleine lune est dans, quoi, trois nuits maintenant ?

– Deux. C'est demain.

– Oh, déjà ? Mais ça va faire la deuxième du mois…

– Oui, c'est une lune bleue. Mes hormones ne se sentent plus, soupira Remus.

– Mon pauvre Moony ! Comment se fait-il que tu ne m'aies pas encore sauté dessus malgré les poses lascives que je prends sous tes yeux depuis tout à l'heure ? »

Remus lui fit un vague sourire, avant de reprendre l'examen de ses ongles. Pourquoi est-ce que c'est toujours lui qui vient chez moi, songeait-il, alors qu'il a un appartement plus grand ?

« Moony… appela Sirius.

– Mmh ?

– Tu aimes bien Snape, n'est-ce pas ? »

Fronçant les sourcils, Remus choisit, une fois de plus, la prudence.

« Je ne suis pas certain du sens de ta question.

– Quand on était gosses tu le détestais. Il voulait te faire renvoyer de l'école. Tu as oublié ça ?

– Bien sûr que non. Mais nous étions jeunes… tellement jeunes. Je ne vais pas lui en vouloir toute ma vie !

– Sauf qu'ensuite, il est devenu Mangemort.

– Je n'estime pas que l'on cesse d'être un adolescent idiot dès la sortie de l'école.

– Être un adolescent idiot n'implique habituellement pas de tuer des gens.

– Les gens changent, Sirius ! La plupart d'entre eux, du moins », ajouta Remus dans un marmonnement.

Sirius fit la moue. Il ressentait une profonde irritation dont la cause, inconnue, se situait manifestement du côté de Remus.

« Moony.

– Je n'ai pas envie de parler de Snape davantage, Sirius.

– Tu veux qu'on s'envoie en l'air ?

– … Oh oui, de la montgolfière, j'en rêve.

– Ça fait longtemps. J'ai envie de toi, Moony. »

L'autre ne leva pas les yeux.

« Ne parle pas comme un vulgaire dragueur de bas étage.

– Tu n'as pas envie de moi ?

– Ce n'est pas…

– Si tu n'as pas envie de moi, je te fais une petite danse sexy pour te faire changer d'avis. »

Sirius vit un petit sourire venir aux lèvres de Remus malgré lui.

« Quoi, un strip-tease ?

– Évidemment. »

Remus parut réfléchir à la question avec intérêt.

« Mmh, mais je n'aurai pas la patience nécessaire, passons tout de suite à la fin.

– La fin ?

– Oui, quand tu te retrouves sur mes genoux…

– Aaah… Le début, tu veux dire », rit Sirius, déboutonnant déjà sa chemise.

Remus approuva du regard. Il sourit.

Sirius comptait parmi les rares individus que ne touchait jamais le ridicule, et ce, semblait-il, quelles que soient les circonstances. Il était de ceux qui peuvent sans honte lancer des expressions comme "s'envoyer en l'air" à leur meilleur ami, puis s'asseoir sur ses genoux, la chemise jetée de côté, et lui intimer un baiser joueur et aguicheur, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde – et pourtant, il y avait de quoi se poser la question.

C'était là son secret : pas de questionnements inutiles. Si vous en doutiez auparavant, douze ans à Azkaban avaient tôt-fait de vous convaincre que l'esprit, avec ses pièges et ses doutes, n'était pas le bon refuge. Seul ce qui est réel compte vraiment… Et la réalité était là, dans l'odeur de Remus à l'angle de son cou et de son épaule, et là, dans son début de barbe qu'il lui faudrait décidément laisser pousser, et là encore, dans ses mains puissantes, capables d'infinie douceur en appréciant les rondeurs retrouvées de son postérieur – ha, combien de fois ne lui avait-il pas reproché de l'avoir oublié à Azkaban en partant ?

Rien que pour cette réalité-là, Sirius était heureux d'avoir finalement retrouvé une vie normale. Avoir suffisamment de fesses pour que Remus cesse de se moquer de lui, revenir occasionnellement entre ses bras, comme autrefois, et presque réussir à se sentir comme s'il n'avait pas changé depuis.

