Tel le Père Noël, me voici pour un nouveau chapitre de SE que je tenais absolument à avoir bouclé pour vous le mettre sous le sapin ce matin. J'espère qu'il vous plaira, parce que le prochain contient une scène que je brûle d'insérer dans l'histoire depuis que je l'ai écrite il y a au moins 5 ans !

RAR :

Manon : Je te remercie pour ta gentille review ! J'espère que la suite ne te décevra pas.

Magnet : Je suis vraiment super contente d'avoir suscité autant d'excitation pour ce nouveau chapitre. J'espère que celui-ci te plaira autant. Je sais ce que c'est, en général, c'est dur pour l'entourage de comprendre à quel point un petit monde intérieur peut être source d'émotions aussi puissantes. En tout cas, ton adorable commentaire a fait ma journée. Merci infiniment.

Row16 : Ahahaha, j'ai adoré ta review, tout est dit en une seule phrase ! J'espère que la suite te fera plaisir. Oui Severus ne prend peut-être pas encore toute la mesure du changement en branle. Merci pour tes encouragements !

xoxo : ta review m'a fait un plaisir que tu n'imagines absolument pas ! Merci est un tout petit mot pour exprimer mon bonheur et décrire le sourire idiot sur mes lèvres tandis que je te lisais. Hahaha, merci pour ta patience et tes encouragements sans faille. J'espère arriver à conserver cette tension entre eux malgré le rapprochement ! Tu me diras comment je m'en sors ;) Merci beaucoup pour le niveau de français, ça parait idiot mais ça me touche vraiment ! J'espère que tu ne seras pas déçue.

EtCaetera : merci beaucoup pour ce commentaire qui en dit énormément de manière très synthétique. Il m'a fait très plaisir parce qu'il m'a montré que j'avais réussi le pari de créer une petite bulle facile à visualiser avec un Snape crédible ! C'est vraiment le plus beau compliment que tu pouvais me faire. J'espère que ce chapitre ne te décevra pas. Merci pour tes encouragements. Oui, j'ai trouvé, je commence sur Montpellier le 3 janvier ^^.

Bonne lecture à toutes !

Chapitre 43 : Doutes ou certitudes

Il n'en revient pas d'avoir lui-même mis un terme à ce moment. Plusieurs jours après, il en est encore à se demander comment les choses ont pu si rapidement retourner à ce qu'elles étaient avant cette étreinte. Son comportement est redevenu exactement le même qu'avant ce soir-là : froid, insolant. Les remarques sont aussi acerbes et déplacées qu'au premier jour de leur rencontre.

A bien y réfléchir, il ne voit pas comment il aurait pu en être autrement. Ce n'est pas comme s'il s'était attendu à une quelconque transformation dans son attitude. Il ne l'aurait d'ailleurs pas souhaitée. Il n'aurait pas su comment la gérer.

C'est pourtant la première fois qu'il ne cherche pas dans des excuses vaines une explication à son comportement. Il ne blâme même pas l'étourdissement causé par la douleur. L'espace d'une poignée de minutes, il s'est senti grisé par le trouble dans les prunelles brunes, par le fait qu'elle ait elle-même été l'instigatrice de ce contact, qu'elle n'ait pas réussi à lui dissimuler le désordre qui l'agitait, ni les battements affolés de son cœur lorsqu'il l'a ramenée contre lui.

Pour tout dire, il n'est pas certain qu'elle l'aurait repoussé s'il avait décidé que respirer son odeur ne lui suffisait plus.

« C'est que tu t'y accroches à ton image de prédateur sexuel ! »

Ce n'est pas non plus comme s'il avait envisagé à un moment de s'enhardir et de la renverser sur son bureau.

« Ce n'est pas non plus comme si tu en avais eu la capacité quand même l'envie t'aurait étreint l'entre-jambe ! »

Sa clavicule aurait eu tôt fait de calmer ses ardeurs. Cette douleur vive qui se répandait dans sa poitrine à mesure qu'il accentuait la pression sur le corps tremblant pulsait entre ses côtes, suffocante… comme un mauvais présage, comme un avertissement de ce qui l'attendait s'il s'obstinait dans cette voie… Et plutôt que de s'éloigner de la flamme, il l'avait embrassée pour ressentir au plus fort l'intensité de sa morsure.

