Chapitre 1 : « Spinner's End's princess »

Quoi de plus effrayant qu'une enfant de quatre ans qui tient des discours de ministre ? Cette gamine a toujours été dotée d'une verve et d'une précocité hors du commun, ce qui aurait pu en faire une sorcière exceptionnelle, si seulement… Qui de nos jours, en particulier chez les moldus, sait lire à cet âge-là ? Cette sale vermine, censée représenter l'avenir d'une nation ; ces enfants pourris gâtés, sont devenus pires que des larves. Celle-là… elle était différente.

Ses parents, comme nombre de familles moldues, habitaient cette rue : Spinner's End. Je ne l'apercevais jamais beaucoup, je n'étais présent dans ce sordide quartier que lors des vacances scolaires d'été. Je ne la connaissais pas plus que ça, mais déjà à l'époque, je ne l'aimais pas. Afficher une telle arrogance lorsqu'on est encore trop petit pour donner la main à ses parents sans avoir à se hisser sur la pointe des pieds, devrait être puni d'une condamnation à mort. Ces gamins-là ne font jamais des individus respectables.

Respectables… pff… quelle ironie dans sa bouche, quelle dérision ! Il ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire âcre. Il se rappelle la fois où il l'a croisée pour la première fois, dans cette même rue. Elle tenait fièrement serrée entre ses bras, une peluche représentant un gros chien noir… gros… pour le gabarit de l'enfant à l'époque. Déjà ce simple détail l'avait incommodé au plus haut point, il ne n'avait pu s'empêcher de repenser à Black, ce petit crétin… son ennemi de toujours… malheureusement, il ne pourrait jamais prouver sa supériorité sur lui à l'occasion d'un duel. Quel gâchis qu'il ait été tué d'une manière aussi ridicule ! … Il aurait tant aimé y être pour quelque chose…

Il se rappellera toujours ce regard plein de mépris qu'une fillette lui avait adressé… trois ans seulement… si ses parents n'avaient pas été présents, je pense que je ne me serais pas embarrassé de formalités… j'aurais pu la tuer sur le champ. Le regard noir du maître des potions avait toujours eu l'effet qu'il désirait sur les gens qui avaient le malheur de le rencontrer… Le regard d'un mangemort porte malheur à celui qui le croise.

Pourtant, elle n'avait pas cillé. Il avait entendu ses parents la réprimander, lui dire que fixer les gens de la sorte ne se faisait pas : « c'est impoli ma chérie ! » Ma chérie… une peste pareille… quelle niaiserie ! Mais elle, n'avait pas détaché ses yeux des siens, elle s'était contentée d'esquisser un sourire méprisant, un regard étrangement froid pour une fillette de cet âge… un regard, qui bêtement, l'avait marqué plus qu'il ne l'aurait cru… plus qu'il n'aurait dû.

Ce… couple, et il ne pouvait s'empêcher d'y penser avec un rictus de dégoût, paraissait être tout ce qu'il y a de plus propre et respectable. Et là encore… Ils étaient très appréciés par le voisinage. Pourtant, personne ne pensait plus de la même manière lorsque tout avait basculé pour elle. Les habitants de cette rue allaient certainement mourir un jour étouffés par l'hypocrisie.

Lui-même, à son arrivée en ce lieu, avait fait l'objet de quelques rumeurs douteuses. Heureusement, la tendance à la lâcheté de ces gens-là est telle qu'ils agissent différemment de la manière dont ils pensent… à supposer qu'ils soient capables de penser dans l'individualité. Enfin, heureusement… tout est relatif.

Ils vivaient en face de chez lui, il n'avait donc pas pu manquer ce changement. L'été qui avait suivi sa première rencontre avec elle, alors qu'il revenait dans sa demeure pour y passer les vacances, il l'avait revue. Il ne l'avait pas reconnue de suite, d'ailleurs, il avait failli ne pas la reconnaître du tout. C'étaient ses yeux qui l'avaient trahie, toujours aussi fiers malgré l'insalubrité de ses nouvelles conditions de vie. Elle avait tellement changé : elle qui était toujours bien mise était devenue d'une saleté repoussante, son visage et ses bras étaient recouverts d'écorchures et de cicatrices, son teint d'une pâleur de cadavre. Mais le plus effrayant était qu'elle semblait avoir beaucoup trop vieilli pour que seulement un an se soit écoulé depuis la dernière fois qu'il l'avait vue.

En un mot, elle était misérable.

Il n'avait pas tardé à connaître les causes d'une telle évolution, les rumeurs allant bon train dans le voisinage. Ce couple de moldus s'était avéré comporter un sorcier. Au moment où elle avait eu quatre ans, âge auquel débute normalement l'apprentissage magique d'un sorcier, son père avait révélé la véritable nature de sa condition. En apprenant la nouvelle, elle se serait enfuie, abandonnant derrière elle, enfant et mari, il ne l'a pas supporté, il en est mort. Que de sensibleries !

Et surtout, quel dommage ! Une fillette si précoce, mais cracmole… du moins, si elle ne l'était pas, elle le deviendrait sûrement. Un enfant dont les dons magiques ne sont pas exploités, perd ses facultés. Non stimulées, elles finissent par disparaître.