°o°o°o°

Severus maudissait Albus Dumbledore dans sa tombe, maudissait Minerva McGonagall dans son fauteuil de directrice. Une colonie de vacances avec Black et Lupin ! Comment avaient-ils pu concevoir un plan aussi grotesque ? L'idée de vivre trois semaines avec dix-neuf marmots et deux de ses ennemis de toujours lui donnait des frissons dans le dos.

Peut-être eût-il mieux fait de s'enfuir. S'enfuir seul, loin de tout, rejoindre des sorciers aborigènes en Amazonie peut-être ou alors aux États-Unis, chez son vieil ami professeur d'occultisme à l'université de Columbia. C'était risqué, mais il avait ses chances. Rien ne le forçait vraiment à suivre le plan de Minerva McGonagall. Et rien, absolument rien ne le retenait en Grande-Bretagne.

Quelque part au fond de lui, cependant, Severus avait cette conscience, intense et nullement, nullement glorifiante, d'être l'homme qui avait rayé Albus Dumbledore de la surface de cette planète. Non qu'il l'eût fait de bon cœur, mais il l'avait fait. Peut-être bien que le moins qu'il puisse faire à présent était de réaliser l'un des derniers projets qui lui avaient tenu à cœur… Ou peut-être qu'il cherchait seulement un moyen de mieux vivre avec lui-même.

°o°o°o°

J-2

« Bon sang de… qu'est-ce que c'est que tout ça, Moony ? »

Manifestement, Sirius avait cohabité trop longtemps avec Remus pour qu'il juge encore utile de frapper avant d'entrer. Remus chassa un mouton de poussière de son nez et répondit, essoufflé :

« Mes vieux disques… Toute ma collection est là.

– Il y en a des centaines ! » s'exclama Sirius en attrapant un disque au hasard.

Remus le lui reprit des mains et s'en servit pour lui taper légèrement le dessus du crâne.

« Ça fait deux heures que je les classe, ne commence pas à tout me mélanger.

– Comment se fait-il que je n'en aie vu que quelques dizaines quand je logeais chez toi ?

– La réponse est dans la question », fit Remus avec un petit sourire.

La bouche de Sirius dessina un "o" comme "offusqué".

« Tu plaisantes, pas vrai ? »

Remus hésita.

« C'est un tout petit appartement, je n'avais pas de place pour les ranger tous.

– Mais ce n'était pas à cause de moi ? Tu me l'aurais dit sinon. N'est-ce pas ?

– Je te l'aurais dit si cela m'avait dérangé. Tu sais bien que j'étais content que tu sois là. »

Sirius semblait dubitatif, mais n'insista pas.

« Où étaient tous ces disques, pendant ce temps ? Tu aurais pu les ramener à Grimmauld Place.

– Je les avais laissés chez un ami en attendant d'avoir un chez-moi avec des étagères et moins de fuites au plafond. »

Sirius, les mains dans un carton plein de vieux disques, releva le nez.

« Un ami, mmh ?

– Oui, un ami.

– Un ami chez qui tu laisses tes affaires… Je vois. »

Sirius replongea dans le carton avec un petit sourire. Remus voulut l'ignorer, mais n'y parvint pas.

« Sirius, ce n'est pas parce qu'il m'arrive de pervertir le terme "ami" avec toi que je le fais avec les autres.

– Je n'ai rien suggéré de tel !

– Tu as… Tu as souri ! dit piteusement Remus.

– Tu ne m'as jamais parlé de cet ami chez qui tu laisses tes affaires.

– Ah non ? »

Mais de quoi parlaient-ils, finalement ? Ils avaient vécu sous le même toit pendant un bon bout de temps entre le moment où Remus habitait à Grimmauld Place et celui où Sirius se faisait héberger dans le taudis qui lui servait d'appartement – « toujours mieux que la vieille baraque » –, mais même alors ils n'avaient guère évoqué que quelques souvenirs d'école. Sirius n'avait pas grand-chose à raconter de ses années d'absence, et Remus n'en disait pas davantage.