Il a consacré des heures entières à se demander quel sens donner à tout ça… Tant à son propre comportement qu'à celui de cette peste impertinente. Qu'il soit plongé au cœur d'un travail de recherche ou en plein rassemblement mangemort, il a multiplié les absences avant qu'une remarque de Lucius ne lui fasse reprendre pied dans la réalité. Non seulement il n'est pas dans ses habitudes de compter sur la vigilance des autres pour couvrir ses arrières, mais plus le temps passe, plus il a la sensation détestable d'adopter le comportement d'une adolescente submergée par ses premiers tourments hormonaux.

La situation lui est d'autant plus intolérable qu'au déclin de prudence vient s'ajouter l'irritante frustration de la voir s'éloigner de celle qu'elle était ce soir-là à mesure que les jours passent. Après tout, peut-être son comportement actuel n'est-il qu'un écho au sien… s'il est honnête, il s'est rarement montré aussi aigri.

En dépit de l'assertion qu'il lui a servie selon laquelle elle ne savait plus lui mentir, il recommence à douter. Sans compter qu'à ces questionnements agaçants, vient s'ajouter l'irritabilité causée par l'inassouvissement.

Le cours de la vie a repris comme si aucun incident n'était survenu. Ses yeux ont rapidement cessé de trahir cette inquiétude coupable qui les animait quand elle les a posés sur la blessure à la base de son cou. L'indifférence qu'elle affiche aujourd'hui est presque aussi convaincante que la sienne. Presque… parce que s'il ne peut démentir l'impact de la proximité frustrante de son apprentie sur sa libido, la façon dont sa présence à lui affecte la jeune femme ne lui a pas échappé. Du hérissement du duvet sur sa nuque lorsqu'il se glisse dans son dos pour superviser son travail, aux frissons plus ou moins contrôlés qui la traversent quand il la frôle, pas une seule de ses réactions épidermiques n'est suffisamment discrète pour qu'il ne la remarque.

S'il s'astreint toujours à ce degré d'attention indispensable à sa survie, force est de constater que cette fille le distrait dès qu'il abaisse sa garde. Maintenir un équilibre devient de plus en plus difficile, de plus en plus usant. En dehors de quelques périodes d'accalmie, il doit admettre qu'elle parasite souvent sa concentration et s'il refusait de le reconnaître jusqu'alors, il a bien dû s'avouer, quand elle s'est mise à hanter ses nuits d'apparitions moites et indécentes, qu'elle emplit sa tête.

Assis à son bureau, la tempe appuyée sur son index, il observe l'impertinente s'affairer au-dessus d'un petit chaudron en étain d'où s'élèvent de pâles volutes bleuâtres.

Son ressentiment s'intensifie chaque jour davantage. Il devient plus irascible chaque heure écoulée à scruter cette proie qu'il s'interdit d'atteindre.

Certaines fois, la frustration générée par ses réflexions sans issue est si violente, le tiraillement des pulsions contradictoires à ce point aliénant, qu'il sent la colère le submerger avec une rapidité déconcertante.

Le manque n'aide certainement pas… Quelques étudiants et un paquet de camarades mangemorts en ont déjà fait les frais. Elle aussi d'ailleurs. S'il donne l'illusion d'être calme, il lui arrive de la provoquer, simplement pour la voir s'emporter, pour avoir le plaisir de la voir bouillonner extérieurement comme lui bouillonne intérieurement. Il se sent comme un fauve pris de frénésie qui se jetterait encore et encore contre les barreaux de la cage érigée par sa raison.

Tandis qu'il scrute les mains malhabiles replacer une mèche échappée d'un chignon lâche derrière son oreille, il écoute sa mauvaise conscience le seriner de ce refrain abject qui tient en trois petits mots si pitoyablement vrais :

« Elle t'obsède… »

Excédé par ses propres pensées, il s'arrache à sa contemplation pour tenter, une fois de plus, de dompter la bête qu'il devient inhumainement difficile de museler : il est convenu depuis un certain temps qu'il est dans son propre intérêt de ne pas la toucher.

Dans un effort de discipliner son esprit qui ne lui avait pas tant coûté depuis ses jeunes années, il s'oblige à replonger dans ses réflexions laborieuses. Les notes griffonnées en marge du parchemin qu'il noircit depuis plusieurs soirées sont presque devenue illisibles. Il a laissé traîner le projet au profit de tâches qu'il estimait prioritaires parce qu'il ne pensait pas qu'il lui donnerait tant de fil à retordre.

