La fin

Le sortilège de stupéfixion ayant été assez violent, Madame Pomfresh avait préféré garder Ron toute la nuit. Heureusement, habituée aux frasques des élèves, elle n'avait pas posé de question. Harry n'avait que modérément envie d'expliquer la raison de la présence à l'école en pleine nuit de Lucius Malefoy.

Quand il se rendit à son chevet, le lendemain peu avant midi, Ron dormait. Harry attendit un peu pour voir s'il allait se réveiller, redoutant en même temps ce moment car il faudrait alors lui expliquer pourquoi il s'était fait stupéfixer.
Perdu dans ses pensées, il sursauta en sentant une main sur son épaule.

- Bonjour, dit Drago. Je pensais bien te trouver là.

Il tira une chaise à côté de Harry et s'assit. Il sembla chercher ses mots pendant un moment, puis dit :

- J'ai attendu jusqu'à onze heures vingt hier soir. Puis je me suis dit que tu ne viendrais pas alors je suis parti.

- Je n'ai lu ton message qu'à onze heures et demie, répondit Harry, sur la défensive.

- C'est ce que j'ai pensé après coup. Alors je suis retourné à la tour pour voir si tu y étais allé, en fin de compte, et c'est là que...

Ron remua dans son sommeil et marmonna quelque chose avant de se tourner de l'autre côté. Harry décida de lancer ce qu'il avait sur le coeur.

- Tu ne t'es inquiété que pour ton père.

- Pardon ?

- Quand tu es arrivé en haut de la tour, tu ne nous as pas demandé, à Ron ou à moi, si on allait bien. Il n'y avait que le sort de ton père qui te préoccupait.

- C'est mon père, quand même ! répliqua Drago. Il était allongé par terre, et vous étiez debout à côté de lui, mets-toi à ma place, qu'est-ce qui t'aurait semblé le plus urgent ? ajouta-t-il, légèrement radouci. Et rappelle-toi, tu ne m'as pas laissé le temps de m'inquiéter pour toi, tu es parti tout de suite avec Weasley.

Harry réfléchit un moment. Drago avait peut-être raison. A sa place, qu'aurait-il fait ? S'il avait eu un père...

- Harry, il va falloir qu'on parle, dit Drago en lui prenant la main. Qu'on parle sérieusement, je veux dire.

Harry sentit son coeur se serrer mais n'en laissa rien paraître.

- D'accord. Quand tu veux, répondit-il d'une voix neutre.

Drago se leva et resta un moment debout près de Harry sans lâcher sa main. Enfin il se pencha pour déposer un baiser sur sa joue avant de se diriger vers la porte.

- Drago ? appela Harry. Félicitations pour la coupe.

Le Serpentard sourit et quitta la pièce.


- Lucius Malefoy ? Et il a essayé de te tuer ?

- Moins fort, Hermione, supplia Harry en jetant un regard nerveux autour d'eux.

Ils étaient en train de déjeuner dans la Grande Salle et Harry venait d'informer Hermione des circonstances exactes de l'accident de Ron.

- Mais c'est très grave, ça ! Il faut le dire à Dumbledore !

- Jamais de la vie. Et puis, techniquement, la seule qu'il ait réellement essayé de tuer, c'est Hedwige. J'y aurais sans doute eu droit aussi s'il en avait eu le temps, mais je suis toujours là, alors tout va bien.

- Tout va bien, tout va bien, grommela Hermione, si l'on veut...

- Hermione, changeons de sujet, veux-tu ?

- Mais comment Ron s'est-il retrouvé là-haut ?

- Grâce à sa balle chauffante. Comme la mienne était dans ma poche arrière, j'imagine qu'elle a commencé à chauffer dès que Lucius m'a fait tomber, puisque j'étais assis dessus. Ainsi Ron a su que j'avais besoin de lui et il n'a eu qu'à suivre la chaleur. C'est une chance qu'il m'ait trouvé si vite.

- Et qu'en dit Drago ?

- Il veut qu'on discute, se rembrunit Harry. Mais je sais déjà ce qu'il va dire.

- Que son père est trop dangereux pour le défier une fois de plus ? suggéra prudemment Hermione.

- Exactement.

- Et toi, qu'en penses-tu ?

- Je n'en sais rien, soupira Harry.

- Mr Potter ? fit la voix du professeur McGonagall derrière lui. Je sais que vous avez fait de votre mieux, mais je compte sur vous pour que cela ne se reproduise pas l'année prochaine.

Harry la regarda s'éloigner d'un air perplexe.