« Qu'est-ce qu'il fait dans la vie ? C'est un sorcier ?

– Il travaille dans l'édition… commença à expliquer Remus, mais il s'interrompit et balaya le sujet de la main. Ça n'a aucun intérêt. Regarde plutôt dans ce carton, là.

– Quelle façon habile de changer le sujet ! s'amusa Sirius. Quel carton, celui-ci ? »

Remus opina. Sirius prit le carton sur ses genoux et l'ouvrit. Il ne fut pas très surpris d'y découvrir encore d'autres disques. Il regarda Remus, qui se contenta de sourire.

Commençant à comprendre, Sirius sortit plusieurs pochettes au hasard. Sa main tremblait légèrement. Il rit, les yeux baissés.

« Tu les as… tous gardés ?

– Je suis désolé, j'avais récupéré bien d'autres de tes affaires, mais je m'en suis débarrassé au fur et à mesure…

– Tu as gardé tous mes disques.

– Ça ne se jette pas », fit doucement Remus.

Sirius sortait les disques les uns après les autres.

« Nina Simone ! C'est toi qui me l'as offert, Remus.

– Ah oui ?

– Haha, Echo and the Bunnymen ! Je me souviens, j'avais acheté le premier album parce que je trouvais le nom délicieusement stupide. Mais celui-ci n'est pas à moi…

– Tu es sûr ?

– Paru en 1984… lut Sirius, laissant à Remus le soin de faire le calcul. Tout à fait sûr.

– En effet… Garde-le, c'est probablement leur meilleur album.

– Le single s'appelle "The Killing Moon" ? s'amusa Sirius. Avoue que c'est pour ça que tu l'as acheté ! On l'écoute ?

– Euh, plus tard.

– Ce n'est pas bien ?

– Si. Mais cette chanson… c'est une chanson sur la mort, la fatalité… ah. Disons qu'à sa sortie, je passais pas mal de temps à me morfondre sur mon sort en l'écoutant.

– Oh. Je vois. Heureusement pour moi, j'ai échappé aux tubes démoralisants, à Azkaban. »

Remus regarda Sirius avec une peine indéfinissable. Il y avait des fois où l'humour Black était simplement trop noir pour en rire.

« La colo est déjà après-demain, soupira le loup-garou. Je doute d'avoir le temps de les réécouter tous au moins une fois d'ici là.

– Hahaha, c'est sûr. Tu n'as qu'à en emporter.

– Où ça ?

– À la colo. »

Remus pencha la tête, surpris.

« Non !

– Pourquoi non ?

– On ne part pas en vacances ! On n'aura pas le temps d'écouter de la musique là-bas, c'est… »

Sirius ne se donna pas la peine d'avancer un contre-argument : Remus était déjà terriblement tenté. Il baissa les yeux vers le disque qu'il tenait entre les mains, et le serra contre lui.

« Tu crois que je peux en emporter ?

– Évidemment, grande nouille. Mais sois raisonnable. Pas plus de deux cents. »

°o°o°o°

Toc toc, toc.

Remus Lupin était peut-être le seul homme sur terre à se reconnaître rien qu'à sa façon de frapper à une porte. Il parvenait par quelque talent mystérieux à teinter son geste d'une subtile nuance de "excusez-moi de vous demander pardon, mais…"

Tout en ouvrant, Severus se composa l'expression appropriée à une telle visite. D'un seul sourcil, Severus savait exprimer l'idée de "oh, un moucheron, je me ferais un plaisir de l'écrabouiller mais je ne sais pas encore avec quel doigt".

« Bonjour, Severus.

– Si l'on veut.

– Je ne te dérange pas ?

– Cela changerait quelque chose ?

– Je peux repasser plus tard. J'ai commencé à installer quelques affaires dans la Tour Gryffondor. »

S'appuyant contre le chambranle, Severus poussa un profond soupir.

« D'autres réjouissantes nouvelles comme celle-ci ?

– Sirius également.

– Splendide !

