Edit du 18 décembre 2015 : dix ans après la première publication, je me permets de rééditer ce chapitre, l'histoire demeurant la même mais avec quelques réajustements notamment sur l'orthographe. Il existe deux chapitres supplémentaires et les idées ne me manquent pas pour réaliser une suite. Ce serait plutôt la motivation qui me fait défaut, d'autant que je me consacre à d'autres projets sur d'autres fandoms. Enfin… Il y a toujours des lecteurs pour « Osorezan une autre rencontre », et cela me fait à chaque fois chaud au cœur de découvrir une nouvelle review. Le manga « Shaman King » est peut-être terminé, mais il continue de vivre dans les pensées des fans. Merci à tous de m'avoir fait part de votre enthousiasme !

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Que se serait-il passé si Anna n'avait pas eu le temps de rencontrer Yoh ? Que serait-il arrivé si elle avait croisé tout d'abord un certain Hao ? Une question qui a un jour surgi comme ça dans ma tête… Et l'histoire est partie toute seule… C'est ma première fic Shaman King publiée, en espérant que cela vous plaira ! Et que ce site ne fera pas trop des siennes, la mise en page étant plutôt importante pour cette fic… Croisons les doigts !

Disclamer : Kino, Anna, Hao, Yoh, bref, tous les personnages ne m'appartiennent pas sinon ça se saurait…

Ce récit se situe un peu avant la rencontre de Yoh et Anna à Aomori, deux jours avant le Nouvel An. Nous sommes en décembre 1995, et ils ont donc dix ans. A vous de juger… R&R, please !

« … » pour les pensées

- … pour les paroles

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Osorezan, une autre rencontre

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Chapitre 1 : Quand un regard peut tout changer…

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Lentement, elle enfila ses sandales, mit son écharpe et s'avança vers la porte coulissante, qu'elle ouvrit sans douceur dans un claquement. Une rafale de vent glacé s'engouffra aussitôt dans la maison, soulevant ses fins cheveux blonds dans un ballet frénétique. Tout en plaquant une main sur sa tête pour immobiliser ses mèches rebelles, elle traversa l'allée et ouvrit le lourd portail en bois massif qui donnait sur la rue. Elle promena un regard indifférent au-dehors, sur les trottoirs couverts d'une neige épaisse et grise, salie par les voitures et les nombreux passants de la veille. Elle allait sortir quand une voix derrière elle l'arrêta :

- Où vas-tu comme ça ?

S'immobilisant sur le pas du portail, elle resta silencieuse quelques secondes, s'évertuant à ne pas répondre trop vite, et lança à la voix qu'elle aurait reconnu entre mille :

- Chercher les bougies que vous m'avez demandées.

L'autre resta silencieuse, et elle se décida à s'en aller pour de bon.

- Je ne t'ai pas dit que tu pouvais partir.

Stoppée dans son élan, elle leva les yeux au ciel, passablement énervée.

- Alors, que puis-je faire pour vous ? lança-t-elle de son ton habituel, c'est-à-dire le plus glacial possible.

Lentement elle se retourna, se permit un soupir impatient. Devant la porte de l'auberge se tenait une vieille femme assez petite, aux cheveux gris cendre rassemblés en un chignon sévère. Malgré son âge, elle n'avait pas de canne. Ses yeux, cachés derrière une paire de lunettes noires, semblaient fixer un point, légèrement au-dessus de l'épaule de la jeune fille.

- J'ai déjà fait mon entraînement d'itako. Pendant que vous dormiez.

Un faible sourire éclaira le visage de la vieille Kino, ce qui fit monter d'un cran son agacement. Qu'est-ce qu'il y avait de drôle ?

- Rentre dans la maison, Anna… J'ai à te parler.

Elle fronça un bref instant les sourcils. Dans ces simples paroles presque murmurées, le ton n'était pas agressif, ni même impérieux. Mais il y avait dans ces quelques mots quelque chose d'indéfinissable, quelque chose qui ne souffrait aucune réplique. Même si Kino était parfois dure avec elle, ce n'était pas souvent qu'elle lui parlait ainsi… à croire que c'était important.

- Très bien…

Après avoir claqué le portail peut-être un peu plus fort que nécessaire, elle remonta l'allée et passa près de la vieille femme pour rentrer à l'intérieur. Une fois de plus, elle se rendit compte que l'aveugle était bien petite, encore plus qu'elle-même qui n'était pourtant pas grande. Mais elle n'avait aucune envie de profiter de sa taille ou de sa cécité pour se moquer d'elle. Peut-être que malgré les apparences, elle l'aimait bien.

Revenue dans le salon, elle s'assit près du kotatsu et retira son écharpe et son manteau, qu'elle jeta négligemment dans un coin de la pièce. Glissant ses jambes sous la chaude couverture, elle se félicita intérieurement d'être rentrée : il faisait encore trop froid dehors. A noter : la prochaine fois, penser à mettre un pull de plus avant de sortir le matin à 7h30, en plein hiver.

Elle émergea de ses pensées quand Kino reparut dans la pièce, un plateau dans les mains. Elle disposa deux tasses de thé fumant sur la table basse, tout cela avec une aisance remarquable pour une aveugle. Sans la quitter des yeux, la jeune fille prit sa tasse et commença à siroter avec prudence le thé brûlant. Kino, assise face à elle, resta silencieuse, semblant perdue dans ses réflexions.

- Vous êtes préoccupée aujourd'hui, affirma-t-elle alors sans la moindre hésitation.

Brusquement tirée de ses pensées, Kino releva précipitamment la tête, avec une expression rappelant très vaguement un enfant pris en faute. Mais elle se reprit aussitôt, ses traits redevenant neutres, voire même sévères.

- Je t'ai déjà demandé de ne pas utiliser ton pouvoir sur moi, Anna.

A peine avait-elle dit ces mots que ce à quoi elle pensait parut encore plus flou à la jeune fille, comme une image voilée. Sans le vouloir, Anna avait lu en elle, mais le fait que Kino dresse une nouvelle barrière mentale lui permettait désormais de cacher ses pensées. Anna haussa les épaules de toute façon, elle en avait vu – ou plutôt deviné – assez pour ne pas avoir envie de forcer la dose avec son pouvoir : quelque chose tracassait son mentor.

- Vous savez très bien que je le contrôle à peine, répondit-elle simplement en prenant une nouvelle gorgée de thé. Si j'ai réussi à lire en vous, c'est simplement parce que vous avez relâché votre vigilance.

Ses propres mots l'effrayèrent et la révoltèrent tout à la fois. Oui, elle ne le contrôlait pas ce pouvoir de connaître les pensées des gens qui gravitaient autour d'elle. Et personne ne pouvait pas savoir à quel point ça lui pesait par moments : ce à quoi pensaient les autres, c'était si fatiguant, si déroutant ! Et étant donné que la plupart des humains n'avaient aucune défense mentale, elle découvrait souvent leurs désirs les plus profonds, les sentiments les plus cachés, inavoués… détestables.

« Aïe ! »

Surprise, Anna lâcha subitement sa tasse, qu'elle tenait posée sur la table. Sur sa main, une tâche rouge apparut peu à peu, due au liquide brûlant qui avait coulé sur sa peau. Inconsciemment, elle avait serré le petit récipient jusqu'à en trembler, renversant un peu de son contenu. Elle cacha subrepticement sa main rougie dans la manche de son kimono, et jeta un regard indifférent à Kino. Manifestement, cette dernière n'avait rien vu - comment aurait-elle pu ?

