Chapitre 23

« … et c'est comme ça que j'ai gagné ma quatrième partie contre Suyon les doigts dans le nez ! » raconta Hikaru enthousiaste à un Waya un peu blasé.

Il s'en fichait des Coréens, lui qui n'avait même pas pu disputer la coupe Hokuto ! Mais pour ne pas contrarier son ami, il écoutait d'une oreille un peu distraite ses propos tout en se dirigeant vers la salle de repos de l'Institut de go.

« Mais si je comprends bien, vous avez perdu quand même puisque Toya n'a pas joué. Quel lâcheur, celui-l ! »

Hikaru lui jeta un regard mauvais mais décida d'ignorer sa remarque et continua :

« Y'avait tous les clients du salon de son oncle ! Il avait dû leur dire qu'il allait me battre et… »

Il s'interrompit, se retrouvant face à une imposante silhouette vêtue d'habits sombres.

« Bonjour Maître ! » s'inclina Hikaru, imitant un Waya qui aurait presque balayé le sol de ses cheveux, extrêmement confus à l'idée que le Meijin ait pu l'entendre médire sur son fils. Ca lui apprendrait à critiquer les gens !

Mais certainement l'homme s'en moquait, ne semblant prêter attention qu'à Hikaru.

« Shindo ! Je peux te parler ? » exigea-t-il, plutôt qu'il ne demanda, sur un ton calme, la réponse ne semblant de toute façon ne pouvoir être que positive.

« Oui. » répondit Hikaru, suivant docilement le Meijin à l'intérieur d'une des salles.

Waya fit un petit geste de la main, s'éclipsant discrètement, pas bien fier de lui.

« Akira est malade ? » demanda immédiatement Hikaru, inquiet de ne pas l'avoir vu lors des dernières sorties.

« Non. Il va bien. Nous devrions avoir une petite conversation tous les deux, à son sujet. » exposa le Meijin.

Hikaru pâlit, devinant que leur discussion allait tourner autour du changement dans leur relation qui s'était opéré depuis plusieurs semaines. Le père d'Akira était au courant ? Comment avait-il pris la nouvelle ? Il risquait de bientôt le savoir…

« Oui ? Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda Hikaru, jouant les naïfs.

« Akira m'a mis au courant de ce qu'il s'était passé entre vous ces derniers temps. » annonça de façon très pudique le Meijin.

« Oui ? » fit Hikaru, plus timidement.

« J'espère que tu sais bien ce que tu fais et que tu ne prends pas tout ça à la légère !? Tu ne t'amuses pas, au moins ? »

« Non… »

« Tu as intérêt à être sincère et à ne pas te moquer de mon fils ! »

« Non ! Ce n'est pas du tout mon intention ! » se défendit Hikaru « C'est parce que j'ai rencontré Akira que j'ai eu envie de jouer moi aussi au go et que je suis arrivé jusque là. J'ai besoin de lui ! Il est… il est une personne très importante pour moi ! » dit-il en rougissant.

« Bien. »

Soit le garçon était un habile manipulateur, soit il était réellement sincère… Il n'aurait en tout cas pas pu donner de meilleur argument pour le séduire !

Et puis… il avait toujours l'espoir qu'en gardant un œil sur eux, Akira et Hikaru se contenteraient de devenir de bons amis…

Son fils n'avait jamais eu réellement d'ami de son âge. Peut-être avait-il été trompé en voyant Ogata agir, pensant que lorsque les sentiments amicaux étaient forts entre deux personnes, on prouvait son attachement par ce genre d'attitudes…

« Dans ce cas, tu peux venir à la maison quand ça te chante. Tu es le bienvenu. Mais n'oublie pas ! Au moindre écart, tu auras de mes nouvelles. Tu as bien compris ? »

« Oui, Sensei. »

« Parfait. Et maintenant, en ce qui concerne Sai, tu as de ses nouvelles ? Tu ne pourrais pas organiser une nouvelle partie… »

« Oups ! Désol ! Je dois y aller ! » s'écria Hikaru, repoussant la porte et s'enfuyant en courant pour éviter les embarrassantes questions.

« Qu'est-ce que c'est que cette lettre ? » demanda Ogata, reposant son journal et semblant s'intéresser au courrier d'Isumi, portant l'en-tête de l'Institut de go.

« Une convocation… Jeudi… C'est ma tâche de nouveau professionnel, je dois m'occuper de l'horloge ou quelque chose comme ça lors d'un match… »

« Jeudi ? Ce ne serait pas la cinquième partie de la finale Honinbo, par hasard ? »

« Oui, c'est ça. »

L'homme essuya ses lunettes, les replaça sur son nez et fixa avec davantage d'intérêt le jeune homme.

