Cette fic est écrite dans le cadre de la 121ème nuit écriture du FoF (Forum Francophone) pour le thème "Chercher". Le FoF est un forum regroupant tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou s'amuser entre nous. Le lien se trouve dans mes favoris. Rejoignez-nous !

Note de l'auteur : Ce texte est... L'histoire d'un blocage de plusieurs années. Cela fait longtemps que je me demande ce qui est arrivé aux parents de Seto et de Makuba, parce que ni l'anime, ni Seto et Makuba eux-mêmes ne nous donnent plus d'informations que "Ils sont partis". Et depuis des années, quand j'essayais de me poser la question, je faisais une espèce de blocage en concluant en quelques secondes : "Je ne sais pas et je m'en fiche". Puis le thème "Chercher" m'a fait penser au fait de chercher dans ses souvenirs, j'y ai repensé, j'ai eu le reveal sous les yeux et j'ai compris pourquoi j'avais fait un tel blocage parce que la réponse était sous mon nez si je daignais juste reconstituer le puzzle avec les pièces données par l'anime et mes recherches sur un certain sujet. Je ne vais pas en dire plus, à part que cet OS est violent et que le rating n'est pas là pour rien. Je vous retrouve en bas. Bonne lecture !


Makuba se laissa tomber sur son lit et croisa les bras derrière sa tête, fixant le plafond. Le tournoi de BatailleVille était terminé et ils étaient rentrés chez eux, au siège de la Kaïba Corp. Pourtant, ce n'était ni le tournoi, ni la défaite de Marek, ni la victoire de Yugi qui occupait ses pensées. Leur enlèvement par Noah dans son monde virtuel avait été loin d'être de tout repos, pourtant, il ne pouvait pas nier qu'une part de lui avait apprécié de voir ses souvenirs et ceux de Seto être exposés sous leurs yeux comme dans un film. Tout simplement parce que cela lui avait permis de mettre de l'ordre dans ses propres souvenirs. Il avait quatre ans quand il était arrivé à l'orphelinat et, s'il avait des flashs assez précis de cette journée-là, le reste était beaucoup trop flou. Quand et comment avaient-ils été adoptés par Godzaburo, à quel point étaient-ils brutalisés par les autres enfants de l'orphelinat, comment Seto avait-il vécu son adolescence chez leur père adoptif… Le récit de leur enfance lui avait permis de mettre en lumière tous les flashs et tous les souvenirs fabriqués à force que Seto les lui raconte, et il ne pouvait nier que cela lui avait fait un bien fou.

Pourtant, il y avait une dernière zone d'ombre. Une dernière zone de noir complet, sur laquelle Noah n'était pas revenu. Parce que cela ne le concernait pas ? Aucune idée. Tout ce qui s'était passé avant ce premier jour à l'orphelinat, toute leur vie chez leurs parents, leurs vrais parents. Ils ne possédaient aucune photo d'eux, et Makuba n'avait plus aucun souvenir de comment c'était, d'à quoi ils ressemblaient, de comment se passait leur quotidien chez eux. Il avait plusieurs fois tenté d'interroger Seto mais celui-ci restait toujours vague. Des parents comme les autres, je suppose. Une vie on ne peut plus normale. Je ne m'en souviens plus trop non plus. Ces réponses-là, c'était quand Seto était de bonne humeur. Lorsqu'il était énervé ou fatigué, il ne récoltait qu'un sermon sur la nécessité d'oublier le passé. Que seuls comptaient aujourd'hui leur empire et le futur qu'ils s'étaient construit, et que s'attarder sur le passé était une perte de temps.

Comment étaient leurs parents ? Comment avaient-ils disparus ? Étaient-ils morts, ou y avait-il une probabilité, même insignifiante, qu'ils réapparaissent dans le hall de la Kaïba Corp du jour au lendemain ? Quand Makuba insistait pour avoir ces réponses, Seto s'agaçait rapidement. Il se contentait de lui assurer qu'ils ne reviendraient pas, donc qu'il ne servait à rien d'en parler. Fin de la discussion. Makuba avait alors tenté de s'en souvenir par lui-même. Dans sa chambre, parfois dans le noir, il fermait les yeux et tentait de remonter le fil de ses souvenirs. De se concentrer sur cette période de noir et de la fixer en espérant y apercevoir quelque chose. Parfois, à force de chercher, il ressentait deux mains chaudes et douces plaquées sur ses oreilles. Un espace dans la pénombre. Des yeux bleus. Ceux de Seto ? Ceux d'un Dragon Blanc ? Aucune idée. Est-ce qu'au moins ces flashs étaient vrais ? Est-ce qu'au moins son cerveau ne finissait-il pas par lui jouer des tours et lui montrer quelque chose au hasard à force de chercher ?

