La première fois est entièrement la faute d'Anya.

Elle a voulu la sortir de l'académie pour son weekend de congé, et s'est dit que ça ferait plaisir à sa petite cousine d'aller manger dans l'un de ces restaurants branchés dont ses amis de la fac de droit ne cessaient de la bassiner avec. Ce qu'ils ont oublié de lui dire, les amis d'Anya, c'est que tout aussi branché et in qu'est le resto, il ne prévoit pas une liste d'allergènes dans ses menus.

C'est quand Lexa a commencé à ne plus pouvoir former de mots compréhensibles et à pousser des râles d'agonie entre deux gonflements d'œil et de joues qu'Anya s'est rappelée qu'il y avait des crevettes cachées dans la mousse d'avocats qu'elle venait de lui faire avaler. Et que sa cousine en est allergique.

Lexa s'est mise à gonfler comme une baudruche dans la voiture, et à tenter de communiquer avec une langue de bœuf pour lui donner les instructions jusqu'aux urgences - ce qui s'est avéré peu pratique, surtout quand Anya s'est engagée dans un cul-de-sac dans la précipitation.

Le médecin des urgences qui les accueille est beaucoup moins paniqué qu'Anya, heureusement. Une fois que Lexa, qui donne vraiment l'impression de s'être fait attaquer par un essaim de guêpes enragées, se met à dégonfler, les deux cousines se mettent à respirer normalement de nouveau.

Le médecin leur demande de rester calme pendant une heure, leur promet qu'un collègue viendra plus tard prendre sa relève et avec dernier regard en direction d'Anya, quitte la petite pièce du service d'allergologie où on les a installées.

Sitôt qu'il est parti, Anya se remet à arpenter la pièce de long en large.

« Je suis vraiment désolée, Lex. Si j'avais su … »

« Tu ne m'aurais pas fait ingurgiter ce cocktail de force ? » grommelle Lexa

Le seul réconfort qu'elle trouve dans sa face défigurée est de voir Anya tourner en rond devant elle. Sa cousine admet rarement qu'elle a tort, mais cette fois c'est de la faute et elle le sait. La voir se torturer de la sorte ne lui fait pas plaisir non plus, mais Anya est ainsi – elle tournera en rond encore et encore dans cette petite chambre jusqu'à en laisser une trace au sol.

Lexa voudrait avoir quelque chose de positif à lui dire, mais elle ne trouve rien. Elle déteste l'hôpital, et ses murs blancs, et son odeur, et sa bouffe, même si Anya remarque qu'elle ne restera pas assez longtemps pour avoir à la subir.

Quand la porte s'ouvre, Lexa en est au point de critiquer le confort du lit sur lequel elle est assise, et elle est tellement prise dans sa tirade qu'elle ne remarque même pas la nouvelle arrivante.

« Bravo ! Je n'ai jamais entendu quelqu'un décrire la dureté de nos matelas si précisément ! »

Anya et Lexa sursautent toutes les deux, et se retournent vers la blonde en blouse blanche qui les regarde depuis le pas de la porte, clairement amusée.

« Si vous êtes assez en forme pour le sentir, j'en présume que les anti-inflammatoires ont fait effet. »

Anya et Lexa s'échangent un regard que la blonde n'aperçoit pas, trop occupée à parcourir des yeux la feuille qu'elle a la main.

« D'après ce que j'ai compris, mon collègue vous avait laissé dans un état bien plus piteux que celui-là, donc il y a du progrès c'est bien. Comment vous sentez vous ? »

« Euh … mieux » répond Lexa, un peu perturbée « Beaucoup mieux. »

La blonde marche droit vers le lit, se met à l'ausculter et à l'observer de près dans un examen que ni Lexa ni Anya ne comprennent vraiment, mais qui a l'air drôlement minutieux à en croire les commentaires qu'elle griffonne sur la feuille.

« Excusez-moi, mais vous êtes pas beaucoup trop jeune pour être médecin ? » demande grossièrement Anya

Lexa détache ses yeux de la blonde pour jeter à sa cousine un regard en biais, mais la concernée n'a pas l'air insultée de la question, et répond d'un air tranquille tout en poursuivant son examen.

« Je ne suis pas encore tout à fait docteur, c'est vrai, pas tant que je n'ai pas encore passé ma thèse. Je travaille sous les ordres d'un médecin titulaire, mon chef de service si vous préférez. »

« Mais vous êtes qualifiée pour la soigner ? »

« Anya ! »

Lexa ne sait plus où se mettre, mais la blonde ne se vexe pas et en glousse même.

« Je suis en dernière année d'internat, si cela peut vous rassurer. Et vous pouvez même m'appeler docteur. »

« Docteur comment ? » demande Lexa avant de pouvoir se retenir

Heureusement que les crevettes ont déjà laissé une belle coloration rouge à ses joues, parcequ'on ne voit pas la différence quand elle rougit maintenant.

« Docteur Griffin » dit la blonde

Un instant, elle regarde Lexa dans les yeux, et si Lexa ne croyait pas au destin auparavant, elle aurait pu renier toutes ses convictions à l'instant sans aucun remords. Quoiqu'il en soit, le docteur Griffin ne semble pas plus perturbée que ça aux yeux amourachés d'amour de sa patiente, et reprends sa fiche.

« Bien, vous avez bien fait de venir quand même, les allergies de ce genre peuvent vite dégénérer en choc anaphylactique. On vous a traité d'urgence, mais il faudra un suivi, je vais vous mettre sous corticoïdes et antihistaminiques pendant quelques jours. »

Le charme est tout de suite rompu.

