Chapitre 6 : L'attaque

J'ouvre mes paupières. Merde, c'est quoi ce bruit? Je jette un oeil sur le cadran lumineux posé sur la table de chevet.

4h17

Qu'est-ce qui fait autant de bruit à une telle heure?

Rufus s'agite à mes côtés, comme s'il faisait un mauvais rêve. Je glisse de sous son bras protecteur et je me lève. Je trouve un de ses peingoirs qui traîne sur une chaise et je l'enfile. Dans cette chambre si grande, si noire, comment oserais-je me balader nue?

Flap-flap-flap-flap-flap.

Un hélicoptère, sûrement, mais le son est bien trop fort. Il doit être…

À la fenêtre.

Merde.

Un des plus gros hélicos de la Shin-Ra. Tseng le pilote, et Reno en descend.

-QU'EST-CE QUE TU FOUS LÀ, ESPÈCE DE…

-TU CROIS QUE JE M'ATTENDAIS VRAIMENT À TE VOIR ICI, PETITE SALOPE?

-TA GUEULE, RENO, ET FOUS LE CAMP!

-JE VIENS PAS POUR TOI, 'LENA!

J'ouvre la fenêtre et je le laisse entrer. Je n'ai pas vraiment le choix, Tseng me fait signe de lui laisser le passage.

-Il s'est passé quelque chose à la tour Shin-Ra, il faut absolument que Rufus vienne voir.

-Quoi?

-On ne sait pas ce qui arrive exactement. Une attaque particulièrment féroce. Dépêche-toi, va le réveiller!

Je ne me le fais pas dire deux fois. Reno est un être détestable, mais quand il se met au boulot, il est parfaitement sérieux.

-Rufus!

Il s'est réveillé, mais il semble encore dormir. Il baîlle lourdement.

-Que se passe-t-il? Pourquoi tout ce vacarme?

-Rufus, les Turks sont là. Il s'est passé quelque chose à la tour Shin-Ra.

Il se réveille d'un seul coup. Un autre qui est toujours parfaitement sérieux question boulot…

-Quoi exactement?

-Je n'en sais rien. Reno n'a rien pu me dire.

-Alors je vais partir maintenant.

Il enfile à la hâte ses pantalons, son polo et son sempiternel veston blanc. Je voudrais m'habiller moi aussi, je voudrais partir avec les Turks et Rufus, mais je n'ai que ma robe, cette stupide robe verte avec moi. Mais j'ai toujours…

-Rufus!

Il se retourne. Il était prêt à partir. Je lui tends mon arme à feu.

-Tu vas sûrement en avoir besoin.

-Merci mon ange.

Il m'embrasse rapidement sur le front. J'entrevois Reno qui lève les yeux au ciel. Je sais, tu es pressé.

-Tu verras, ma chérie. Tout ira bien.

Je réponds, la gorge nouée :

-Je l'espère…

OoOoO

Sephiroth est devenu fou. Il a enlevé Jenova et assassiné le président Shin-Ra.

J'ai vu l'horreur de mes propres yeux quelques heures après tous les événements qui ont secoué notre si belle compagnie. Le sang partout sur les murs, sur le plancher, même au plafond. Du sang, du sang, que du sang. Les cadavres étaient couverts par des bâches, mais l'odeur qui régnait déjà était insupportable. L'odeur de la mort et de la décomposition. J'ai jeté quelques coups d'oeil. Rien de très joli à voir. Sephiroth frappe vraiment là où ça fait le plus mal.

Il a tué tous ceux qui se dressaient sur son passage.

Il a tué le président Shin-Ra

Maintenant, c'est Rufus le président.

Rufus.

Il n'a plus le temps de me revoir. Il n'a plus besoin de moi pour l'accompagner lors d'une soirée stupide; il n'y assiste plus. Il règle son nouvel empire à son image.

Je ne peux plus le revoir non plus. J'ai repris mon poste parmi les Turks, puisque Rufus n'a plus besoin de mes services. Je dois traquer Sephiroth. Rien n'est facile, rien n'est gagné. En plus, je suis constamment en compagnie de Reno.

Depuis l'assassinat du Président, il n'a pas fait un seul commentaire sur ma présence dans la chambre de Rufus. J'imagine que Tseng lui fait tenir sa langue, et je lui en suis extrêmement reconnaissante. Reno est plus désagréable que jamais, mais pas un commentaire sur cette nuit. Cette nuit folle où j'ai cru connaître le bonheur. Cette nuit où tout s'est écroulé.

Je pourrais pleurer, mais je ne le ferai pas. Je suis une adulte. Je suis une Turk, après tout. Je suis ce qu'on attend de moi. Je suis une femme forte.