Ses poings se serrèrent de rage et de désespoir. Il n'y avait que quatre ans de sa vie qui étaient dans le noir total, pourquoi Noah n'avait-il pas pu les lui montrer également ?


Seto se laissa tomber dans son fauteuil et croisa les bras derrière sa tête, fixant le plafond en s'appuyant confortablement au fond du siège qui basculait légèrement. Si la finale du tournoi avait été éprouvante, leur enlèvement par Noah et la plongée dans leurs souvenirs l'avait été tout autant. Pourtant, malgré toutes les émotions qu'il avait alors ressenties, la peur, la colère, l'incompréhension, le désespoir de perdre son frère, la surprise de découvrir l'identité de Noah, le sentiment qui avait prédominé en s'échappant de ce monde virtuel était du soulagement. Cette plongée dans leurs souvenirs avait commencé le jour de leur arrivée à l'orphelinat. Pourquoi ce jour-là ? Est-ce que Noah ne s'était pas intéressé à la période d'avant, chez leurs parents ? Est-ce qu'il s'était attaché à ne montrer que des souvenirs qui existaient encore dans leurs deux esprits, à Makuba et lui ? Ou, au contraire, avait-il compris à quel point lui montrer le jour d'avant aurait réduit à néant tous les efforts qu'il avait faits depuis plus de quinze ans ? Noah n'aurait eu aucun intérêt à lui rendre ce service. Au contraire, s'il avait voulu retourner Makuba contre lui, il n'aurait eu aucun mal à mettre en lumière son plus grand secret, le fait qu'il avait manipulé son frère pendant des années dans une tentative désespérée pour le protéger de la vérité. Alors… Pourquoi Noah ne lui avait-il pas montré ? Pourquoi Noah avait-il accepté de protéger Makuba autant que lui-même l'avait fait depuis toutes ces années ?

Ses yeux se fermèrent et, dans son esprit, une maison se dessina. Un salon aux couleurs chaudes, au canapé de cuir. Un tapis rouge. Peut-être une télé ? Même pour lui, les détails étaient flous. Mais les visages de ses parents et de son frère étaient clairs.

- Papa ! s'écria Makuba.

Makuba courut vers l'homme aux cheveux bruns soigneusement coupés, au visage fin et anguleux et aux yeux marron. L'homme ébouriffa les cheveux de Makuba.

- Salut mon bonhomme.

Habituellement, son père l'aurait pris dans ses bras mais ce soir-là, ses bras étaient pris par un énorme bouquet de fleurs qu'il tendit à la femme qui s'était relevée en le voyant arriver. Toute aussi mince que lui, presque trop maigre, des cheveux longs châtains qui tombaient dans le milieu de son dos, des yeux bleus. Leur père lui tendit les fleurs :

- En quel honneur ? demanda sa mère en levant un sourcil suspect.

- Je te dois des excuses pour hier soir. Je me suis comporté en vrai salaud, je n'étais pas moi-même et… Excuse-moi. Ça ne se reproduira plus.

Leur mère soupira légèrement et avisa le bouquet de fleurs. Son regard était amer. Épuisé. Presque désespéré ? Elle semblait avoir des milliers de choses à lui répondre, pas des plus agréables. Mais son regard se posa sur Seto qui observait la scène silencieusement et elle finit par prendre le bouquet en soupirant :

- On en reparlera plus tard.

Plus tard. Quand il était enfant, Seto avait acquis que « plus tard » signifiait « quand les enfants sont couchés » et il lui avait fallu plusieurs mois d'orphelinat pour apprendre que cette expression avait d'autres significations. Dans ses souvenirs, sa mère était toujours terriblement jolie. Les mêmes yeux bleus que lui, des cheveux châtains mais aussi épais et emmêlés que ceux de Makuba. Et un visage pâle, doux, et souriant. Pourquoi avait-il ce visage en tête, comme ultime souvenir, alors qu'il savait pertinemment qu'il ne reflétait pas la réalité ? Est-ce que, dans sa tentative de protéger Makuba, ses propres souvenirs en avaient également pâti ? Non. Il connaissait la vérité.