« Tu sais que c'est moi qui joue ? » demanda-t-il, le visage sérieux.

« Hein ? Ah ! »

« Tu comptes venir ? »

« Pourquoi ? Je ne le dois pas ? On me demande de participer. Mais je ne ferai rien qui puisse… » se défendit-il.

Ogata le coupa d'un geste de la main.

« Y'a intérêt ! Tu vas venir à l'hôtel aussi ? Ce sera pratique si je t'ai sous la main ! » ajouta-t-il avec un sourire carnassier.

Le visage d'Isumi s'assombrit. Il se sentait traité comme un objet ! Et en plus, l'homme continuait à ne vouloir absolument pas être vu en sa compagnie !

« Je pourrais dire que je suis ton élève.. » suggéra le jeune homme.

L'homme replia son journal et se leva :

« Dis ce que tu veux ! Tant que ce n'est pas la vérit » lâcha-t-il avant de passer dans la cuisine.

« Mr Hirose ! » s'écria Mlle Ichikawa en reconnaissant l'habitué du salon de go qui s'avançait vers l'accueil. « Je suis contente de vous revoir ! Comment s'est passé votre voyage ? »

« Formidable ! Vous avez reçu ma carte ? »

« Oui, regardez ! Je l'ai même accroché au mur ! Depuis quand êtes vous de retour à Tokyo ? Le go ne vous a pas trop manqu ? »

« Je suis de retour depuis hier ! Et regardez, je n'ai pas pu résister et me voilà déjà ici ! Il y a du changement ? » demanda-t-il en regardant tout autour de lui. « Tiens ? C'est juste une courte trêve ou ces deux-là ne se disputent plus ? » questionna-t-il en désignant Akira et Hikaru, assis à une table, face à face, disputant une partie dans un calme inhabituel.

« Oui… c'est comme ça depuis quelque temps… Peut-être que c'est la maturité… Je ne sais pas si ça va durer ! » dit la jeune femme en s'accoudant à la tablette de l'accueil.

« Incroyable, en tout cas ! Je vais aller saluer Maître Toya… »

L'homme se dirigea vers les deux garçons dont les chuchotements cessèrent aussitôt. Ils se retournèrent tous les deux vers lui, le visage fermé.

« Bonjour ! » dit-il simplement en passant près d'eux, devinant immédiatement qu'il les dérangeait et renonçant à les importuner davantage.

Les deux adolescents lui rendirent son salut et se désintéressèrent aussitôt de lui, se souriant.

Akira glissa sa main sous la table pour prendre celle de son ami dans la sienne, caressant doucement la paume du jeune homme aux mèches décolorées.

« C'est pénible qu'on ne puisse ni être tranquille chez toi ou chez moi… » fit remarquer Hikaru.

« Peut-être que je prendrai mon propre appartement… » dit Akira, songeur « Mais je doute que mon père accepte tout de suite après ce qu'il s'est pass »

Depuis quelques temps, son père tolérait enfin qu'Hikaru vienne chez eux. Mais même si le Meijin se trouvait la plupart du temps en Chine et si sa mère regardait le jeune Shindo avec bienveillance, sûrement soulagée qu'Akira ne soit plus aussi seul, elle devait avoir reçu la consigne de ne jamais les laisser trop longtemps en tête-à-tête et surgissait régulièrement dans la chambre pour leur proposer boissons, gâteaux ou pour simplement leur demander si tout allait bien.

« Oui… Moi aussi… Peut-être que je pourrais demander à Waya de nous laisser sa chambre… ? »

« Euh… Waya ? Je ne crois pas qu'il m'apprécie vraiment… »

Hikaru se mit à réfléchir en silence, renonçant à démentir cet état de fait.

« En plus, j'ai pas trop envie de le mettre au courant pour nous deux… » ajouta-t-il, se doutant qu'il lui faudrait trouver un autre plan.

« Et Isumi ? » proposa timidement Akira.

« Isumi, quoi ? »

« Il a un studio… Et je crois qu'il n'y ait pas souvent… » expliqua le jeune homme brun en rougissant.

« Isumi… Je ne sais pas… Est-ce qu'il comprendra ? » s'interrogea le jeune homme aux mèches décolorées, se souvenant comme le premier des Insei était toujours sage et raisonnable.

« Je suis sûr que oui. » répondit Akira avec un petit sourire.

C'était bien la même adresse que celle notée sur le papier. Et le nom, près de la sonnette confirmait qu'il ne s'était pas trompé. Il resta cependant planté devant la porte une longue minute avant de se décider à frapper.

