Bonjour, bonjour !

Nous voilà aujourd'hui réunis pour le défi 8 : Écrivez un univers alternatif correspondant au nom de votre équipe, c'est-à-dire un texte où un personnage qui ne l'est pas dans le canon est apprenti héros / héros professionnel / vigilante / vilain. Etant de l'équipe des vilains, je devais donc transformer un personnage qui ne l'était pas en vilain et mon choix s'est porté sur l'adorable petite Eri.

! Attention, il y a dans ce texte une scène un peu cracra. On est pas non plus dans les tripes et boyaux mais si vous n'êtes pas fan de tout ce qui est sang et/ou mutilations diverses, avancez avec prudence.

Enjoie !


Elle se sentait toujours rassurée quand il lui tenait la main. Avec lui, elle n'avait pas peur de perdre le contrôle. Mais elle savait aussi, d'autant que son esprit d'enfant arrivait à le concevoir, qu'on leur voulait du mal. Kurono lui avait parlé des héros, quand bien même Chisaki le lui avait interdit. Il lui avait dit, de cette façon si douce qu'il avait d'expliquer les choses les plus horribles, que des gens les surveillaient et qu'ils ne tarderaient pas à l'arracher à Chisaki et lui. Elle avait fait de son mieux pour canaliser sa terreur mais elle était trop grande, trop forte, bien plus forte qu'elle. Un jour, les héros viendraient et ils l'emmèneraient.

— Tu as bien compris ce que tu devais faire ?

Eri hocha la tête. Ils avaient répétés des dizaines de fois, elle était prête. Leurs pas résonnaient dans la ruelle étroite. Kurono lui avait demandé de faire semblant d'être effrayée, mais elle n'en avait pas besoin. Son coeur battait au fond de sa cage thoracique sans qu'elle puisse rien pour le faire taire. A contrecoeur, elle lâcha la main de Chisaki et s'élança. Elle courut, courut, courut aussi vite que ses petits pieds nus lui permettaient.

Enfin, elle les voyait au bout de la ruelle. Elle continua sur sa lancée, plus vite encore. Si vite qu'elle ne put s'arrêter quand elle l'arriva à leur hauteur et percuta l'un d'entre eux de plein fouet. C'était un jeune garçon, qui n'était sûrement pas adulte. Il avait les traits doux et un regard qui débordait de gentillesse. Pourtant, quand il la toucha pour la remettre debout, Eri ne put réprimer ses tremblements.

Il voulait l'enlever à sa famille. Il était l'ennemi.

— Mademoiselle Aizawa !

Eri ouvrit péniblement les yeux avant de se souvenir qu'elle était en classe, et se redressa d'un bond. Face à elle, Mademoiselle Suzuki, professeur de littérature de son état, la fusillait du regard.

— C'est la nuit qu'il faut dormir, pas pendant mes cours.

— Désolée.

— Prenez donc la suite de la lecture.

Eri s'exécuta et, après un bref coup d'oeil au livre de sa voisine, ouvrit le sien page 67 et lut le paragraphe, sous l'oeil amusé de ses camarades.

— Vous semblez fatiguée en ce moment, lui dit Mademoiselle Suzuki après le cours. Vous préparez le concours pour Yuei, c'est bien cela ?

Eri hocha la tête.

— Mon père est professeur là-bas, il fait en sorte que je m'entraîne tous les soirs après les cours.

Mademoiselle Suzuki redressa son chignon avec au visage une moue qu'Eri ne sut pas déchiffrer. Peu importe, de toute manière, tout ce qui comptait était d'approuver tout ce qu'elle dirait pour pouvoir filer au plus vite.

— Vous avez de bons résultats, donc je vous fais confiance. Mais vous surmener n'amènera rien de bon, vous devriez pouvoir suivre en cours sans vous effondrer.

— Je comprends, je ferai de mon mieux.