Des cris. Des coups. Puis le silence. Seto s'était tapi dans son lit sans oser bouger pendant de longues minutes. Quand le silence revint, il attendit encore ce qui lui parut être une éternité avant d'oser bouger. D'un coup d'œil, il avisa le lit de Makuba. Son frère dormait profondément. D'un certain côté, il l'enviait. Il se glissa hors de son lit et sortit silencieusement de la chambre. Il rejoignit leur salon au moment où son père en sortait. Celui-ci se figea en le voyant.

- Qu'est-ce que tu fais là toi ?

Mais son regard énervé se retourna rapidement vers sa femme :

- Je croyais que tu les avais couchés tous les deux ?!

Sa mère le rejoignit rapidement et le prit par le poignet :

- C'est pas grave Seto. Mais il faut que tu retournes dormir, tu as école demain.

Elle l'emmena rapidement vers le couloir en gardant la tête haute mais légèrement tournée pour que Seto ne puisse pas voir son visage. Trop tard. Il avait déjà aperçu, quand elle était sortie du salon, le rond violet autour de son œil bleu et le filet rouge qui coulait de sa lèvre.

- Maman, attends, chuchota-t-il. Il t'a fait mal…

- Mais non c'est juste… Une dispute de grands. Les adultes se disputent parfois. Tu te disputes avec Makuba ? Eh bien c'est pareil pour papa et moi, c'est tout…

En temps normal, il aurait arrêté de poser des questions et laissé sa mère le remmener dans sa chambre. Mais son ton précipité et entrecoupé de sanglots le convainquit de faire quelque chose. Parce qu'il l'aimait. Qu'il aimait profondément sa mère et que si son père était responsable de ses larmes, alors il était le seul à pouvoir faire quelque chose. Il s'arrêta et se dégagea de sa poigne.

- Non maman. Je me disputerai pas avec Makuba jusqu'à lui faire mal. Parce que je l'aime. Pourquoi c'est pas pareil avec papa et toi ? Comment les adultes ils font, pour s'aimer mais se frapper quand même ?

Sa mère le regarda avec des yeux ronds et les traces violettes sur son visage ressortirent encore plus. Son regard se brouilla et Seto perçut qu'elle luttait de plus en plus pour se retenir de fondre en larmes. Entendant leur père revenir, elle l'attira rapidement dans la salle de bains dont elle ferma la porte avant de s'agenouiller et de serrer Seto dans ses bras en laissant couler ses larmes. Seto lui rendit précautionneusement son étreinte et ce geste parut l'apaiser plus que n'importe quoi d'autre. Lentement, elle relâcha son étreinte et répondit :

- C'est plus compliqué que ça. Ton père n'est pas méchant, il est juste épuisé et énervé et… Plein d'autres choses. Regarde, le reste du temps, ça se passe bien, non ?

- Quand il t'offre des fleurs pour se faire pardonner de s'être énervé ? Maman… A l'école, j'ai plein de copains dont les parents ne vivent plus ensemble. Ils ne s'aiment plus et ont chacun leur maison, mais au moins ils sont heureux. Pourquoi vous restez ensemble, papa et toi, s'il s'énerve aussi souvent de cette façon ?

- C'est… C'est compliqué, souffla sa mère.

- Alors explique-moi.

- Bon sang, Seto… soupira-t-elle. Je ne suis pas censée t'expliquer, je suis censée vous protéger de tout ça ! Tu n'as que dix ans, tu n'as pas à m'aider !

- Qui d'autre le fera ? Certainement pas papa. Alors qui ?

Les sanglots de sa mère redoublèrent et Seto s'empara d'une boite de mouchoirs pour la lui tendre. Lorsqu'elle parvint à reprendre son souffle, elle secoua la tête et soupira :

- Tu mets le doigt sur le problème. Il est hors de question que je m'en aille sans ton frère et toi. Mais… Si on part, on ira où ?

- Il y a forcément une solution…

- Il n'y en a pas, assura sa mère. Crois-moi que s'il y en avait une, on serait déjà tous les trois loin d'ici. Alors en attendant, voilà ce qu'on va faire. Papa, je m'en occupe. C'est à moi de le calmer et de m'assurer qu'il reste toujours aussi gentil que d'habitude. Toi, tu t'occupes de Makuba. Tu t'assures qu'il ne se lève jamais de son lit comme tu l'as fait ce soir, qu'il ne voit jamais son père autrement que comme celui qui le prend dans ses bras quand il rentre le soir. Tu veux bien faire ça pour moi ? Et comme ça, tout ira bien pour tout le monde.