Aucun bruit ne lui parvint tout d'abord et malgré son appréhension et toutes les questions qu'il s'était posées sur le chemin, se demandant pourquoi il avait absolument besoin de voir Ashiwara, de le tirer des griffes d'Ogata, il se sentit infiniment déçu à l'idée que le jeune homme brun ne soit pas chez lui et qu'il soit venu pour rien. Il s'apprêtait à faire demi-tour lorsqu'il lui sembla entendre de légers bruits de pas dans l'appartement. Il s'immobilisa, attendant encore quelques secondes et la porte s'entrebâilla enfin, laissant apparaître un Ashiwara incrédule, qui ne s'attendait visiblement pas à se retrouver face à lui.

« Saeki ? »

« Bonsoir. Je ne te dérange pas ? »

« N… non, non ! Pas du tout ! Tu veux quelque chose ? Tu veux entrer un moment ? »

Saeki acquiesça d'un signe de tête tout en pénétrant dans l'appartement et suivant Ashiwara dont la nervosité semblait contagieuse.

« Tu veux boire quelque chose ? Je n'ai que du jus de fruit au frais… mais tu préfères peut-être manger quelque chose ? » proposa-t-il, un peu affolé,  tandis que le jeune homme aux cheveux blonds cendrés prenait place sur le canapé.

« Je n'ai ni faim, ni soif. Merci. »

« Ah… » répondit simplement Ashiwara, se laissant tomber à côté de lui.

Saeki pressa nerveusement ses mains l'une contre l'autre. La véritable raison de sa visite, il ne pouvait la dire… Venir le trouver un soir pour lui demander s'il était avec Ogata était un peu gonfl

Mais c'était plutôt bon signe qu'Ashiwara soit seul ce soir… Pensait-il toujours à lui ?

Plus que tout, il avait envie de savoir. Il avait l'impression que quelque chose resterait en suspens tant qu'il n'aurait pas la réponse. Le mieux était peut-être de tenter quelque chose pour savoir si Ashiwara lui résisterait...

Mais était-ce vraiment pour le tester ? Ou en avait-il finalement envie lui aussi ? L'expérience chez Sakurano n'avait pas était désagréable. Il en gardait une impression de trop peu. S'il avait ce qu'il désirait ce soir, il aurait la réponse à sa question et aurait vécu cette expérience complètement.

Lui, habitué à tout calculer en bon joueur de go, se sentait un peu perdu dans ce dédale de raisonnements. La logique de tout ça semblait lui échapper peu à peu et il sentait que quelles que soient les raisons qu'il trouvait à sa venue, ce n'était que de fausses excuses.

La véritable explication était que ce qu'Ashiwara lui proposait ne lui déplaisait pas complètement. Sans se l'avouer, il se sentait très excité à l'idée d'échanger à nouveau des caresses avec un autre homme. Seuls ses préjugés l'empêchaient de tenter l'expérience avec lui. Il lui avait dit 'non' mais quelque part dans son esprit, il gardait l'espoir inconscient que ce n'était pas un non définitif. Et comme Ashiwara se lassait de lui courir après, tout cela lui était apparu au grand jour.

Mais maintenant… que faire ? Il n'était guère habitué à séduire un homme… Devait-il se montrer direct ? Dans ce cas, Ashiwara ne le trouverait-il pas un peu lunatique, changeant d'avis du jour au lendemain ? Devait-il plutôt amener plus subtilement le brun garçon à lui faire des avances qu'il ne refuserait cette fois-ci pas ?

« J'avais envie de disputer une partie de go. Ca te tente ? » demanda Saeki, souriant à pleines dents, conscient que son prétexte était vraiment mauvais. Mais Ashiwara ne sembla pas le relever.

« Euh… Oui, si tu veux ! Je vais chercher un goban. »

Il se leva précipitamment, pressé de satisfaire la moindre de ses volontés et le jeune homme aux cheveux blonds cendrés profita de sa brève absence pour inspecter la pièce.

Tout semblait parfaitement en ordre. Les couleurs claires dans les tons jaunes des murs, donnaient un air ensoleillé à l'ensemble. Quelques étagères en bois naturel chargées de livres, un petit transistor, un lit recouvert d'une couette bleu pastel… L'ensemble donnait une impression chaleureuse. Il se sentait déjà comme chez lui entre ces murs.

« Voil ! » fit Ashiwara revenant avec un goban et le posant sur son lit, un grand sourire sur le visage.

Saeki lui jeta un regard, satisfait que son enthousiasme soit à ce point visible. Il pouvait être déjà rassur : il ne laissait pas son ami indifférent. Avec un sourire séducteur, ses yeux clairs rivés à ceux, sombres, d'Ashiwara, il prit une poigné de pierres et la posa sur le plateau de bois.

