Bonjour et bienvenue à vous !

Mâchefer est une histoire née du désir d'écrire une romance dans un univers sombre, gothique, plein de vieux manoirs, de vampires cruels et de magie noire. Je me dois de vous avertir que ce récit ne convient pas aux mineurs car il s'y trouve abordés des thèmes tels que le meurtre et la violence, ainsi que de nombreuses scènes de sexe explicite, entre des personnages masculins principalement.

Je vous invite si vous n'avez pas l'âge requis ou si ces thèmes vous dérangent, à ne pas poursuivre votre lecture. Pour tous les autres, je vous souhaite une belle lecture, et j'espère que l'histoire de Cobalt et Melcrith vous plaira.

Tempestaire

OoOoO

Prologue – Melcrith

― Il est hors de question que je vous suive dans cette taverne !

― Arrête de faire ta princesse, on n'ira pas boire un lait chaud dans ton salon pour fillettes humaines. L'entraînement a été dur, j'ai envie de m'amuser et de boire.

― Et moi, je n'ai certainement pas envie de...

Lazuli s'interrompit au milieu de sa réplique, et Khalkôs qui enfilait l'un de ses épais gants de cuir leva la tête pour regarder ce qui avait attiré son attention. Cela faisait un moment que je l'avais vu, moi. Un jeune homme, au milieu d'une ruelle sombre, qui faisait des moulinets avec une épée d'exercice.

Le garçon nous avait remarqués lui aussi, évidemment. Entre le pas lourd de Khalkôs, botté de fer même pour sortir boire un verre, et sa querelle avec Lazuli, il était difficile de passer inaperçus.

Il abaissa son épée et recula d'un pas, son dos toucha presque le mur d'enceinte de l'académie des lames. Et c'était certainement de là qu'il venait, d'ailleurs. Khalkôs dut arriver à la même conclusion car un sourire cruel s'étira sur ses lèvres. Il l'avait dit un peu plus tôt : l'entraînement avait été dur aujourd'hui, et il avait besoin de s'amuser et de boire. Et pas forcément de l'alcool.

En principe, aucun Mâchefer n'était autorisé à mordre un humain qui ne lui appartenait pas. Mais se bagarrer un peu, causer de menues blessures et lécher les plaies pour ne pas gaspiller... ce n'était pas mordre à proprement parler. Et ce serait la parole de l'humain contre celle de trois Mâchefers, du moins s'il osait s'en plaindre aux autorités ; car il était difficile de devenir membre de la Lame Brisée, surtout si l'on avait porté des accusations contre des Mâchefers.

C'était ce que devait penser Khalkôs, il avait un tempérament joueur qui allait parfois un peu loin. Et alors que nous arrivions à la hauteur du jeune homme, je vis dans son regard qu'il avait compris les intentions de moi ami, lui aussi.

― Bonsoir, petit, fit Khalkôs d'une voix exagérément suave, tu t'es perdu ?

Je retins un soupir, déjà lassé par le tour que prenaient les événements, alors que Khalkôs n'avait pas encore commencé à faire des bêtises. Lazuli m'adressa un regard ennuyé, elle aussi en avait déjà assez.

― Non, monsieur, je vous remercie, dit le jeune homme avec aplomb. Je ne suis pas perdu, je suis précisément là où j'avais l'intention d'être. Mais je pourrais vous indiquer votre chemin si vous vous êtes égarés.

Mon intérêt fut piqué au vif. Ce n'était pas tant les mots que le ton qui me poussa à le détailler plus attentivement. Il n'avait pas peur, contrairement à ce que j'avais cru quand il avait reculé. Au contraire, il semblait contenir difficilement une colère bouillonnante. Il faisait nuit et seule une lumière jaunâtre filtrait des lucarnes crasseuses qui servaient de fenêtres à l'académie des lames. Mais je n'avais pas besoin de lumière pour le voir.