Depuis qu'il est devenu un allié de premier plan pour le Seigneur des Ténèbres et qu'il n'opère plus en coulisses, il a régulièrement l'occasion de constater par lui-même les dégâts que peuvent infliger ses inventions. Ça fait plus de vingt ans qu'il a gagné la confiance du Lord, vingt ans qu'il a décidé de lui faire l'honneur d'être le bras armé de ses propres créations. Cela fait plus de vingt ans qu'il a pris l'habitude de se voir directement confronté aux horreurs que son cerveau si brillant est en mesure d'infliger… Vingt ans qu'il ne livre plus de commande à Voldemort, poison ou malédiction, sans avoir acquis la certitude d'avoir élaboré un antidote ou un contre sort fiable.

Le Lord a montré les premiers signes de son impatience, il ne peut le faire attendre indéfiniment. Reste qu'il ne peut raisonnablement pas lui faire part de sa découverte : il ne peut pas libérer le mal sans s'être assuré de l'efficacité du remède. Il n'a pas encore réussi à élaborer un procédé de vérification rapide et inoffensif qui ne soit pas susceptible de répandre le fléau sur tous les habitants du château.

Il sait qu'il touche au but mais peine à évaluer la viabilité du dispositif destiné à contenir les effets dévastateurs du maléfice. La solidité de la barrière qu'il a conçue reste théorique et il doit absolument la mettre à l'épreuve. Une idée un peu folle lui traverse l'esprit tandis qu'il entoure une rune à l'encre noire. Folle mais pas plus insensée que de prendre le risque de placer une arme de destruction massive entre les mains du sorcier le plus dangereux de toute l'histoire de l'humanité.

Les pieds de son siège raclent le parquet quand il se lève pour traverser la pièce en direction de la petite bibliothèque réaménagée. Elle n'a pas la moindre réaction quand il passe à côté d'elle et s'engouffre dans sa chambre.

Il ne comprend pas pourquoi il n'y a pas pensé plus tôt. Peut-être parce que c'était trop évident… peut-être parce que garder un minimum de concentration est une lutte de tous les instants ces jours-ci… La seule compagnie de cette fille nuit de façon inadmissible à sa progression… quel que soit le domaine !

Ce n'est pas la première fois qu'il songe à demander à Dumbledore de lui faire débloquer une chambre dans une autre aile du château. Le but recherché était avant tout de la protéger de ses propres débordements, idée dont il a avorté pour les mêmes raisons quand il a été clair qu'elle était devenue une idée fixe pour la famille Malefoy. Cependant, s'il ne parvient pas à s'imposer plus de sérieux, s'il continue à être distrait par les pensées que lui inspire sa simple présence, il va bientôt être contraint de prendre des mesures drastiques.

Il ne peut accepter qu'elle interfère toujours plus avec les missions de première importance qui lui ont été confiées. Pas que l'évidence de la solution qu'il vient d'esquisser aurait frappé tout chercheur, mais lui… passer à côté d'indices aussi manifestes ne lui ressemble pas. D'autant qu'il en est désormais presque convaincu : ça peut fonctionner, si seulement il remettait la main sur cet ouvrage !

Les yeux rivés sur les rangées de livres qui s'élèvent jusqu'au plafond, il examine minutieusement chaque tranche de cuir reliée. Ses sourcils se froncent alors qu'il arrive au sommet de l'étagère sans avoir trouvé ce qu'il recherche.

Il balaye du regard le rayonnage en sens inverse, prenant le temps de s'attarder sur certaines couvertures. Accroupi devant le mur de grimoires, il scrute les dorures à moitié effacées d'un vieux volume avant de le remettre en place.

Il sent l'impatience le gagner : le recueil devrait être là ! Il est trop précieux pour qu'il en ait fait don à la bibliothèque de l'école et trop dangereux pour avoir pris le risque de le laisser se balader entre des mains inexpérimentées…

Mû par une prise de conscience soudaine, il détourne lentement le regard vers l'édredon qui retombe jusqu'au pied du petit lit. Une présence désagréable s'agite faiblement dans son estomac alors qu'il réalise que c'est exactement ce qu'il a fait.

Il se penche légèrement et tend le bras à l'aveuglette sous le sommier. Il n'a pas besoin de tâtonner longtemps pour que ses doigts butent contre les ouvrages manquants. Manifestement, elle n'a pas abandonné cette pratique en dépit du fait qu'il ait mentionné l'avoir découverte au début de son apprentissage. Il tire une pile de grimoires épais, levant au passage un épais nuage de poussière.

- Pas soigneuse avec ça ! grince-t-il des dents.

Tandis qu''il réfléchit à l'opportunité de remettre en place le charme de protection autour de sa collection de livres afin d'en assurer la préservation, il songe qu'il n'est pas réellement surpris par les titres sur lesquels elle a jeté son dévolu : Le marchand de mort – 150 filtres, sortilèges et potions indétectables ; Le guide des plantes toxiques et La nécrose de l'âme.

