CHAPITRE 8 : LA VIE QUI JAMAIS NE FUT

Le repas était terminé. Il était temps. Erik s'éclaircit nerveusement la voix et se lança :

"Christine, j'ai quelque chose à vous montrer."

La peur dans sa voix devait être audible car Christine releva la tête, alarmée.

"C'est une surprise pour vous", ajouta-t-il. "J'espère que vous la trouverez à votre goût."

Erik se leva et lui tendit la main. Elle ne la prit pas mais continua de le regarder avec suspicion.

"Ce n'est rien, vraiment", fit-il.

Enfin, après un long moment, elle tendit sa main avec hésitation et le laissa la diriger vers la salle de dessins.

Les plans étaient toujours sur le bureau, roulés et alignés côte à côte. Erik prit le premier, un dessin de la façade et des jardins , et l'ouvrit. Il se recula, en faisant signe à Christine de regarder. Elle fronça les sourcils d'appréhension en se penchant pour examiner la feuille. Mais quand elle vit les saules pleureurs près de l'étang, les vignes qui grimpaient aux fenêtres du second étage, le banc en pierre sous l'hémisphère parfait d'une rotonde, le charme et le romantisme de cette scène la séduirent et elle sourit.

"Erik, c'est magnifique", commenta-t-elle, le visage brillant et adorable. "C'est pour quoi ?"

"C'est pour vous. Je vais la construire si la maison vous plait."

Elle se tourna rapidement vers lui, l'appréhension de retour au grand galop.

"Je ne comprends pas. Si je dois vivre là… et bien, où serez-vous ?"

Erik était stupéfait. Il avait toujours pensé qu'elle connaissait ses intentions, qu'elle comprenait qu'il voulait jouer le rôle du mari et leur donner une vie normale. Il s'était préparé à la possibilité que cela ne la rende pas heureuse, mais il n'avait jamais anticipé une incompréhension totale de sa proposition. Cela lui sembla être un mauvais signe. Si elle ne savait pas à présent ce qu'il voulait, elle ne se rendait sans doute pas compte qu'elle lui avait promis de l'épouser. Et si elle ne réalisait pas cela, si elle était si coupée de la réalité, alors elle n'était peut-être pas consciente de ce qui se passait dans sa chambre la nuit, après tout. Peut-être qu'il ne satisfaisait pas ses désirs cachés, mais qu'il prenait avantage de son état de confusion. Mais les jeux auxquels elle jouait, un visage le jour, un autre la nuit, intentionnels ou non, détruisaient ce qui restait de raison en lui. Christine avait besoin de savoir ce qu'il voulait une bonne fois pour toute ; il était temps d'abattre ses cartes.

"Je vivrai là aussi", répondit-il d'une voix crispée.

"Oh."

Et elle fixa le sol.

Erik déplia le second plan, représentant les pièces des deux étages, avec une impression de fatalité croissante. Comment réagirait-elle à l'information dessinée sur le papier ?

Chaque pièce était accompagnée de sa désignation, écrite de l'écriture en bâton puéril et minuscule d'Erik. Il n'y avait que trois pièces à l'étage : la salle de bain, un grand bureau, la chambre de maître. Les yeux de Christine fouillèrent le dessin, le rez-de-chaussée et le premier pendant de longues minutes, lisant, relisant, pour essayer de comprendre. Finalement elle parla et sa voix était empreinte d'une peur nerveuse.

"Erik, je ne comprends pas… Il n'y a qu'une chambre."

Elle désigna la pièce en question.

"Oui, ma chère", dit-it doucement. "Une seule chambre pour un couple marié."

Elle pâlit et sa main alla à sa gorge, signe de terreur. En reculant, horrifiée, sa bouche s'ouvrit, et un gémissement pathétique en sortit. Elle heurta le mur et se laissa glisser sans forces, jusqu'au sol et elle réussit enfin à parler.

"Oh non non non", gémissait-elle. "Je suis une gentille fille, une gentille fille."

