Chapitre 28 – Melcrith
Je caressais doucement la nuque de Cobalt qui revenait lentement à lui. Après avoir récupéré de quoi le nettoyer, une carafe de jus de pommes et la fiole régénérante qu'Agate avait eu la prévenance de laisser en évidence sur une commode – elle avait très certainement deviné que je ne tiendrais plus très longtemps sans me nourrir – je m'étais allongé contre des coussins et avais installé Cobalt sur moi.
Son visage reposait sur ma poitrine et je restais concentré sur son cœur dont le rythme était normal. Je débouchai le petit pot de pommade réparatrice et en appliquais généreusement sur sa gorge. Il eut un doux frémissement, et je souris, comprenant que je l'avais chatouillé.
― Cobalt ? l'appelai-je.
― Mh.
Je savais que l'évanouissement était assez fréquent chez les esclaves qui nourrissaient leurs maîtres depuis peu de temps, néanmoins le sentir reprendre ses esprits me rassura.
En douceur, je le fis changer de position. Je l'assis sur mes genoux, le laissai appuyer sa joue contre mon torse, et l'entourai d'un bras. Il leva légèrement la tête et ses prunelles abyssales se posèrent sur moi. Il était pâle et encore un peu faible, mais maintenant qu'il avait repris connaissance, il allait vite se remettre.
Je commençai par saisir le jus de pomme. Délicatement, je pressai le borde de la carafe contre ses lèvres. Il comprit et se laissa faire, renversant la tête légèrement en arrière. Je le fis boire lentement. Son regard d'abord dans le vague finit par chercher le mien.
Je lui souris en retour. Il battit lentement des paupières.
L'effet fut quasiment spectaculaire et il reprit très rapidement des couleurs dans les minutes qui suivirent. Je reposai la carafe sur la table de nuit lorsqu'il m'indiqua qu'il avait assez bu.
Je débouchai ensuite la potion régénératrice, il comprit immédiatement de quoi il s'agissait et n'eut pas besoin de mon aide cette fois. Il prit la petite fiole et la vida d'une traite avec une légère grimace.
― C'est mauvais ? demandai-je en lui reprenant la fiole vide des mains pour l'en débarrasser.
― Disons simplement que ça se marie mal avec le jus de pomme. Mais je sens que c'est efficace.
Il resta néanmoins silencieux et immobile un long moment, reprenant simplement ses esprits et ses forces.
Je profitai de ce moment pour nous nettoyer tous les deux sommairement. J'essuyai nos ventres, nos sexes sans trop m'attarder, l'intérieur de ses cuisses, et je glissai délicatement ma main entre ses fesses pour le débarrasser un peu des traces de mon plaisir.
Il frissonna mais se laissa faire. Je ne m'attardais pas trop, nous prendrions un bain ensuite, c'était simplement pour que ce ne soit pas trop inconfortable en attendant.
― Comment est-ce que tu te sens ? demandai-je quand il croisa à nouveau mon regard.
― Comme si je volais. Je me sens léger, et… étourdi. Je n'avais jamais ressenti cela.
Un mélange de soulagement d'excitation m'étreignit. C'était exactement ainsi que je me sentais également : merveilleusement bien, léger et rassasié, bien que j'aurais tout à fait pu le mordre encore pour le simple plaisir. Mais le savoir dans le même état allégea considérablement le reste de culpabilité qui s'appesantissait encore dans ma poitrine.
― Cela n'a pas été une épreuve trop pénible ? osai-je demander, craignant sa réponse.
― Pénible ? répéta-t-il avec un petit rire. Melcrith… Je ne savais pas qu'on pouvait prendre autant de plaisir !
Je le regardai avec surprise. Je savais que certains esclaves adoraient nourrir leur maître. Mais ce n'était pas le cas de tous. Pour certains c'était tout juste supportable, et il était rare que les humains aiment cela les premières fois, surtout les hommes qui nourrissaient les Mâchefers mâles et devaient endurer leur brusquerie.
Mais Cobalt était sincère. Je le connaissais trop bien pour qu'il pût encore me mentir. L'étincelle dans ses yeux, la souplesse tranquille de son corps dans mes bras, tout indiquait qu'effectivement, il se sentait bien.
― Et pour toi ? demanda-t-il soudain, une ombre d'inquiétude passant dans son regard. Ce n'était pas… Enfin, je veux dire que je n'avais jamais… Je ne suis peut-être pas…
Il n'arrivait pas à mettre les mots sur ses craintes – ou n'osait pas – mais son assurance s'étiolait à chaque nouvelle phrase.