Personne n'avait pris soin d'elle, malgré l'affection que tout le monde disait lui porter. Cela fait quinze ans maintenant qu'elle jonche les ordures de cette même rue, toujours postée au même endroit : sous la fenêtre de son ancienne demeure. Même si ses yeux ont perdu cette lueur de rouerie, l'arrogance déplacée qu'ils dégagent compte tenu des circonstances, lui a valu le surnom de : « Spinner's End's Princess », la princesse des ordures, comme se plaisent à railler les adolescents boutonneux qui la persécutent depuis qu'elle a atterri dans la rue. La princesse de la rue… surnom qui pourrait paraître déplacé si l'on fait abstraction du fait qu'elle en a été affublé alors qu'elle n'avait que quatre ans par des gamins du même âge. Elle ne semble survivre au milieu des immondices que pour être la cible de leurs moqueries. Elle trône là, comme attendant la venue de quelque chose ou quelqu'un, durant des journées entières.

D'ailleurs, il ne peut démentir le sentiment, presque de satisfaction qui l'avait envahi lorsqu'il avait appris sa nouvelle condition. Il n'est pas génétiquement programmé pour la culpabilité.

Ça t'apprendra à arborer des airs de sang bleu.

Non, rien à faire, il ne l'apprécie vraiment pas, … et pourtant…

Il se souvient même avoir vu cette bande de décérébrés l'agresser en pleine rue, sans retenue, et devant témoins. Personne n'avait daigné la secourir. Qui porterait secours à un sans-abri ? Lui-même regardait faire de derrière les carreaux de son salon, pas qu'il aurait été incapable de mettre un terme à ces gamineries… il n'en ressentait tout simplement pas l'envie. Ses étés sont si mornes qu'ils ont bien besoin d'être égaillés de temps en temps. Il regarde, observe, parfois depuis la fenêtre de ses appartements, avec une férocité et un élan de sadisme presque malsains, toutes les souffrances quelle endure, patientant, attendant ardemment jusqu'au jour où il verra cette dernière lueur de fierté quitter les yeux voilés.

Mais malgré son état lamentable, elle s'efforce de rester digne…

Digne de quoi ? De ramper dans la fange et dans la boue ? De vivre comme un rat d'égouts ?

Puis, petit à petit, le mépris s'est transformé en indifférence, il ne faisait plus que se demander, chaque été lorsqu'il la revoyait, comment elle faisait pour résister aux rudes hivers qu'offrait la Grande-Bretagne.

Toutefois, son regard à elle vis-à-vis de lui n'a pas changé, c'est toujours le même : haineux et impérieux. Elle n'a rien, outre son aspect repoussant, susceptible d'attirer la sympathie. Et pourtant…

En Angleterre, les étés sont pluvieux. Il se souvient de l'avoir observée des heures durant, elle assise entre des cartons boueux dégageant une odeur pestilentielle de pourriture, sous une pluie battante, soutenant son regard, sans jamais cligner une seule fois des paupières… presque comme si sa vie en dépendait.

Jamais elle ne quémanderait l'aide ou encore la charité de quiconque, son code d'honneur l'interdit. Lorsqu'elle vous regarde, entre ses rideaux de cheveux crasseux, elle semble interdire avec une féroce volonté quiconque de l'approcher.

La gamine à la verve exacerbée, ça fait quinze ans que je n'ai pas entendu le son de sa voix.

Chaque été, lorsque je rentre de l'école de sorcellerie, je me demande toujours vaguement comment elle peut bénéficier d'une croissance aussi normale compte tenu de conditions de vie aussi déplorables… comment et surtout, pourquoi elle s'acharne à vouloir continuer à vivre.

Je n'ai jamais éprouvé de sympathie à son égard, sa situation ne m'a jamais culpabilisé, alors pourquoi maintenant ? … De la pitié ? … non, plutôt du dégoût et une animosité prononcée. Des remords ?... Tss ! Foutaises. Je ne connais pas aussi bien le sens de ce terme que semble le croire le vieux fou… Des crimes réputés atroces, j'en ai commis… par centaines. J'ai participé à ce genre d'assauts qu'on pourrait qualifier de boucheries, je n'éprouve à ce jour qu'une vague nausée lorsque j'y repense. Y compris sur des femmes du temps où je vouais au Seigneur des Ténèbres un véritable culte et une loyauté sans faille… des plus jeunes, biens plus attirantes et plus fragiles… parfois encore vierges, souvent même… Et pourtant, je ne m'étais encore jamais posé de cas de conscience à ce sujet jusqu'à ce jour.

Je ne faisais qu'attendre… avec une impatience presque indécente, le jour où je verrais cette petite flamme d'amour propre dans ses yeux arrogants s'éteindre… Cette lueur est tout ce qu'elle semblait posséder, son extinction signifiait sans doute la fin, la fin de tout ce qu'elle est encore.

Curieusement, et je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi, quand ce jour a fini par arriver, je n'en ai pas éprouvé autant de plaisir que je l'aurais souhaité.