Anna baissa les yeux, ses traits étonnamment fins pour son âge plissés dans une moue étonnée et un peu boudeuse. Renverser sa tasse, inconsciemment ? Peut-être… Mentionner son « don » incontrôlable avait tendance à l'énerver. Dans le moins pire des cas.

- Je tenais à te parler d'une chose très importante, que les Asakura ont décidée il y a quelques jours.

Un masque froid d'indifférence sur le visage, Anna scruta Kino, attentive à ce qu'elle allait dire. Asakura ?… Tiens, il y avait bien longtemps qu'elle n'avait pas entendu ce nom.

- Te souviens-tu de ce que je t'ai dit il y a quelques années, sur la famille Asakura et sa descendance ?

Et comment ! Bien sûr qu'elle s'en souvenait. Elle n'en avait peut-être pas l'air avec son attitude constamment indifférente et glacée, mais tout ce qui se disait autour d'elle ne tombait pas dans les oreilles d'une sourde. Il y avait exactement deux ans, Kino lui avait appris qu'elle faisait partie des candidates pour épouser les héritiers de la famille Asakura. Anna pensait qu'entre son caractère insupportable et son don plus que capricieux, on allait vite l'évincer de cette liste, et ce pour son plus grand bonheur.

- Récemment, le Conseil Asakura a étudié la question. Notre principal héritier, mon petit-fils Yoh, a eu dix ans cette année, il est temps pour lui de rencontrer sa future épouse. Et il a été décidé que ce serait toi.

Enfer et damnation. Il ne lui manquait plus que ça.

- Parfait, murmura-t-elle sans sourciller.

Qu'à cela ne tienne, se dit-elle en esquissant un geste pour se lever, la discussion close. On voulait la promettre à un inconnu, point.

Et cet inconnu allait en baver, point.

- Reste, je n'ai pas terminé.

La vieille tendit la main devant elle, ayant sans explication perçu son départ imminent. Un peu surprise, la jeune fille obéit.

- Cet enfant a une mission très importante au sein de notre famille. Si tu as été choisie, c'est justement pour ton caractère et tes pouvoirs. En tant qu'épouse de Yoh, tu vas devoir l'aider à atteindre son but.

- Et si je n'en ai pas envie ?

- Ce n'est pas une proposition, Anna.

- Je n'ai pas d'ordre à recevoir d'une famille qui n'est pas la mienne.

Jugeant la discussion close, elle se releva et ramassa son manteau. Alors qu'elle sortait dans le couloir, Kino l'interpella de nouveau, une nuance de déception planant dans ses paroles.

- Nous t'avons recueilli alors que tu savais à peine marcher. Je t'ai élevé et t'ai enseigné mes techniques d'itako, sans rien te demander en retour. Et tu penses encore que tu ne fais pas partie des Asakura ? Tu rejettes cette aubaine, tu tiens donc tant à te retrouver seule, comme avant ?

Anna se figea tandis que ses doigts se refermaient aussitôt sur le montant de la porte, enfonçant leurs ongles dans le bois fin. Désarçonnée bien malgré elle, elle ne parvint qu'à émettre un soupir méprisant.

- Je te laisse la journée pour réfléchir, Anna. Tu sais que je tiens à toi, mais je ne pourrais pas faire patienter longtemps le grand Conseil. Tâche de faire le bon choix… S'il te plait.

Maîtrisant avec peine son énervement, la jeune fille quitta la pièce et referma avec fracas la porte coulissante derrière elle.

Restée dans le salon, Kino soupira en buvant sa tasse de thé. De la part d'Anna, cette réaction la surprenait à peine. L'amener à ne serait-ce que rencontrer son petit-fils promettait d'être bien compliqué. Le pire était que le fameux promis devait arriver le lendemain…

Elle soupira à nouveau, de désapprobation cette fois, et se dit qu'elle haïssait le Grand Conseil, lui et ses décisions prises au pied levé.

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- J'en ai marre, pour qui ils se prennent ? !

Anna déboula dans la rue où déjà les passants commençaient à affluer. Devant le regard courroucé que lui jeta une femme qu'elle avait manqué de bousculer, elle décida à contrecœur de se calmer, inspirant et expirant profondément plusieurs fois. Son attitude impassible et glaciale retrouvée, elle commença à marcher sans but, perdue dans ses pensées rageuses.

Ces Asakura ! Pour qui se prenaient-ils, à décider du jour au lendemain de ce qui était bien ou pas ? Et elle, qu'est-ce qu'elle était à leurs yeux maintenant ? Un objet, un pion qu'on pouvait manipuler à sa guise ? Elle ne désirait qu'une seule chose depuis toujours : qu'on la laisse tranquille ! Elle commençait tout juste à s'habituer à cette existence uniforme et paisible qu'avait son mentor…

C'était donc trop demander ? Il fallait maintenant qu'elle épouse un type qu'elle ne connaissait même pas ? C'était quoi ces conneries qui remontaient au Moyen-âge !

« Je refuse ! »

Hors de question d'obéir à un tel ordre. En dehors de Kino, elle n'avait jamais côtoyé les autres Asakura. Elle ne faisait pas partie de cette famille, point !

« Qu'est-ce que je vais dire à Maman ? »

Ils l'avaient adopté, et alors ? Elle restait libre, elle n'avait pas d'ordres à recevoir d'eux !

« Et zut, j'ai oublié ma liste de commissions ! »

Elle était seule depuis toujours, seule face à son pouvoir, seule face à l'adversité qui ne comprenait rien à ce qu'elle ressentait, à ce qu'elle était. Et elle préférait cent fois rester seule plutôt que d'obéir à un ordre pareil !

« Mon dieu, ce qu'il peut être étourdi… »

Epouser quelqu'un… Alors qu'elle arrivait tout juste à côtoyer ses camarades de classe sans que ça ne tourne au drame ? Elle eut un haut-le-cœur en y songeant.

- Je préfère être seule… quitte à entendre toute ma vie ces voix dans ma tête…

« Oh non, la boutique de l'an dernier a fermé ! Je vais le trouver où mon cadeau, maintenant ? »

« Mince, je m'suis perdu ! »

Subitement, elle s'arrêta, réalisant qu'elle était en plein centre-ville. Seule et furieuse, au milieu d'une foule de gens sortis pour acheter leurs cadeaux de fin d'année. Leurs pensées et leurs désirs fusaient dans son esprit tourmenté.

…Qu'est-ce qui lui avait pris de quitter l'auberge dans cet état ?

« Aomori est vraiment belle au mois de décembre. Dommage qu'il fasse aussi froid… »

« On est déjà à la fin de l'année, mes exams approchent et j'ai toujours pas commencé mes révisions. Quelle ratée… »

Complètement désorientée, Anna plaqua ses mains sur ses oreilles, tentant de faire taire toutes ces voix en elle, bruyantes et innombrables. Même si elle savait que ça ne servirait à rien…

- Calme-toi, souffla-t-elle en espérant que ces paroles étoufferaient toutes les autres. Il faut que tu restes calme !… Plus tu es en colère, plus tu les entends… Calme-toi…

Les mains crispées sur sa tête, elle sentit peu à peu toutes ces pensées s'amenuiser et se limiter à l'écho d'une simple conversation. Doucement, elle ouvrit les yeux, craignant que sa propre colère et par conséquent ces voix, reviennent au grand galop. Mais le bourdonnement persista, présent mais aisément supportable. Elle s'autorisa un semblant de sourire, soulagée… Quand quelqu'un la bouscula sans vergogne.