Il peut cesser de se torturer en questionnements et dormir sur ses deux oreilles : à n'en pas douter, elle étudie le meilleur moyen de le tuer ! Elle a même pris des notes, remarque-t-il alors que plusieurs morceaux de parchemins glissent d'entre les pages quand il se redresse.

Piqué par la curiosité, il déplie distraitement un feuillet et le parcourt rapidement…

Il lui faut un certain temps pour en comprendre les premières lignes. Son estomac fait une embardée lorsque la lumière se fait dans son esprit.

Il s'empare d'une autre liasse de papier et survole le texte qui assombrit les pages.

Perturbé, il replace distraitement l'ensemble des parchemins soigneusement pliées à l'intérieur du grimoire dont il a besoin pour les consulter à son aise derrière son bureau et insère les volumes restants sur l'étagère.

Avant de quitter la pièce exiguë, il s'arrête sur le pas de la porte et son regard se perd dans les mèches brunes grossièrement relevées, sur la ligne de sa nuque dégagée qui ondule de droite à gauche tandis qu'elle s'affaire à suivre les instructions sur le manuel des quatrième année.

Qu'est-ce que ça veut dire ? Pourquoi est-elle en possession de ces lettres ?

Elle ne lève même pas le nez de sa besogne lorsqu'il la dépasse.

Le claquement du lourd grimoire qu'il lâche sur son bureau la fait sursauter. Ses gestes se figent un instant et elle échappe un soupir agacé avant de reprendre la découpe des racines de mandragore. Elle ne daigne pas lui accorder le moindre contact visuel et il ne croit pas que lui parler de sa découverte maintenant soit une bonne idée… pas avant de comprendre la raison pour laquelle elle a détourné son courrier.

Il tente de garder son calme alors qu'il s'adosse contre son siège et tourne lentement les pages de l'épais volume. Il inspire profondément avant de s'emparer du premier parchemin signé de la main de Vivian Godway.

Il n'accorde pas vraiment d'importance à ce que racontent ces lettres : de viles flatteries en invitations diverses, elle a eu la main lourde sur le cirage destiné à lui lustrer le derrière et il imagine d'autant mieux la puissance de la gifle assénée par son silence, qu'elle croit volontaire, à la bourgeoise vaniteuse.

Quelques fautes d'orthographe ont été généreusement soulignées à l'encre rouge. La démarche pourrait presque le faire sourire si elle ne le préoccupait pas autant.

Il en compte sept au total. Sept missives plus ou moins longues, visiblement écrites entre l'anniversaire de Drago et… la plus récente date de la semaine dernière. Lucius ne mentait pas.

Il sent ses sourcils se froncer, ses prunelles sombres se braquent sur la jeune femme plongée dans sa préparation. Qu'est-ce qui a bien pu traverser cet esprit dérangé pour avoir conservé des correspondances qui lui étaient adressées ? Et pas celles de n'importe quel expéditeur !

Dans quel but ?

Elle sait pourtant qu'il est au courant qu'elle conserve des ouvrages qu'il est susceptible de vouloir consulter. Cherchait-elle à ce qu'il les trouve ? Quel intérêt peut-elle bien avoir à ce qu'il découvre qu'elle lui a caché plusieurs lettres expédiées par la sorcière ? Tient-elle à ce qu'il sache qu'il lui doit le fait de passer à côté de l'opportunité d'assouvir ses besoins les plusprimitifs ? Est-ce une ultime provocation ?

Si tel est le cas, elle n'est pas très futée. Elle ne réalise pas que Vivian Godway est pour elle une soupape de sécurité.

Elle renverse le contenu d'un petit flacon dans son chaudron en marmonnant dans sa barbe des indications inaudibles. Le regard inquiet, elle attend que le résultat escompté se produise en malmenant nerveusement sa lèvre inférieure de ses dents.

Il sent sa mâchoire se contracter.

Sa bouche esquisse un petit sourire de soulagement quand l'émulsion vire au violet.

Il déglutit.

Peut-être qu'il réfléchit trop. Peut-être n'avait-elle pas envisagé qu'il irait récupérer son bien jusque sous son lit, quoiqu'il lui ait signalé qu'il était au courant de ses petites habitudes. Même si elle n'est pas d'un naturel imprudent, elle a très sensiblement baissé sa garde depuis qu'ils ont débuté les cours particuliers.