- Elle parlait de la coupe de Quidditch, expliqua Hermione. Au fait, on raconte que le capitaine de l'équipe de Serpentard n'a même pas fêté la victoire avec sa maison hier soir. Il s'est enfermé dans son dortoir puis il a quitté le cachot vers vingt-trois heures sans dire à personne où il allait... Je crois qu'il t'aime vraiment, Harry, ajouta-t-elle après une pause. Quoi qu'il puisse te dire quand vous aurez cette fameuse discussion, il choisira ce qu'il pense sincèrement être le mieux pour vous deux.

- Et si je ne suis pas d'accord avec lui ?

- Il faut être deux pour avoir une relation...

Harry hocha la tête et repoussa son assiette. Il n'avait plus faim.


Le lendemain, Harry n'avait aucun cours en commun avec Drago et il ne quitta pas la salle commune de la soirée. Il n'alla même pas vérifier la boîte aux lettres. Il voulait retarder le plus possible le moment où Drago et lui se retrouveraient en tête-à-tête car il savait ce que Drago avait à lui dire mais il ne voulait pas l'entendre.

Son répit ne fut cependant que de courte durée car le jour suivant, les Gryffondor et les Serpentard se retrouvèrent pour le double cours de sortilèges puis celui de potions. Il tenta de filer aussi vite que possible dès que Rogue les libéra, mais alors qu'il empoignait son sac l'une des bretelles craqua.

- Sois raisonnable, Harry, souffla Hermione en passant près de lui, et il comprit qu'elle n'était pas étrangère à cet accident.

Le temps qu'il rassemble ses livres, la salle de classe s'était vidée. Harry respira un grand coup avant de passer la porte, sachant parfaitement ce qui l'attendait dehors.

Drago était appuyé contre le mur et regardait ses pieds. Il leva les yeux en entendant Harry sortir et lui adressa un sourire contrit.

- Salut.

- On peut parler ?

Harry hocha timidement la tête et ils se mirent en route pour le premier étage. Mal à l'aise, aucun des deux n'osait prendre la parole le premier ni même esquisser un geste en direction de l'autre. Quand ils arrivèrent à l'étage Drago rompit enfin le silence.

- Tout le monde est dans la Grande Salle, on sera tranquilles ici, dit-il en écartant le rideau qui masquait une petite alcôve éclairée par une fenêtre.

Harry s'approcha de la fenêtre tandis que Drago refermait précautionneusement le rideau derrière eux avant de lui jeter un sort d'Impénétrabilité. Il s'abîma dans la contemplation d'un tentacule du calmar géant qui s'agitait joyeusement à la surface du lac jusqu'à ce que Drago se racle la gorge.

- Je sais ce que tu vas dire, dit aussitôt Harry en se retournant vers lui.

- Tant mieux, répondit Drago. Parce que... j'ai répété dans ma tête, mais je crois que le dire à haute voix aurait été trop pénible.
Harry croisa les bras et se mit à regarder ses pieds.

- Oh Harry, ne m'en veux pas, dit Drago d'un ton suppliant en s'approchant de lui. Si ça ne tenait qu'à moi...

- Mais ça ne tient qu'à toi ! s'exclama Harry.

- Sois raisonnable... Tu sais ce qui se passerait si... Il est venu à l'école, bon sang ! Il avait l'intention de te tuer ! Qu'est-ce qu'il te faut de plus ?

- Je n'ai pas peur, grommela obstinément Harry sans le regarder.

- Tu l'as déjà dit avant, et le résultat c'est que ton ami Weasley s'est retrouvé à l'infirmerie ! s'emporta Drago. Nom d'un troll, tu dois comprendre que ça ne me fait pas moins mal qu'à toi, mais c'est la seule solution ! J'en aussi peu envie que toi mais je ne...

Sa voix se brisa soudain et Harry leva les yeux.

- Je ne peux plus, Harry, continua Drago, au bord des larmes. Je ne peux plus continuer... Je ne peux plus avoir tout le temps peur pour toi... Je suis tellement désolé...

Harry prit Drago dans ses bras et se mit à lui caresser tendrement les cheveux sans rien dire.

Ils restèrent ainsi un long moment, silencieux, Harry berçant doucement Drago, et enfin Drago dit :

- Crois-moi, c'est ce qui est mieux pour nous.

- Je voudrais que le mieux ne soit pas si douloureux.

- Je sais, dit Drago en le serrant plus fort.

- Sans rire, Malefoy, je...

- Moi aussi.


Harry n'avait jamais été aussi content de voir arriver les examens de fin d'année. Comme à leur habitude, durant les deux dernières semaines de cours tous les professeurs sans exception leur donnèrent des montagnes de devoirs à faire en guise de révisions, et ainsi que Harry en avait déjà fait l'expérience, travailler l'empêchait de penser à Drago. Occasionnellement il levait les yeux de ses manuels et surprenait Hermione à l'observer d'un air soucieux, mais elle secouait la tête et se remettait à ses dissertations comme si de rien n'était.

