Yo !

Cet OS a été écrit pour la Nuit du FoF en deux heures, sur les thèmes Chercher et Récursif.

Si vous avez des questions sur ce jeu, ou sur le Forum Francophone de manière générale, n'hésitez pas !

J'ai enfin acheté les derniers tomes du manga alors j'avais besoin d'écrire dessus.

Bonne lecture !

Parallèles

Bientôt 2010, un changement de décennie, et quand certains s'excitent Ran n'y voit qu'une occasion de plus de faire la fête. Changer de décennie ? Elle a changé de millénaire, quand elle était au lycée. Il en faudrait plus pour l'impressionner.

Elle achève la mise en page de l'article sur les sacs de l'hiver et relit tout avec une application que peu de gens lui connaissent.

« Kotobuki ? »

Elle lève la main pour faire signe à sa future interlocutrice de patienter, et puis la regarde. La responsable éditoriale la regarde avec un grand sourire.

« Madame Watanabe ! J'allais justement vous envoyer mes pages. Vous avez besoin d'un truc ou bien ? »

La femme rit doucement, croise les bras avec élégance sous sa poitrine. Sa veste Vivienne Westwood, au col en cœur, semble encore plus collector qu'elle ne l'est quand elle appuie la grandeur de Watanabe.

« Je voulais te parler de l'édition spéciale décembre-janvier.

— Euh, ouais ?

— Pour le changement de décennie, une rétrospective s'imposait. Ce sera un numéro spécial sur les Kogals. »

Ran se lève d'un bond, plaque ses faux ongles sur son bureau. Tous ses collègues la regardent, habitués à la voir faire des scènes pour un oui ou pour un non. Elle a sa petite réputation, ici, depuis qu'elle est arrivée alors qu'elle avait tout juste dix-huit ans, prise sous l'aile de la rédactrice elle-même.

« Je dois absolument l'écrire ! Confiez-moi ce dossier ! Personne d'autre que moi ne peut traiter ce sujet ! Je sais que j'écris comme un pied mais vous verrez, ce sera le numéro le plus scintillant que vous aurez jamais publié ! S'il-vous-plaît s'il-vous-plaît s'il-vous-plaît !

— Voyons, Kotobuki. Tu sais que c'est impossible. Non seulement tu écris mal, mais en plus comment ferais-tu pour t'interviewer toi-même ?

— Euh … J'ai pas compris. Est-ce que j'ai compris ? Attendez, quoi ?

— Je pense que tu as très bien compris. Pour ce dossier, tu seras notre invitée spéciale. Viens, je dois te présenter l'équipe de rédaction avec qui tu travailleras. »

Ran a peu de scrupules à crier au milieu du bureau, et l'une des journalistes rajuste le casque de son lecteur CD pour essayer de passer outre. Elle a vingt-six ans, bientôt vingt-sept, pourtant elle a toujours du feu dans les yeux et de la voix à donner.

Même quand la mode est passée, elle n'a jamais abandonné ses plateformes ni ses fleurs d'hibiscus. Le motif léopard, le rouge et le rose prennent presque toute la place dans son armoire, et quand elle avance, une main sur la hanche et la tête haute, elle est déterminée.

Elle a entendu les bruits à son propos, les ragots et les insultes. Apparemment, elle n'aurait pas sa place chez Vogue, elle serait trop vulgaire, dans son style et dans sa façon de parler. Elle s'habille flashy, pour pas cher, elle s'abîme les cheveux à les décolorer sans cesse chez elle, elle porte des mini-jupes de l'an 2000 et ses faux-ongles sont toujours kitsch comme pas deux. On dit qu'elle n'a pas de classe, parce qu'elle mange trop, et puis salement, que vraiment, elle ferait mieux de vendre des accessoires dans une boutique « Tout à 100 yen », ou travailler dans un salon de coiffure cheap, et elle est heureuse de leur prouver ce qu'elle a toujours su.

Elle n'est peut-être ni riche, ni à la mode, ni élégante ni polie, mais elle est bien plus que ça. Elle est iconique.

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« T'as encore changé de numéro. Tu fais exprès d'être difficile à joindre ou quoi ?

— Peut-être que je t'évite ? »

Sur le balcon de son appartement, Ran fait tourner une cigarette entre ses doigts. Une sale habitude prise en France, qu'elle n'a jamais réussi à perdre. Elle ricane.

« Allons, on sait tous les deux que tu ne pourrais pas te passer de moi trop longtemps. Si on m'aime une fois, on m'aime pour toujours. »

Il lui semble qu'elle entend Rei sourire de l'autre côté du combiné. Il y a un petit silence, et si elle ne le connaissait pas aussi bien, elle aurait cru à de la pitié. Comme Otohata ne dit toujours rien, elle continue :

« Je t'appelais parce que j'aurais besoin de toi.

— Comme c'est étonnant.

— T'es à Tôkyô en ce moment ?

— Oui. Je repars à Ôsaka en janvier.

— OK ! Alors tu m'invites à manger demain, c'est décidé !

— T'as pas un salaire, maintenant ?

— Qu'est-ce que tu veux ? Les habitudes de crève-la-faim ont la vie dure.

— Tu ne changes pas. »

Cette phrase, Ran l'a beaucoup entendue. Elle ne change pas. Elle ne grandit pas. On le lui dit pour la presser, pour lui faire remarquer que quelque chose cloche, parce que tout le monde change, sauf elle. Il n'y a que dans la bouche de Rei, que ça sonne comme quelque chose de bien. Elle raccroche avec le sourire.