- Avance, petite ! J'ai pas toute la journée !

« Quel crétin ce patron de m'appeler un tel jour, plus moyen de rester tranquille pour les fêtes ! Et regardez-moi tous ces abrutis qui s'amusent ! Allez, dégagez, je suis en retard ! »

« Je te hais ! ! »

D'un oeil meurtrier, elle fixa l'homme pressé qui venait de la pousser, soi-disant parce qu'elle bloquait le passage. Comme si la rue n'était pas assez grande !

« Je te hais ! ! ! »

Les poings serrés de fureur, elle le vit disparaître dans la foule. Si son regard avait eu la forme d'un couteau, il serait mort sur place. Et peut-être que ça lui aurait plu, à elle…

« Je vous hais tous… »

Elle abdiqua, épuisée, le cœur gros. Tandis que les voix résonnaient de nouveau dans son esprit, elle reprit son chemin. Personne ne la remarquait, elle, une gamine aux yeux fixes, dont les pupilles paraissant neutres au premier abord brillaient d'une rage sourde. Désoeuvrée, Anna finit par entrer dans une boutique et y acheta les bougies dont avait besoin Kino pour ses rituels. La vendeuse, qui la connaissait bien pour l'avoir vu assez souvent, hésita à lui souhaiter une future bonne année, et finalement se tut jusqu'à ce que la jeune fille au regard de glace soit sortie de son commerce.

De nouveau dehors, Anna hésita à rentrer à l'auberge. Indécise, elle leva ses yeux gris vers le ciel encombré de nuages, et finalement partit dans la direction opposée, supportant tant bien que mal les pensées des badauds qui fusaient dans sa tête tel un écho. Ses pas la conduisirent sur les quais, et elle y resta longtemps, ignorant les rafales de vent glacé qui agitaient les quelques bateaux amarrés ici et là. Peu à peu, son regard perdit sa lueur de colère, pour finalement montrer de la tristesse et de la nostalgie. En inspirant profondément, elle écouta le grondement du ressac, monotone et pourtant rassurant, apaisant.

Elle venait souvent en ce lieu désert : c'était calme, et parce que très peu de gens passaient par là en hiver, c'était le lieu idéal pour avoir la paix. Elle aimait rester là, des heures durant, à scruter la mer et son horizon parfois perdu dans la brume.

Elle avança une main comme pour toucher la ligne où l'océan semblait s'arrêter. Ça semblait si loin et si proche à la fois. Une promesse de liberté, d'errance tranquille sur la mer grise et immense, là où personne ne viendrait la déranger. Pouvoir s'élancer dans la brise pour rejoindre l'horizon, s'affranchir de toute pensée, des siennes comme celles des autres…

Ce serait le paradis. Et c'était inaccessible.

« Oh non, c'est elle… »

La voix, pleine de mépris mais aussi de peur, surgit dans son esprit bien avant qu'elle ne s'élève dans la réalité, tangible et cinglante.

- Eh, regardez, voilà la sorcière !

Brusquement ramenée sur terre, Anna ferma un instant les yeux, le temps de remettre sur son visage son masque habituel d'indifférence.

- Ah ! Ça faisait longtemps, elle vous a manqué, à vous ? ricana une deuxième voix. Pas à moi, en tout cas !

Lentement, Anna se retourna, le vent rabattant quelques-unes de ses mèches blondes sur son visage. Elle se retrouva face à une bande de cinq ou six gamins, âgés tout comme elle d'une dizaine d'années.

- Alors, sorcière, pourquoi t'es pas restée planquée chez toi ? fit celui qui semblait mener le petit groupe, un garçon aux cheveux noirs dont la longue écharpe rouge traînait jusqu'à terre.

Il n'avait pas hésité à appuyer d'un sourire narquois le mot « sorcière ».

- Laisse tomber, Yuki-chan, dit une fille dont les cheveux roux contrastaient particulièrement mal avec son épais manteau jaune. De toute façon elle te répondra pas. Elle parle pas, c'est bien connu.

- Moi, je l'ai déjà entendu parler, annonça presque fièrement un garçon plus petit, ses lunettes grossissant ses yeux comme une loupe.

- Et ? demanda la fille, la seule de la bande.

- Elle a une voix qui fait peur, déclara mystérieusement le gamin, en fait à court d'inspiration.

Les yeux dans le vide, Anna resta muette. Elle n'avait jamais rien dit à l'école, du temps où elle y allait encore. Jamais, sauf ce fameux jour, pendant la récréation…

- Alors ? reprit le meneur, qui s'enhardissait face au mutisme de la jeune fille. Tu sais que depuis que t'es partie, Tamura est toujours à l'hôpital ? Elle va mieux maintenant, mais n'empêche qu'on sait que c'est toi la responsable de ce qui lui est arrivé. Les profs ont beau dire qu'elle s'est fait mal dans sa chute, nous, on sait que tu lui as jeté un sort ! Un sort avec un monstre tueur !

Anna ne cilla même pas. D'un air indifférent, elle leva les yeux et plongea son regard gris dans les prunelles brunes du gamin, qui sur le coup fut déstabilisé.

- T'as bien fait de pas revenir à l'école ! ajouta un garçon assez enveloppé, emmitouflé dans un blouson qui lui donnait l'apparence d'une grosse balle de chiffons bleue. Sinon, on t'aurait fait ta fête !

- Ah oui ? Comme la dernière fois, je présume ?

Le ton glacé d'Anna claqua dans le silence soudain. Le gamin aux lunettes, intimidé, se retint de clamer « J'vous l'avais bien dit, elle fait peur quand elle parle ! »

- Si je me souviens bien, ce jour-là, vous avez tous fui comme des chiens battus, non ? poursuivit Anna en s'avançant légèrement, créant un mouvement de recul chez ses adversaires.

Dans ses yeux, la lueur de colère s'était rallumée.

- On… On était allé chercher de l'aide ! Pour sauver Tamura ! balbutia le dénommé Yuki, cherchant à reprendre le dessus. Ou tu l'aurais tuée !

- Pff, tu es vraiment pathétique. Pour ton renseignement, la prochaine fois, ce n'est pas en se cachant derrière les poubelles qu'on trouve de l'aide, mais dans la salle des professeurs. Maintenant, laissez-moi passer.

Anna s'avança, voulut forcer le passage que le groupe lui barrait. Tous s'écartaient par prudence, quand le petit gros éleva la voix.

- T'as fait du mal à Tamura, sale sorcière ! J'te le pardonnerais jamais !

Dans un sursaut de courage, il l'attrapa par le bras et la secoua.

- Pas un pas de plus, ou je te fous à l'eau !

Anna s'immobilisa aussitôt, et le gamin qui lui serrait le bras remarqua qu'elle tremblait. Mais la voix qui filtra alors des lèvres de la jeune fille démentait que c'était de peur.

- « Me foutre à l'eau » ? Pauvre débile, tu ne te rends même pas compte de ce que tu dis… LACHE-MOI !

Joignant le geste à son cri de rage, Anna se libéra de son emprise en lui envoyant en pleine tête un violent coup de sac, celui-là même qui contenait les bougies. Tous les autres reculèrent, effarés, formant un cercle autour d'elle. Les yeux exorbités et flamboyants de colère, la jeune fille respirait bruyamment, comme si elle essayait de se retenir de hurler, cela sans grand succès.

