Ce texte a été écrit dans le cadre d'un jeu du FoF (Forum Francophone) avec les thèmes imposés suivants : durant la pleine lune, des tongs, une grande maison, "j'éprouve soudain l'irrépressible envie de me remettre à boire" (j'avoue, j'ai un peu triché avec le thème de la pleine lune, j'avais comme qui dirait oublié ce détail).

Une première pour moi sur Haikyuu!, rien de folichon, juste de quoi donner le sourire. J'espère que ça vous plaira. Bonne lecture !


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Jus d'orange magique.

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Des choses que Kenma détestait dans la vie, il y en avait un paquet ; pourtant, le garçon était loin d'être particulièrement plus acariâtre que la moyenne, car il était rare de voir une autre expression sur son visage que son air inlassablement atone. Seulement, parfois, certaines choses pouvaient l'excéder au plus haut point, briser son attitude inexpressive pour faire surgir ces moues exquises qui faisaient toujours beaucoup rire ses coéquipiers. Bloquer au dernier niveau d'un jeu vidéo faisait certainement partie de son top trois personnel des choses les plus agaçantes, pas loin devant le fait de se retrouver au centre de l'attention. Par contre, finir la soirée par-dessus la cuvette des toilettes en compagnie de son meilleur ami, meilleur ami et crush de toujours, n'aurait jamais dû en faire partie ; tout simplement parce qu'un moment pareil n'aurait jamais dû avoir l'audace de seulement oser voir le jour.

Comment était-ce arrivé, déjà ?

Ah oui, la pire nuit de sa vie. Ou bien était-ce la meilleure ?

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Quand, à la fin d'un match d'entraînement, Bokuto eut l'ingénieuse idée d'inviter tout le monde le weekend d'après dans sa grande maison familiale du Shizuoka, Kenma tenta l'esquive furtive ; s'il n'était pas là pour entendre la proposition, il n'aurait logiquement aucune raison de s'y rendre. Le plan paraissait infaillible. C'était sans compter, évidemment, sur ses coéquipiers (ces traîtres) qui anticipèrent très bien sa réaction ; « c'est une super idée, on va bien s'amuser, n'est-ce pas Kozume-san ? ». Il y eut un « Hmhm » empli de désarroi, avant qu'il n'enfonce ses écouteurs dans ses oreilles, histoire de chasser le dépit – Kuroo aurait presque eu de la peine pour lui ; il savait à quel point son ami détestait ce genre de regroupement. Mais Kenma n'avait pas besoin qu'on le force, il était aussi très bien capable de refuser si quelque chose ne lui plaisait vraiment pas. Son apparente docilité ne voulait dire qu'une chose ; il était curieux.

Kenma fut aussi surpris que les autres quand il se vit débarquer à l'arrêt de train, le samedi matin de leur départ. Franchement, il aurait tout à fait pu s'enfuir, ça n'aurait étonné personne. Mais voilà, il était bien là, assis à côté de Kuroo au fond de la rame, ignorant les coups d'œil étonnés de ses camarades ; même le brun se pencha l'air de rien au-dessus de son épaule pour regarder si quelqu'un n'avait pas échangé le véritable Kenma avec un faux – il eut même l'audace de prendre sa température du plat de sa main (main que le passeur dégagea aussi vite ; pas qu'il rejette particulièrement le contact avec son ami, juste que c'était devenu... bizarre, ces derniers temps).

Bref, tout le monde fut plus ou moins soulagé quand le blond replongea dans son jeu vidéo, comme il en avait si souvent l'habitude. Au moins, certaines choses ne risquaient pas de changer.

Le trajet se fit particulièrement bruyant – en même temps, Bokuto s'était improvisé chauffeur de salle ; heureusement, Akaashi réussit au bout d'un moment à canaliser son énergie sur un ancien enregistrement vidéo d'un de leurs derniers matchs (les petits vieux dans le wagon commençaient drôlement à s'agacer, une rixe terrible risquait d'éclater à tout moment).

Bientôt, la campagne remplaça les hauts gratte-ciels de la métropole, et le groupe d'amis échoua devant une grande bâtisse non loin du bord de mer. L'endroit était si vaste que cela rassura Kenma : il aurait tout le loisir de s'éclipser le moment voulu, pour trouver un endroit plus calme où passer sa nuit blanche.

Le plan était simple, à l'origine : rester assez longtemps en début de soirée pour que chacun soit suffisamment imprégné de sa présence (et rester dans le périmètre de Yaku pour éviter qu'il ne le réclame), puis disparaître avec sa meilleure technique ninja au moment où tout le monde serait largement imbibé – trop pour réussir à remarquer son absence.

Ça sonnait bien, c'était accrocheur. Kenma n'était pas un cerveau pour rien.

Le plan échoua. Lamentablement.

La première erreur fut de laisser Yukie-san lui préparer son premier verre.

« Kenma, je te sers quoi ? » Elle avait une bouteille de vodka dans une main, qu'elle agitait vivement – ou esquivait plutôt le bras de Konoha qui tentait vaillamment de la subtiliser.

« Du jus d'orange, s'il te plaît. »

La soirée passa, c'était même assez amusant d'observer Bokuto lancer des concours de boissons à tout bout de champs, Akaashi condamné à le suivre dans ses délires (à la différence près que l'alcool n'avait pas l'air de tellement l'affecter, dans son cas) – et Kenma n'avait presque pas eu l'envie de partir (sauf quand Lev eut l'idée saugrenue de faire l'aviron). Et puis le jus d'orange était drôlement bon, il fallait le reconnaître.