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« Tu sais que je déteste les Kogals et tu veux que je sois sur la couverture avec toi ? »

Ran éclate de rire, et Rei grimace de dégoût en sentant des postillons à l'odeur de friture être projetés dans sa direction.

« Sur la couverture ? Tu rêves mon coco. Juste sur certaines photos, et pour les questions à la fin.

— Ce n'est pas le magazine qui devrait décider de qui est interviewé ?

— Nan, le magazine m'a choisie moi, et je choisis mon propre invité. Donc, toi !

— C'est un dossier sur les Kogals, tu ne ferais pas mieux d'inviter Aya ou Miyu ? Mami serait bien aussi, elle a un autre style que le tien, et puis elle est toujours dans la mode.

— Mais c'est toi que je veux. Déjà, c'est toi qui me vas le mieux. Et puis, t'es un peu mon alter-ego masculin.

— Moi ? Vraiment ?

— Ben, ouais. T'es à la fois mon opposé et mon double. T'es le mec numéro un de Shibuya, je suis la meuf numéro un, tu détestes les Kogals mais t'es tombé amoureux de moi puis d'Aya, je déteste les mecs froids mais je suis tombée amoureuse de toi … Tu vois ? On est comme des lignes parallèles ! Allez, viens, ce sera cool. Et puis, un acteur devrait pas refuser une interview. Que dirait ton agent s'il te voyait ?

— Mais ce n'est pas n'importe quelle interview. Et puis qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

— Quelle histoire ?

— Les lignes parallèles … D'où est-ce que tu sors ça ?

— C'est une belle métaphore, nan ? Tu crois que mon instinct de rédactrice de magazine se réveille enfin ?

— Peu importe. Cherche quelqu'un d'autre.

— Je peux pas. »

Rei croit que ça fait des années qu'il n'a pas vu cet air sur le visage de Ran. Elle finit le dernier tempura en une bouchée, avale une longue gorgée de bière avant de s'étaler sur les tatamis de la salle privée du restaurant. D'une main, elle attrape son sac à main et commence à y fouiller en fronçant les sourcils.

« Tu peux toujours tout.

— C'est pas vrai, Rei. Je fais comme si tout était possible mais … Y a des trucs qui sont toujours hors de ma portée. Je pensais qu'en grandissant ça s'effacerait, mais c'est de pire en pire. Je peux pas chercher quelqu'un d'autre que toi, t'es toujours au bout de la ligne. Je me dis Kogal, je me dis Aya, je me dis Rei. Je me dis, nan, pas Rei, je me dis Kogal, je me dis moi, je me dis mon sac du lycée, je me dis Rei. Je me dis Kogal, je me dis Miyu, je me dis kogal sportive, je me dis body-board, je me dis Rei. Je me dis, pas Rei, alors je me dis Numéro 2 et je me dis Rei encore, et je me dis pas Rei encore et ça peut continuer longtemps, tu vois ? C'est récessif.

— Le bon mot, c'est récursif. »

La main de Ran dans son sac trouve enfin son paquet de cigarettes et elle en sort une pour l'allumer. L'alcool lui monte à peine à la tête. Elle n'a jamais été totalement ivre, juste là, un peu mélancolique et avec une envie de rire de tout, de rire d'elle-même.

« C'est pour ça que je dis que t'es mon alter-ego, aussi. Normalement, quand je tourne en rond, c'est parce que je finis toujours par penser à moi, mais là c'est à toi. Ça te le fait, desfois ?

— De penser à moi en boucle ?

— Nan, à quelqu'un d'autre, genre à Aya.

— C'est … Pas vraiment. Pas avec Aya.

— Ah ? Avec qui alors ? Dis, dis ! Tu la trompes pas, hein ? Tu sais que si tu la trompes je t'arrache les yeux et je m'en fais des boucles d'oreille.

— Beurk. Tu es ignoble. Et si on est des lignes parallèles, cherche par toi-même. »

Ran prend une bouffée de sa cigarette, tourne la tête à droite et à gauche contre le tatami. Elle plisse les yeux, et un sourire lui bouffe soudain le visage.

« Dis-moi pas que t'es encore amoureux de moi.

— Très bien. Je ne le dirai pas.

— Hm. Allez, fais l'interview avec moi. On pourra jamais être ensemble pour de vrai, alors c'est l'occasion.

— Ah ? Et pourquoi on ne pourrait pas ?

— Tu rêves, Rei Otohata. Déjà, t'aimes Aya, et elle t'aime. Ensuite, tu crois qu'on se supporterait ? Je te larguerais dans la semaine, si tu l'as pas fait avant.

— Sans doute. Mais … Pourquoi on n'a jamais essayé ?

— Hein ? Ben, parce que ton meilleur ami était amoureux de moi. Et après ça, parce que ma meilleure amie était amoureuse de toi. Et tu connais la propriété des lignes parallèles ?

— Quoi ?

— Elles ne se croisent jamais. Genre, vraiment jamais. Tu peux les continuer à l'infini elles se croiseront pas.

— Je ne croyais pas que tu aurais retenu quoi que ce soit de tes cours de mathématiques.

— Eh ! Nakasen serait fier. Enfin. Tu fais l'article alors ?

— Si tu veux.

— Yes ! Un toast, un toast ! Trinquons aux Kogals de Shibuya, les meilleures du monde !

— Je ne trinquerai pas à ça.

— Hein ? Mais à quoi alors ?

— Aux âmes-sœurs.

— C'est d'un ringard. Aux âmes-sœurs ! »

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