Il examine le parchemin bruni et note l'ardeur avec laquelle sont entourées chacune des fautes qu'elle a relevées…

Peut-être ses actes ont-ils davantage été guidés par la haine qu'elle voue à Godway que par celle qu'elle lui porte à lui…

« Ça te plairait… »

Et même si c'était le cas, cela ne veut rien dire : éloigner le succube de lui c'est aussi le tenir éloigné d'elle.

« Tout à fait… alors n'espère pas que ça signifie autre chose. »

Pourtant, il ne peut pas empêcher l'idée que ça pourrait vouloir dire autre chose de l'asticoter. Il ne peut pas empêcher cette boule insupportable de peser dans son estomac.

Il étudie chacun de ses mouvements, examine la moindre expression. Il sait qu'elle sent le regard insistant sur elle. Il n'est pas dupe de ses airs imperturbables. Il sait que sous la tignasse brune aussi, se cache un admirable bordel.

Même s'il s'astreint à retourner à ses recherches, il ne peut empêcher son esprit de s'évader. A la moindre occasion, il prend la direction de ses récentes lectures.

Sérieusement ! Que va-t-il, que peut-il faire de ça ? Il ne peut absolument pas le lui mettre sous le nez tant qu'il n'a pas percé ses réelles motivations. Ce serait mettre en péril tout ce qu'il a réussi à bâtir pour le moment. D'un autre côté, il ne sent pas son cerveau capable de le laisser en paix.

Par Salazar, concentre-toi !

Il envisage toutes les éventualités qui pourraient amener le système de sécurité à s'effondrer… et retourne dans sa tête toutes les hypothèses qui auraient pu la mener à adopter un comportement aussi ambigu. Il jauge la puissance du contre sort, évalue son efficacité à l'aune de sa discrétion… et se lance dans des calculs de probabilité hasardeux concernant ses motivations réelles.

Le résonnement d'un objet métallique sur le plancher le sort de ses pensées. Quand il lève les yeux sur elle, sa tête est baissée, son visage enfoui dans une main, l'autre agrippée au plan de travail. Ses sourcils se froncent tandis qu'il examine la scène. Entre les doigts qu'elle a enfoncés dans le bois sombre, il distingue le manche nu d'un couteau. C'est quand il distingue un fin filet pourpre tracer son chemin entre ses phalanges qu'il comprend.

Il quitte son siège et contourne son bureau. Alors qu'il s'approche de la jeune femme, un cliquetis sous sa chaussure attire son attention.

Voilà la lame.

Il s'en empare avec précaution et du pouce, essuie le sang qui l'entache avant de la porter à son nez. L'odeur lui irrite les narines.

- Qu'étais-tu en train de couper ? s'enquit-il.

Elle ne répond pas à la question rhétorique, trop occupée à serrer les dents pour s'empêcher d'extérioriser sa douleur. Il a de toute façon déjà vu les racines de mandragore sur la paillasse. Pas étonnant que la lame ait cédé.

Sans plus attendre, il saisit le poignet teinté de rouge et l'écarte prudemment du visage tendu. Il relâche un souffle qu'il n'avait pas conscience de retenir en constatant que son œil n'est pas touché. Ce n'est pas passé loin cependant : l'entaille traverse le haut de sa pommette jusqu'au coin externe de l'œil droit. A en juger par l'afflux sanguin, ça n'a pas l'air de n'être qu'une petite coupure de surface.

C'est quand elle se dégage d'un mouvement brusque de la tête qu'il réalise à quel point il lui a été facile de l'approcher dans un premier temps… et il ne serait pas surpris que ce soit ce même constat qui ait poussé cette tête de mule à adopter un comportement soudainement aussi hostile.

Il sent sa mâchoire se serrer. Très bien, si elle veut la jouer comme ça…

Agacé par l'attitude de la sorcière, il ne se donne pas la peine de lui donner de plus amples explications avant de la traîner à sa suite en direction de la petite salle d'eau attenante à sa propre chambre à coucher.

En dépit de ses protestations bruyantes, il ne consent à la lâcher qu'une fois arrivé à destination. Tandis qu'il referme le tiroir dont il vient d'extraire un morceau de coton et un flacon d'antiseptique de sa composition, dont il sait par avance qu'elle n'appréciera pas les effets, il l'entend maugréer dans son dos.

- Je n'ai pas le souvenir de vous avoir demandé quoi que ce soit.

Résolument calme en apparence, il déchire le coton et en imbibe la moitié d'eau avant de se retourner vers elle.

- Et je n'ai pas le souvenir de t'avoir demandé ton avis.