- Vous me faites tous chier, vous m'entendez ?! Je vous hais ! Tous autant que vous êtes ! Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour vous faire ce que j'ai fait à Tamura ! Cette sale peste !

Hors d'elle, elle se tourna brusquement vers le meneur, qui paniqué recula et manqua tomber du quai. Les pensées de terreur des autres enfants la faisaient souffrir, tout en avivant un peu plus sa colère.

Elle ne pouvait pas se retenir. Elle ne voulait plus les ignorer… Elle n'en pouvait plus !

- Mais j'y songe, je suis une sorcière, non ? continua Anna, la rage de ses yeux dardant sur les enfants médusés comme si elle voulait les poignarder. Mais alors qu'est-ce que j'attends pour lancer un sort, pour que vous creviez tous ?! Petits rats stupides !

Et en elle, la voix de son pouvoir gronda, cruelle et annonciatrice.
« Viens à moi ! Je veux qu'ils souffrent ! Qu'ils hurlent ! Qu'ils ne m'approchent jamais plus ! »

Une rafale violente et glacée se mit alors à souffler, et Anna, les cheveux au vent, partit en courant vers le port. Elle entendit alors des cris retentir derrière elle depuis le quai, et sourit presque contre sa volonté. Le démon n'avait pas été long à intervenir.

« Qu'ils souffrent » murmura-t-elle en pensée. « Qu'ils aient mal, tout comme moi… »

Soudain prise d'un haut-le-cœur, elle trébucha. Tremblante, elle se releva et continua tout de même sa course, faisant tout pour retenir ses larmes. Il n'y avait pas de quoi être fière d'un tel débordement… et elle le savait que trop bien.

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- Maître, vous allez bien ?

- …

- Maître ? Qu'y a-t-il ?

- …

- Opacho a fait une bêtise, c'est ça ? Maître…

L'interpellé se décida enfin à réagir, ou tout du moins à faire attention à la toute petite fille à côté de lui, dont les yeux commençaient à verser de grosses larmes de culpabilité.

- Mais non, Opacho, ce n'est pas ta faute, répondit-il en posant un genou à terre pour être à la hauteur de la gamine. Je réfléchissais, c'est tout…

Avec un sourire, il sécha les larmes de l'enfant, qui se mit à rire tout en pleurant.

- Merci, Maître, mais quand vous réfléchissez comme ça, vous faites peur à Opacho…

- Mais il ne faut pas. Tu sais que tant que tu resteras comme tu es, il ne t'arrivera rien.

En souriant toujours, il se releva et fixa d'un air vague l'horizon, qui se tintait de rose et d'orange dans le soleil couchant.

- Maître, je peux savoir à quoi vous pensez ?

- Bien sûr…

Une rafale de vent passa, soulevant ses longs cheveux bruns. Il frissonna, mais ça n'était pas de froid.

- Je le sens, elle s'est réveillée de nouveau… juste à l'instant… Elle m'appelle.

- Hein ? Qui est réveillée ? demanda le petit Opacho, tout étonné. Qui vous appelle ? Opacho n'entend rien…

L'autre ne répondit rien, mais contempla la gamine d'un air énigmatique.

- Dis aux autres que je reviendrai dans quelques jours. Après-demain, je pense. Ma route sera longue, mais le problème devrait se régler rapidement.

- Mais Maître, vous allez où ? De quel problème parlez-vous ?

L'interpellé lui accorda un dernier sourire neutre, puis s'éloigna.

- Opacho ne peut pas venir avec vous ? Oh, s'il vous plait, Maître, laissez-moi vous accompagner !

- Pas cette fois, Opacho, pas cette fois… Etant donné les proportions que cela prend, il vaut mieux que j'y aille seul. Mais promis, je serai bientôt de retour.

La gamine renifla bruyamment, mais ne discuta plus. Elle posa tout de même une dernière question à son maître qui fixait l'horizon de ses yeux bruns.

- Mais où allez-vous sans Opacho ?

Et l'adolescent répondit le plus simplement du monde…

- La chercher.

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Kino priait pour les ancêtres Asakura quand elle entendit la porte d'entrée s'ouvrir avec violence.

« Je lui ai pourtant dit d'être plus douce avec cette porte… » songea la vieille femme.

- Les commissions ! cria Anna alors qu'un « blong » caractéristique d'un objet qui tombe retentissait derrière la porte près de Kino.

Des pas précipités résonnèrent encore quelques secondes dans la maison, avant qu'un bruit sourd indique qu'Anna venait de s'enfermer dans sa chambre à l'étage. Imperturbable, Kino finit sa prière puis sortit de la salle. Devant la porte, elle trouva le sac de bougies jeté en hâte, dont le contenu s'avéra en piteux état. La vieille femme haussa un sourcil, un peu surprise, car son élève, si elle pouvait être accusée de nombreux défauts, avait cependant le mérite d'être soigneuse et attentive quand sa grand-mère d'adoption lui demandait un service.

Levant la tête vers l'escalier que la jeune fille venait d'emprunter, Kino s'interrogea : Anna qui s'enfermait dans sa chambre, ça n'avait rien d'extraordinaire. Mais qu'elle ait couru pour le faire, c'était déjà plus inquiétant. Il avait dû se passer quelque chose en ville, et quand on était shaman dans la région d'Osorezan, les possibilités de mauvaise rencontre étaient presque infinies…

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A peine revenue dans sa chambre, Anna claqua la porte et se jeta sur son futon, sans même prendre le temps de retirer son manteau. Elle enfonça son visage dans son oreiller pour étouffer ses cris de colère, serrant l'objet dans ses mains comme si elle cherchait à percer l'étoffe de ses ongles. Lorsqu'elle fut à bout de souffle, elle resta quelques instants immobile et silencieuse, puis ses épaules se soulevèrent doucement, frénétiquement, prise de sanglots. Aussitôt, elle se releva, les cheveux en bataille, et lança l'oreiller contre le mur dans un cri aigu de rage.

- Jamais ! Vous m'entendez ? Jamais !

Plusieurs poupées, livres et autres objets traînant au sol connurent le même sort que le coussin. Echauffée par sa frénésie, la jeune fille retira en hâte ses vêtements, ne gardant que son kimono, et les jeta au loin.

- Jamais je ne pleurerai ! Et surtout pas à cause de vous ! Je vous hais !

Elle s'apprêtait à expulser sa colère sur autre chose quand elle reconnut ce qu'elle tenait entre ses mains.

- Jamais !

C'était une poupée, avec des longs cheveux lissés d'un noir de jais. Elle portait une robe noire et simple, mais qui aurait traîné avec majesté derrière le jouet s'il s'était mis à marcher. Anna fit d'abord mine de jeter aussi la poupée par terre, puis s'immobilisa et enfin s'écroula sur son futon, le jouet serré contre elle.

- Jamais…

Elle resta ainsi très longtemps, tremblante, roulée en boule dans les couvertures, la poupée contre son cœur tandis qu'elle lui caressait machinalement les cheveux. Aucune larme ne coulait de ses yeux, qui comme vides de sentiments, fixaient le mur. Bien plus tard, elle parut sortir de sa torpeur et leva la tête vers la fenêtre, mais ne voyait de là où elle était qu'un bout de ciel gris. Lentement, presque péniblement, elle se mit debout et marcha vers l'ouverture pour regarder distraitement au dehors. Caressant du doigt le visage de porcelaine de sa poupée, Anna murmura :

- Toi, au moins, tu es comme moi… Tu me comprends, hein, Awaya ?