– Severus, il faudrait que nous nous réunissions au plus vite pour discuter de la colo.

– Doucement, doucement, trop de joie d'un coup risquerait de faire éclater mon pauvre cœur. »

Le mot "cœur" avait toujours un goût âpre sur la langue de Severus. Il était incapable de se rappeler s'il l'avait jamais employé sans ironie.

« Je t'avais envoyé un mot pour que l'on se retrouve aujourd'hui… commença Remus.

– Je ne pouvais pas, répliqua Severus.

– Pourquoi, qu'est-ce que tu fais de si urgent ? fit Remus en faisant mine de jeter un œil à l'intérieur.

– Cela ne te regarde en rien, Lupin !

– À partir de samedi, nous allons passer trois semaines ensemble, Severus. Il ne serait donc pas un mal de laisser dès maintenant nos différends de côté pour agir en adultes. »

Severus grimaça.

« Cesse donc d'être aussi condescendant, Lupin, grommela-t-il (et il avait conscience que venant de lui, cela ne sonnait pas totalement juste). Quand prévoyez-vous cette petite sauterie ? Ce soir ?

– Non, ce soir je ne pourrai pas », dit doucement Remus.

Comme s'il revenait quelques années en arrière, le professeur de potions pensa immédiatement au calendrier lunaire.

« J'ose espérer que tu as ce qu'il te faut ?

– Oui, bien sûr. La potion Tue-Loup se trouve chez tout bon pharmacomage à présent, tu sais.

– Si je t'en faisais, ce serait gratuit.

– Mais pourquoi ferais-tu une chose pareille, je me le demande ? »

Severus pinça les lèvres. Pour le simple plaisir d'avoir le dernier mot, bien évidemment. Quoi d'autre ?

« Demain, donc ? fit-il.

– Demain, en salle des professeurs. Vers treize heures, mettons.

– Et ces livres, c'est pour quoi faire ? »

Remus sembla juste se rappeler ce qu'il tenait entre les bras.

« Oh, oui. C'est, hum, pour toi…

– Ce n'est pas mon anniversaire, ricana Severus.

– Mmh, non, ce… Ce ne sont que quelques livres que nous avons dû étudier pour passer le brevet d'animateur, avec Sirius. Je t'ai aussi mis la liste des activités que nous avons envisagées, ce serait bien que tu regardes un peu ça, d'ici demain. Mais les livres, c'est juste… tu n'es pas obligé de les lire. Enfin, jettes-y un œil. Si tu veux. Bien. … »

Severus tendit la main, préférant délivrer Remus de son embarras avant qu'il ne déteigne sur lui. Remus lui remit les livres avec soulagement, puis fit un pas en arrière. Severus fit de même.

« Je suis… heureux d'avoir l'occasion de travailler avec toi, Severus », glissa Remus avant qu'il ne referme la porte.

Songeur, Severus resta quelques instants immobile devant la porte fermée.

Il déposa ensuite les livres sur son bureau et s'y assit. Quel homme désagréable que ce Remus Lupin. Pour qui se prenait-il pour s'imaginer pouvoir l'aider avec ses fichus bouquins ? Il décida de les lire et de prétendre ensuite qu'il n'en avait pas eu le temps, rien que pour lui prouver qu'il n'avait rien à apprendre de personne.

°o°o°o°

Le loup était de sortie, le chien à sa suite. Depuis combien de temps ne s'étaient-ils pas retrouvés pour un moment comme celui-ci, sous cette forme, sous ce ciel ? Poudlard avait changé, mais la nuit était la même qu'autrefois.

Avec la potion Tue-Loup, Moony n'était plus un monstre sanguinaire, et la balade prenait vite une saveur différente. Moins dangereuse, moins sauvage. Le loup vaincu gémissait dans un coin de son esprit. C'était cela, être adulte, pour Remus, cette douceur amère, cette domination de soi. On subit toujours bien sûr, mais de façon différente. La vraie liberté n'est pas de ce monde…

Et pourtant, à regarder Padfoot, on pouvait croire que si. Padfoot parvenait à maintenir un fragile équilibre entre la maîtrise et l'insouciance. Il bondissait vers la lune, claquait des mâchoires comme pour la dévorer, puis revenait se frotter contre Moony comme s'il n'était qu'un chaton, et c'était beau mais déchirant de le regarder. Moony grondait un peu pour le calmer, mais Padfoot choisissait de prendre cela pour un jeu et jappait en remuant la queue.