Ron aussi paraissait inquiet pour lui, mais pour une tout autre raison : Harry avait finalement décidé de ne pas lui révéler la vérité à propos de la visite de Lucius Malefoy, mais lui avait dit que le père de Drago était venu à Poudlard sur ordre de Voldemort dans le but de l'enlever pour l'amener à son maître, et que l'arrivée de Ron lui avait probablement sauvé la vie. A la fierté d'être un héros avait vite succédé chez Ron une certaine appréhension, et il ne se passait pas une demi-heure sans qu'il jette un oeil autour de lui pour vérifier qu'aucune horde de Mangemorts ne venait s'attaquer à Harry. Ce dernier avait même dû faire semblant d'aller tout raconter à Dumbledore.

- Il m'a dit de ne pas m'inquiéter, que l'école est trop bien protégée pour que quiconque puisse y entrer sans être invité, et qu'il veillera à ce que Lucius Malefoy ne remette pas les pieds ici de sitôt, avait annoncé Harry à Ron après sa prétendue entrevue avec le directeur.

Cela n'avait pas fait complètement disparaître les craintes de Ron et Harry se sentait honteux de lui mentir de la sorte, mais il savait que la vérité serait encore plus difficile à avaler pour son ami, et il ne voyait pas l'utilité de lui imposer cela à présent que tout était fini.

Les examens se passèrent relativement bien, sauf, à l'en croire, pour Hermione.

- Je suis sûre de ne pas avoir la moyenne, geignait-elle. Ma potion était plus pêche que saumon et...

- Au moins elle n'était pas verte comme celle de Goyle, ricana Ron.

- ... et je n'ai su citer que trois manières de soigner la grippe de la licorne !

- Hagrid n'en demandait que deux, objecta automatiquement Harry en se calant contre le tronc de l'arbre sous lequel ils étaient assis.

La plupart des élèves passaient les dernières journées avant l'annonce des résultats dans le parc, profitant du soleil généreux et de la température rafraîchissante des bords du lac. Harry et Ron ne faisaient rien de particulier, parfois une partie d'échecs, et Hermione lisait, refermant brusquement son livre de temps à autre pour énumérer toutes les mauvaises réponses qu'elle avait données aux examens.
Laissant Ron la rassurer, Harry tourna la tête, attiré par des éclats de voix. A quelques mètres de là, un groupe de Serpentard chahutait en riant à gorge déployée. Parmi eux se trouvait Drago, qui fit un signe de tête à Harry en l'apercevant.

Harry sourit et se retourna vers ses amis. Il avait plus ou moins réussi à éviter Drago durant les trois dernières semaines, mais la douleur au fond de lui venait de se réveiller. Il fit de son mieux pour l'ignorer et se concentra sur les filles que Ron était occupé à évaluer pour décider si elles feraient des petites amies convenables.

Enfin les listes de notes furent affichées dans le hall, et Hermione avait bien entendu battu tout le monde dans toutes les matières. Harry et Ron n'avaient pas fait de prouesses, mais avaient tout de même obtenu des résultats satisfaisants pour passer en septième année.

Le lendemain soir, veille de la fin de l'année scolaire, alors qu'il remontait de chez Hagrid et traversait le hall désert, Harry ne put s'empêcher d'aller regarder discrètement la liste de Serpentard. Drago passait en année supérieure, et ses notes flirtaient même avec celles d'Hermione.
Il avait déjà parcouru la moitié du chemin jusqu'à la volière, avec dans l'idée de laisser un mot de félicitations pour Drago dans la boîte aux lettres, lorsqu'il se rappela qu'il n'était plus censé faire ce genre de choses.
C'est la mort dans l'âme qu'il fit demi-tour pour rejoindre sa salle commune, et même la vue de Peeves donnant un coup de pied dans l'arrière-train de Rusard pour le faire entrer de force dans une armoire ne le dérida pas.

Pour ne rien arranger, en commençant à ranger ses affaires dans sa malle il tomba sur la coupe en argent et la gourmette que Drago lui avait offertes. Il renonça et se mit au lit sans un mot d'explication, fermant le rideau de son baldaquin sous le regard médusé de Ron.

Il se réveilla d'humeur encore maussade et passa toute la journée du lendemain en compagnie de Ron et Hermione dans la salle commune, refusant de sortir dans le parc de peur de tomber sur Drago. Le soir, au festin de fin d'année, il s'assit de manière à tourner le dos aux Serpentard et s'efforça de participer à toutes les conversations pour éviter de penser à autre chose. Assise à côté de lui, Hermione était consciente des efforts qu'il faisait et approuvait ostensiblement chacune de ses paroles.
Quand Dumbledore annonça la fin du repas et que tous les élèves bondirent sur leurs pieds, Harry jeta machinalement un oeil vers la table des Serpentard et constata que Drago n'était même pas venu dîner.