« Ça va encore être une piqûre ? » demande Lexa en tremblant presque

« Il faut pas lui en vouloir, elle a peur des hôpitaux. »

« J'ai pas peur ! » rugit Lexa, qui préférait quand sa cousine était pleine de remords, et silencieuse « J'aime pas les seringues, c'est tout ! »

« Non, ne vous inquiétez pas, plus de piqûres … » sourit doucement la blonde « Même si je recommanderai quand même un épipen sur vous en permanence, au cas où vous retombiez par accident sur des crevettes cachées. Vous pourrez sortir dès que vous vous en sentirez capable, il n'y a pas de raison de vous retenir ici plus longtemps ! »

Elle se penche vers sa feuille gribouiller quelques hiéroglyphes pour lui tendre une ordonnance illisible, et lui souhaite un prompt rétablissement avant de repartir la où le devoir l'appelle maintenant.

Lexa la regarde partir, une larme à l'œil qu'elle mettra sur le dos de la menace de la seringue si Anya lui en fait la remarque. Sa cousine ne fit pas défaut à ses attentes, et ne tarda pas à s'assoir au bout de son lit pour lui sourire d'un air qui ne promettait rien de bon.

« Je crois que quelqu'un a un crush sur l'interne … »

« Qui ? » demanda Lexa en fronçant les sourcils

« Toi andouille ! » ricana Anya « T'as envie qu'elle t'ausculte encore, hein ? »

« Parle plus fort le mec dans le coma au cinquième étage t'a pas entendu ! » rugit Lexa

« C'est ça … allez Roméo, prends ta veste, on y va puisque ta copine t'a congédié. Je t'offre un dessert, sans crevettes cette fois »

Anya aide Lexa à sortir du lit et l'entraine hors de la chambre d'urgence, ramassant au passage l'ordonnance qui était tombée au sol.

La dernière remarque qu'entend la chambre avant que la porte ne se referme est une voix qui proteste, à la manière d'un enfant « Je sais même pas son prénom … ».


La deuxième fois est partiellement la faute d'Anya, ce qui est déjà un progrès.

Deux mois après sa mésaventure avec les crevettes, elle est de retour dans la voiture d'Anya, où les gros bras de Linkon l'ont déposé sur la banquette arrière après l'y avoir porté dans le moins de contorsion possible. Anya la hisse comme elle peut sur son épaule, parceque Lexa ne peut plus poser le pied au sol, et elles se retrouvent clopin-clopant à l'accueil des urgences.

Après avoir fait tous les examens nécessaires et avoir reçu une suture sur son front, on les dirige dans une chambre partagée cette fois, et Lexa doit boiter entre le lit où dort déjà un petit vieux et celui où une adolescente fait des grosses bulles de chewing-gum en pianotant sur son portable.

Lexa a visiblement beaucoup de choses à dire à sa cousine, mais a trop mal pour les sortir, et Anya, qui ne se considère pas des moindres impliquée dans l'accident, en profite largement.

« Si tu t'es fait une blessure de vieille style pété le col du fémur, j'envoie une photo à Mamie, ça la fera marrer. » ricane Anya

« C'est pas drôle ! » grogne Lexa « Je douille là … Et c'est de ta faute ! »

« C'est de ta faute à toi toute seule. »

« Toute seule ? »

« D'accord, un peu aidée. »

Lexa sort un chapelet d'injures, mais s'en mord presque la langue quand la blouse blanche apparait au coin de la salle, et qu'elle reconnait immédiatement la blonde qui entre avec des radios dans la main. Et la reconnaissance s'avère réciproque.

« Oh mais on se connait ! Je me disais bien avoir que le nom sur la fiche me disait quelque chose ! » sourit le docteur Griffin « Sans ça, je ne vous aurai sûrement pas reconnu mademoiselle Woods, avec votre dégonflement facial … »

Lexa se décompose, mais la médecin éclate aussitôt de rire.

« Non je plaisante ! »

Anya hoche de la tête, visiblement impressionnée par la blonde, et lui serre la main en murmurant tout bas quelque chose qui ressemble à 'vous me plaisez bien Docteur'.

Clarke cligne des yeux face à elle, et préfère se retourner vers Lexa sans relever, ses yeux parcourant à toute vitesse les différents papiers qui constitue le dossier médical dans sa main.

« Il faut tout de même arrêter de se rencontrer comme ça … pour quelqu'un qui n'aime pas les hôpitaux, vous passez certainement beaucoup de temps aux urgences mademoiselle Woods. »

Lexa s'empourpre jusqu'à la racine des cheveux mais le docteur Griffin ne le remarque pas, trop occupée parcequ'elle lit.

« Vous êtes encore interne ? » lui demande Lexa, histoire de subtilement changer le sujet

« Oh, je suis enfin passée médecin. Urgentiste. » réplique l'autre sans lever les yeux de sa feuille

« Wow, c'est super ! »

Anya roule des yeux, mais le docteur Griffin interrompt sa lecture effrénée pour lui sourire.

« Merci » Le sourire est sincère, tellement que Lexa sent le rouge lui monter à nouveau aux joues, et quand elle reprend sa fiche, il lui semble que la médecin rougit légèrement aussi. C'est peut-être les antidouleurs qui parlent, cependant. « Alors, pourquoi on est là aujourd'hui ? »

« Un clou. » dit Anya, qui commence à se sentir de trop

« Un clou ? Mais il n'y a pas de blessure à la main dans les fiches patient qu'on m'a donné »

« Non, c'est-à-dire - » commence Lexa

« Lexa voulait planter un clou et est tombée de l'escabeau parceque le chien a foncé dedans. » la coupe Anya

Lexa essaye de lui faire des signes de main pour lui couper le sifflet, mais la blonde a l'air de vouloir embrayer sur le sujet, et avec intérêt.