Aujourd'hui même, en revenant du Chemin de traverse, il l'a vue se faire bousculer, toujours par les même voyous comme c'est devenu monnaie courante depuis des années. Jamais elle ne crie, jamais elle ne pleure. Seulement, avec les années, ces gamins stupides se sont changés en de sombres crétins au cerveau saturé par les hormones, incapables de réfléchir avec la partie supérieure de leur anatomie. Elle, elle n'a rien pour elle, seuls ses yeux demeurent une source d'étonnement perpétuel. Mais, en bons adolescents raisonnant avec leur entrejambe, son aspect ou sa saleté repoussante semble être la dernière de leurs préoccupations. Ils ont avant tout des besoins bestiaux et primaires à assouvir. Ce qu'il est après tout, mal placé pour condamner étant donnés ses antécédents.

Il n'a jamais éprouvé le besoin d'intervenir et pourtant… il n'a pas supporté de les voir la toucher de cette manière-là, il ne sait pas pourquoi… sans doute parce que c'est trop facile de briser une femme de cette façon. Il n'a jamais aimé jouer la carte de la facilité pour atteindre l'un de ses objectifs. C'est bon pour les lâches et pour les faibles.

Il n'a jamais entendu ses cris ni vu couler ses larmes, pas même après une persécution. Mais aujourd'hui, il a senti, il ne sait pour quelle obscure raison, la colère monter en lui et embrumer sa tête.

Cependant, sa fierté à elle est là, toujours, et il se refuse à intervenir tant qu'elle n'aura pas exprimé clairement le besoin d'une aide extérieure.

Lorsque l'un de ces abrutis a essayé de lui retirer son pantalon après l'avoir débarrassée de sa seule chemise, il a assisté à un phénomène dont il n'aurait jamais pensé qu'elle aurait pu être l'origine s'il ne l'avait pas vu de ses propres yeux. Le garçon en question s'est trouvé expulsé par une sorte de halo pourpre que les autres ne semblent pas voir. Lui, l'observe toujours derrière la fenêtre du rez-de-chaussée, sourcils froncés, ses nerfs étant à chaque minute, soumis à une pression de plus en plus difficile à gérer. Ils l'ont à présent immobilisée à force de la frapper et pratiquement mise à nue.

Il n'interviendra pas… pas avant qu'elle ne ravale sa fierté mal placée… il sait qu'elle le voit. Elle sait qu'il observe la scène. Et quand cette faible lumière qui continuait douloureusement de briller au fond de son regard, quand tout son amour propre s'est envolé, qu'il a vu cette unique larme couler sur la joue tuméfiée et ses yeux bruns lui lancer ce regard suppliant à sauver le peu d'honneur qui lui restait,… il a cessé de se contenir. Il a explosé, tout en étant le premier étonné de la violence de sa réaction. Une fois sa haine déversée, il ne souciait plus guère d'en avoir expédié plus de la moitié à l'hôpital.

Il ne l'a pas supporté. Non, il n'a pas supporté de voir des individus si peu honorables apposer leurs mains source de souillures sur elle qui luttait à chaque instant pour préserver un semblant de dignité. Il n'a pas supporté de les voir essayer d'abuser d'elle de la sorte. Elle n'a jamais inspiré sa pitié, il n'a jamais culpabilisé lorsque lui-même avait abusé de l'innocence de quelqu'un… mais là, c'est différent. Personne n'avait eu à livrer le combat de cette gamine. Et pourtant…

Je sais pertinemment que je n'aurais pas dû, j'ai commis une erreur monumentale en l'emmenant ici. Elle a perdu connaissance juste après que ses agresseurs aient été neutralisés. Il n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi il est intervenu. C'est comme si son bon sens s'était mis en veille. En la voyant ainsi évanouie dans la boue, trempée, à moitié nue et recouverte de blessures diverses, il n'a pas réfléchi : il l'a recouverte de sa cape sans plus attendre et l'a conduite en lieu sûr…

Chose ô combien curieuse si l'on tient compte du fait que la sécurité de cette fille n'a jamais été une préoccupation jusqu'alors. Il ne comprend pas, il déteste lorsqu'il ne comprend pas le sens de ses propres actes. Lui qui est toujours posé et réfléchi… Merlin ce qu'il peut détester quand les évènements prennent une tournure qui lui échappe !

Et maintenant, dans quel bourbier il se trouve ! Qu'est-ce qui l'a pris ? Tout ça est ridicule, ça ne rime à rien ! Il ne sait pas pourquoi il l'a fait, mais maintenant, il se retrouve assis devant elle pour la première fois.

Il lui fait face, à ce visage pâle ravagé par la misère et les coups, toujours inconscient… Il n'a plus le choix… elle est là, sur ce fauteuil, à moins d'un mètre de lui. Et à présent, il ne sait pas ce qu'il va pouvoir en faire. Il va lui falloir trouver une solution rapidement à cet acte inconsidéré. Comment va-t-elle réagir quand elle reprendra ses esprits et qu'elle se rendra compte du lieu où elle se trouve alors qu'ils se sont toujours respectueusement méprisés ?

Non, jamais il n'aurait dû l'emmener chez lui.