Elle promena un regard triste sur le paysage blanc. Le soleil, dont quelques rayons blafards parvenaient à percer les nuages, entamait déjà sa course vers le couchant. Il était tard dans l'après-midi, elle avait dû rester couchée pendant plusieurs heures…

Mais même si elle n'avait rien mangé depuis la veille, Anna n'avait pas faim. A vrai dire, sa conduite des heures précédentes lui donnait même mal au cœur.

Des années qu'elle faisait des efforts. Mais le peu de sérénité qu'elle était parvenue à rassembler auprès de Kino ne tenait jamais bien longtemps une fois qu'elle quittait la maison.

- A chaque fois, quelqu'un est là pour me rappeler le passé… et les choses immondes que j'ai faites…

Revinrent alors en sa mémoire les visages de ses anciens camarades, leurs pensées et leurs voix méprisantes et apeurées, et elle eut aussitôt envie de les frapper, de serrer leur cou jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus rien dire. Elle chassa presque à contrecœur ces désirs meurtriers, tandis qu'elle sentait les larmes monter à ses yeux. Elle serra les paupières, et ses mains se crispèrent sur sa poupée.

Jamais elle ne pleurerai. Elle pouvait crier, hurler, même frapper… Mais pleurer, ce n'était pas admis. Tout plutôt que de montrer sa faiblesse.

Refoulant ses larmes qui n'avaient pas même pas eu le temps de voir le jour, elle dirigea ses yeux rougis vers le visage figé de sa poupée.

- Je ne donnerai à personne le plaisir de me voir pleurer… Pas même à toi, ajouta-t-elle en souriant faiblement.

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Un peu plus tard, Anna se décida à sortir de sa chambre, ne serait-ce que pour s'excuser d'avoir ramener les bougies dans un tel état. Elle ne regrettait pas vraiment son geste en lui-même, car frapper son abruti de camarade avait même été plutôt libérateur.

Elle ouvrit doucement la porte de sa chambre et risqua un regard dans le couloir désert, puis sortit, ayant retrouvé son air froid et indifférent. Ses pieds nus effleurant silencieusement le sol, elle descendit sans bruit l'escalier, peu soucieuse du manque de lumière. Sa poupée serrée contre elle – elle avait remarqué trop tard qu'elle l'avait encore dans ses bras, elle traversa la maison vide et calme à la recherche de Kino. En se dirigeant vers le salon, elle aperçut un rai de lumière qui filtrait dans le couloir plongé dans l'obscurité. Elle s'approcha de l'entrebâillement, et entendit la voix de Kino, en pleine conversation téléphonique dans le salon.

Elle allait ouvrir la porte quand un nom dans la conversation l'interpella : celui de Yoh…

Méprisant les règles de bonne conduite, Anna s'adossa à la porte coulissante et écouta, sa poupée serrée contre elle. Seule dans sa chambre, elle avait eu le temps de réfléchir à la proposition qu'on lui avait soumise. Elle en avait déduit qu'à la limite, elle pourrait accepter de rencontrer son futur époux, histoire de voir qui il était. Après tout, ils ne se connaissaient pas. Ce Yoh n'allait peut-être pas avoir de préjugés sur elle, et elle pourrait ainsi recommencer sur de nouvelles bases… ou au contraire, l'envoyer paître avec d'autant plus de facilité. Elle avait donc décidé d'improviser le moment venu, non sans une once d'espoir.

Une chose était sûre : c'était peut-être elle que l'on obligeait à épouser un héritier, mais c'était clairement lui qui allait en baver.

- Je ne vois pas où vous voulez en venir, dit alors Kino dans la pièce voisine.

Le ton neutre mais comme hésitant de son mentor surprit Anna : la vieille itako, d'habitude si calme, semblait perdre toute contenance face à son interlocuteur. Avec stupeur, Anna s'aperçut que les pensées de Kino étaient parfaitement lisibles, si bien qu'elle parvenait même à entendre un écho de ce que disait l'autre personne au bout du fil.

C'était une voix d'homme, qu'elle ne chercha pas à identifier tant Kino l'inquiétait : pour que la vieille femme relâche ainsi toutes ses barrières mentales, elle devait être vraiment troublée.

« Allons, ma chère Kino, ne jouez pas à ça avec moi, vous savez très bien ce que je veux dire », fit la voix grave et posée au téléphone, légèrement amusée.

- Non, je suis désolée, répondit la vieille femme, l'air passablement énervée.

« Vous avez mis Anna au courant, n'est-ce pas ? »

- Comme me l'a demandé le Grand Conseil.

« Alors, vous n'avez pas à vous en faire. L'affaire est dans le sac, si je puis dire. »

- Seulement, Anna n'est pas particulièrement enchantée à cette idée de mariage, ce que je comprends. Elle n'a que dix ans, et…

« Si je puis me permettre, Kino, son opinion n'a aucun intérêt. Elle a été choisie, elle devra obéir aux ordres, ou bien elle sera bannie. Si cette gamine a une once d'intelligence, et Dieu seul sait si vous nous avez vanté ses capacités, elle acceptera sans hésiter d'épouser Yoh. Et si d'aventure elle résiste, nous avons toute une liste de "candidates" presque aussi douées qu'elle et qui ne demandent qu'à se marier avec l'héritier des Asakura. Anna pourra retourner pourrir dans cet orphelinat si elle y tient tant. »

- C'est révoltant, je…

« Je vous en prie, Kino, calmez-vous. Je ne fais que penser au bien-être de notre famille, tout comme beaucoup d'autres d'ailleurs. Notre objectif est d'abord de tuer ce fou de Hao avant qu'il ne refasse des siennes, et ensuite de reconstruire le clan Asakura et de lui rendre sa splendeur passée. Dans tous les cas, Anna est un élément principal : vous nous avez dit qu'elle était puissante, déterminée, et qu'elle avait un certain sens des responsabilités, n'est-ce pas ? »

- Bien sûr, mais…

« Alors, si elle a un véritable sens du devoir, elle mettra tous ses pouvoirs au service de son époux, et elle ira jusqu'à donner sa vie pour l'aider à vaincre. Et lorsque Hao pourrira six pieds sous terre, si Anna est encore vivante, elle donnera naissance à une nouvelle génération d'Asakura, qui travailleront à faire revenir notre clan à la lumière du monde. Ce qu'elle pense n'intéresse en aucun cas le Grand conseil, la seule chose qui nous importe est la contribution qu'elle apportera à notre famille, est-ce bien clair ? »

La poupée tomba dans le vide, et la tête de porcelaine se fracassa en mille morceaux sur le parquet.

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Elle courait.

Elle ne savait plus où elle était, où elle allait, ni qui elle était. La seule chose qui lui importait, c'était courir, fuir, partir loin de tout. Des lumières défilaient sans fin autour d'elle, des bruits, des rires, des sons de voix retentissaient. Parfois, elle bousculait quelqu'un, mais elle n'entendait pas ce qu'il lui disait. Elle repartait aussitôt en courant droit devant elle, les voix et les pensées tourbillonnant dans son esprit.