« Oh, vous avez un chien ? »

« Non, c'est mon chien » dit Anya « Un grand danois. »

Lexa la voit esquisser le geste d'aller chercher son portable dans sa poche - Anya est toujours prête à montrer des photos de son chien à tout le monde - mais ce n'est pas vraiment le moment, et Lexa se racle la gorge pour ramener l'attention à elle.

« Tombée d'un escabeau, donc » reprend la blonde, plus professionnelle que jamais « Bien, ça explique … ce genre de blessure est fréquente quand on tombe de haut. »

« Pourquoi, qu'est-ce que j'ai ? »

« Une luxation de la hanche. Regardez on voit bien sur la radio, la tête du fémur est sortie du bassin. »

Les deux cousines se penchent sur la radio qu'elle leur montre, et qui les fait toutes les deux grimacer de dégoût.

« C'est marrant on dirait que t'es montée en kit Lex, regarde ! »

« Tordant. » ronchonne Lexa

« Vous êtes tombée sur le genou non ? » demande la médecin

« Oui, sur le genou » confirme Lexa

« Et sur le front. » rajoute Anya

« Anya ! »

« Ah, pardon, elle est tombée sur le genou, et elle s'est rattrapée sur le front. Elle s'est mangée la dernière marche de l'escabeau, c'était pas beau à voir. »

Lexa ne peut pas foudroyer sa cousine du regard comme elle l'aurait voulu parceque la blonde dirige ses yeux bleus vers elle, pour examiner les sutures qui referment la plaie de son front.

« Ça doit être la pire blessure que vous ayez jamais vu … » soupire Lexa

« Oh non croyez-moi, vous seriez étonnée ! » rit la blonde « Bien, je vais devoir la remettre, mais j'ai bien peur de ne pas avoir assez de force … je vais avoir besoin d'un collègue. »

Elle s'excuse sortir téléphoner dehors, et Anya en profite pour suggérer à Lexa de lui demander son numéro quand elle en aura l'occasion. Cinq minutes plus tard et les deux médecins penchés sur la jambe ne sont pas des plus rassurants.

« C'est un miracle que vous ne vous soyez pas fracturé autre chose » remarque le docteur Pine, le collègue du docteur Griffin « C'est embêtant, mais ça aurait pu être bien pire. Et je pense que tu avais raison, Clarke. »

Lexa est tellement ravie d'apprendre le prénom de la blonde qu'elle ne remarque pas le regard tendu qu'échangent les médecins. Anya, elle, est aux abois et leur demande tout de suite des comptes.

« Et bien, il y a une mauvaise nouvelle » dit le docteur Griffin « On est à un stade trop avancé pour se contenter d'une simple tranquillisation »

« Ce qui signifie ? » demande Anya

« La réduction s'effectue sous anesthésie générale pour obtenir un relâchement musculaire complet. » explique le docteur Pine

Cette fois Lexa se redresse d'un coup dans son lit, et crie tellement fort qu'elle ne veut pas d'anesthésie qu'elle en réveille le petit vieux qui ronflait au loin. Le docteur Pine sort tout un arsenal d'arguments, mais ce qui finit par la convaincre est la petite phrase du docteur Griffin, alors qu'on roule son lit jusqu'à la salle d'opération.

« Je serai là à votre réveil »

Et en effet, quand Lexa se réveille quelques heures plus tard dans le même lit et dans la même chambre, Clarke, enfin le docteur Griffin est là. Anya aussi, mais dans sa torpeur et depuis le nuage sur lequel elle semble flotter, Lexa la remarque à peine.

« Hey ! » bafouille-elle gaiement

Il lui semble entendre un drôle de bruit du côté de sa cousine, qu'elle préfère ignorer. Un coup d'œil vers elle confirma que sa cousine, qui s'était tout de suite rapprochée du lit en l'entendant, arborait son expression favorite – un mélange d'amusement et de contrariété qui la faisait beaucoup ressembler à leur grand-mère commune.

« Tout s'est bien passé ! » lui vient la voix du docteur Griffin à travers le coton qui l'entoure « Pendant un petit temps, il faudra surveiller que vous n'ayez pas d'autres lésions, comme une déchirure musculaire ou nerveuse, même si je n'en suis pas convaincue. »

Lexa acquiesce du mieux qu'elle peut, ce qui dans son état ne ressemble pas à grand-chose.

« Si vous avez mal, que vous sentez la douleur se réveiller d'une quelconque manière, vous pouvez appuyer sur ce bouton et une infirmière viendra. »

Lexa tend une main un peu tremblante vers le bouton rouge, qu'Anya éloigne aussitôt en rabaissant son bras.

« Vous n'en n'aurez pas besoin normalement, vous avez reçu une bonne dose d'antidouleurs » sourit la blonde « Comment vous sentez vous ? »

« Propre ! » sourit Lexa

« Elle veut dire bien. » corrige Anya

« J'ai l'habitude de ce genre de réponse » rit la docteur « Mademoiselle Woods, vous porterez une attelle pendant quinze jours minimum, j'ai un collègue rééducateur qui est génial, vous verrez. Est-ce que vous avez des questions pour moi ? »

« Vous faisiez quoi ? »

Anya ne s'entendait visiblement pas à cette question, mais le docteur Griffin, qui en a vu d'autres, répond sans même sourciller.

« Votre cousine était en train de me montrer des photos de Duke. Il est très mignon, je dois dire ! »

« Mignon, il m'a cassé la jambe … » grommela Lexa

« Il est à la maison, c'est un collègue de Lexa qui le garde » dit Anya, avec un drôle de regard en coin pour sa cousine « Je pourrai demander à Lincoln de venir nous rejoindre quand Lexa sortira. Ca serait l'occasion de le voir en vrai. »

Lexa, si elle était capable de former des phrases compréhensibles, lui aurait sûrement fait comprendre que ses petites allusions subtiles ne l'étaient pas du tout, et qu'elle allait au-devant de gros ennuis si elle continuait à lui envoyer des regards sous-entendus dès qu'elle en avait l'occasion. Le docteur Griffin, elle, n'est visiblement pas du même avis, puisqu'elle hoche de la tête avec application.