Seto avait réfléchi quelques secondes avant d'acquiescer.

- D'accord. Je ferai tout pour protéger Makuba, maman. Mais… Si toi tu n'y arrives pas avec papa, on fait quoi ?

A la réflexion et avec des années de recul, c'était ce soir-là, dans cette salle de bains, face au visage tuméfié de sa mère, que Seto avait acquis que les sentiments ne servaient à rien. Qu'ils ne pouvaient que pénaliser quelqu'un et l'empêcher d'avancer. Parce que rien de tout ça ne serait arrivé si sa mère ne les avait pas trop aimés pour s'enfuir. Plusieurs fois, quand il était fatigué ou énervé et qu'il repensait à ce moment, il se disait que la plus grande erreur de sa vie avait probablement été de ne pas penser à lui briser le cœur. A l'insulter, être odieux, la traiter de tous les noms, jusqu'à ce qu'elle décide que ses enfants n'étaient pas si importants que ça pour elle et qu'elle décide de s'enfuir sans eux. Qu'est-ce que ça aurait changé ? Serait-elle encore là ? Makuba et lui-même auraient-ils encore été là ? Aucune idée. La seule chose dont il était persuadé, c'est que cela leur aurait évité cette soirée où tout avait basculé.

Seto était dans sa chambre quand le premier cri avait résonné. Des cris de dispute, de plus en plus forts. Ce n'était pas normal. Makuba jouait dans le salon, lui-même lisait dans sa chambre, jamais leurs parents ne se disputaient aussi fort quand ils étaient réveillés. Il descendit dans le salon.

- Maman !

Sa mère était debout, dos à un mur, à un mètre de son père qui criait. Qui avait les poings serrés, le visage déformé par la colère. Mais ce n'était pas lui que sa mère fixait. Son regard fuyant jetait de plus en plus de coups d'œil au couteau de cuisine resté sur la table à quelques mètres d'eux.

- Seto, sors de là ! cria-t-elle.

Son ton n'était ni autoritaire, ni énervé. Juste terrorisé. Dans un coin du salon, Makuba était assis, figé de frayeur, ses yeux écarquillés et terrifiés rivés sur son père. Makuba. Sa mère. Sa mère. Makuba. Il recroisa le regard de sa mère et sut quel choix faire. Celui qu'il lui avait promis de faire. « Papa, je m'en occupe, toi tu t'occupes de Makuba ». En deux foulées, il atteignit le coin dans lequel Makuba était recroquevillé et prit sa main.

- Viens !

Makuba obéit systématiquement, trop sidéré pour dire quoi que ce soit, et se laissa entraîner par Seto. Celui-ci aussi agissait mécaniquement. « Si toi tu n'y arrives pas avec papa, on fait quoi ? ». Il avait l'impression d'avoir posé cette question une éternité auparavant, pourtant, sa réponse résonnait encore dans ses oreilles. De la main qui ne tenait pas celle de Makuba, il attrapa le téléphone sans fil sans ralentir et poussa son frère dans un placard avant de refermer la porte derrière eux. L'écran et les touches du téléphone éclairaient vaguement l'espace trop petit, suffisamment pour qu'il distingue Makuba qui sanglotait assis face à lui, toujours aussi terrifié.

- Ça va aller, Maky, je te le promets.

Ses doigts tremblèrent lorsqu'il composa le numéro de la police, mais sa voix récita presque intuitivement les indications données par sa mère. Ce qu'il se passait, où il était, leur adresse. Quand il raccrocha, les cris de douleur et de terreur avaient redoublé dans la maison et le visage de Makuba était imbibé de larmes. Seto s'agenouilla devant lui et plaqua ses deux mains sur ses oreilles pour tenter de le protéger des cris. Il rapprocha son visage du sien et écarta l'une des mains juste assez pour que Makuba l'entende souffler :

- Ça va aller, je te le promets. Regarde-moi. Tu vois mes yeux ? Ne pense à rien d'autre, regarde-moi, je ne laisserai rien t'arriver, je te le promets petit frère. Ça va aller. N'écoute rien et regarde-moi.