Ce qui nuisait à Sirius, Padfoot l'occultait pour lui, et c'était comme cela qu'ils survivaient ensemble. Le chien était le meilleur ami de Sirius, celui qui l'avait toujours soutenu dans les coups durs et le ferait toujours. Même Remus n'avait pas su être aussi fidèle. Et même maintenant qu'il lui avait passé la muselière, Remus savait qu'il ne pourrait jamais faire confiance au loup le loup n'était l'ami de personne.

Sentant un regard étranger sur lui, Moony leva les yeux vers le château. Toutes les lumières étaient éteintes, personne en vue. Padfoot lui mordilla l'oreille pour attirer son attention et Moony se jeta joyeusement sur lui pour lui donner la leçon qu'il méritait.

°o°o°o°

Le visage long et pâle de Severus était plongé dans l'obscurité du couloir d'où, grande ombre immobile, il contemplait silencieusement le ballet chaotique qui se déroulait au-dehors. À quelque distance du saule cogneur, non loin de la forêt, fourrure grise et fourrure noire rivalisaient sous la lune les éclairs d'argent de la première se faisaient engloutir une seconde par les ténèbres de la seconde, avant de jaillir de nouveau un peu plus loin et de revenir en arrière pour contre-attaquer. Il y avait de la violence dans leur jeu, et pourtant on devinait d'ici la joie aveugle des deux participants.

Severus était agacé par ce spectacle, mais continuait pourtant de le regarder avec fascination, tentant de reconnaître les hommes qu'il connaissait sous leur déguisement nocturne. Était-ce vraiment Remus Lupin, cet homme grisonnant et éreinté par la vie, qui courait à présent avec une agilité terrifiante, machine à tuer bien huilée, incarnation d'un cauchemar ancestral ? Et ce chien cabotin qui se courbait devant lui, sujet de Sa Majesté, comment pouvait-il être le sombre et arrogant Sirius Black ? De là où se trouvait Severus, il semblait par instants que le chien noir n'était autre que l'ombre du loup gris, et alors les deux créatures n'en étaient plus qu'une à la faveur de la pleine lune.

Finalement, les deux bêtes s'engouffrèrent dans la Forêt interdite. Severus garda les yeux fixés quelques minutes sur le point où elles avaient disparu, mais elles ne reparurent plus. Abandonnant son poste d'observation, il rentra à ses cachots sans croiser personne sur son chemin.

C'était une soirée solitaire comme l'étaient souvent celles de Severus Snape.

°o°o°o°

J-1

« Vous êtes en retard », dit Severus à l'instant où les deux autres entrèrent dans la pièce.

Sirius s'arrêta net et tira Remus par l'épaule pour ressortir.

« Je ne peux pas, Moony. Je vais le tuer de mes mains si je reste plus de trente secondes avec lui.

– Je t'entends, Black ! lança Severus.

– Sirius, tu es l'homme le plus fort que je connaisse, lui répondit Remus. Tu peux le faire. »

Et il retourna dans la salle de réunion.

« La flatterie ne fonctionne pas sur moi, Moony ! » rétorqua Sirius en le suivant néanmoins.

Severus regarda les deux hommes s'asseoir d'un air amusé. Remus avait choisi de prendre place à sa gauche, Sirius de l'autre côté de la table. Bras croisés, Severus pianotait impatiemment sur sa manche.

« Alors ? Nous sommes là pour quoi, jouer aux cartes ? »

Remus farfouilla dans ses papiers, une ride soucieuse creusant déjà son front. Il sortit un plan et donna les explications.