« Avec joie ! Peut-être que mademoiselle Woods pourrait me montrer des photos d'ici là, que je sois préparée à rencontrer ce grand bonhomme »

Lexa a beau être à moitié dans le pâté, elle réalise quand même devant le sourire de la blonde et son regard appuyé qu'elle parle peut-être de plus que de Duke.

« Mais … vous avez pas d'autres gens à voir ? » se risque-elle à demander

« C'est ma pause. » explique simplement la blonde

« Parfait, je vais en profiter descendre chercher un café en bas puisque quelqu'un est là pour surveiller Lex » dit très fort Anya, en se relevant du lit comme une flèche « Je risque de me perdre dans les étages, ne m'attends pas ! »

Lexa rougit et bredouille alors qu'Anya fait des gestes de main plutôt équivoques dans le dos de la médecin, et ne s'en va pas avant d'avoir rappelé à Lexa qu'elle aura besoin de rééducation.

Lexa reste seule avec la blonde, à discuter avec elle – ou plutôt à l'écouter parler – de grands Danois et d'escabeau, et quand elle se relève pour annoncer la fin de sa pause, Lexa se redresse elle aussi. Les anti-douleurs l'ont envoyé sur la lune, et maintenant qu'elle y est, elle ne voit plus vraiment les limites de ce qu'elle ferait en temps normal.

Elle ne sait pas si ce sont eux qui lui donnent du courage – ou de la folie – de demander à Clarke si elle veut prendre un café avec elle, un jour. Dans le futur proche où elle aura récupéré sa jambe, elle rajoute. Elle regrette les mots dès l'instant où elle les entend, et se trouve ridicule avec son pansement sur le front, sa jambe surélevée, et le souvenir très récent d'un gonflement facial dû à des crevettes encore incrustée dans sa mémoire.

Aucune marche d'escabeau ne pourrait effacer de sa mémoire le sourire de la blonde quand elle accepte.


La troisième fois, elle arrive sur un brancard.

Elle entend à peine les sirènes hurlantes de l'ambulance, et Lincoln qui lui tient la main pendant tout le trajet lui dit des choses qu'elle ne comprend pas. Son uniforme est taché de sang. C'est la dernière chose qu'elle remarque avant de s'évanouir complètement.

C'est la grosse voix grave de Lincoln qui la tire de son sommeil, combien de temps après, elle ne le sait pas. Elle se réveille dans un lit d'hôpital, dans une chambre qui lui rappelle de mauvais souvenirs. Elle ne porte plus son uniforme mais une espèce de blouse d'hôpital sans forme et d'une couleur gris sale.

Lincoln lui raconte qu'elle était en train de courir après un type qui s'est retourné contre pour lui mettre un coup de canif dans le ventre. La lame n'a rien de touché de vital mais, et Lincoln insiste là-dessus, ça n'est pas passé loin. Lexa ne se rappelle pas de grand-chose, mais est vite remise dans le bain.

Il y a du bruit dans le couloir, avec une voix que Lexa reconnait aisément qui est en train de hurler à en faire trembler les murs. Il semble, si l'on en croit Lincoln, que dans son état semi-conscient dans l'ambulance elle ait essayé de ne pas faire prévenir Clarke, pour ne pas qu'elle s'inquiète.

Sa demande comateuse a tellement bien réussi que Clarke est en train de presque défoncer la porte pour rentrer dans sa chambre, et finit par y débouler, complètement furieuse et la blouse enfilée tellement à la hâte qu'elle a raté un bouton. De tous les six mois qu'elles sont ensemble, elle n'a sûrement jamais été aussi énervée.

« Oh Bébé, j'allais te - » gazouille Lexa avant d'être réduite au silence d'un regard

Clarke marche à grands pas, droit vers le lit où Lexa se recroqueville de plus en plus, et Lincoln profite que personne ne prête attention à lui pour s'éclipser, prétextant devoir appeler Octavia.

Lexa s'attend à ce que Clarke se mette à crier toute une listes de reproches qu'elle mérite amplement, mais sa petite amie la surprend en éclatant en sanglots au bord de son lit. Lexa voudrait bien la prendre dans ses bras, mais elle est reliée à tout un tas de machines qui l'empêtre dans des fils, et essaye de son mieux de lui attraper la main.

« Pourquoi tu pleures Clarke ? »

« Pourquoi je pleure ? Tu es dans un lit d'hôpital, avec tes intestins à moitié sortis et vidée de la moitié de ton sang Lexa ! » Lexa ne sait pas quoi répondre, le ventre tordu par la culpabilité. « J'ai eu peur … tu ne peux pas savoir comme j'ai eu peur ! Et en plus tu ne voulais pas que je l'apprenne ? Tu sais ce que j'ai du leur dire pour pouvoir rentrer ? »

« Je voulais pas t'inquiéter, c'était seulement un coup de canif … »

« Et si ça avait été une balle ? » rétorque Clarke

Ses yeux ne lâchent pas l'électrocardiogramme à côté du lit, peut-être parcequ'elle a peur de regarder directement le teint cireux de Lexa, et sa perfusion, et sous les draps, les bandages qui recouvrent son ventre. Et Lexa ne trouve rien de mieux à répondre que « Clarke c'est mon travail. »

Ce n'est pas la bonne chose à dire, puisque Clarke se relève du lit, les oreilles fumant presque de colère, et relâche la main de Lexa.