« Tu commences… » annonça son adversaire.

Il faisait mine de réfléchir mais dans le même temps, il tentait un rapprochement stratégique, gagnant centimètre par centimètre en prenant ses aises sur le lit puisque Ashiwara, sage comme une image, figé comme une statue, ne tentait rien.

Il sentait que sa position alanguie et la proximité de son corps abandonné troublaient le jeune homme brun et si celui-ci semblait se raidir, se tenant de plus en plus droit, ses doigts crispés sur les pierres, sa respiration plus saccadée qu'elle n'aurait dû l'être, il n'avait pas eu l'ombre d'un geste ambigu à son égard. Et Saeki commençait à s'en agacer !

D'autant que davantage concentré sur son jeu de séduction, il négligeait la partie de go et était en train de perdre.

« J'abandonne ! » lâcha-t-il, se redressant, un peu irrité.

Ashiwara réprima un petit sourire victorieux et Saeki décida de changer de tactique. Il n'était pas doué pour faire dans le subtil mais il n'était pas encore décidé à y aller franchement.

Il feignit de bailler et se laissa retomber sur le lit.

« Je suis crev ! » dit-il, fermant brièvement les yeux.

Comme il l'avait prévu, Ashiwara tomba immédiatement dans son piège :

« Tu peux rester dormir ici si tu ne te sens pas la force de rentrer…. Enfin… si tu n'as pas confiance, je peux t'appeler un taxi… ? »

« Non, ça ira… »

Saeki dévisagea le jeune homme brun, se sentant un peu peiné pour lui, ayant l'impression de se servir de lui alors qu'il était si gentil….

Et maintenant, qu'allait-il faire ? Dormir avec lui et venir se blottir contre lui en espérant que le jeune homme soit tent ?

Le jeune homme aux cheveux clairs secoua la tête, se moquant intérieurement de lui-même. Il n'arrivait pas à se faire draguer par un homme ! Le comble !

Il laissa passer un long moment de silence, Ashiwara le fixant toujours de ses grands yeux noirs pleins de tendresse, à la manière d'un chien fidèle. Saeki eut un léger sourire, se décidant à jouer franc jeu.

« Je veux bien faire un essai… » lâcha-t-il.

« Hein ? »

« Tu m'avais dit que tu voulais recommencer ce que nous avions fait chez Mlle Sakurano… »

« Oui… ? »

« Je suis prêt. Maintenant. »

Ashiwara le dévisagea avec surprise, ne pouvant visiblement croire qu'il ne se moquait pas de lui. Saeki se décida alors à agir, avançant  en rampant sur le lit à sa rencontre. Il eut beaucoup moins d'appréhension que la première fois pour lui passer un bras autour de la taille et prendre possession de ses lèvres pour un bref baiser.

Ashiwara se laissa faire, s'interrogeant intérieurement. Bien sûr, que Saeki l'embrasse, le caresse, c'était ce qu'il désirait le plus au monde mais malgré cela, il n'arrivait pas à en profiter pleinement, maintenant que cela arrivait enfin.

Devait-il se réjouir ? Il sentait que si après cet 'essai' Saeki ne voulait plus de lui, il toucherait vraiment le fond. Mais il se décida malgré tout à juste profiter du moment présent, sentant les mains du jeune homme caresser son dos, sa peau devenant chaude sous les doigts habiles. Cela vaudrait sûrement le coup d'endurer toutes les tortures du monde ensuite !

Son Saeki tout contre lui… Au point de ressentir même les battements de son cœur quand sa poitrine nue était pressée contre la sienne…

Il le laissa prendre la direction des opérations, l'aidant simplement à déboutonner son pantalon et à le lui ôter. Une grande chaleur envahissait son corps tendit que son rythme cardiaque s'était accéléré. Et il sentait la peau si chaude de Saeki glisser sur la sienne en une sensuelle caresse. Le silence régnait dans la pièce, seulement troublé par le bruit des baisers qu'ils échangeaient avec de moins en moins de retenue et le froissement des tissus.

Un sourire se forma sur son visage tandis qu'il priait intérieurement pour que cette nuit magnifique qui se préparait, n'ait pas de fin.

Il ouvrit les yeux lorsqu'un courant d'air vint agiter l'une de ses mèches  blond cendré, chatouillant sa joue.

Sa tête lui semblait lourde, il avait encore envie de se laisser glisser dans le sommeil mais la sensation de ce bras musclé passé autour de sa taille le réveilla tout à fait. Il se redressa dans le lit, un peu épouvanté, réalisant toute l'horreur de la situation : Il l'avait bien fait !