« Le campement bougera autour de ces trois sites. Nous avons donc adapté les activités en…

– Attendez, intervint Severus. Comment cela, le campement bougera ? Dix-neuf gamins à faire déplacer en pleine forêt ?

– Tout est prévu, pas d'inquiétude, le rassura Remus. Pour ce qui est des activités, il est encore temps d'en discuter, j'espère que tu as pu y jeter un œil. Nous avons établi un emploi du temps, mais il est aisément modifiable…

– Potions, le coupa Severus.

– Pardon ?

– Haha, voilà qu'il se caricature lui-même », railla Sirius.

Hautain, Severus fit mine de n'avoir rien entendu et s'expliqua.

« Un certain nombre de vos activités sont une initiation à la magie. Nous serons dans une forêt magique, pleine d'ingrédients à potions. Je me demande comment vous n'y avez pas pensé vous-mêmes… Ou plutôt je me le demanderais si je ne vous connaissais pas.

– Ce seront de jeunes enfants, Severus, dit Remus. Ils s'intéressent plus aux tours de passe-passe qu'à la préparation de mixtures.

– Allons donc ! Et aller cueillir des fleurs, ils n'aiment pas cela ? C'est un de vos "exercices créatifs" comme un autre. Il y a tout un tas de potions simples et amusantes pour des enfants. »

Sirius était soupçonneux, Remus ouvertement surpris.

« Ah… bon ?

– Bien sûr.

– Je n'en vois aucune, dit Sirius.

– Non, évidemment. Les potions inutiles ne sont pas enseignées au collège.

– Nous apprenions beaucoup de choses en-dehors des cours lorsque nous étions élèves, et jamais nous n'avons…

– Vous n'avez pas cherché ! s'emporta Severus. En quoi une potion qui projette des paillettes multicolores aurait-elle pu vous être utile quand vous cherchiez juste un moyen de me ridiculiser devant l'école entière ? »

Sirius leva les bras avec un rire glacial.

« Oh, ça y est, nous y revoilà ! Il a fallu quoi ? Cinq minutes ? Et après tu dis qu'il a changé, Remus !

– J'arrêterai peut-être quand on m'aura présenté des excuses !

– Parce que tu nous en as présentées, peut-être ?

Je suis la victime !

– Ah oui ? Et quand tu m'as capturé pour me livrer aux Détraqueurs il y a quatre ans, c'était encore toi la victime ?

– Je te croyais coupable ! Tu m'as envoyé me faire tuer par ton pote loup-garou sans plus de considérations, espèce de malade !

– Tu veux qu'on parle de tes années au service de Sa Majesté des Ténèbres ? »

Remus, qui avait l'impression de regarder un match de tennis, se dressa d'un bond.

« ÇA SUFFIT ! Taisez-vous.

– Je…

– Sirius, boucle-la. Severus, je te présente mes excuses, ainsi que celles de Sirius. Pourrait-on simplement passer à autre chose ? »

Sirius et Severus boudaient, chacun d'un côté de la table. Remus se prit la tête entre les mains.

« Je crois que c'est moi qui vais finir par tuer l'un de vous deux avant la fin de la première journée.

– Eh bien tue-moi, grogna Sirius, comme ça il n'y aura plus rien pour te retenir de mettre Snape dans ton lit. »

Le visage de Remus changea de couleur. Frappé par la stupeur, il était incapable de répondre quoi que ce soit. Oh Merlin, oh Merlin. Il jeta un œil du côté de Severus, qui semblait parfaitement écœuré.

« Sirius… tu…! »

Severus était révulsé par l'attitude de Black. Qu'est-ce que c'était que cela, une blague de sodomites ? Probablement, ces gens-là méprisaient les hommes laids. Et cet imbécile de Lupin qui se noyait dans sa gêne !

« On se croirait dans une cour d'école, c'est tout à fait… lamentable, finit par bégayer Remus. Dans de telles conditions, il n'est absolument pas… envisageable de… » Il soupira. « Ça suffit, je m'en vais. Engagez donc un duel à mort et que le survivant soit prêt à partir à onze heures demain matin.

– Je suis désolé, Moony », dit enfin Sirius.