Elle ne savait plus ce qui s'était passé. Elle se souvenait du couloir plongé dans la pénombre, de la voix inconnue au bout du fil, qui résonnait encore dans sa tête. Elle se souvenait du bruit de porcelaine brisée, de la porte grande ouverte sur la nuit, du froid de la neige sous ses pieds nus. Elle n'avait pas fait attention à Kino, qui lui avait crié au loin de revenir. Elle ne faisait pas attention au froid qui peu à peu lui transperçait le corps, mal protégé par son seul kimono. Une seule chose comptait : fuir. Et aussi ne pas pleurer.

Surtout, ne pas pleurer.

A ses oreilles bourdonnaient les pensées des gens, si nombreux autour d'elle. Elle ne comprenait pas ce qui se disait, il y avait trop de bruit. Une fois de plus, elle percuta quelqu'un, mais si fort qu'elle s'étala dans la neige boueuse. A l'incompréhension qui peu à peu se muait en colère, s'ajoutait maintenant la douleur. La brûlure du froid sur sa peau, le choc de la collision. Totalement désorientée, elle regarda d'un oeil fou les gens qui s'étaient regroupés autour d'elle, et qui la fixaient d'un air étonné. Et elle repartit aussitôt, brisant le cercle de badauds qui la retenait prisonnière.

« Alors c'est à ça que je sers ? A ça ? ! »

Elle sentait la rage monter en elle, à défaut de larmes.

« A rendre plus puissant un homme que je ne connais même pas ? A assurer la descendance d'un clan orgueilleux ? »

Les pensées des autres se firent de plus en plus présentes dans sa tête, jusqu'à atteindre le volume sonore d'une foule immense de gens criant tous à la fois.

« Ils m'ont élevé, ils m'ont enseigné ce qu'ils savaient, pas par amour ni même par charité, mais uniquement parce que je serai utile à leur succès ? »

Le bruit lui vrillait les tympans, sa colère l'aveuglait presque totalement.

« Une chose ! Voilà ce que je suis à leurs yeux ! Je les hais ! Je les hais tous ! ! ! Qu'ils meurent tous, qu'ils crèvent et même moi, je peux mourir, j'en ai plus rien à faire ! ! »

Une vive douleur lui transperça alors la tête, et elle tomba à genoux, incapable de faire un pas de plus. Plaquant ses mains sur ses tempes, elle faillit hurler tant la souffrance était insupportable. On aurait dit qu'un métal chauffé à blanc s'était logé dans son crâne, martelant ses parois au rythme des voix. Par-dessus le tumulte que créaient les pensées des autres dans son esprit, une voix, simple et monocorde, s'éleva.

« Que dois-je faire ? J'ai envie de tout arrêter… »

Péniblement, Anna ouvrit ses yeux brouillés par des larmes de douleur et aperçut une femme debout et immobile, le regard perdu dans le vide.

« Mon fils est mort. Sans cette voiture, il serait toujours là. Mais il est mort… et son père est parti. Que dois-je faire maintenant ? Je suis si fatiguée… »

« Maman, pourquoi tu ne bouges plus ? »

Anna remarqua alors la petite fille que cette femme tenait presque machinalement par la main. La gamine regardait d'un air suppliant sa mère, lui agitait doucement le bras pour attirer son attention, en vain.

« Maman, pourquoi tu ne me parles plus ? »

« Je veux partir… »

« Pourquoi tu fais toujours comme si je n'étais pas là ? »

« Je veux mourir, et rejoindre mon fils… »

« Maman, s'il te plait, regarde-moi ! Je suis là, j'existe ! »

« Pourquoi l'ignores-tu ? Elle a besoin de toi, pense à elle ! »

A cette pensée, Anna retint ses larmes, de désespoir cette fois. Elle ressentait au plus profond d'elle-même la tristesse et la colère d'enfant incomprise de la petite.

« Regarde-la, ta fille est toujours là ! Tu n'as pas le droit de l'abandonner ! Tu as de la chance d'être en vie, d'avoir encore une famille, pourquoi être aussi égoïste ? »

En colère contre cette mère indigne qui ignorait totalement sa propre fille, Anna ne sentit pas tout de suite la main se poser sur son épaule avec rudesse.

- Eh, petite ! Que fais-tu dehors dans cette tenue ? Rentre chez toi avant de tomber malade !

Elle resta quelques instants interdite, le temps pour elle de comprendre que ce qu'elle venait d'entendre était une voix bien réelle. Immédiatement, elle tourna la tête, pour se retrouver face à un homme d'âge mûr, à l'air sévère et portant un tablier.

- Alors, qu'attends-tu ? File, avant d'attraper mal ! Après-demain, c'est le Jour de l'An ! Ca serait bien bête d'être malade un tel jour, non ?

Sa rage, en même temps que la douleur, tomba d'un coup, remplacées par la surprise. Mais la pensée de l'homme surgit dans son esprit, criante de vérité.

« Que fait cette folle couverte de boue devant ma boutique ? Elle fait fuir la clientèle ! Allez ouste, qu'elle s'en aille ! »

Tétanisée, Anna fixa l'homme qui lui tendait une main compatissante pour l'aider à se relever. Et la colère revint au grand galop en son cœur.

- Dégage ! J'ai pas besoin de ton aide !

Elle repoussa aussitôt le marchand, avec une telle force qu'il faillit perdre l'équilibre. Debout en un clin d'œil, Anna cria tout ce qui lui venait à l'esprit, fort à s'en déchirer les poumons. Mais ce n'était rien comparé aux voix qui hurlaient dans sa tête et à la douleur qui lui vrillait le crâne.

- J'ai besoin de personne ! Pas de toi, ni de vous tous ! Je me fous de ce que vous pouvez penser, je vous hais tous ! Tous ! Et je me déteste aussi, je veux crever, vous m'entendez ? !

- Ah, ma p'tite, tenta le marchand, tu vas te calmer ou…

- Ta gueule ! Ta-gueule ! J'te hais, tu me dégoûtes, tu m'entends ?! Vous me donnez tous envie de vomir, tous ! ! Je veux vous voir tous morts ! !

Plus personne ne bougeait dans la rue, chacun était médusé devant cette gamine qui continuaient de hurler des choses atroces, de toutes les façons possibles et imaginables.

Et soudain des vitres volèrent en éclats, des étals furent dévastés, des boutiques saccagées une à une par une force invisible. Incrédules puis paniqués, les gens ne savaient que faire, courant dans tous les sens. Dans la mêlée, seule Anna restait haletante mais stoïque, voutée sous la douleur insupportable qui battait à ses tempes. Les yeux brillants de colère et de souffrance, elle hurla, les mains tendues vers le démon :

- Viens ! Obéis-moi ! Emmène-moi !

Le démon haut de plusieurs mètres qu'elle seule pouvait voir poussa un long rugissement caverneux tout en détruisant une autre vitrine. Sans faire attention aux gens déboussolés qu'il manquait écraser à chaque pas, il se rua sur la jeune fille et l'attrapa dans ses monstrueuses mains griffues, avant de bondir au-delà des maisons pour disparaître avec elle dans la nuit.

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- …On dirait que tu as perdu tout ton self-contrôle cette fois-ci…

Il ouvrit les yeux, scrutant la nuit et les étoiles qui défilaient au-dessus de lui. Assis sur le dos d'un énorme esprit rouge feu, ses longs cheveux au vent, il inspira un grand coup l'air qui se faisait de plus en plus glacé. Un sourire imperceptible apparut sur ses lèvres. Un sourire triste.

La colère, la frustration, le dégoût… Tant d'émotions qu'elle devait bien ressentir un jour, à leur paroxysme. Evidemment, l'expérience avait été dévastatrice. Pourquoi ce jour-là, c'était un mystère qu'il éclaircirait bientôt. Mais pour le moment, il lui fallait la trouver.