La nuit dernière… Quand il était venu trouver Ashiwara, il n'avait à l'esprit que d'échanger des caresses mais pris dans l'excitation du moment, il était allé plus loin qu'il ne l'aurait voulu.

Tant qu'il n'y avait pas de rapport complet, il pensait que ce n'était pas vraiment une relation homosexuelle. C'était juste un amusement un peu inhabituel entre amis… Mais de se réveiller ce matin dans le lit d'un autre homme…

Il trouvait la pénétration repoussante mais il n'avait pas pu aller conter son désir lorsque Ashiwara lui avait présenté ses fesses. Joli comme une fille… Et il y avait pris tellement de plaisir…. !

Justement, le jeune homme brun ouvrit les yeux et le regarda en souriant béatement.

« Tu as bien dormi ? »

« Oui… Tu es avec Ogata ? » lui demanda Saeki en guise de bonjour.

« Pardon ? … Tu as cru ça ? »

« Ca n'a pas d'importance… » répondit le jeune homme blond en repoussant les draps pour se lever.

« Attends ! Ne bouge pas. Je vais te préparer ton petit déjeuner ! » le stoppa Ashiwara, enthousiaste, le devançant et gagnant la cuisine en chantonnant.

Saeki resta encore un moment assis dans le lit, sans bouger, se sentant un peu assommé. Il ne regrettait pas réellement ce qui s'était passé même s'il se sentait tellement honteux désormais.

Il avait envie de fuir très loin et il regarda ses habits jetés négligemment sur le sol.

Il jeta un œil à la porte. Il avait le temps de se rhabiller et de sortir avant qu'Ashiwara ne revienne. Mais s'il faisait cela, il se comporterait vraiment comme un salaud ! Et Ashiwara serait sûrement effondré.

Il renonça à son plan et il se laissa retomber dans le lit, sentant une délicieuse odeur de café venir lui chatouiller les narines. C'était vrai, il avait de la chance ! Ashiwara était un excellent cuisinier !

Il se passa la main sur le front, souriant. Pourquoi avait-il besoin de se poser tellement de questions ? Il avait passé une nuit très agréable et son charmant partenaire allait lui amener son petit déjeuner au lit sans qu'il ait besoin de lever le petit doigt…

Il n'avait rien de prévu pour ce matin… Ils pourraient ensuite remettre ça et disputer une partie de go… Il avait juste à profiter du moment, il se poserait toutes ces questions ensuite !

« Oh et puis zut ! » dit-il tout haut avant d'accueillir avec le sourire un Ashiwara radieux portant un plateau rempli de choses appétissantes.

La partie allait se terminer. Ce n'était plus qu'une question de minute. Il avait beau y réfléchir, envisager toutes les solutions, il ne voyait pas comment blanc pouvait se sortir de cette situation à présent. Certes, il n'avait ni l'expérience ni le jeu de Maître Kuwabara mais même Ogata arborait à présent un petit sourire triomphant, signe que lui aussi connaissait l'issue du match, issue qui lui serait favorable.

Isumi leva les yeux vers l'homme au costume clair et se sentit rougir légèrement quand il vit le regard gris se poser sur lui. L'expression de leurs visages ne changea pas mais il eut l'impression, d'échanger avec l'homme un sourire par la pensée. Et il se sentait heureux qu'Ogata soit sorti de sa concentration pour le regarder, pour partager cet instant avec lui.

Les yeux gris se posèrent à nouveau sur le goban et Isumi se sentit frémir, ne pouvant s'empêcher malgré la présence d'autres personnes de laisser son regard caresser les larges épaules qu'il devinait à travers la chemise, l'imaginant sans ses vêtements.

« J'abandonne… »

Le crépitement des flashs des appareils photographiques le tirèrent de sa rêverie. Il n'avait pas encore bougé que Maître Kuwabara, dépité, avait déjà quitté la salle le premier. Le vainqueur s'était levé, recevant les compliments des spectateurs.

Ogata tourna légèrement la tête. Leurs regards se rencontrèrent encore une demi-seconde.

« Viens ! » sembla lui dire l'homme par la pensée.

Etait-ce une intuition ? Ou se comprenaient-ils désormais sans avoir à échanger un mot ?

Isumi attendit que la salle soit vide puis suivant son impression, se rendit aux toilettes. Il y trouva un Ogata radieux qui essuyait ses lunettes.

L'homme, nullement surpris par sa présence, se tourna vers lui avec un sourire.

« Alors ? Comment as-tu trouvé le match ? » demanda-t-il.

Le jeune homme vint se coller à lui, passant ses bras autour de son cou.