Remus leva une main et sortit de la pièce d'un pas rapide.

« Moony ! répéta Sirius en se levant.

– Tu devrais le rattraper, railla Severus. Vous êtes partis pour faire chambre à part ce soir.

– Je te rassure, il est vraiment libre. Tu devrais en profiter.

– Arrête d'essayer de m'attribuer tes propres envies, Black, et assume-toi un peu.

– Hôhô. C'est celui qui le dit qui l'est. »

Il le faisait vraiment exprès. Black n'en avait rien à faire de passer pour un imbécile du moment que cela pouvait enquiquiner Severus. C'était presque flatteur, d'un point de vue complètement tordu.

« Tu m'excuseras Black, mais… Comment dit-on déjà ? J'aime les chaudrons, pas les balais ?

– À d'autres », se moqua Sirius, avant de quitter la pièce à son tour.

Troublé par cette réponse, Severus resta longtemps assis seul à la table de la salle de réunion.

°o°o°o°

Sirius courut après Remus dans les escaliers de la Tour Gryffondor. Il l'appela plusieurs fois sans résultat, et finit par l'attraper par l'épaule.

« Moony, je suis désolé !

– Moi aussi. Ça me désole de te voir régresser à un tel stade.

– Mais c'est lui qui… Il me rend crétin, je te demande pardon. »

La mâchoire de Remus se crispa. Il s'en voulait, Merlin, il s'en voulait vraiment d'être incapable de lui en vouloir plus de cinq minutes.

« En attendant, je ne pourrai probablement plus jamais le regarder en face.

– Donc j'avais raison ?

– Raison ? Tu ne sais même plus ce que ce mot signifie.

– Tu ne réponds pas à ma question, remarqua Sirius.

– Si, je te dis qu'il faut être cinglé pour imaginer une chose pareille !

– Tu me pardonnes si j'arrange le coup entre vous ?

Non ! s'écria Remus, outré. Tu… Tu sais très bien que je t'ai déjà pardonné, de toute façon. »

Sirius sourit. Affectueux et ambigu comme à son habitude, il plaça ses mains de chaque côté du visage de son ami et posa son front contre le sien.

« Merci, Moony.

– Tu ne vas rien faire, rassure-moi ?

– Tu rigoles, je n'étais pas sérieux ! »

Remus sonda son regard quelques secondes, puis se détendit légèrement.

« Bon. À partir de demain, il va vraiment falloir faire des efforts.

– Promis, juré, crach… »

Remus s'écarta brusquement.

« Ça ira, merci Sirius, à demain.

– Je plaisantais, là ! Moony, attends ! »

°o°o°o°

« Il est trop tard, Severus. Ce n'est plus possible.

– Oh, que si. Il suffit que je refuse d'y aller.

– Il ne s'agit que de trois petites semaines, enfin.

– Et qu'est-ce qui vous fait penser que dans trois petites semaines, la situation aura changé ?

– Je vous promets que tout sera réglé.

– Vous bluffez lamentablement. Je pourrais aussi bien rester à Poudlard.

– N'en avons-nous pas suffisamment discuté ? Les charmes de protection ont été trop endommagés ici, Poudlard n'est plus un lieu sûr.

– C'est donc la seule option, selon vous ? Me cacher au milieu de mioches braillards pendant trois semaines, et tout cela pour quoi ? Un sursis ?

– Beaucoup de choses peuvent arriver en trois semaines.

– Oui, donc vous n'en savez rien, c'est bien ce que je disais.

– Dans trois semaines, nous aurons rétabli la plupart des protections magiques autour de Poudlard. »

Severus baissa la tête.

« Quand tout sera fini, je crois que je m'en irai très loin de ce pays. Vous devriez songer à trouver un autre professeur de potions.

– Je préfère m'en occuper plus tard et espérer pour le moment que vous ne nous quitterez pas. »

Severus rit faiblement.