Elle se renfrogne franchement et fait volteface en guise de protestation. Elle a passé la porte en sens inverse et se tient déjà devant son lit lorsque la voix grave s'élève.

- Assieds-toi !

Elle lui lance un regard courroucé par-dessus son épaule. Il ne sourcille même pas. Il s'avance calmement jusqu'à l'écraser de sa hauteur.

- Je te préviens, menace-t-il en la toisant avec une froideur savamment dosée, je n'ai pas l'intention de perdre mon temps à te courir après à travers les geôles : si tu ne te tiens pas tranquille, je t'attache !

Malgré la pénombre, il perçoit cette vague de dégoût emplir son regard.

- Assis ! tonne-t-il et elle se laisse presque instantanément tomber sur le bord du lit.

C'est presque trop facile, songe-t-il avec une satisfaction mêlée de méfiance.

Il suffit d'un mouvement de baguette pour qu'une timide lumière chaude éclaire son visage.

D'un geste léger et précis, il nettoie les abords de la coupure. Il l'entend siffler entre ses dents. Les doigts fins se resserrent sur l'édredon. A présent que la plaie est propre, il peut voir que ses contours sont gonflés et irrités. La sève de mandragore contient des actifs un peu plus corrosifs que le citron. Pas étonnant qu'elle ait mal !

Il n'a pas besoin de croiser son regard pour sentir que les prunelles fauves profitent de sa concentration pour vriller les siennes. Mais quand les obsidiennes dévient vers les iris cannelle, la proximité de leurs visages dissuade l'impertinente de soutenir son regard.

- Où sont tes gants de protection ? interroge-t-il en songeant qu'il y avait dans la composition de sa mixture un ingrédient qui aurait pu causer bien plus de dégâts que les racines sur lesquelles la lame a ripé.

- Quels gants ?

Il appuie volontairement sur la plaie. Elle laisse échapper un grognement et lui décoche un regard haineux.

- Ceux qui sont préconisés pour les préparations à risque sont au-dessus des moyens d'une petite bibliothécaire, lui fait-elle remarquer avec aigreur.

Il n'a pas été en contact avec la substance agressive, pourtant il a la sensation que c'est sous sa peau qu'elle se déverse à présent.

- Je t'en ai fourni une paire, tente-t-il de conserver son calme.

- Votre charité ne m'intéresse pas, répond-elle du tac au tac.

La spontanéité de la remarque suspend son mouvement. Il s'était presque déshabitué à la puérilité de certaines de ses répliques.

A quel moment son esprit s'est-il suffisamment égaré pour en être venu à envisager que les actes de cette fille pouvaient être guidés par des motivations plus fouillées que l'ambition d'être une colossale épine dans son arrière-train ?!

Inutile de lui faire remarquer qu'il a personnellement dépassé le stade des provocations de cour de récréation, elle ne comprendrait pas.

- Si ça peut t'aider à améliorer ton estime de toi, je peux toujours m'occuper de ta clavicule, propose-t-il, sarcastique.

- Je croyais que ce n'était pas pour moi que vous vous étiez interposé.

Petite garce !

La lueur de triomphe dans le regard brun l'insupporte.

- En effet, concède-t-il, conscient de s'abaisser à jouer une partie d'une médiocrité absolue, ta difformité actuelle est un défi suffisamment éprouvant à relever au quotidien sans qu'il soit besoin de le corser davantage.

Sans ménagement et avant qu'elle ait eu le temps de rétorquer, il s'empare de sa main droite et y fourre le morceau d'ouate souillé avant de le presser sur sa joue mutilée pour stopper l'écoulement de sang.

- Tiens ça en place, intime-t-il avec rugosité.

Il sent le regard pesant sur son visage tandis qu'il débouche le flacon de désinfectant.

- J'imagine qu'un visage fraîchement balafré ne serait pas au goût des convives du prochain guet-apens de Mr. Malefoy, lâche-t-elle avec une aigreur non dissimulée.

- De quoi tu parles ?

- De la réception de Noël dont se vante son chérubin de fils.

Il avait presque oublié les festivités annuelles au Manoir…

A présent qu'elle travaille officiellement pour l'école, il a une excuse en acier trempé pour la soustraire à ces rassemblements dangereux.

- Tu n'es pas invitée, précise-t-il d'une voix égale.

Maintenant qu'il y pense, il va devoir expliquer son silence des derniers mois à Godway en face à face et le détournement de son courrier par sa servante n'est pas une justification envisageable.