Sa main était serrée sur la poignée de sa lame d'entraînement, il transpirait et son odeur était musquée et affolante, une odeur de jeune homme puissant, une odeur charnelle de muscles et de sang battant. Il n'était pas très grand pourtant, ni très large d'épaules, même vis-à-vis des standards humains. Mais son regard d'un bleu intense sous les mèches noires qui collaient son front trahissait une vieille colère et un désir de vengeance.

D'une certaine façon, il semblait que ce garçon avait autant envie d'en découdre pour se défouler que Khalkôs. Il n'était cependant pas très doué avec une épée, d'après ce que j'avais pu voir de son entraînement solitaire.

Khalkôs lâcha un rire bref où perçait toute sa mauvaise humeur.

― Moi aussi, je sais précisément où j'ai l'intention d'être... Et justement, je me disais que peut-être, tu aurais pu nous y accompagner, mes amis et moi. Qu'en penses-tu ? Pourquoi rester dehors tout seul à te geler ton petit cul alors que je pourrais le trousser au chaud dans une taverne ?

Le coup partit aussitôt. Il n'était ni très rapide, ni très adroit, de sorte que Khalkôs le bloqua en donnant un simple coup dans le plat de la lame avec le dos de sa main. Mais il reflétait une témérité remarquable et quelque peu suicidaire.

Le temps se figea dans la ruelle. Lazuli avait reculé d'un pas, de surprise. Et Khalkôs souriait de toutes ses dents, lèvres retroussées sur ses canines brillantes dans la nuit. Il allait pouvoir lui faire tout ce qu'il voudrait maintenant que l'humain avait stupidement porté le premier coup.

Je remarquai que les bras de l'humain tremblaient alors qu'il relevait péniblement son épée. Le mouvement que Khalkôs avait fait pour écarter l'arme l'avait forcé à faire un pas en avant, la lame devait donc être lourde. Et le jeune homme avait certainement eut lui aussi une longue et pénible journée d'entraînement, car on ne ménageait pas les futures lames. Pourtant il était là, dans la nuit et dans le froid qu'il devait sentir bien plus vivement que nous.

Je devinai alors que ses bras ne tremblaient pas de peur mais d'épuisement. Il venait pourtant de s'engager dans un combat perdu d'avance à la manière d'un petit animal sauvage qui en attaque un plus gros pour se convaincre que ce n'est pas lui la proie, qu'ils sont à armes égales, qu'il a une chance de l'emporter. En réalité, les choses allaient se passer comme Khalkôs le souhaiterait.

Ce gamin insolent allait payer cher ce qu'il venait de faire, Khalkôs allait l'humilier, sans doute avec sa propre lame pour ne pas avoir à tirer la sienne. Il l'épuiserait et le ferait supplier, ensuite il l'emmènerait dans cette taverne douteuse qu'il adorait, lui offrirait un verre et le ferait asseoir sur ses genoux pour le prendre en échange de son silence sur cette déplorable affaire nocturne. Ce n'était pas légal, bien sûr, mais quels que soient nos efforts à Lazuli et moi pour l'en dissuader, Khalkôs s'en fichait.

Et si le garçon ne coopérait pas, la soirée serait encore moins agréable et il y perdrait davantage.

Tout ça parce que cette épée était bien trop lourde pour sa morphologie et qu'il était obligé de travailler dix fois plus qu'un autre. Sa posture était bonne pourtant, ne pus-je m'empêcher de noter alors que Khalkôs avançait vers lui. Ses déplacements aussi. Ils étaient très stables, ancrés dans le sol, il bougeait rapidement.

Puis il esquissa une attaque qui aurait dû être rapide et souple et fut laborieuse et grossière. Cette fois, Khalkôs lui arracha la lame qu'il jeta au sol. Lazuli soupira et croisa ses mains derrière sa nuque, glissant ses doigts dans sa chevelure blonde avec un air superbe de souveraine ennuyée.