« Toi… je t'ai trouvé si fort… si beau… »

Ogata, flatté, en frémit de plaisir. Il ne résista pas au regard espiègle du jeune homme, tellement lumineux dans sa tenue aux couleurs claires et l'enlaça à son tour, collant ses lèvres aux siennes pour un baiser langoureux.

Isumi entrouvrit les lèvres pour lui permettre d'introduire sa langue dans son intimité buccale. Il la fit tourner lentement dans sa bouche tandis qu'il caressait le dos du jeune homme, frustré de ne pouvoir sentir sa peau qu'à travers ses vêtements.

Ils stoppèrent leur baiser, essoufflés et se dévisagèrent avec tendresse. Amusé de sentir le jeune homme frémir contre lui, Ogata lui saisit le menton pour poser brièvement ses lèvres sur les siennes.

« Mais ma plus belle victoire, c'est ça ! » déclara-t-il, faisait sourire Isumi qui se mit à rire franchement lorsque l'homme l'embrassa dans le coup, les mèches châtain clair venant le chatouiller au passage.

« C'est mon territoire… » dit Ogata, s'amusant lui aussi. Ses mains glissèrent jusqu'aux fesses du garçon qu'il caressa à travers le jean. « Là aussi… »

Il l'embrassa à nouveau, évacuant toute la tension accumulée pendant le match, se perdant dans ce baiser et en oubliant presque les journalistes qui l'attendaient certainement.

Un bruit de loquet puis des pas légers derrière eux les ramenèrent à la réalité. Ils n'eurent pas le temps de se séparer que quelqu'un sortait d'une des toilettes alors qu'ils s'étaient crus seuls. Un regard gris se braqua sur eux, les dévisageant sans surprise.

« Je ne savais pas que tu mettais tant de passion à enseigner le go à tes élèves, Ogata-kun… » fit remarquer Kuwabara avant de prendre la direction de la sortie. Il se retourna vers eux juste avant de pousser la porte.

« Isumi-kun, je surveillerai tes matchs, à l'avenir. Cela risque de devenir très intéressant… »

Isumi, un peu effrayé, interrogea du regard son partenaire, qui étonnamment, ne semblait pas contrarié outre mesure de s'être fait surprendre dans une posture embarrassante.

« Est-ce que ça va aller ? » questionna le jeune garçon.

« Je pense qu'il s'en doutait de toute façon depuis longtemps… On m'attend. Je devrais y aller…. »

« Nous ne sommes que tous les deux, Maître ? » demanda Waya, étonné en entrant dans la pièce, ébouriffant davantage ses cheveux châtains.

« Shirakawa est malade. » expliqua Morishita en lui faisant signe de s'asseoir en face de lui. « Mais je suis surpris que Saeki ne soit pas l ! Et où est Shindo ? »

Waya haussa les épaules, laissant croire ainsi qu'il n'en savait rien, ne voulant pas déclencher la colère de leur Maître.

Mais celui-ci fronça les sourcils en s'adressant à lui :

« Dis donc, Waya ! Je croyais que tu t'intéressais sérieusement à ma fille ! Et Shigeko m'a dit que l'un de ses amies t'avait vu avec une autre fille au cinéma ? »

« Maître ! » se défendit le jeune homme « C'était juste du Baby-sitting, je vous assure ! »

« Hmm… Je n'aime pas qu'on me trahisse ! »

Waya prit un air supérieur, un peu vexé de n'être cru sur parole :

« Parler de trahison, c'est gonfl ! Je suis là ce soir ! Saeki, lui, est absent car il est chez Ashiwara ! »

L'homme leva un sourcil :

« Quoi ? Ashiwara du groupe d'étude du Meijin ? »

« Et ce n'est pas tout ! Je parierai que Hikaru doit être avec Akira Toya, ils sont toujours collés ensemble ses deux là… A croire que… euh… non rien. »

Morishita se frotta le menton en ayant l'air de réfléchir.

« Hm… oui je sais. » finit-il par dire, pensif « Koyo m'en a parlé… il se fait beaucoup de soucis à ce propos…. »

Le jeune garçon ouvrit soudain de grands yeux :

« ??? Maître ??? C'est vous qui depuis des années nous mettez rivalité et votre soit disant pire ennemi vous confie ses petits secrets ? Vous vous moquez de nous, l ! »

« Waya ! Ne parle pas comme ça à ton Maître ! » se fâcha l'homme.

Il dévala les marches quatre à quatre, au risque d'en manquer une et de se retrouver en bas de l'escalier encore plus vite qu'il ne l'aurait voulu.

Son cœur semblait s'être emballé dans sa poitrine et il en tremblait presque d'impatience et d'appréhension mêlées.