« C'est ce qu'Albus aurait dit. »

°o°o°o°

Severus se demandait parfois ce que cela faisait de dormir une nuit complète de sommeil réparateur, d'une seule traite et sans rêves désagréables. Cela avait bien dû lui arriver lorsqu'il était enfant, mais il n'en gardait aucun souvenir. À présent, étendu dans son lit, fixant le plafond, il ne pouvait qu'écouter le glissement mou des secondes sur les minutes et des minutes sur les heures, et espérer que ce n'était pas l'invasion de limaces qui avait repris.

Soudain, dans le silence de la nuit, il se tendit. En un clin d'œil, sa main plongea sous son oreiller, où se trouvait sa baguette magique. Un charme bien placé venait de lui signaler une présence dans le couloir.

Il sortit du lit d'un mouvement vif et vint se placer contre le mur, près de la porte de ses appartements. L'oreille tendue, il entendit un bruit très léger, une sorte de cliquetis étouffé. Au moment où le bruit s'arrêta, il ouvrit brusquement sa porte et pointa sa baguette vers les ténèbres.

Car c'est tout ce qu'il vit dans un premier temps, des ténèbres. Puis il baissa les yeux et découvrit un gros chien noir assis à ses pieds, l'air inexplicablement moqueur.

« Black ? »

Trop éberlué, il n'empêcha pas le chien de rentrer. La seconde suivante, sa surprise et sa frayeur s'estompèrent pour laisser place à la colère.

« Qu'est-ce que tu fiches ici ? Es-tu suicidaire ? J'aurais pu te tuer !

– J'en doute, fit Sirius, reprenant forme humaine. Tes charmes sont grossiers, si je l'avais voulu j'aurais pu te laisser croire que j'étais encore au bout du couloir et tu ne m'aurais pas vu venir.

– C'est ce que tu fais la nuit quand Lupin boude, tu viens tester l'efficacité de mes protections magiques ?!

– Non, en vérité je venais dans la perspective hilarante de te voir en chemise de nuit. »

Severus préféra ne rien répondre à cela et se contenta de plisser les yeux avec mépris. Et tant pis s'il avait tout à coup une conscience aiguë de ses mollets poilus dépassant de la chemise de nuit ! Il se déplaça insensiblement vers la chaise où reposait sa robe de chambre.

« Qu'est-ce que tu viens faire réellement, Black ?

– Mmh, bon, d'accord, j'ai menti. Je viens pour la colo.

– Au cas où tu te demanderais si tu m'as suffisamment fait sentir à quel point je ne suis pas le bienvenu, je te rassure : sur ce plan tu as été parfait.

– Ne fais pas comme si tu voulais réellement en être. À la différence de toi, j'ai ce projet particulièrement à cœur et je ne voudrais pas que tout tombe à l'eau juste parce qu'on est incapables de se supporter.

– Tu me brises le cœur en décrivant ainsi nos rapports, Black.

– Écoute, je fais un effort, alors mets-y du tien, ou bien nous allons passer les trois semaines les plus infernales de notre vie – ce qui n'est pas peu dire en ce qui nous concerne. S'il te plaît. »

Severus haussa un sourcil à ces derniers mots. Connaissant Sirius Black, il savait qu'un "s'il te plaît" revenait pratiquement à se jeter à ses pieds et les couvrir de baisers. Il poussa un soupir emprunté.

« Si je comprends bien, tu proposes une trêve ?

– Appelons ça un cessez-le-feu. »

L'expression plut à Severus, et un coin de sa bouche se releva imperceptiblement.

« Je suppose que c'est envisageable. »

Sirius ne cacha pas son soulagement. Rien que cette miette de pouvoir sur son ennemi mettait Severus en joie.

« C'était tout ce que j'avais à dire, je vais pouvoir dormir tranquille. On se voit demain matin pour le grand départ.

– Et les trois semaines qui vont suivre…

– Je préfère essayer de l'appréhender au jour le jour. »

Sirius se retransforma en chien sur le seuil Severus referma sa porte sur une ombre.

C'était étrange, se dit-il en se recouchant. Puis il s'endormit profondément, et plus rien ne vint troubler son sommeil jusqu'au matin suivant.