Mais quelque chose clochait. La présence de Kuroo, assis à côté de lui, était exagérément perceptible ; il y avait cette chaleur qui émanait littéralement du bras posé près de sa cuisse, et c'était terriblement gênant. A un moment donné, il se rendit compte que le son se faisait délité, sa vue trop vive, et il plongea exagérément le nez dans le fond de son verre quasi-vide, un mauvais pressentiment au fond de la gorge.

Et mince.

« Yukie-san... Tu as mis quoi dans mon verre, déjà ?

— Bah, vodka-orange, c'est pas ce que tu m'avais demandé ? »

Ah. Chouette.

Le petit groupe autour de lui éclata de rire – sûrement avait-il eu le genre de mine dépitée dont Kuroo lui avait déjà parlé – et Inuoka demanda s'il était déjà bourré.

Oui. Non. Peut-être.

Définitivement oui.

Puis Bokuto débarqua pour un nouveau jeu, et ce fut sa seconde erreur.

« Kenma, ça te dit de faire une partie de pyramide ?

— ... Non, sans façon. »

Ça aurait pu s'arrêter là : Kenma serait parti se trouver un coin sombre pour décuver son pauvre petit verre, et rien de tout ce qui advint par la suite ne se serait produit.

« Ah, je comprends. Ça demande pas mal de mémoire, quand même, et faut de la réflexion. C'est pas grave, t'en fais pas ! »

Mais voilà, la provocation était de trop. Du coup, Kenma participa. Pour sa défense, l'alcool exacerbait ses réactions (et puis le regard de Kuroo posé sur lui avait l'air plus chaleureux, presque couvant).

Malheureusement, Kenma avait beau être un cerveau, à partir du moment où ses neurones baignèrent dans l'absinthe, il eut beau réfléchir, il ne fit que perdre (et toutes les tongs qu'il balança par-dessus la table de jeu n'y firent absolument rien). Une chose en entraînant une autre...

« Je déteste les soirées. »

Il était quelque chose comme quatre heure du matin, et la fête avait toujours l'air de battre son plein, de l'autre côté de la cloison de la salle de bain. Kenma, lui, était dans un tête-à-tête à trois : lui-même, la cuvette des toilettes et Kuroo, assis nonchalamment sur le rebord de la baignoire, à l'écouter déroulé le fil décousu de ses souvenirs. Le trouple était clairement de très mauvais goût.

« La vodka c'est le pire boss final du jeu de ma vie. »

Il avait peut-être un peu trop parlé, sa bouche pâteuse en était la preuve évidente ; et puis, le souvenir des trente dernières minutes paraissait horriblement flou, limite inquiétant. En plus, Kuroo avait ce regard malicieux sur lui qui n'annonçait généralement jamais rien de bon.

« Hnhn. Je dois avouer que tu as une imagination encore plus féconde que ce que j'imaginais. Mais j'aimerais bien qu'on revienne au moment où tu parles de ton meilleur ami et crush de toujours. »

Attendez. Retour sur image. Qu'est-ce qu'il venait de dire ?

« ... »

Mais qu'est-ce qu'il était encore allé raconter ? C'était forcément la pleine lune qui lui faisait débiter n'importe quoi.

« J'ai jamais dit ça.

— Si, tu l'as dit.

— Non.

— Si.

— Non.

— Si si. Entre le moment où tu as voulu téléphoner à Shoyo et celui où tu te plaignais de ma coupe de cheveux.

— Tu serais pas en train d'essayer de m'extorquer les informations qui t'arrangent ? »

Kuroo eut un rire, et le ventre du passeur se tordit ; est-ce que c'était ça, l'amour ? Est-ce qu'il le prendrait mal s'il se mettait à vomir maintenant ?

« Peut-être. Mais je suis flatté, Kenma. Si j'avais su qu'il suffisait d'un peu d'alcool pour te soutirer des phrases aussi mignonnes, je t'aurais fait boire plus tôt. »

A son approche, le passeur détourna la tête – c'était horrible, parce qu'il sentit instantanément ses joues chauffer comme son ordinateur en plein cagnard, sans qu'il ne puisse rien y faire. Heureusement, ses mèches blondes demeuraient le meilleur bouclier qu'il avait en sa possession.

« Tu étais beaucoup moins pudique il y a genre, dix minutes. »

La main brûlante de Kuroo se glissa dans ses cheveux, aimantant leur regard l'un dans l'autre – touché électrique en connexion directe avec le bas de ses reins. La main : un – le bouclier : zéro. Le visage de Kuroo se pencha au-dessus de lui, et ses yeux brillaient d'amusement.

Fatal error system. Reboot. Trop près. Beaucoup, beaucoup beaucoup trop près.

« J'aurais bien envie de t'embrasser, là tout de suite, sourit le brun en caressant sa joue, mais je crois qu'il faudra passer par l'étape brossage de dent et douche, avant de faire quoique ce soit. »

Kenma s'écroula lamentablement contre la cuvette, le cœur battant et la mine totalement dépitée, dans une PLS approximative qui arracha un nouveau rire à son meilleur ami. Il n'avait pas eu l'impression de retenir sa respiration aussi longtemps ; ni d'à quel point il avait eu envie, en vérité, de sentir ses lèvres sur les siennes et...

Raaahhh.

« J'éprouve soudain l'irrépressible envie de me remettre à boire. »

Au moins, même s'il sacrifia tous ses manas de charisme ce soir-là, il fit beaucoup rire Kuroo ; c'était un mal pour un bien, en un sens. Et même s'il feignit l'amnésie le lendemain matin, le brun ne fut pas crédule – le baiser qu'il reçut du coin de lèvres lui prouva que lui, en tout cas, n'avait rien oublié.

C'était la pire, mais aussi (peut-être) la meilleure soirée de sa vie.

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Merci d'avoir lu, des bisous !