Il passa une très mauvaise nuit et eut l'impression qu'il venait à peine de s'endormir quand Ron le secoua pour le réveiller.

- Dépêche-toi ! Il ne nous reste qu'une demi-heure pour descendre manger avant le départ des diligences !

Alors qu'il attendait avec les autres élèves dans le hall bondé, vingt minutes plus tard, il lui sembla entendre le rire strident de Pansy Parkinson mais il déploya des trésors de volonté pour ne pas regarder dans sa direction. Enfin son tour arriva et il donna son nom à Rusard, qui le barra sur son parchemin en grommelant, et il put monter dans la diligence qu'il partageait avec Ron, Hermione, Neville et Ginny.

En arrivant à la gare de Pré-au-lard, il aperçut tout de suite Drago un peu à l'écart de la foule, appuyé contre le mur du bâtiment de pierre grise. Il semblait attendre quelqu'un.
Voyant du coin de l'oeil Hermione emmener Ron plus loin, Harry se dirigea vers le Serpentard, qui le regarda approcher d'un air impassible. Dans l'euphorie générale, personne ne les remarqua.

- C'est à ce moment-là qu'on s'enlace et qu'on se souhaite bonne chance ? fit Drago d'un ton faussement léger.

Harry ne répondit pas. Il regardait Drago comme s'il voulait garder pour toujours cette image de lui gravée dans son esprit.
Il n'arrivait pas à croire que c'était terminé, aussi simplement que ça. Sans colère et sans cri.

- Tout ira bien. Tu finiras par m'oublier, affirma Drago d'une voix néanmoins peu assurée.

Comme Harry secouait la tête d'un air incrédule, Drago ajouta :

- Oh si. Au début tu auras l'impression que c'est impossible, puis un jour tu te rendras compte que tu as oublié de penser à moi, comme la veille, comme l'avant-veille...

Sa voix s'éteignit et il se mit à jouer avec le lien qui retenait sa cape autour de son cou.

- Tu m'oublieras, toi aussi ? demanda Harry sans le regarder.

Avec un sourire triste, Drago répondit :

- J'espère. J'espère vraiment.

- Mais on pourrait rester amis...

- Tu le crois sincèrement ?

Harry plongea son regard dans les prunelles grises de Drago et vit la réponse s'y refléter. Non, ils ne pouvaient pas être simplement amis, car il ne s'agirait que d'une comédie et ils en souffriraient tous les deux.

- Un jour, peut-être... Quand mon père ne pourra plus gouverner ma vie...

Drago passa délicatement le doigt sur la lèvre tremblante de Harry et dit d'une voix pleine de larmes :

- Personne n'est irremplaçable, Potter.

La gorge nouée et un goût salé dans la bouche, Harry regarda la silhouette blonde du garçon qu'il aimait s'éloigner sans se retourner et grimper prestement dans le Poudlard Express. Puis il respira un grand coup et attrapa sa malle d'une main et la cage d'Hedwige de l'autre.

Installé dans le compartiment des préfets, Drago regarda Harry monter à son tour dans le train. Il s'essuya vivement les yeux quand la porte s'ouvrit pour livrer passage à Pansy.

- Qu'est-ce qui t'arrive, Drago ? demanda-t-elle d'une voix perçante.

- Rien du tout, assura Drago sans la regarder.

C'était idiot, il le savait, mais il avait l'impression que s'il se tournait vers elle et vers les autres préfets qui entraient à présent, et qu'il s'apercevait que la vie continuait malgré tout, il se mettrait à pleurer comme un bébé.
Les yeux brûlants sous ses paupières, il essaya de ne plus penser à rien. Il était certain que Harry et lui avaient pris la bonne décision. Il fallait parfois faire des choix douloureux. Mais quelqu'un qu'il aimait avait dit un jour que rien n'était perdu tant que l'arbitre n'avait pas sifflé la fin du match...

A quatre compartiments de là, Harry venait de s'installer et se faisait la même réflexion. Un jour, peut-être... Il avait encore l'espoir que tout puisse recommencer. D'ici là, il savait déjà qu'il souffrirait chaque jour ; mais personne n'avait dit que la vie était une partie de plaisir. Avec un profond soupir, il se tourna vers la fenêtre et laissa ses yeux se perdre au loin, sur la cime effilée des arbres, sur la silhouette trapue des montagnes, sur le blanc cotonneux des nuages et le bleu uniforme du ciel, et enfin il laissa ses larmes couler librement.