Il se tut quand je posai le bout de mes doigts sur sa gorge, effleurant les marques cicatricielles de mes crocs.
― C'est peut-être parce que je te veux depuis dix ans, mais je n'avais jamais autant aimé le sang de quelqu'un. Et tu ne m'as pas rassasié seulement de cette façon. Certains esclaves servent des années sans jamais accepter d'offrir leur chair avec cet abandon. Tu t'es donné à moi sans réserve, entièrement. Je te remercie Cobalt. Avec toi c'était bien plus qu'un repas.
Il eut l'air ému et n'arriva soudain plus à me regarder dans les yeux.
Je lui relevai le menton et embrassai ses lèvres, tout doucement. Il avait un parfum de fruits et le goût de sa peau. J'eus un léger mouvement de recul quand il pointa sa langue.
― Je dois encore avoir le goût du sang, l'avertis-je.
Cela ne sembla pas le troubler. Sa langue glissa dans ma bouche. Je soupirai. Il se raffermit dans mon étreinte, il avait retrouvé des forces et avec elles de l'exigence. Bientôt la position ne suffit plus à ses projets de conquête et il bougea contre moi, s'appuya sur mes épaules et déplaça ses jambes pour les enrouler autour de ma taille.
Il plongea plus profond dans ma bouche. Ses baisers réclamaient ma reddition et il l'obtint. Sa langue était du velours sur la mienne, un ruban de velours chaud qui joua avec mes crocs sans la moindre peur.
Son sexe se pressa contre le mien. Ce contact et notre baiser – ainsi certainement que l'effet de la potion qu'il avait bue – le rendirent bientôt dur contre moi.
Je m'écartai un instant, si avide de lui que je craignais de le mordre, de mordre sa langue, ou sa gorge à nouveau. Il sembla comprendre mon affolement parce qu'il contint un petit sourire victorieux sur ses lèvres gorgées de sang, rosies par la passion de notre baiser.
Me contenant avec peine – j'aurais pu le mordre et le prendre sans fin – je contemplai son corps de guerrier, ferme et élancé, son torse ciselé de muscles, ses hanches étroites, la tension de cuisses qui enserraient ma taille, et entre elle le beau membre érigé orné de l'anneau qui en muselait la puissance. Cobalt n'avait rien pourtant d'être soumis, même au cœur d'une relation d'esclave, il demeurait le même.
Je lisais dans son regard les contours de cette âme âpre et farouche, indomptable, que j'avais aperçue dix ans plus tôt dans les prunelles du garçon prêt à défier Khalkôs. Ce que nous venions de faire n'avait pas brisé Cobalt, au contraire, il semblait puiser de tout ce qu'il vivait à mon contact un feu nouveau, une puissance de jeune dieu solaire.
Je tombai amoureux de lui à nouveau réalisai-je avec la sensation d'une éclosion de fleurs de feu dans ma poitrine.
Cette fois ce fut moi qui réclamai sa bouche, qui menaçai ses lèvres et sa langue de mes crocs, qui le dévorai de passion. Mes mains parcoururent son corps avec une possessivité qu'il me concéda et dont il me rendit la ferveur.
Mes doigts se posèrent sur ses mamelons, dévalèrent ses flancs, son ventre, les muscles fermes de ses abdominaux, le mât voluptueusement dur érigé pour moi. Je dévorai ses soupirs et ses plaintes, saisis ses cuisses, fermement, et ses fesses que j'écartai sans ménagement. Les premières phalanges de mes indexes s'enfoncèrent en lui. Il se cabra et gronda un encouragement bas. Je voulais tout de lui. La peau, le sang, la chair, l'intérieur et l'extérieur, son corps et son esprit, son cœur, son amour. Tout.
Et tout était à moi, et il n'existait pas de plénitude plus belle.
Je retirai mes doigts de son intimité et offrit une caresse d'excuse à son sexe que je ne pourrais pas soulager. Puis je l'embrassai plus doucement, calmant le feu et le brasier chantant de son sang qui se ruait dans son corps, se jetant dans ses veines comme s'il me cherchait, moi.
― Je n'ai jamais été comme ça avant, dit-il plus tard en reprenant son souffle, le front appuyé contre mon épaule.
― Comment ?
― Intéressé par ces choses. L'amour, le sexe, ce n'était rien par rapport à l'importance que j'accordais à mon travail, ou à nos entraînements. Maintenant, je me suis…
Il illustra son état en frottant son membre ferme contre mon ventre.