- Je me demande quelle pauvre fille ils vont brancher sur le secteur en guise de sapin, marmonne-t-elle pour elle-même et la remarque pourrait lui arracher un rictus s'il n'avait pas la certitude que c'est exactement le genre de pratiques auxquelles les plus abrutis par l'alcool pourraient se livrer dans le courant de la soirée.

Elle sort de ses pensées quand il glisse sa main entre les mèches brunes à l'arrière de son crane pour la maintenir en place. Elle se fige, ses yeux agrandis par le déplaisir du contact.

- Tu ne vas pas aimer, informe-t-il en s'avançant légèrement pour accompagner son mouvement de recul.

Elle laisse échapper un cri de douleur au moment où il plante le coton imbibé d'antiseptique contre sa pommette. Elle tente de se dérober en détournant la tête mais les doigts noueux se sont fermement refermés sur sa chevelure et l'immobilisent.

- Tiens-toi tranquille ! ordonne-t-il sèchement tandis qu'elle rue vers l'arrière.

Il l'accompagne dans sa chute et l'empêche de se dégager en coinçant sa tête contre le matelas.

La vipère s'agite dans son estomac lorsqu'il aperçoit une larme rouler sur l'arrête de son nez.

Il ne va tout de même pas culpabiliser d'essayer d'atténuer les conséquences de son imprudence !

- Si on ne neutralise pas l'acidité de la mandragore maintenant, la cicatrice sera permanente, explique-t-il après qu'elle ait arrêté de remuer.

« Ca ressemblerait presque à une excuse ! »

- Comme c'est avenant de vous assurer que je ne devienne pas trop rebutante pour vos amis.

En parlant d'acidité…

Il retire doucement le coton, le sang ne coule plus. La plaie a formé une légère mousse révélatrice de l'efficacité du produit. Agacé par la remarque alors qu'il examine de plus près l'allure de l'entaille, il répond distraitement.

- Si j'avais la certitude que les cicatrices pouvaient les tenir éloignés, je les dessinerais moi-même sur ton visage.

Il comprend au regard indéchiffrable qu'elle lui adresse que le message qui a franchi ses lèvres sonne moins odieux maintenant qu'il l'a formulé que lorsqu'il l'a pensé.

Les anneaux glacés se resserrent autour de sa trachée quand le trouble commence à gagner les yeux humides. Il y a vingt minutes encore, il était persuadé d'avoir fait une interprétation erronée de sa récente découverte sous son lit, d'avoir peut-être finalement forcé l'étreinte qu'elle lui a consentie quelques semaines plus tôt. Il était convaincu de n'avoir jamais inspiré que sa haine et sa défiance…

Comment fait-elle ?

Il a pourtant un sens de l'observation aiguisé, un ressenti sûr des personnes qui l'entourent… alors comment fait-elle pour faire voler en éclat ses certitudes les unes derrière les autres ?

Le fait qu'elle soit constamment en train de lutter contre les siennes n'y est évidemment pas pour rien. Quoi de plus facile que d'égarer le jugement d'autrui quand on est soi-même perdu…

Embarrassée par le contact visuel, elle détourne finalement le regard.

- L'instinct du propriétaire ?

Le ton est railleur mais ses yeux cherchent la sortie.

En toute honnêteté, il peine à déterminer si le but de la manœuvre est de se redonner une contenance ou bien de lui ménager une échappatoire afin qu'il mette un terme à une situation qui l'indispose indiscutablement.

La faible luminosité le laisse distinguer la rougeur qui s'étale sur ses joues. Il inspire profondément par le nez pour tenter de calmer la tension qu'il sent gagner peu à peu chacun de ses membres. S'il prend le temps d'examiner leur posture… Merlin, il ne doit pas examiner leur posture !

Etendue sur le lit, la tête tournée sur le côté, ses cheveux éparpillés tout autour d'elle comme un halo rougeâtre à la lumière du sort qu'il a invoqué, son regard brillant le fuit désespérément. Sous sa paume, il sent les pulsations effrénées de son cœur drainer le sang jusqu'à sa blessure. Sa peau est insupportablement chaude.

Il promène son regard sur le visage crispé, sur les lèvres entrouvertes qui frémissent de temps à autre, sur son cou découvert, sur sa poitrine qui se lève et s'affaisse anormalement vite… C'est comme s'il prenait conscience uniquement maintenant de la position dans laquelle ils se trouvent, de la présence de son genou contre sa cuisse…

Il a envie d'elle…

Il peut d'ores et déjà chercher une explication viable à servir à Vivian Godway lors du banquet de Noël, parce qu'il a l'intuition que la bourgeoise va, une fois de plus, être un exutoire à sa frustration.