Durant les dernières minutes de son match, il avait serré tellement fort son éventail qu'il en avait les mains moites. Pourquoi son adversaire n'abandonnait pas alors qu'il n'avait plus aucune option pour revenir au score ? L'horloge tournait et le match d'Isumi devait avoir commencé. Et sûrement ne durerait-il pas trois heures… Akira devait également déjà l'attendre.

Dans le couloir qui le menait à la porte libératrice, il se heurta presque à un Maître Kuwabara qui, déséquilibré, vacilla, manquant de peu de se retrouver par terre les quatre fers en l'air. Hikaru hésita à interrompre sa course mais il aurait été impoli de laisser ainsi un vieillard sans s'enquérir de son état, surtout que Maître Kuwabara lui avait rendu service à certains moments.

« Je m'excuse ! Vous n'avez rien ? » demanda-t-il, se décidant à lui accorder dix secondes de son précieux temps.

L'homme le dévisagea avec un air intrigué.

« Non, ça va. Je ne suis pas mourrant !» le rassura-t-il. « Mais où vas-tu comme ça ? Il me semble que le match le plus intéressant de la journée est dans l'autre direction… »

Hikaru jeta un regard de regret à la porte.

« Quel match ? » demanda-t-il, curieux. Il n'avait pas le souvenir qu'un titre se disputait aujourd'hui… Seulement les séries du troisième tour du tournoi Kisei… Rien de bien extraordinaire !

« Isumi-kun n'est pas un de tes amis ? »

« Si mais…. Même si Isumi-san est très fort, je pense qu'il va perdre ! »

« Hu hu hu ! Moi, je n'en suis pas si sûr. Mais je ne te retiens pas, tu m'avais l'air bien pressé. A une autre fois ! J'espère que nous aurons l'occasion de discuter davantage… »

« Ce sera avec plaisir ! Bonne journée ! » lança Hikaru s'inclinant puis se remettant à courir.

Ses doigts dans sa poche se refermèrent sur la précieuse clé, celle de l'appartement d'Isumi, prêté pour au moins une heure…

« Si Maître Kuwabara pouvait avoir raison ! Si Isumi pouvait gagner son match… le résultat serait serré et nous aurions plus de temps… »

« Que faites-vous l ? » demanda Ogata, peu aimable, lui recrachant quasiment à la figure une bouffée de cigarette. « Vous n'avez pas de match, aujourd'hui, que je sache ! »

« C'est juste la curiosité… hu hu hu ! Je dois dire que je suis bien intrigu ! Quelle situation intéressante ! » répondit le vieil homme sur un ton enjoué, sortant lui aussi une cigarette. « As-tu du feu ? »

Ogata approcha la flamme de son briquet de l'extrémité de la cigarette. Sa main trembla légèrement, ce qui n'échappa pas au regard perçant de Kuwabara.

« Merci. Tu es nerveux, Ogata-kun ? Pourtant ce n'est ni une partie très importante, ni un adversaire qui devrait te faire pâlir… »

« Je ne suis pas nerveux du tout ! » mentit l'homme, agacé, lui tournant le dos pour s'isoler au fond de la pièce. « Comme vous l'avez dit vous-même, ce n'est pas un match important. Ce sera une victoire facile. Pour moi. »

« Hu hu hu ! Détrompe-toi! Pas si facile que ça… » ricana le vieil homme.

Une flamme malicieuse et terrifiante s'alluma dans son regard.

« Bien sûr, j'imagine que très peu de joueurs effraient Ogata-10 dan. Mais auras-tu autant envie de gagner face à lui ? As-tu envie de l'écraser ? Cette victoire est importante pour lui aussi…. »

Ogata eut un sourire confiant.

« Ne vous faites pas de soucis pour moi. Je jouerai de la même façon contre n'importe quel adversaire. Et je veux cette victoire ! Il est l'heure. Vous perdez votre temps à venir voir ce genre de match. Concentrez-vous plutôt sur notre prochaine partie. Là non-plus, je ne ferai pas de cadeau ! »

« Je sais bien que ce n'est pas votre style, Ogata-kun. »

Il ne voulait plus rester en compagnie de Kuwabara qui avait le don de le stresser.

Le vieil homme avait raison ! Ce n'était pas une banale partie contre un jeune joueur. Il n'était pas sûr de pouvoir garder sa concentration face à lui. Il était hors de question qu'il perde ce match. Mais s'il l'écrasait, perdrait-il à nouveau confiance ? Et s'il jouait de façon à assurer sa victoire mais sans creuser l'écart.. ? Il ne fallait surtout pas sous-estimer son adversaire et ce petit jeu pouvait fort bien lui coûter la victoire. Et si son adversaire s'apercevait qu'il le ménageait, il se vexerait certainement !