― Beau comme tu es pourtant, je ne peux pas croire que tu n'aies pas été sollicité, répondis-je en saisissant délicatement son sexe dans mon poing. Jade me lance des regards qui disent encore combien l'affection qu'elle avait pour toi était forte.
Il poussa dans ma main, cherchant son plaisir.
― Jade et moi étions proches, oui. Mais il n'y avait pas d'alchimie entre nous. Nos esprits s'entendaient mieux que nos corps. Et je me souviendrai toujours d'une fille qui…
Il se tut et soupira de bien-être. J'étais en train de procurer un massage doux et léger à son membre, lui offrant du plaisir sans risquer qu'il s'approche trop de la jouissance.
― D'une fille ? l'interrogeai-je.
Son regard un peu perdu se posa sur moi. Son expression disait qu'il ne savait pas de quoi je lui parlais. Je ralentis davantage mes mouvements sur son sexe. Il fronça les sourcils de frustration mais parvint à se reconcentrer sur ma question.
― Une fille qui m'aimait bien lorsque j'étais encore à l'académie des Lames. Un matin elle est venue jusqu'à la caserne et a demandé à me voir. Un ami était de garde et il l'a laissée entrer. Elle m'a giflé devant toute la salle d'armes qui attendait le maître d'armes, et sans rien dire, elle est partie. Tout le monde a ri, et moi je me suis senti profondément idiot parce que la voir m'avait fait me souvenir qu'elle m'avait demandé de la rejoindre à la taverne la veille. Et je l'avais totalement oubliée. La veille, j'étais avec toi. C'était la troisième fois que cela arrivait. J'avais vraiment honte.
Il gémit. Mes doigts n'allaient pas assez vite et le suspendaient dans un état insoutenable.
― J'oubliais tout quand j'étais avec toi, dit-il encore.
― Moi aussi, confessais-je presque douloureusement, bouleversé par ses mots et par la vision suffocante d'érotisme de son corps brûlant de désir. Je n'attendais que cela, te voir.
Je ne lui dis rien du mélange honteux de désir et de soif qu'il éveillait en moi et qui me conduisaient entre les cuisses de Jaspe. Je me sentais vile, et prédateur, en me souvenant du sentiment d'être indigne de lui que je ressentais alors.
Il commença à haleter et en douceur, je le renversai sur le lit et glissai ma main libre entre ses fesses pour le faire jouir et l'apaiser.
― Non, protesta-t-il alors que je pénétrais un doigt en lui avec cette facilité que permettaient seuls les corps d'esclaves.
Je m'immobilisai immédiatement et relevai les yeux vers lui.
― Si tu me fais jouir à l'intérieur, ce sera pire. Tu vas déclencher l'autre orgasme et l'anneau va se serrer. Je ne pourrai pas le supporter.
Je retirai mon doigt.
― D'accord… Je t'appliquerai de l'huile apaisante avant de dormir, lui promis-je. Tu vas devoir le supporter encore un peu.
Je restai un long moment auprès de lui, caressant simplement son visage alors que sa respiration tardait à se calmer. Son érection était magnifique, gorgée de sang et palpitante, elle reposait sur son ventre dans toute la gloire de sa puissance de jeune homme.
Son excitation se calma progressivement, et avec elle un peu de l'insoutenable frustration, mais il resta dur, sans doute à cause de la potion régénératrice qui agissait sur le sang.
La nuit était en train de tomber quand il s'assoupit. Je rabattis la couverture sur lui, et m'habillant d'un simple peignoir, je descendis demander à Osmium de nous préparer un repas copieux en viande et à Agate de nous faire couler un bain.
― Oh, vous avez une mine superbe, monsieur Melcrith ! s'exclama-t-elle. Je ne vous avais jamais vu si resplendissant.
Et elle me planta là pour aller s'occuper du bain, en chantonnant tranquillement, tandis que je constatais dans un grand miroir du salon où je me trouvais, qu'elle avait dit vrai. Il émanait de mon reflet une impression de force et de puissance, celles de Cobalt qui abreuvaient mon corps de cette magie mystérieuse qui l'avait toujours enveloppé.
Lorsque je remontai dans notre chambre, je l'embrassai avec une gratitude brûlante. Il émergea du sommeil avec de doux gémissements de plaisir et après avoir répondu à mes baisers, il souleva la couverture et gémit de dépit en se découvrant à nouveau magnifiquement érigé.
Je ne pus contenir mon amusement et jusqu'à ce que la voix d'Agate m'avertisse que le bain était prêt, je plongeais entre les jambes de Cobalt, et mordillant l'intérieur des cuisses et la peau claire du ventre, j'achevai d'exciter le plus bel humain de Titane.