Il observe le mouvement dans sa gorge quand elle déglutit et se retient d'y planter ses dents, simplement pour l'entendre gémir, pour sentir son corps convulser contre le sien.

Il ne peut absolument pas avouer à la sorcière ce qu'il est réellement advenu de ce courrier… D'ailleurs, que pourrait-il lui expliquer ? Lui-même n'a aucune certitude sur les raisons l'ayant poussée à faire ce qu'elle a fait.

Très consciente de l'examen dont elle fait l'objet, elle garde obstinément son regard figé loin de lui.

Il ne peut pas rester dans le doute… il a besoin de savoir pourquoi elle a fait ça.

- Quoi d'autre ? répond-il à la question avec un détachement qui arrache à la jeune femme un léger froncement de sourcils.

Encouragé par la grimace qui déforme des lèvres pâles, il continue.

- Ce n'est pas parce que je refuse de te toucher, que j'accepterais que d'autres le fassent, risque-t-il.

Le regard noir qu'elle lui lance du coin de l'œil lui confirme qu'il fait vibrer la bonne corde.

- C'est vrai… la peau blanche et immaculée, bien apprêtée, bien maquillée, les ongles soignés… j'avais oublié votre penchant pour les bourgeoises écervelées, cingle-t-elle en se fendant d'un rictus méprisant.

Il n'a pas eu besoin de beaucoup la pousser pour qu'elle y vienne d'elle-même.

- De manière générale, répond-il avec la même ironie, je préfère l'éducation d'une famille aristocratique au charme primitif de la rue.

Il n'a que le temps de refermer ses doigts noueux sur les épaules brunes et de la plaquer avec force contre le matelas pour avorter sa tentative de se redresser.

- Vu votre engeance je peux comprendre que vous baviez devant des poupées de cire de cette espèce, se moque-t-elle avec une aigreur palpable, mais de leur côté, je comprends mal pourquoi elles s'échinent à rechercher votre compagnie.

La colère et l'excitation se disputent la place dans sa poitrine : a-t-elle conscience de ce qu'elle vient de dire ?

Lentement, il bascule son poids sur ses avant-bras et se penche vers l'avant. Quand il est sûr d'avoir capté son regard, son nez à quelques millimètres du sien, il s'autorise à afficher ce rictus qui démange ses lèvres depuis qu'elle a laissé échapper ce demi-aveu.

- Qui s'échine à rechercher ma compagnie ? susurre-t-il avec une innocence feinte.

Les pommettes de la jeune femme s'empourprent davantage encore si c'est possible tandis qu'il contemple avec délectation l'expression déconfite qui s'encre peu à peu sur son visage. Les iris bruns cherchent désespérément une porte de sortie. Tout son corps pousse vers le haut pour se dégager.

L'agitation de la captive devient contagieuse. Sa bouche se tord nerveusement et laisse échapper une plainte qui le tend à son tour.

Comme il la regarde se contorsionner avec une fougue nouvelle, il s'interroge sur la cause de son malaise : est-ce qu'elle se sent insultée, honteuse, ou simplement en danger ? Cette constante incertitude le frustre d'autant plus qu'il ne peut pas céder à ses pulsions.

Il doit se faire à l'idée qu'il n'en saura pas davantage, pas ce soir et surtout, qu'il doit arrêter le jeu maintenant avant qu'il ne dérape.

Dans un mouvement rapide et résigné, il la saisit par les poignets et la remet sur ses pieds. Elle parait désorientée un bref instant. Il profite de ces quelques secondes de répit pour examiner la fine trace rouge sur le haut de sa pommette, pressant légèrement la peau souple du bout du pouce.

Elle frissonne.

- Tu ne devrais pas garder de cicatrice, déclare-t-il.

Son regard est indéchiffrable. A la fois perdu et douloureux.

Comment peut-elle le regarder comme ça ?

Merlin, il crève d'envie de l'étendre de nouveau sur ce lit et de la ravager encore et encore jusqu'à ce que la frustration emmagasinée durant les mois passés s'apaise enfin.

Il se contente d'expirer bruyamment l'air de ses poumons et de retirer sa main avant de lui faire remarquer ce qui, dans sa démarche globale, semble échapper à son apprentie.

- C'est dans ton intérêt que des femmes comme Godway existent.

oOoOoOo

J'espère que vous avez apprécié ce petit cadeau de Santa Saizo et que vous aurez à cœur de lui faire le plaisir d'un petit cadeau à votre tour en lui laissant un petit commentaire.

Chapitre 44 : Le pari, bientôt en ligne ;)