Il prit place le premier derrière le goban, gardant les yeux rivés sur le sol, ne voulant croiser le regard marine de son adversaire.

La cloche tinta, marquant le début de la partie. Il leva alors les yeux et son regard rencontra celui d'Isumi pour la première fois. Une lueur de détermination y brillait. Intensément. Un frisson le parcouru à cette constatation et un léger sourire un peu ironique se forma sur ses lèvres. Le regard marine ne changea pas, ne se laissant pas intimidé.

Lui aussi voulait gagner plus que tout afin d'accéder à la ligue.

Tant mieux ! Il l'aimait davantage combatif et sûr de lui.

Etait-ce un peu grâce à lui ? Quelques mois auparavant, il avait rencontré un chaton craintif. Il se retrouvait aujourd'hui face à un chat dont le regard marine pouvait soutenir le sien, qui sortait les griffes pour le défier.

Il avait mûri. Il était plus sûr de lui, il prenait parfois l'initiative, il lui tenait souvent tête. Il devenait un homme, un compagnon pour lui et il n'en était que plus séduisant. La suite des événements s'annonçait excitante !

Isumi passa la main dans ses cheveux pour ôter sa frange sombre de devant ses yeux.

Il ne se laisserait pas impressionner. Il connaissait le jeu de son adversaire. Il était redoutable mais lui aussi avait progressé. Il allait utiliser toute sa force, tout son go contre lui pour lui montrer qui il était désormais.

« Kiyoharuuuuu ! Téléphoooooone ! » hurla sa mère pour être entendu malgré le volume sonore de la chaîne stéréo.

Yashiro se leva en rouspétant et tourna le bouton du volume. Il passa une main dans sa chevelure ébouriffée et prit la direction du couloir d'un pas nonchalant.

« Allo ? » fit-il en prenant le combiné que lui tendait sa mère et lui faisant signe de s'éloigner.

« Salut Yashiro ! » fit une voix vaguement familière avec un fort accent étranger.

Le jeune homme aux cheveux gris ouvrit de grands yeux stupéfaits :

« Yongha ? »

« Oui, c'est moi. Je apprendre japonais pour pouvoir parler toi. »

« Ouais ben y'a encore du boulot ! »

« Quoi toi dire ? » demanda le Coréen, sans saisir « Moi pas comprendre. »

« Nothing important. » dit-il doucement, souriant.

« Tu mieux parler anglais aussi ! »

Yashiro se mit à rire franchement et le Coréen l'imita.

« As-tu peur ? »

Il s'était penché vers lui, chuchotant, en caressant toujours les cheveux bruns étalés sur l'oreiller blanc.

« Un peu… » avoua le jeune garçon dont les yeux verts semblaient agrandis.

« Si tu ne veux pas aujourd'hui, ce n'est pas grave… »

« Ce n'est pas ça… Hikaru… Je voudrais te demander quelque chose… »

« Oui ? »

« Tu te souviens lorsque nous nous sommes affrontés pour la première fois en tant que professionnels…. »

« Oui, je m'en rappelle… »

Hikaru, rêveur, entortilla une des mèches sombres autour de son doigt, repensant à cette partie. La première qu'Hikaru Shindo, et non pas Sai, disputait entièrement face à Akira….

« Tu m'as dit qu'un jour, tu me dirais peut-être ton secret… »

« … »

« Pourquoi pas… maintenant ? » demanda Akira avec un peu d'appréhension. « C'est déjà une journée spéciale ! »

Le jeune garçon aux mèches décolorées se redressa sur son avant-bras. Il sembla réfléchir un moment puis sourit légèrement.

« Très bien… Ca risque d'être un peu long… »

Les yeux d'Akira se mirent à briller de curiosité comme le mystère s'apprêtait à être levé. Il allait tout savoir d'Hikaru, il n'y aurait plus de non-dit entre eux.

« Ce n'est pas grave… Nous avons tout le temps. Je t'écoute. »

« Je te demande de me croire ! Même si ça ne sera pas évident…. Voilà…. cela remonte à il y a cinq ans, j'avais eu une mauvaise note en cours et…. »

Le fils du Meijin ouvrit des yeux ébahis comme Hikaru se lançait dans son récit. N'essayait-il pas de noyer le poisson en l'entraînant dans un récit infernal ? Mais il lui avait demandé de le croire… Il devait lui faire confiance. Il se redressa à son tour pour venir s'asseoir dos au mur à côté d'Hikaru, posant sa tête sur son épaule, lui donnant toute son attention.

« Je suis monté dans le grenier de mon grand père et c'est là que je suis tombé sur un vieux goban…. »

FIN

Merci à toutes pour vos gentils commentaires qui m'ont beaucoup encouragée !!