« Et mon travail à moi c'est de récupérer les gens comme toi pour les retaper ! Tu ne sais pas ce que je vois ici chaque jour ! T'as aucune idée de ce que ça aurait pu être ! Et puisque tu t'en fous d'être ici, très bien pour toi, rappelle moi quand tu auras conscience de ce que ça me fait, à moi ! »

Clarke s'en va en claquant la porte. Lexa se retrouve seule, à comprendre pour la première fois qu'elle n'est pas la seule à souffrir de ses petits séjours à l'hôpital. Elle sera plus prudente, elle le promet. Elle n'a encore rien pas brisé une seule promesse qu'elle a fait à Clarke.


La quatrième fois est aussi la première fois où l'infirmière qui consulte son dossier remarque que Lexa pourrait avoir une carte d'abonnement aux urgences.

Et par la même occasion, elle créé tout un embouteillage à l'accueil, à tel point qu'il faut deux membres du service d'ordre pour calmer le petit groupe qui l'accompagne et répartir tout le monde dans la salle d'attente. Leur arrivée remarquée attire beaucoup de regards – il faut dire qu'ils ne sont pas habitués à voir une mariée dans sa robe blanche et sa traine aux urgences, encore moins une accompagnée de tous les témoins et une bonne partie des invités. Il ne manque plus que le prêtre, et le groupe est au complet.

La salle d'attente n'a jamais connu autant de costumes trois pièces, et de belles robes. Celle de Lexa est toute tachée, pas de sang pour une fois mais d'échantillon d'à peu près l'entièreté du buffet sur lequel elle est allée s'étaler en tombant, mais ce n'est pas vraiment son souci principal.

Clarke tient contre son œil un torchon où elle a empilé des glaçons en urgence, et Lexa s'applique à foudroyer Raven de l'autre.

« Avec ta méthode japonaise de sabrer le champagne ! N'importe quoi ! Je vais t'étrangler dès que je sors d'ici ! »

« Avoue que c'est drôle ! » tente Raven

« Ah oui, c'est vrai que je me bidonne ! » rétorque Lexa « Un bouchon de champagne dans l'œil, au mariage où je suis témoin en plus ! Je vais avoir l'air de quoi sur les photos ? »

« D'un pirate ? » lance depuis sa place Jasper, dont la cravate était sur la tête quelques secondes avant

« Il faut l'excuser, il a trop bu ! » dit vite Monty

« Ben non, c'est vrai ! Surtout quand t'auras ton bandage sur l'œil, Lex » rigole Jasper

Il se fait vite évacuer prendre l'air à l'extérieur par Monty, avant que Lexa ne l'envoie dans un autre service des urgences. Murphy, qui a eu le malheur de demander si au moins le champagne était bon, ne tarde pas à la rejoindre et Bellamy, qui a voulu prendre une photo en douce, est expédié dehors aussi.

Bientôt, il ne reste plus grand monde dans la salle d'attente, victimes les uns après les autres du double regard revolver des Woods – avec pour une fois, trois yeux pour les deux car une des cousines n'a plus qu'un seuil œil valable. Octavia et Lincoln sont les seuls à être partis parcequ'on le leur a demandé et sur l'insistance de Lexa, histoire qu'ils fêtent quand même leur mariage. Ils s'en vont en récupérant les avinés qui ont été virés dehors, en obtenant de Clarke la promesse qu'elles reviendront sitôt Lexa prise en charge.

Ne restent avec Clarke et sa blessée que Raven, qui se sent obligée d'être là, et Anya, qui est soit disant là pour le soutien logistique, mais qui a en fait pactisé avec Bellamy pour tenter de prendre une photo de Lexa avec son œil en compote.

Seule Clarke est efficace pour calmer Lexa, qui finit d'arrêter de menacer Raven de tout un tas de trucs pour poser sa tête contre l'épaule de la blonde et tenter d'oublier sa douleur. Sa tranquillité relative s'évanouit quand Clarke sursaute, surprise par la main sur son épaule d'un collègue qui l'a reconnue.

« Griffin ! Mais je ne savais pas que tu étais de garde ce soir, tu étais pas sur le - » Il s'arrête quand il aperçoit sa tenue, bien loin de la blouse blanche dans laquelle il a l'habitude de la voir.

« C'est pas pour moi » dit Clarke « Ma petite amie a reçu un bouchon de champagne dans l'œil … »

« C'était un accident ! » précise Raven derrière

« Ah oui c'est la saison des mariages, on en voit souvent … On va aller regarder ça » sourit le collègue

Lexa et Clarke disparaissent à sa suite, et reviennent un petit bout de temps après avec lui dans la salle d'attente où Raven et Anya sont en train d'avoir un débat animé sur le meilleur Pokémon.

« Vous avez de la chance, vous auriez pu perdre votre œil » dit tranquillement l'interne, alors que Lexa, toute blanche sous son pansement, se fait traîner par Clarke, qui elle au contraire a l'air drôlement rassurée. « Normalement vous ne devirez pas avoir trop de séquelles quand même. Il faudra un suivi chez un ophtalmologue, je fais confiance à Clarke pour vous amener chez un bon, je sais qu'elle a quelques adresses … Suivez bien mes recommandations, et n'enlevez pas le pansement trop tôt, tout ira bien. Profitez bien du reste de votre soirée ! »

Il s'en va après avoir serré la main de Clarke, la laissant gérer Lexa qui boude dans son coin.

« On peut retourner au mariage, mais on va devoir y aller mollo » explique la blonde « Pas d'alcool, pas de mouvement brusque donc pas de danse … »

« Ouais, fin de la fête quoi » résume Anya

« On en rira dans quelques années ! » tente de sourire Raven

Même l'œil sous le pansement lui jette un regard noir, elle en est sûre, et elle préfère reculer d'un pas, les mains en l'air.

« Euh ben … en attendant que vous soyez prêtes, je vais aller en rigoler maintenant, dans le couloir »

Raven s'éclipse loin de la salle d'attente, et Anya la suit, leur demandant de les retrouver sur le parking.