Makuba battit des paupières pour en chasser ses larmes et riva ses yeux dans ceux de Seto qui garda ses mains plaquées sur les oreilles de son frère jusqu'à ce que la porte du placard s'ouvre sur trois policiers.

Seto n'avait jamais vraiment su à quel moment les cris s'étaient arrêtés. Même lorsque les policiers les avaient fait sortir de la maison et qu'il avait aperçu deux housses blanches recouvrant des corps dans le salon, les cris de rage et de terreur résonnaient encore dans sa tête. Il avait à peine entendu les commentaires des policiers. Ceux qui le félicitaient d'avoir eu l'idée de se cacher avec son frère, ceux qui lui demandaient s'ils avaient de la famille ailleurs, ceux qui chuchotaient entre eux en disant qu'il n'y avait rien eu à faire et que leur père avait déjà retourné l'arme contre lui quand ils étaient arrivés. Son premier souvenir clair après ce moment avait été la dernière fois que Makuba et lui s'étaient trouvés devant leur maison, prêts à partir à l'orphelinat.

- Ils sont où papa et maman ?

- Partis. Y a plus que nous deux maintenant. Mais tout ira bien.

- Je… J'ai peur Seto…

- Je sais. Mais t'inquiète pas, je serai toujours auprès de toi.

Bien que lui-même à l'époque n'était pas plus rassuré, la question de Makuba l'avait déjà interpellé. « Ils sont où papa et maman ? ». Il avait alors compris que Makuba n'avait qu'à moitié réalisé ce qu'il s'était passé pendant qu'ils étaient dans ce placard. Qu'il n'avait pas compris ce qui était sous les deux housses sur le sol dans le salon. Mais c'était plus tard, lors de leur première journée à l'orphelinat, qu'il avait eu la vraie révélation sur ce qu'il lui restait à faire.

Seto sortit enfin dans la cour de l'orphelinat en soupirant. Le directeur de l'orphelinat avait insisté pour que, au vu des circonstances, il rencontre une psychologue pour discuter de ce qu'il s'était passé. L'entretien n'avait pas servi à grand-chose pour lui, mais ils avaient pu discuter de Makuba. De la façon dont lui avait vécu les choses. Sauf que, pendant ce temps, Makuba était resté seul. Il ne mit pas longtemps à le retrouver, assis seul sur une balançoire. Combien d'heures y avait-il passé ? Aucune idée. Il se rapprocha de lui lentement.

- Alors Maky ?

- C'est toi Seto ? demanda son frère en levant la tête vers lui. Comment savais-tu que j'étais là ?

- J'ai deviné, sourit Seto en passant une main affectueuse dans ses cheveux. Allez, souris. C'est pas si grave. Tu verras, on ne restera pas longtemps ici. Allez viens Maky, allons nous promener.

Il emmena Makuba se promener dans les allées de l'orphelinat et demanda :

- Alors, qu'est-ce qui ne va pas ?

- Maman et papa me manquent, sanglota Makuba.

A quel point Seto avait-il essayé de se convaincre lui-même autant que son frère, en disant que ce n'était pas si grave ? Avec le recul, il était forcé d'admettre qu'au milieu de la peine d'avoir perdu sa mère et de la peur quant à ce qui allait leur arriver, il ressentait également un puissant soulagement. Il n'entendrait plus sa mère hurler, il ne la verrait plus pleurer. Elle ne pourrait plus jamais hurler ou pleurer et cette idée l'avait déjà, à cet instant, soulagé de savoir qu'elle avait fini de souffrir – et que lui était toujours là pour tenir la promesse qu'il lui avait faite et s'occuper de son frère. Soulagé également de savoir que son frère ne prendrait jamais conscience de ce qui s'était vraiment passé. Makuba ne réaliserait jamais le potentiel des abus de leur père, il restait pour lui celui qui le faisait sauter dans ses bras tous les soirs en rentrant. Il en avait un peu parlé avec la psychologue, en posant les bonnes questions pour se préparer. Au cas où son idée serait effectivement la bonne.

- Toi-même, Seto, tu as dix ans. Tu es grand, suffisamment pour garder des souvenirs précis. Tes parents, tu ne les oublieras pas. Ce n'est pas le cas pour Makuba.

- Pourquoi ? Il se passe quoi avec la mémoire des enfants ? Pourquoi est-ce qu'on ne se souvient de rien de notre petite enfance ?