« Où es-tu, à présent ?… Tu viens de t'enfuir… »

Il ferma une nouvelle fois les yeux, concentrant sa pensée sur ce qu'il cherchait. Il murmura, après quelques instants :

- Osorezan. Bien sûr. C'est là que je te trouverai.

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Tout n'était plus que ruines.

La forêt dense qui entourait le temple d'Osorezan avait été dévastée. De larges sillons blancs couraient entre les sapins, preuve du passage du démon qui avait lacéré, écrasé, déraciné tout ce qui l'empêchait de rejoindre son but. Les alentours du temple avaient l'air d'un véritable champ de bataille. Les débris des statues des esprits protecteurs, brisées, fracassées en mille morceaux, jonchaient le sol recouvert d'une épaisse couche de neige blanche. Les étendards et les colonnes de pierre gisaient à terre, portant encore les marques de la fureur du monstre. Tout témoignait qu'un être à la colère démesurée s'était déchaîné là, mais à présent, plus rien ne bougeait. Seul le vent, hurlant à la mort, soulevait des volutes de neige, comme s'il espérait cacher aux yeux des étoiles ce spectacle désolant.

Tout contre le mur du temple, protégée quelque peu du vent par une statue qui avait miraculeusement échappé au massacre, une silhouette se tenait assise là, immobile malgré le froid de plus en plus mordant. Ses bras croisés autour de ses jambes repliées, elle avait posé son front sur ses genoux, cachant son visage dans son kimono tâché de boue. Ignorant les nombreuses et fines plaies qui lui couvraient le corps, ses mains serraient frénétiquement le tissu rougi par le sang, et tremblaient. De tout, sauf de peur.

« Je les hais… Ils n'ont eu que ce qu'ils méritent… »

Son démon avait disparu. Après avoir dévasté les alentours du temple, le monstre avait tenté d'attaquer le bâtiment lui-même, mais sa fureur n'avait pas suffi face au kekkai protecteur : la barrière magique qui entourait le temple l'avait tout simplement détruit. Maintenant elle était seule dans ce paysage désert, cernée par la neige, le froid et le chant glacial des bourrasques. Et elle était bien trop faible pour faire, et même vouloir faire un pas de plus. Seule une rage sourde, et malgré tout désespérée, brillait encore au fond de ses yeux. Une petite lueur qui vacillait contre le froid, la fatigue et l'obscurité si tentante du sommeil.

« Je les déteste… et je me hais encore plus. Si seulement j'avais pu, c'est sur moi que j'aurai dirigé l'attaque du démon… »

Ses doigts se resserrèrent un peu plus sur ses manches, comme si elle voulait déchirer l'étoffe par la seule force de ses ongles. Sous l'effort, ses bras meurtris laissèrent couler un peu plus de sang. Elle gémit, couverte par le vent.

- Je veux mourir…

Des bruits étouffés et réguliers arrivèrent alors à ses oreilles, et malgré la tempête qui soufflait par violentes bourrasques, elle n'entendait qu'eux. Des bruits de pas, de quelqu'un qui avançait avec lenteur et précaution dans la neige.

« Qui que tu sois… Va-t'en. »

Les bruits, doucement, s'amplifièrent, et les yeux fermés, elle adressa une prière puis un ordre muet à cette personne, celui de s'en aller.

« Pars… »

Mais les pas, inexorablement, se rapprochèrent puis s'éteignirent. Il y eu un froissement de tissu, et une voix murmura :

- Que fais-tu ici ?

La voix était douce, un peu d'étonnement y perçait. On aurait dit un garçon, peut-être du même âge qu'elle. Sans ouvrir les yeux, la tête toujours cachée dans ses bras, Anna dit d'un ton enroué :

- Ca ne te regarde pas. Va-t'en.

Un court silence passa.

- Il fait froid, et la nuit est déjà bien avancée. Tu ne veux pas venir avec moi ? Je te ramène chez toi si tu veux.

- Je t'ai dit de me foutre la paix ! J'en ai rien à faire, de chez moi. Je reste ici ! Laisse-moi !

« Même ici, il faut que quelqu'un vienne me déranger ? ! Qu'on me laisse tranquille, c'est tout ce que je demande ! »

- Tu es sûre que tu veux que je te laisse seule ?

Anna perdait peu à peu son calme. Ce ton posé, cette voix basse, claire et qui se voulait apaisante, tout en cette voix l'irritait au plus haut point. Dirigeant son pouvoir vers l'intrus, elle tenta de lire dans ses pensées. Mais avec stupéfaction, elle se retrouva devant un mur opaque et silencieux. Rien ne lui permettait de connaître ou d'interpréter ce à quoi songeait la personne assise près d'elle. Même Kino n'avait de barrière mentale aussi puissante.

« Je suis trop faible, je n'arrive même pas à savoir à quoi il pense. C'est pitoyable… »

- C'est inutile, murmura la voix.

Elle se retint de lever la tête. Comment avait-il su qu'elle essayait de lire en lui ?

Mais elle se reprit aussitôt. Refusant de lancer un seul regard à l'intrus, elle appuya résolument son front contre ses bras blessés, comme pour se replier sur elle-même pour être plus tranquille.

- T'es encore là, toi ? Je t'ai dit de partir.

- Et pourquoi ?

- Parce que sinon je te tue. Alors obéis, et casse-toi.

- L'argument est assez convaincant. Je m'interroge…

- Pas besoin de réfléchir, c'est un ordre. Va-t'en.

L'autre eut un petit rire.

- Et si je n'en ai pas envie ?

Elle sursauta. Elle avait répondu exactement la même chose à Kino, le matin même. Cela paraissait si loin à présent… Mais cette phrase ? Pure coïncidence ? Avait-il dit ça uniquement dans le but de la déstabiliser ?

« Mais quand est-ce qu'il va partir ? Rien que sa voix m'énerve ! Il va voir un peu, s'il aura encore envie de rester après ce que je vais lui faire ! »

Elle dégagea sa tête de ses bras, prête à lui cracher au visage toute sa haine, résolue à en venir même aux mains pour retrouver sa solitude. Mais sa colère tomba dès qu'elle croisa le regard de l'autre. Un regard légèrement amusé, mais doux et plein de compassion. Un regard qui la fixait, dans les yeux, sans montrer de pitié ou de peur. Un regard comme elle n'en avait jamais vu. L'espace d'un instant, elle eut envie de se noyer dans l'océan de ces prunelles brunes, de ne jamais en revenir.

- Ah ! Enfin, tu me regardes ! fit avec un léger sourire le garçon assis près d'elle.

Clignant des paupières, Anna détourna vivement les yeux, et réalisa que son cœur battait à tout rompre, sans explication pour elle. Elle se prit la tête entre les mains, essaya de chasser la vision de ce regard si profond de son esprit. En vain…

Elle ne pouvait lire ses pensées, et pourtant, ce regard semblait exprimer tout ce qu'elle cherchait depuis des années : un havre de paix, de confiance et de sérénité. Elle savait pourtant trop bien que cela était illusoire…

- Va-t'en, je t'en prie…

A son propre désespoir, sa voix n'avait plus rien de déterminé. Elle se sentit soudain si petite, si insignifiante à côté de lui…

- Désolé, mais je ne peux pas te laisser seule. Pas ici, par ce temps.