Je ramassai l'épée d'entraînement alors que Khalkôs acculait l'humain contre le mur en bloquant les coups qu'il lui porta, plus rapide et plus agile maintenant qu'il n'avait plus le handicap de son arme. Il parvint même à aveugler momentanément Khalkôs le temps de se glisser dans son dos. Et c'était remarquable car Khalkôs était aussi brutal que rapide.

Mon ami se retourna d'instinct et son poing fendit l'air, prêt à briser les os quel que soit l'endroit où il frapperait. Je le bloquai à un cheveu du nez de l'humain qui eut un mouvement de recul effrayé.

― Qu'est-ce que... ? s'étonna Khalkôs.

― Partez devant tous les deux, je vous retrouve plus tard, ordonnai-je.

― Avec plaisir, lâcha Lazuli avec impatience.

Et sans nous attendre ni l'un, ni l'autre, elle avança.

― Tu plaisantes ? protesta Khalkôs. Il est à moi, c'est moi qui l'ai vu en premier !

― Non, fis-je d'un ton égal en croisant le regard du jeune homme, je l'avais remarqué avant toi. Et ce serait du gâchis de te laisser le battre et le violer. Va payer un prostitué de la taverne, il sera ravi d'écarter les cuisses pour quelques pièces. Laisse-nous.

Khalkôs grogna pour la forme mais renonça. J'exprimai rarement une volonté claire. Le plus souvent, je les laissais faire ce qu'ils voulaient, Lazuli et lui, nous allions où ils souhaitaient et faisions ce qu'ils avaient envie de faire. Je me contentais de suivre. Mais les rares fois où j'énonçais ma volonté, il n'était pas question qu'ils me contredisent.

Mon ami s'éloigna et l'humain m'adressa un regard méfiant.

― Cette épée est beaucoup trop lourde pour toi, dis-je sans regarder l'arme de mauvaise facture que je tenais négligemment pas la lame.

― L'épée d'entraînement est la même pour tout le monde, répliqua-t-il avec une pointe d'amertume.

Il me donnait certainement la réponse idiote qu'on lui avait servie quand il avait lui-même fait la remarque. Je hochai la tête, portai l'épée à ma bouche pour la coincer entre mes canines d'acier sur lesquelles son regard se fixa aussitôt et attachai rapidement mes longs cheveux blonds en un chignon retenu par une bandelette de cuir.

Je tirai ensuite une fine dague de ma botte après avoir repris l'épée en main. Il frissonna et je vis pour la première fois un éclat d'inquiétude passer dans son regard.

Faisant basculer la courte lame entre mes doigts, je lui présentai la poignée de ma dague. Il hésita, me regarda, regarda la courte lame, puis la saisit finalement, perplexe.

― Il me semble que tu essayais de parer des attaques hautes. Montre-moi.

Et sans attendre, j'ajustai ma prise sur l'épée d'entraînement et l'abattis au-dessus de sa tête.

Il fit un pas de côté sans réfléchir, se plaçant par réflexe hors de portée de mon coup. Je recommençai, variant les angles d'attaque mais cherchant toujours à frapper entre la poitrine et la tête. Il para chacun de mes coups avec ma dague, bougeant vite, esquivant, détournant, glissant souplement autour de l'épée. J'avais commencé lentement, mais j'accélérai peu à peu la cadence, voyant qu'il soutenait le rythme.

Il avait eu l'air très surpris les premières secondes mais il se concentra rapidement sur mes attaques et sembla faire abstraction de ma présence pour se focaliser entièrement sur ma lame. Sans cette horrible massue qui lui servait d'épée, il était bon, mais pas à la manière d'un homme de cour, ayant appris avec un maître d'armes. Beaucoup de ses gestes étaient instinctifs, il perdait parfois du temps en mouvements inutiles et certaines de ses postures avaient des failles. Assurément, il avait de bonnes dispositions et beaucoup d'intuition, mais il lui aurait fallu un véritable entraînement avec une arme qui ne pénaliserait pas son style.

― Bien, fis-je au bout d'un moment en m'arrêtant. Et si tu essayais de faire cela à l'épée à présent ?