« Elle a pas tort, c'est si grave que ça » sourit Clarke, une main sous le pansement blanc

« Tu trouves ? » gronde Lexa « J'ai failli perdre mon œil, et maintenant j'ai une tête de chou-fleur ! »

« Je t'ai déjà vu dans un état bien pire » rit Clarke « Tu te souviens des crevettes ? »

« Oui, je me souviens des crevettes merci » ronchonne Lexa « Tu parles d'une première rencontre … »

« Au moins elle était originale »

Lexa veut protester encore un coup, mais Clarke l'embrasse pour la faire taire, ce qui s'avère tout aussi efficace qu'un calmant sur elle.

« Les photos seront mémorables. On va s'en rappeler longtemps de celle-là » sourit Clarke « Allez viens ! »

Clarke s'éloigne, et Lexa, bien obligée de la suivre, le fait en traînant le plus possible des pieds.

« Tant qu'on oublie le coup des crevettes … »


La cinquième fois, Lexa pourrait presque en pleurer.

Pas parcequ'elle a mal, mais à cause de la situation dans laquelle elle s'est encore fourrée. Il n'y a qu'elle pour se blesser pendant leur lune de miel, dans un pays étranger, où les médecins ne parlent pas la même langue qu'elles en plus.

Clarke a essayé de se débrouiller pour leur expliquer l'accident avec des gestes, et a même remimé le moment où Lexa s'est ouvert le pied sur un rocher, sans grand succès. Elle n'a pas précisé que sa femme faisait de l'acrobatie sur les rochers en vue de lui ramasser des coquillages pour son compte instagram, et qu'au lieu de cela, Clarke postera sans doute une photo de ses béquilles.

« Tu crois qu'ils ont compris quelque chose à ce que tu lui as expliqué ? »

« Je sais pas, je parle pas Thaïlandais … je pense que oui remarque, une blessure comme ça ils doivent en voir souvent »

Lexa n'a pas l'air plus rassurée que ça, et Clarke la connait assez bien pour savoir qu'elle est train d'hésiter à repartir à cloche-pied sur sa jambe qui pisse le sang depuis la petite clinique de quartier jusqu'à leur hôtel, ce qui est absolument hors de question.

« Hey mon cœur, ils vont pas t'amputer non plus, juste te recoudre. »

« M'amputer ? » Lexa en saute presque au plafond. « Mais je veux pas, je vais attraper des maladies ! Le tétanos ! »

« Lex, arrête … tes vaccins sont à jour et le matériel est stérilisé, j'ai tout vu. Ils referment et c'est fini ! »

« Pourquoi tu me le fais pas toi, si c'est aussi simple que ça ! »

« Avec quoi ? Le matériel de couture de l'hôtel ? »

« Et bien … »

« Non. Tu t'es ouvert la moitié de la jambe, et tu ne peux plus marcher, tu as besoin de vraies sutures. Et de soins. »

Lexa accepte, à coup de cajoleries et de multiples promesses de la blonde, de rester en place quand on la recoud, mais ne lâche pas la main de Clarke ou le docteur des yeux de toute l'intervention. Elle ne trouve rien à redire sur la qualité relative des sutures qu'il lui pose, et de la propreté du bandage autour de son pied, alors elle se contente de critiquer la couleur des béquilles, et le fait qu'elle va sûrement sonner au portique de l'aéroport.

En attendant que le médecin qui l'a recousue ne revienne avec les béquilles – ou en tout cas, elles pensent qu'il va revenir avec, de ce qu'elles ont compris de son anglais fracturé – Lexa, dont la jambe bandée repose sur les genoux de sa femme, s'étale sur son siège en fermant les yeux, prête à faire une sieste sur place.

« Quelle journée … je suis désolée d'avoir gâché le voyage, Clarke. »

Clarke se penche pour embrasser la cicatrice qu'a laissé l'escabeau sur son front, et laisse trainer ses doigts dessus un instant, comme elle se plait à faire de temps en temps.

« T'as rien gâché du tout, mon cœur. Je suis contente que ça soit n'ait pas été grave que ça, te connaissant … »

Lexa grogne, mais ne proteste pas. Cette fois-là, il n'y a pas de Duke ou de Raven sur qui reporter la faute de l'accident, elle le sait bien.

« En tout cas, ça va faire la journée de Raven quand elle l'apprendra » sourit Clarke, le nez dans son portable

« Pourquoi elle l'apprendrait ? »

« Parceque je lui ai déjà envoyé une photo ? »

« Oh non Clarke ! »

Clarke hausse les épaules en adoptant un air innocent, et lui passe son portable pour lui montrer la photo qu'elle a envoyé à Raven. C'est un selfie, de Lexa qui foudroie le docteur des yeux alors que Clarke sourit tout grand à côté.

« T'en a pris combien des photos comme ça ? »

« Je sais pas, une dizaine ? Il faut bien que je documente. »

« Que tu documentes ? » rit Lexa « Qui ça peut intéresser les photos de mon pied en morceaux ? »

« Il faudra bien qu'on raconte à nos enfants comment ça s'est passé ! »

Lexa bégaie sous le choc un moment sans parvenir à trouver ses mots, et offre une tête si mémorable à Clarke, qu'elle finit par en prendre une photo aussi. Celle-là par contre, elle la garde précieusement pour elle.


La sixième fois elle se fait remarquer comme jamais, malgré tous ses efforts de passer inaperçue.

Linda est à la réception, et en la voyant arriver se dépêche d'aller l'embrasser sur les deux joues. Clarke adore Linda, qui a toujours un mot gentil pour elle ou des cookies maison dans son tiroir, et depuis qu'elle a assisté à leur mariage, Linda voue une admiration sans faille à Lexa, parfois un peu trop démonstrative.