Il passa une main derrière elle, et la prit doucement par l'épaule pour la serrer contre lui. Désorientée, Anna aurait voulu lui en coller une, mais ne réussit pas à bouger. Il lui murmura à l'oreille :

- Je ne veux pas te laisser seule, Anna…

Comment savait-il son nom ? Cette question erra quelques secondes dans son esprit puis fut oubliée, n'ayant plus d'importance. Elle ferma les yeux, et s'abandonna à cette sensation si étrange et si agréable. Sa main, son souffle, sa cape couleur crème, tout était chaud en lui. Vaincue, oublieuse de la prudence la plus élémentaire, elle se blottit contre l'inconnu pas plus grand qu'elle. Son corps insensible, engourdi par le froid, se réveilla peu à peu à ce contact chaleureux, et elle frissonna.

- Tu vois, tu vas attraper froid.

Désarçonnée, Anna leva les yeux vers lui et détailla lentement son visage. Il devait avoir le même âge qu'elle d'après sa voix d'enfant, mais ses traits fins et réguliers le faisaient paraître plus vieux, plus… mature. Il avait de longs, très longs cheveux fins, de la même couleur que ses yeux, et qui lui tombaient en une cascade apparemment soyeuse sur ses épaules et le long de son dos. A ses oreilles pendaient de grandes boucles d'oreilles en argent, qui tintaient doucement à chaque fois qu'il bougeait la tête. Mais ce qui la captivait le plus chez lui, c'était son regard si profond…

Il eut un sourire qui illumina ses yeux, et il détacha sa cape pour en envelopper la jeune fille. Elle remarqua alors qu'il était torse nu. Devançant sa question stupéfaite, il la serra de nouveau contre lui et chuchota :

- Ne t'inquiète pas. Moi, ça fait longtemps que je n'ai plus froid.

Rassurée par cette voix si calme, elle posa la tête sur son torse et ferma les yeux. Sous la peau nue et musclée, elle entendit les battements sourds et réguliers du cœur du jeune garçon.

Elle sourit, soulagée : il était bien réel. Aux alentours du temple d'Osorezan, les manifestations paranormales étaient nombreuses.

- Comment tu t'appelles ?

Il eut un très léger tressaillement.

- …Hao, répondit-il finalement.

Elle plissa le front : elle avait déjà entendu ce nom-là quelque part.

« Oui… Ils en ont parlé au téléphone. Je devais le tuer, je crois… »

Mais la discussion qu'elle avait surprise quelques heures auparavant lui parut alors très lointaine elle aussi, et sans importance. Peut-être parce qu'elle était avec lui ?

- Hao… Je veux partir, murmura-t-elle après quelques minutes

- Très bien. Tu habites où ? répondit celui-ci en essayant de se lever.

Mais Anna ne bougea pas.

- Pas chez moi. Je veux partir… avec toi.

Il se tut quelques instants, peut-être surpris.

- … Pourquoi ?

Anna ouvrit les yeux et les tourna vers lui, plongeant son regard dans ses prunelles brunes.

- Plus rien ne me retient ici. Et…

Elle ne finit pas sa phrase, soudain honteuse de ce qu'elle allait dire. Une petite voix dans sa tête, celle de la raison, lui criait que c'était trop soudain, trop fou pour avoir un sens.

« …et je veux rester avec toi, toujours. »

Hao la regarda quelques instants, puis sourit. Il approcha doucement son visage de celui de la jeune fille et murmura :

- D'accord. Je t'emmène.

Avec une infinie douceur, il la prit dans ses bras et la souleva comme si elle ne pesait rien. Il fit quelques pas dans la neige puis s'arrêta et baissa les paupières. Blottie dans la cape, tout contre lui, Anna se demanda vaguement comment il pouvait résister face à un tel vent glacial, avec pour seul vêtement un pantalon. Il n'avait vraiment pas l'air d'en souffrir…

Hao ouvrit alors les yeux, et quelque chose d'énorme et de rouge surgit au loin, de derrière les montagnes. D'un vol silencieux, à la lenteur irréelle, il s'approcha et se posa doucement près de Hao. Anna n'en croyait pas ses yeux : si l'apparition avait une forme vaguement humaine, elle était d'une taille encore plus impressionnante que son démon, avec des bras immenses qui lui servait d'ailes. Tétanisée, elle ressentit l'aura du monstre rouge aux yeux verts et brillants, exempts d'iris et de pupille : il était d'une puissance terrifiante…

- Ne t'inquiète pas, c'est mon fantôme, Spirit of Fire, dit Hao en sautant lestement sur le dos de l'esprit, la jeune fille recroquevillée dans ses bras. Il m'obéit au doigt et à l'œil.

L'esprit rouge feu s'envola aussitôt, brassant silencieusement l'air de ses ailes. Après quelques minutes, Anna risqua un regard sur le côté et put voir la ville d'Aomori illuminée défiler, des centaines de mètres plus bas. Elle sentit peu à peu ses paupières se faire lourdes, s'endormait malgré elle. Elle eut le temps d'apercevoir, devant eux, la mer immense et noire où se reflétaient quelques étoiles.

- Merci, murmura-t-elle faiblement avant de glisser dans le sommeil.

Hao s'assit avec précaution, et la tenant toujours dans ses bras, chassa avec tendresse une mèche rebelle du visage de la jeune fille.

- Dors. Ils ne peuvent plus rien te faire maintenant. Dors…

Il aperçut alors une larme couler furtivement de ses cils et se perdre dans ses cheveux blonds. Hao sourit. Il leva les yeux vers le ciel qui laissait enfin tomber ses doux flocons blancs, tandis que Spirit of Fire poursuivait son vol silencieux et s'enfonçait dans la nuit.

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Inquiète pour Anna, Kino tournait en rond chez elle quand elle se figea, comme frappée par la foudre. Malgré sa cécité, elle traversa sans hésiter la moitié de l'auberge et sortit en hâte sur la terrasse. Ses yeux aveugles tournés vers le ciel, indifférente aux flocons qui tombaient doucement, elle chercha à ressentir de nouveau cette aura familière mais redoutée qu'elle venait de percevoir à l'instant, en vain. Même si elle l'avait formellement identifié, elle n'osait y croire : elle avait ressenti la présence de Hao. Mais que viendrait-il faire ici, à Aomori ?

La réponse vint d'elle-même dans son esprit : Anna.

- Kami-sama… S'ils se sont rencontrés… C'est une catastrophe…

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(Edit du 18 novembre 2015 : à l'heure où j'écris ces lignes, je m'interroge sur l'intérêt de poster les deux chapitres suivants, que je peaufine par plaisir depuis des années mais que je n'avais jamais envisagé de poster… Cette fic tire à mon sens un certain charme dans le fait de rester inachevée… Peut-être qu'un jour, je finirai par changer d'avis.)

Voilà, ma version « Osorezan »… J'avais bien l'intention de faire une suite, car ce ne sont pas les idées qui me manquent… mais sans doute le temps pour les écrire. Si ce chapitre m'a pris relativement peu de temps, les suivants s'écrivent beaucoup plus lentement… Inconsciemment, je crois que je cherche à fignoler dans les moindres détails cette histoire, qui verra la série Shaman King d'un tout autre œil…

Merci à tous les reviewers, qui sont toujours plus nombreux malgré l'ancienneté de ce chapitre. Je vais redoubler d'efforts, qui sait, peut-être un jour me déciderai-je à poster la suite…

Elenthya