Après une brève courbette, Eri sortit de la salle. Elle passa en coup de vent dans la salle du club de basket et prétexta que son père l'avait appelée pour une séance d'entraînement exceptionnelle, qu'elle ne pourrait pas louper. La coach n'était pas encore arrivé et elle n'eut à faire qu'à des premières années, des gamines à peine sorties de l'école primaire qui n'osèrent pas la contredire. Sa liberté retrouvée, elle envoya un SMS à Mic.

✉ Je reste tard au club pour préparer le match de samedi, ne m'attend pas pour rentrer.

Le mardi, Aizawa terminait sa journée à dix-neuf heures, elle serait probablement à la maison quand il arriverait. Pas la peine de le mettre au courant et de risquer que ça se retourne contre elle plus tard. Elle sortit du collège, s'assura que personne ne l'avait suivie et se dirigea vers la gare. En chemin, elle s'arrêta dans une librairie et acheta le dernier tome de Love So Real, le dernier shojo à la mode. Elle fit un crochet par les toilettes, retira son uniforme et enfila à la place la tenue de rechange qu'elle avait amenée avec elle : des vêtements discrets, assez amples pour dissimuler sa silhouette, une paire de fausses lunettes et un bonnet de grosse laine rose pâle dans lequel elle prit soin de cacher tous ses cheveux. A force d'entraînements, sa corne ne dépassait presque plus ; elle n'eut aucun mal à la glisser sous l'élastique du bonnet.

Alors qu'elle sortait du magasin, son téléphone vibra dans sa poche.

✉ Super, dis-moi si tu veux que je passe te chercher. Kiss kiss, darling !

Une bonne chose de faite, se dit-elle. Avec les années, elle avait gagné la confiance de Mic et il croyait tout ce qu'elle lui disait. Aizawa, lui, aurait pu avoir des soupçons, ou alors il serait venu la voir en entraînement. Parfois, elle se demandait s'il ne se doutait pas de quelque chose.

Eri sortit sa deuxième carte de la doublure de son sac. Depuis quelques mois, elle avait insisté pour faire elle-même ses propres machines, sa cuisine, le ménage dans sa chambre. Elle avait prétexté que désormais, elle était une grande fille, qu'elle avait besoin de s'occuper d'elle-même toute seule, de prendre son indépendance et qu'accessoirement, elle préférait ne pas leur laisser sur les bras son linge taché de sang. Comme elle l'avait prévu, ce dernier argument avait fait mouche ; vivre avec deux hommes avait ses bons côtés. Ceci fait, rien de plus simple que de s'armer d'un nécessaire à couture et d'aménager dans une poignée de vêtements des compartiments secrets bien pratiques. Elle en avait eu l'idée en se souvenant des bonbons que cachait Kurono dans la manche de sa veste et qu'il lui donnait dès que Chisaki avait le dos tourné. Elle en voyait parfois, de la même marque, dans les magasins. Quelques semaines auparavant, elle avait craqué et en avait acheté un paquet, qu'elle cachait avec les plus précieux de ses trésors.

Arrivée dans le train, elle trouva une place assise au fond du wagon, enfonça ses écouteurs dans ses oreilles et ouvrit le livre qu'elle venait d'acheter. Mais tout ça n'était que du bluff. Elle n'écoutait aucune musique et ses yeux glissaient sur les pages sans jamais les lire. Elle avait simplement besoin d'un espace à elle et de signaler au monde : « Je suis dans ma bulle, ne me dérangez pas ».

Le trajet dura trois bons quarts d'heure. Comme toujours, une boule d'appréhension lui serrait le ventre. Si on la voyait, si quelqu'un la reconnaissait, c'était terminé. On lui demanderait ce qu'elle faisait là et, même si elle avait préparé à l'avance une bonne dizaine d'excuses qui se valaient — « je vais voir mon petit ami, mais il est déjà au lycée, on préfère rester discrets », « je vais acheter un cadeau en ville, ça doit rester une surprise » ou même « j'ai besoin d'évacuer toute la pression des examens, je vais à la salle d'arcade » — cela créerait un précédent qu'elle préférait éviter.