Comme maintenant par exemple, quand elle l'invite à boycotter toute la file de patients pour passer à son guichet malgré ses non non de refus, et lui offre un – ou quatre - brownie, devant les regards confus de tous les gens de salle d'attente.

« Pourquoi vous passez par là pour aller au bureau de Clarke, madame Lexa ? » finit par demander Linda quand Lexa accepte enfin le brownie

« Non, je ne suis pas venue voir Clarke » Lexa essaye de parler à un volume moins prononcé qu'elle, ce qui est peine perdue pour la discrétion puisque Linda pousse un oh ! dans son micro qui réveillerait un mort « Je suis là pour aller aux urgences … j'ai eu un petit accident »

« Oh je vois ! Ne vous inquiétez pas, je serai muette comme une carpe. Craig ! Regarde qui est là ! »

Elle ponctue l'appel de gros mouvements de bras, et Lexa se demande si au final elle n'aurait pas mieux fait d'aller à l'autre hôpital public, celui à l'autre bout de la ville, quitte à risquer de se vider de son sang sur la route.

« Ba alors qu'est-ce que tu fais là Lexa ? » les rejoint Craig, un collègue urgentiste de Clarke « Encore une mauvaise rencontre ? C'est vrai qu'on voit souvent tes collègues flics en ce moment, enfin pas autant que toi, note bien »

« Oui mais là c'était pas pendant mes heures de service » soupire Lexa « On était dans le déménagement, et - »

« Oh et comment ça avance, ce nouvel appartement ? » la coupe Linda « Clarke nous a montré quelques photos, on a hâte d'y venir ! »

« Oui, et bien justement - »

« Ça me fait penser que je dois rendre à Clarke le tupperware qu'elle m'a amené hier, si tu pouvais lui rappeler ? »

« Euh, oui » dit Lexa, qui ne voit pas bien le rapport

« Et moi je dois absolument la voir pour lui parler de la réfection de l'espace détente ! »

« Peut-être que vous pourriez la prévenir que je suis là, quitte à ce que la famille soit au complet ? » soupire Lexa « Comme ça vous pourrez lui parler de vos tupperware, et vos machines à café »

Son poignet commence à la lancer, et elle se sent de plus en plus mal de boucher comme ça la file d'attente, surtout que certains des gens qui sont là ont l'air d'avoir besoin de soins bien plus urgents qu'elle.

« Bonne idée, je vais l'appeler ! » sourit tout grand Linda « Ne bougez pas d'ici, madame Lexa, je vais la faire venir en moins de deux ! »

« Qu'est-ce qu'il t'est arrivé au fait, Lexa ? » demande Craig alors qu'ils s'éloignent du guichet

Lexa sort la main de sa poche pour montrer le bandage artisanal que lui a fait Anya avec ce qu'elle a trouvé dans les cartons. Une des bandes velpeau a encore une étiquette fragile collée dessus, qu'elle enlève vite, en espérant qu'elle ne rougit pas trop.

« Tu es tombée du camion ? »

« Pas vraiment … »

Clarke arrive à pas rapides avant que Lexa n'ait pu développer d'avantage, le nez sur son téléphone à la main, et va droit au guichet sans décoller de son écran.

« Alors, Linda qu'est-ce que c'est que cette urgence qui ne pouvait pas attendre ? »

« Droit devant ! » sourit Linda

Clarke ouvre de grands yeux devant Lexa, vite remplacés par un sourire ravi.

« Mais Lex, je t'avais dit que je finissais à quinze, tu es venue me chercher un peu tôt ! »

« Oui, mais non en fait … »

Lexa montre son poignet d'un air penaud, et Clarke pousse un soupir.

« Qu'est-ce que tu as fait encore ? »

« C'est pas moi, c'est Raven ! » se défend Lexa, d'une voix pas tellement mature pour une adulte de son âge

« Ben voyons … et qu'est-ce qu'elle a fait cette fois ? »

Clarke croise les bras d'un air négligé qui cache mal son amusement. Craig et Linda, eux, ont l'air de se régaler du spectacle, et les patients tout autour dans la salle d'attente n'en perdent pas une miette non plus.

« C'est Raven qui est tombée du camion. Elle a glissé, elle regardait pas ce qu'elle faisait »

« Et alors ? »

« Elle avait un carton dans les mains … un carton lourd, il y avait tous tes bouquins dedans »

« Et le rapport avec toi ? »

« J'étais à l'autre bout du carton, j'ai tout pris »

Clarke cligne des yeux une fois, deux fois, et éclate de rire.

« Clarke ! Ça fait mal, arrête de rire ! »

Clarke a besoin d'un petit moment pour se calmer, et Lexa remarque du coin de l'œil que Craig ricane aussi, mais n'ose pas le faire discrètement, préférant se cacher derrière sa feuille de consultation. Quant à Linda, elle rigole tellement qu'elle résonne dans le micro, et donc dans toute la salle d'attente. Lexa repassera pour la discrétion.

« Et Raven ? » demanda Clarke en s'essuyant les yeux

« Raven a rien eu évidemment … j'ai préféré la laisser à la maison. »

« Toute seule ? »

« Non, Octavia la surveille … Et toute façon, les autres vont arriver progressivement, Bellamy arrive dans une heure et Lincoln passe à la fin de son shift. »

« Et pourquoi tu les as pas attendu ? Compter sur Raven pour un déménagement … »

« Mais on a loué le camion jusqu'à dix-huit heures, il faut bien le vider ! »

« Et en attendant tu réussis à te blesser, le seul jour où je ne suis pas en congé ! »

Lexa a d'autres choses à rajouter, mais leur conversation ne regarde personne et surtout pas les spectateurs de la salle d'attente, qui sont soudain très intéressés par leur déménagement et prêtent une oreille intéressée à tout ce qu'elles disent.