Erik l'avait déjà vue dans cet état, et il revit brusquement la première fois où son visage avait été saisi d'une telle horreur : la nuit où elle avait arraché son masque, et il sentit une douleur brûlante naître en lui, mélange de misère, de colère et de haine. C'était terrible de la voir comme ça maintenant, alors qu'il avait tant espéré la rendre heureuse. En un instant, elle avait réduit tous ses rêves en cendres et le laissait sans rien, rien qu'un animal sans le droit de rêver ou de désirer.

"Quel est le problème ?" cracha-t-il. "Tu avais accepté, tu ne te rappelles pas, de m'épouser ! Vas-tu me rejeter, me tourner le dos, devenir la petite séductrice et me trahir alors que je t'ai toujours aimée et que je donnerais tout rien que pour te serrer contre moi la nuit ?"

Il s'arrêta pour avaler de grandes bouffées d'air entre les sanglots haletants et misérables qui secouaient tout son corps.

"J'ai été gentil, pourtant ? Je n'ai jamais pris ce que je voulais le plus, même si tu m'as tenté au-delà de toutes mesures et cela bien trop de fois ! Je ne t'ai jamais blessée et je ne t'ai jamais rien refusée quand tu m'ouvrais les bras la nuit !"

"Je… Je ne demanderais jamais ça… Je ne vous laisserais jamais me toucher", bégaya-t-elle, hystérique et en larmes. "Je suis une gentille fille, une gentille fille."

"Non, jamais moi. Jamais consciemment alors que tu te jettes sur un beau visage à la première occasion !"

Il se mit à rire, d'un rire terrifiant et dégoûtant.

"Ha, petite idiote ! Tu ne sais pas ce que tu veux. Tu me rejettes parce que je ressemble à un cadavre, et l'homme que tu aimes et que tu désires, dont tu espères le secours, que tu embrasseras et à qui tu feras l'amour la nuit, eh bien, c'est un cadavre !"

Et le terrible rire reprit, fou et inconscient de tout sauf de la joie perverse qui venait avec la réalisation qu'il avait été meilleur que le jeune mort.

"Qu'est-ce que tu veux dire ?" demanda Christine, et sa voix était si faible qu'Erik ne l'entendit pas, mais elle se força quand elle répéta :

"Qu'est-ce que tu veux dire ? Qu'est ce que tu veux dire ? Erik ! Erik ?"

Elle se leva, et courut à lui, le frappa de ses faibles poings.

"Il est mort ! Il est mort !", cria-t-elle.

Et brusquement, elle fut calme et ses poings retombèrent. Elle recula de nouveau.

"Tu l'as tué cette nuit là, n'est-ce pas ? C'était l'eau, n'est-ce pas ? Tu l'as tué et tu ne me l'as jamais dit. Tu m'as fait croire qu'il était en sécurité, tu m'as fait croire que tu avais rempli ta part de contrat. Oh mon dieu ! Je t'ai laissé me caresser ! (Elle eut le souffle coupé) Je t'ai laissé faire, je te l'ai demandé, espèce de meurtrier ! Monstre !"

Elle se frotta les bras d'incrédulité horrifiée, de plus en plus vite, de plus en plus durement, ses gestes devenaient frénétiques, ses ongles s'enfonçaient dans sa peau, sa poitrine, grattant, déchirant le tissu et la peau. Du sang apparaissait dans les coupures mais ses ongles approfondissaient encore les blessures.

Elle était folle, criait n'importe quoi, elle essayait hystériquement de punir la peau qui avait apprécié le toucher de cette créature. Terrifié, Erik l'agrippa par les poignets, les abaissa, mais elle hurla quand il la toucha et se débattit violemment. Il ne la lâcha pas mais raffermit sa prise, désespéré d'arrêter cette explosion, de la calmer, de lui donner du laudanum pour lui faire tout oublier et revenir à leur précédent bonheur. Comment avait-il pu demander plus et prendre le risque de perdre la seule paix qu'il n'ait jamais connue ? Oh, il ferait n'importe quoi pour qu'elle lui pardonne, qu'elle oublie ce qu'il avait dit, la maison, il ferait n'importe quoi pour revenir une heure en arrière.

"C'était un accident, Christine, je ne voulais pas le tuer."

Il pleurait ouvertement maintenant, le visage enfoui dans les cheveux de Christine, en la tenant de derrière.