Elle arriva sans encombres à la gare d'Ueno et se fondit dans la foule pour se diriger vers les casiers de consigne. Là, au milieu de la fourmilière tokyoïte, elle arriva enfin à se détendre : elle n'était plus qu'un visage parmi des milliers, personne ne prêterait attention à elle. Dans le casier 54, elle récupéra les clés ainsi que l'adresse qu'on avait déposées à son attention et piocha par la même occasion un petit bonbon dans le sachet. Le goût de melon sur sa langue lui donna envie de pleurer.

Elle ne connaissait pas l'adresse mais arriva tout de même à se repérer grâce aux indications sur le bout de papier. Pas question d'utiliser le GPS de son téléphone, qu'elle avait d'ailleurs basculé en mode avion ; on ne devait pas pouvoir la tracer, en aucun cas.

En haut d'un immeuble, une immense affiche du superhéros Deku attirait l'oeil. Eri resta immobile devant le passage piéton un long moment, les yeux perdus dans les nuances de vert de son costume. Elle ne détestait pas Izuku, pas du tout. Au fil des années, elle avait appris à l'apprécier, sans faire semblant, sans se forcer à sourire. Mais elle avait toujours su qu'elle ne pourrait jamais lui faire entendre ses arguments. Dès le départ, une chose avait été claire et jamais cette idée ne l'avait quittée : les héros devaient disparaître et les Alters en même temps. Les Alters ne cessaient de se transformer, de devenir plus puissants, plus incontrôlables. Et bientôt, si on ne faisait rien, ils causeraient la fin du monde.

Izuku était un héros. Ils faisaient partie de ceux qui vivaient de leur Alter et qui avaient tout intérêt à ce qu'ils subsistent. Et si aux yeux d'Eri, Izuku étaient au moins de ceux qui usaient de leur Alter par bonté d'âme, pour sauver son prochain, elle ne pouvait pas en dire autant de tous ses confrères. Il devrait être le sacrifice nécessaire à la construction d'un monde meilleur.

Un coup de klaxon la ramena à la réalité. Eri s'empressa de traverser, se remettant en quête de l'adresse qu'on lui avait communiquée. A force de bifurcations, elle se retrouva face à un grand immeuble ; elle devait se rendre au sixième étage. Avant de monter, elle enfila une paire de gants, pour être sûre de ne laisser d'empreinte nulle part.

Comme d'habitude, elle trouva un appartement complètement vide, à l'exception d'une table basse, trônant sur une bâche de plastique bleu et d'un petit réfrigérateur. Elle posa son sac dans l'entrée, retira ses chaussures et attendit quelques secondes, l'oreille tendue. Personne. Elle avança dans l'appartement, ouvrit le mini-frigo et en sortit une trousse ainsi qu'un flacon de gel. Avec le pulvérisateur qui se trouvait au pied de la table, elle désinfecta toute la zone et entreprit de vider la trousse, qui contenait tout ce dont elle aurait besoin : un scalpel, un kit de prélèvement sanguin, deux flacons — un grand et un petit — et pour après, tout le nécessaire pour les pansements.

Elle commença par retirer sa chaussette. Les premières fois, elle avait prélevé à son bras, mais il s'était vite avéré que les traces étaient moins faciles à cacher et l'emplacement bien moins pratique. En se repliant sur son pied, au moins, elle gardait ses deux mains libres et pouvait dissimuler les plaies dans de grosses chaussettes. Après s'être désinfecté les mains et avoir enfilé une paire de gants neufs, elle attacha le premier flacon — un tube en verre pas beaucoup plus épais que son doigt — au bout de l'aiguille, étira son pied pour mieux voir la veine et y enfonça la pointe de métal. Elle expira doucement, savourant la brûlure famillère dans l'aiguille dans sa chair, tandis que le flacon se remplissait d'un liquide sombre, qui semblait presque noir dans la pièce mal éclairée.