« Tu peux jeter un coup d'œil alors ? Je pense pas que ça soit cassé, mais ça fait mal quand même. Et puis ça fait longtemps que c'est pas toi qui m'a soigné »

Clarke s'adoucit tout de suite, laissant de côté la petite amie concernée pour faire place à la médecin.

« Tu penses que c'est une foulure ? » Lexa hoche de la tête, et Clarke jette un coup d'œil rapide à son poignet, ce qui amène Linda à se demander à voix haute comment elle peut voir quoique ce soit sous le bandage « D'accord, on va aller vérifier ça … Je te vois tout à l'heure, Linda »

« Clarke, il faut qu'on parle de l'espace détente ! »

« Oui, oui, appelle moi parceque là je prends ma pause ! »

Craig et Linda les regardent partir toutes les deux, dans la drôle d'atmosphère qui règne dans la salle d'attente, et une fois qu'elles disparaissent au coin d'un couloir, tous les autres patients retournent à leur occupation eux aussi, comme si ils n'avaient pas été interrompus.


La septième fois, elle n'est pas aux urgences pour elle.

Elle a conduit comme une dingue, enfreignant pas mal des lois qu'elle est censée faire respecter chaque jour, parceque si elle était arrivée en retard, elle s'en serait voulu toute sa vie. Elle a peut-être même laissé sa voiture de patrouille garée sur une place réservée à un orthopédiste au lieu de la place habituellement réservée à Clarke, mais ce n'est pas grave. Lincoln se chargera de la bouger.

Pour l'instant, elle est tellement pressée qu'elle ne prend pas le temps d'attendre pour sortir du parking, préférant sauter les marches trois par trois et manquer de passer par-dessus la rambarde dans sa précipitation. Elle court à travers les couloirs qu'elle commence à bien connaitre maintenant, et doit retourner sur ses pas quand elle se rend compte que, par habitude, elle s'est dirigée vers le bureau de Clarke.

D'après le dernier message qu'elle a reçu, c'est au troisième étage de l'hôpital qu'elle est attendue, chambre 146, et c'est là qu'elle devrait être maintenant. Elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Si elle n'avait pas laissé son portable dans son casier pendant son entrainement, elle y serait déjà. Au lieu de ça, elle était en train de soulever de la fonte alors que Clarke l'appelait, et n'a remarqué ses douze appels en absence et le millier de notifications qui viennent d'Octavia que deux heures après.

Elle met un petit bout de temps à se repérer dans le service qu'elle ne connait pas, ce qui ne fait rien pour calmer son stress, et quand enfin elle voit Raven au bout du couloir, qui lui montre la porte qui l'intéresse, elle est prête à la défoncer d'un coup de pied pour rentrer plus vite.

Il y a un petit obstacle qui l'en empêche, un obstacle qui porte une blouse d'infirmière, et qui fait barrage devant la porte, refusant de la laissez passer.

« Laissez-moi rentrer, c'est ma femme derrière cette porte ! »

Elle peut presque entendre Clarke l'appeler depuis la chambre, et l'infirmière qui l'empêche de la rejoindre commence sérieusement lui chauffer les oreilles. Elle a presque envie de lui signaler qu'il y a une place spéciale aux urgences réservées à ceux qui se mettent sur son chemin, surtout dans un moment comme celui-là, mais Raven vient poser une main sur son épaule, l'empêchant de faire quelque chose qu'elle regrettera sûrement plus tard.

« C'est trop tard maintenant, vous risqueriez de la paniquer plus qu'autre chose, et croyez-moi, elle n'a pas besoin de ça ! »

« Mais enfin vous pouvez pas me dire ça ! C'est parceque je suis pas là qu'elle panique ! »

L'infirmière n'en démord pas, et sous-entend qu'elle va finir par appeler la sécurité, ce qui ne fait pas vraiment peur à Lexa, jusqu'à ce que Raven lui signale à l'oreille que Clarke ne sera pas ravie de savoir qu'en plus d'être en retard, elle s'est fait éjecter de l'hôpital.

« Restez là, vous serez la première prévenue. » jubile l'infirmière de sa victoire « Et vous n'en aurez pas pour longtemps. »

L'infirmière n'avait pas menti. Elle n'attend que cinq minutes, mais cinq minutes qui lui paraissent durer des heures, et qu'elle passe à ronger son frein dans le couloir, à grogner comme un animal blessé dès que Raven veut l'approcher.

Si c'est que Clarke ressent à chaque fois qu'elle arrive aux urgences avec un nouveau pansement ou le nez en sang, elle ne veut plus lui faire ça. Elle promet qu'elle sera prudente maintenant. Ou du moins, qu'elle se débrouillera avec la trousse de secours qu'elle a dans la boite à gants avant de filer aux urgences.

Quand la porte s'ouvre à nouveau, c'est Octavia qui en sort en furie, et qui tombe dans les bras de Lexa, et la secoue par les épaules quand elle commence à bégayer une question.

« C'est un garçon Lexa ! »

« Un garçon » répète Lexa

Raven lui met une claque dans le dos, et Octavia dit tout un tas de mots qu'elle n'entend plus. Il lui faut quelques secondes pour reprendre ses esprits, et quelques autres pour qu'elle se dirige enfin vers la chambre d'un pas chancelant.

« Hey Lexa ! » Raven appelle « Tu sais que c'est la première fois qu'on est pas aux urgences pour toi ? »

Lexa la foudroie du regard parceque, vraiment, est-ce que c'est le moment de sortir ce genre de phrase, mais alors que la porte se referme sur elle et qu'elle a une première vue de son fils, elle se dit qu'il y a peut-être du vrai dans ce que Raven a dit. Elle a passé la relève.