Sa mine s'assombrit alors que je lui rendais son arme.

― Tu as raison de la détester, dis-je en récupérant ma dague. Elle ne te convient pas du tout.

― Que me coûtera ce généreux entraînement ? demanda-t-il soudain comme si après cet agréable échange il se souvenait finalement de qui j'étais.

― Tu pourrais me dire comment tu t'appelles, suggérai-je.

Il plissa les yeux. Intrigué par sa manière de combattre, je n'avais pas remarqué qu'il était beau. Mais il l'était, assez pour me donner envie de le toucher. Dans un élan instinctif, j'éprouvai ce qu'avait éprouvé Khalkôs. J'allais le forcer. J'allais le contraindre, le déshabiller et le prendre. Et peut-être même que je boirais son sang. Quelques gorgées. Il se débattrait sans doute, ce serait tellement excitant...

Je chassai vivement cette pensée abjecte et je m'en voulus de l'avoir eue. Si je cédai à ce genre de pulsion, ce serait la seule fois. Mais il n'avait pas qu'un joli corps, il avait aussi un joli style, comme si le combat était inscrit en lui, comme s'il répondait à un talent inné.

Il éveillait ma curiosité. Je ne voulais pas d'une seule fois. J'avais envie de le revoir.

Je pris plusieurs discrètes inspirations pour calmer le désir qui s'était emparé de moi, l'air froid envahit mes poumons. Il me dévisageait toujours, comme s'il me jaugeait.

― Les tiens ne sont pas connus pour leur générosité, qu'est-ce que tu veux, vraiment ? insista-t-il.

― Commence par me donner ton nom, m'impatientai-je.

― Cobalt Colichemarde.

Je souris et balayai tout son corps du regard.

Colichemarde. Noblesse d'Empire. Du temps où Argyre était un empire guerrier puissant gouverné par l'épée, et par les humains. Bien avant l'ascension des Mâchefers, les nobles portaient tous des noms d'armes. La colichemarde était une épée de duel, élégante et légère, elle lui correspondait bien mieux que ce lourd glaive de milicien.

Il aurait dû s'appeler Cobalt de Colichemarde et faire partie de la haute noblesse d'Argyre, si la prise de pouvoir des Mâchefers n'avait pas renversé l'ordre établi. Sa famille avait perdu sa particule cent ans plus tôt, mais son sang lui, n'avait rien perdu de sa noblesse.

Par réflexe, j'inclinai légèrement la tête et le buste, ainsi que je l'aurais fait en étant présenté à quelqu'un de mon rang. Son visage de figea de surprise.

― Enchanté, Cobalt. Je suis Melcrith de Leir.

― Vas-tu me dire ce que tu fais dans cette ruelle, Melcrith, alors que tu pourrais boire un verre à la taverne avec tes amis et trousser des prostitués ?

― L'alcool et le sexe tarifé m'ennuient. Mais aider quelqu'un qui est assez déterminé pour s'entraîner seul, une nuit d'hiver, dans une ruelle dangereuse est une motivation tout à fait intéressante. Tu as du potentiel. Et manier l'épée est la chose que je fais le mieux au monde. Laisse-moi t'apprendre.

― Tu es un Mâchefer et je suis un humain. Ne crains-tu pas que je sois une déception ?

Je percevais ses doutes dans sa voix, ainsi qu'une pointe de défi. On disait que jamais un humain ne pourrait égaler la puissance d'un Mâchefer. Mais c'était une affirmation orgueilleuse et stupide. Personne n'était invincible. Personne.

― As-tu l'intention de me décevoir, Cobalt ? demandai-je en sondant son regard.

― Non. J'ai l'intention de m'élever au-dessus des limites humaines et de vaincre n'importe quel adversaire.

Je hochai lentement la tête, très satisfait. Puis je me mis en garde.

― Bien. Maintenant, voyons comment nous pouvons utiliser ta souplesse et ta vitesse à ton avantage.