"Je t'aime, c'était juste un accident. Je ne pouvais pas te le dire, je t'en supplie, pardonne-moi, ma chérie, mon ange, mon seul bonheur…"

Mais elle n'entendait pas, car le hurlement, qui avait commencé quand il l'avait attrapée par les poignets, continuait, interminable, et remplissait la maison d'une folie rauque. Erik la maintenait immobile, en larmes dans ses doux cheveux qui sentaient le lilas, comme une énigme féminine qui l'attirait mais qu'il ne découvrirait jamais. Il écoutait ses cris infernaux, qui augmentaient la peur en lui à chaque instant passé, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus le supporter.

"Je t'en prie Christine !" pleurait-il. "S'il te plait, arrête, s'il te plait ! Je t'en supplie !"

Mais peu importait ce qu'il disait ou ses suppliques, elle continuait de hurler.

"Je ne le supporte plus", cria-t-il d'une voix perçante. "Je t'en prie, arrête ! C'est horrible ! Je te ferai arrêter si tu n'arrêtes pas toute seule ! Tu veux que je te touches ? Je le ferai ! Je toucherai ton visage !"

Mais elle continuait. Il tint ses deux poignets dans une main, et plaça l'autre contre sa bouche. Cette dernière était aussi douce que dans ses souvenirs, et il pouvait sentir son souffle chaud sur sa paume tandis qu'elle se débattait. Des images lui vinrent à l'esprit, des images heureuses, où il l'embrassait, le regard qu'elle avait quand elle l'appelait du doigt pour qu'il grimpe dans son lit. Il se souvint de la nuit où il l'avait tenue exactement comme maintenant, de derrière et comment elle s'était détendue contre lui, confiante et souple. Comment il avait embrassé son cou et comment cela l'avait fait frissonner. Ce n'était pas encore trop tard, non ? Pour retrouver cette joie. Lentement, il abaissa sa tête mais le masque empêchait tout contact ; il ne pouvait pas l'embrasser.

Et pourtant, comme il en avait envie, un baiser de plus. Et l'Amour, suprême et passionné, le traversa soudainement pendant qu'il arrêtait de la bâillonner pour enlever son masque. Christine resta silencieuse, même quand il posa ses lèvres dans le creux de son épaule. Pendant une seconde, douloureusement exquise, il crut qu'elle l'acceptait. Puis il la regarda, et il vit que sa tête pendait mollement sur le côté, et que le bras qui enserrait sa poitrine ne se soulevait plus avec une respiration. Il s'écroula par terre, en haletant, et Christine tomba avec lui. La tenant dans ses bras, il vit que son visage était marqué d'une empreinte de main, rouge et profonde, autour de sa bouche et sous son nez. Ses yeux bleus étaient ouverts, et brillaient à la lueur des bougies, bien que leur vide l'horrifiait. Tout était immobile. Christine n'était plus.

C'était étrange, car bien qu'il n'avait jamais imaginé qu'un pareil mal puisse arriver à Christine, Erik savait exactement quoi faire. Il essuya son visage plein de larmes, et la porta jusque dans sa chambre à lui. Le cercueil était ouvert, le couvercle étayé contre le bord. En la serrant fortement, il s'allongea dans son lit et la coucha sur lui. Il eut du mal à faire bouger le couvercle avec elle sur lui mais grâce à sa force inhabituelle, il le souleva et le posa sur le cercueil. Il restait une fente lumineuse et dans la lumière restante, il examina encore une fois Christine. Dans cette maison existait une potion qui hâterait son passage. Mais il n'avait plus que très peu de temps à passer avec elle et chaque seconde vaudrait la souffrance. Il tira le couvercle et la lumière disparut, pour ne plus jamais éclairer le couple de nouveau.

Il avait espéré partager son lit, mais à la fin, ce fut elle qui partagea le sien.

FIN.

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RAR :

Miliem : Hé oui maître jedi, je leur ai fait très mal. Au C... Coude. Alors cette fin ?

Titus de Mystique : Mais ? Moi avec un costume de pompom girl ? Mais t'as bu ?

Voila ! Fin de l'aventure, mais I'll be back !

Bisous à tous et merci pour vos gentilles reviews.

Ripper de la Blackstaff