- Le cerveau ne sait pas encore trier ce qui est important à cet âge. Il ne retient que les événements les plus récents, en supprimant les plus vieux pour faire de la place. Le seul moyen pour un enfant de cet âge de conserver des souvenirs, c'est de les entretenir, de les lui raconter tous les jours. Sinon, indubitablement, ils s'effaceront. Pour que Makuba conserve des souvenirs de vos parents, il va avoir besoin de tes récits, de tes photos, de tout ce que tu pourras lui dire sur eux.

- Vous êtes sûre de ça ?

- Absolument certaine.

Il n'avait alors pas mis longtemps à prendre sa décision. Lui-même n'effacerait pas les images de sa mémoire. Mais il n'y avait aucun bon souvenir à conserver de cette enfance au cours de laquelle il avait compris à quel point les sentiments étaient inutiles et destructeurs, à quel point on ne pouvait s'encombrer de personne et s'attacher à personne si on espérait avancer dans la vie. Alors, si Makuba avait une seule chance, même infime, de ne conserver aucun souvenir de cette période, il devrait tout faire pour que ce soit effectivement le cas.

- J'aimerais tant qu'ils soient avec nous en ce moment. C'est vraiment trop injuste qu'ils nous aient laissés tous seuls…

La main de Seto se posa doucement mais fermement sur son épaule et il releva les yeux en ordonnant :

- Arrête. Il ne faut pas pleurer. Ça ne sert à rien, ça ne va pas nous aider. Il n'y a qu'une seule façon pour nous de se sortir de cette situation. Nous devons devenir forts. Les émotions ne nous aideront pas à survivre, bien au contraire.

Il s'était arrêté là dans son discours. Avant d'évoquer leur mère et le fait que ses émotions l'avaient précisément tuée. S'il voulait que son plan fonctionne, il y avait des mots qu'il ne devrait pas prononcer.

- Forts ? s'étonna Makuba.

- Oui, c'est ça. Maky, ne t'attend pas à ce que quelqu'un nous vienne en aide un jour. Nous sommes tous seuls maintenant.

Il n'y a plus que nous, petit frère, ajouta-t-il en pensées. Nous deux. Ne pense à personne d'autre qu'à moi. Ne cherche pas à reconstituer les photos déchirées au fond de la poubelle de l'orphelinat. Ne pense qu'à moi, sois fort, regarde l'avenir. Et fais ça longtemps. Très longtemps. Ce discours, je te le rabâcherais encore et encore pour que tu ignores le passé. Pour que tu n'y penses plus pendant suffisamment de temps. Pour que tu l'oublies. Regarde l'avenir et oublie le passé, petit frère. Je t'en supplie, crois-moi quand je te dis que c'est mieux comme ça. Oublie.


Donc...

Toutes les paroles de Seto à partir de leur entrée à l'orphelinat sont issues de l'anime au mot près. Sa phrase "Les émotions ne nous aideront pas à survivre, bien au contraire" a grandement contribué à me faire dire "OK ça fonctionne beaucoup trop bien".

Tout ce qui est dit sur le fonctionnement de la mémoire d'un enfant vient du roman de Michel Bussi "Maman a tort" qui est une véritable Bible sur le sujet et une petite merveille quant à la recherche sur le sujet que Bussi a effectuée pour écrire ce roman. Je vous le recommande vraiment sans restrictions.

Ensuite, le sujet des relations abusives, je le connais bien parce que j'ai passé deux ans en recherche documentaire sur le sujet pour une fic sur un autre fandom (Yuri on Ice). D'où le blocage que je faisais parce que j'avais concrètement toutes les infos sous le nez mais que je refusais de les aligner dans le bon ordre. Une seule petite précision, cependant, la réaction de Seto n'est... Pas la plus crédible. Dans les relations abusives, il y a de très fortes chances que les fils de l'abuseur finissent par adhérer à son modèle les yeux fermés en considérant en grandissant que leur mère - et les femmes en général - mérite ce qui leur arrive car tout est de sa faute. Je pourrais écrire un roman sur le sujet (ce que j'ai fait avec une fic de deux ans et 24 chapitres), donc je vais m'arrêter là en précisant que je suis dispo par MP si vous souhaitez en discuter.

Je dirais bien que j'espère que la fic vous a plu, mais vu le sujet... J'espère que vous aurez au moins trouvé l'idée crédible autant que moi ?

N'oubliez pas que seules les reviews permettent de savoir ce que vous en avez pensé !