J'en ai pourtant bien envie. Chaque soir, dans chaque auberge où nous nous arrêtons, je voudrais être seule dans la chambre, me rouler en petite boule dans mon lit et pouvoir m'apitoyer sur mon sort de femme délaissée, abandonnée. De femme en exil.

Je ne suis jamais seule. Reno, Rude, Tseng. Ce seront les hommes de ma vie. Mes collègues. Je sais que je peux compter sur eux, même si je les déteste la plupart du temps. Mes hommes, et je suis leur femme. Les Turks.

Non… Oh, Rufus…

J'aurais aimé pouvoir lui reparler au moins une fois…

L'homme qui a troublé mon coeur, l'homme m'aimait, l'homme que j'avais choisi.

Je dois faire mon deuil. Mon coeur doit être pur si je veux continuer à avancer.

Oui. Avancer. Aller de l'avant. Être la plus forte. Gagner du pouvoir, par moi-même. Assouvir mon ambition par mes propres moyens. Je dois tuer à nouveau, obéir aux ordres.

Ce n'était pas mon monde. Je ne suis pas une princesse. Je ne suis pas la femme que l'on doit gâter, choyer. Je suis une pure fille des Taudis, et je dois me battre pour ce que j'obtient. Je dois plonger mes mains dans la merde et dans le sang pour en ressortir victorieuse, pure, immaculée, et forte. Et cela, je dois le faire seule.

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.

Je ne suis pas encore morte.

OoOoO

Le matin au Cosmo Canyon. Rien de mieux pour célébrer la joie de l'existence que de se réveiller tôt dans un endroit pareil et de regarder le soleil se lever. La rosée matinale s'évapore alors que les rayons cramoisis du soleil se posent sur le sol, et le monde semble enveloppé dans un brouillard rosé.

-Magnifique, n'est-ce pas?

Je me retourne vivement. Tseng regarde l'horizon, lui aussi.

-En effet.

Je regarde à nouveau le soleil. Mes yeux commencent à se fatiguer, mais je ne me lasse pas encore. Il faudra que je demande à Rude où il a trouvé ses lunettes de soleil. Probablement dans une boutique pour touristes de Costa del Sol…

-Elena… je peux m'asseoir?

-Bien sûr, Tseng-sempai.

Il se pose sur la clôture où je suis appuyée. Un long moment s'écoule, mais je sens à peine la présence de Tseng à mes côtés, je ne ressens que la douce chaleur du soleil qui pénètre mes vêtements, déteint sur ma peau, réchauffe mes os.

-Elena… j'ai reçu ce paquet de la part de Rufus il y a trois jours. C'est pour toi.

Je croyais qu'à la seule mention de son nom, mon coeur se retournerait dans ma poitrine, mes intestins se videraient d'un seul coup, ma tête exploserait.

Rien.

Absolument rien.

-Ah oui?

-Tiens.

C'est une petite boîte plutôt lourde considérant sa taille. Je déchire le carton.

L'écrin. J'ouvre, pour m'assurer que…

La bague au diamant. Le joyau étincelle comme une flamme dans la lumière du soleil levant. Et dans l'anneau de la bague, un petit papier.

« Je suis désolé pour tout. Je pense à toi. J'espère que tu m'aimes encore. J'ai besoin de toi. »

Tseng ne dit rien. Ses yeux sont fixés sur le diamant.

-Il se trompe, dis-je.

-Pardon?

-Il se trompe.

-Il a vraiment l'air de t'aimer, Elena.

-Ce n'est pas vraiment moi qu'il aime. C'est une autre.

-Je ne suis pas sûr de comprendre…

-Il aime la femme. J'ai décidé d'être une Turk. La femme doit disparaître.

-Je vois.

Il me sourit.

-Je t'ai acceptée au sein des Turks pour cette seule raison, Elena. Ton dévouement. Ta loyauté envers nous. J'ai tout de suite vu que, même si tu n'étais pas la plus douée, tu étais celle qui aspirait à plus.

Je tends l'écrin à Tseng qui hésite à le prendre.

-Redonnez ceci à Rufus. Dites-lui que je n'en ai pas besoin. Et… qu'il n'en a pas besoin non plus.

OoOoO

Je l'ai aimé, mon ange blond au sourire constant, mon ange à la peau d'or, aux bras rassurants. Je lui aurait donné tout ce qu'il aurait voulu.

Je l'aimais, et avant cela il me troublait, parce que nous sommes semblables : des êtres solitaires. Des êtres qui doivent être seuls pour avancer. Nous nous étions reconnus, d'une certaine façon.

Je l'aimais, il m'aimait, mais c'était une erreur.

Je garderai son souvenir dans mon coeur. La femme en moi saura s'en contenter.

Et Elena la Turk redeviendra ce qu'elle est véritablement.

Une tueuse.