Une fois qu'elle eut fini et pansé la plaie, elle passa à la seconde étape. On lui avait préparé, comme toujours, une petite seringue d'anesthésique local qu'elle laissa de côté. L'opération était certes plus simple sans la douleur qui allait avec, mais Eri craignait la contamination de ce si précieux échantillon, et préférait quelques minutes de souffrance à des semaines de recherche gâchées. Elle désinfecta la peau de son mollet, un peu au-dessus de sa cheville, au même endroit où elle avait prélevé le dernier échantillon. Avec l'aide de son Alter, elle avait réussi, petit à petit, à effacer toute preuve de la blessure. Il ne subsistait rien, pas la moindre petite trace de cicatrice.

La morsure du scalpel dans sa chair lui arracha un cri. Sans lever les yeux de sa tâche, elle attrapa entre ses dents le col de son pull et mordit de toutes ses forces. Ce n'était qu'un carré de peau d'un centimètre sur un centimètre, mais à chaque fois, elle avait l'impression de s'écorcher vive du haut du crâne jusqu'aux orteils. Elle cligna des yeux pour en chasser les larmes qui y poignaient sans qu'elle le veuille, tandis que les gouttes de sang coulaient le long de son pied pour se répandre sur la bâche bleue. Une fois les bords de l'échantillon bien défini, elle en souleva le bord et décolla doucement le tout. La douleur lui faisait tourner la tête, mais elle tint bon, se rappelant sans cesse à quel point ces quelques instants de souffrance étaient cruciaux. Puis, elle plongea le carré de peau dans le deuxième flacon, rempli d'un liquide de conservation.

Une fois le pansement bien en place, Eri plaça ses prélèvements dans le réfrigérateur et nettoya l'endroit de fond en comble. La cour de l'immeuble possédait un incinérateur, dans lequel elle jeta les compresses souillées de sang. En partant, elle croisa un homme, qui entrait dans le bâtiment au même moment qu'elle en sortait. Il portait, en plus d'une capuche, un masque noir et de petites lunettes rondes. Ils s'échangèrent tous deux un bref regard, puis un signe de tête.

Eri rentra, ignorant tant bien que mal la douleur dans son pied. Comme elle l'avait prévu, Aizawa n'était pas encore là quand elle arriva. Elle échangea quelques mots avec Mic, lui raconta à quel point la séance s'était bien passée et à quel point elle était fière de ses cadettes qui reprendraient le flambeau de l'équipe comme des championnes, même si la petite numéro 10, dernière arrivée du groupe, avait encore du chemin à faire pour maîtriser tous les fondamentaux. Rien que du très banal, que de l'invérifiable. Elle prétexta une grosse fatigue et une envie de se faire couler un bon bain pour s'éclipser.

Un des points avait mal tenu et laissé échapper un peu de sang, qui avait taché sa chaussette, heureusement trop sombre pour qu'on le remarque. Elle se rafistola tant bien que mal avec des sutures adhésives dénichées dans l'armoire à pharmacie et passa les deux heures suivantes à se délasser dans l'eau chaude. Désormais, elle ne pouvait que prendre son mal en patience, et attendre qu'arrivent les résultats. Mais elle s'assurerait que le sacrifice de Chisaki ne soit pas vain.

Deux semaines plus tard, elle se rendit de nouveau à la gare d'Ueno. Dans le casier 54, il n'y avait pas de clé, ni d'adresse, mais une boîte. Eri la fourra dans son sac et fila aux toilettes pour en vérifier le contenu.

A l'intérieur, calés par du velours comme dans un écrin, un revolver tenait compagnie à cinq balles rouges.

Eri ne put retenir un sourire.