« Je ne bois jamais rien de plus fort que le gin avant le petit déjeuner. »

W.C. Fields


PAINT IT BLACK


C'était sans compter sur le ventilateur qui venait de rendre l'âme. La chaleur étouffante de l'été pesait dans toute la pièce, mais cela ne l'empêcha pas de s'allumer une cigarette. Assis dans sa chaise légèrement bancale, derrière son bureau sur lequel était entassé très proprement des dizaines de dossiers, il profitait d'être le dernier de son département pour s'offrir ce plaisir. Il était 17h35, et les autres officiers étaient déjà rentrés chez eux. Il ne tarderait pas à faire de même, mais pas avant d'avoir pris connaissance du dernier tas de feuilles qui avait atterries sur son bureau en fin d'après-midi.

Venant tout juste d'arriver, les autres lui redonnais le « tout-venant » comme il disait. Les officiers de police se réservaient les meilleurs enquêtes, favorisant leur avancement, et redonnait le reste aux nouveaux, qui se retrouvaient avec un monceau de petits larcins et de plaintes qui allaient être classées sans suites. Parfois il y avait aussi les dossiers « tatoués », faisant référence aux Yakuzas, et dont aucun policier ne voulait vraiment traiter.

Soudain, le téléphone sonna.

– Je savais que tu serais encore au bureau.

– Inspecteur. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

La voix de l'homme était chevrotante, lui d'habitude si sûr de lui, parlant toujours avec aplomb.

– Tu es tout seul ?

– Oui.

– Va voir le bureau de Miahoma.

– Qu'est-ce qu'il se passe ?

– C'est Miahoma, Il a... On lui a tiré dessus.

Il eut un blanc.

– Vous voulez que je récupère son travail ?

– Non, fais des photocopies de tout. Son travail va être saisi, et son enquête sera irrécupérable. Prends toutes ses notes, toutes ses photocopies, je veux tout.

– À vos ordres, Inspecteur.

Il raccrocha, troublé. Il n'aimait pas l'enquêteur Miahoma mais il ne le détestait pas non plus. C'était la star du service. Le jeune et talentueux super-flic qui bouclait toutes ses affaires avec brio, et s'en ventait aussi plus que de raison.

Se demandant dans quelle situation il avait bien pu se mettre pour se faire tirer dessus, il se leva de sa chaise et se dirigea vers le bureau de son collègue. Plusieurs dossiers étaient posés en vrac dessus, mais ils semblaient tous provenir d'une même enquête.

Faisant milles aller et retours entre le bureau de son collègue et le photocopieur, chacun des documents lui passa devant les yeux, et peu à peu l'affaire se dessina dans son esprit.

La première pièce qu'il eu à dupliquer était une photographie, découpée à la va vite dans un journal.

Il trouva rapidement le reste de l'article plus loin dans le dossier. Rassemblant les deux pour le photocopieur, il ne put s'empêcher de lire le titre de l'article.

« Série de suicide au sein du groupe Karasuma, un projet de l'entreprise mis en accusation »

La photo qui accompagnait le texte, représentait un homme en blouse blanche souriant dans son laboratoire.

Encore un scandale pharmaceutique pensa-t-il, refermant le premier dossier. Sans attendre, il poursuivit avec le second, puis le troisième, sans plus s'arrêter. Sans grand intérêt, il dupliquait sans regarder à peine de quoi il s'agissait.

Soudainement, les cendres de son mégot tombèrent au creux du carnet de notes manuscrites de son collègue, resté ouvert sur le bureau. Le saisissant pour en épousseter les résidus brûlés de sa cigarette, il fut surpris de s'apercevoir que la page à laquelle il était ouvert s'agissait plus d'une carte euristique que d'une simple liste de remarques.

Différentes idées révolutionnaient autour d'un mot central. Dans le sens des aiguilles d'une montre, il prit le temps de suivre l'enchevêtrement de lignes qui reliaient ce qui semblait être les points clés de l'enquête.

Décidant qu'il étant temps de marquer une pause, il s'assit dans le fauteuil de son collègue, ce qui plaqua sa chemise moite contre son dos. La sensation le dérangea, maudissant les climatiseurs tombés en panne. Sa cigarette s'était finie et jetant le mégot dans la corbeille, il mit les pieds sur le bureau pour entreprendre une lecture approfondie du carnet.

Le premier mot était suicide, relié au nom de toutes les victimes, et celui du groupe responsable : le fabricant de médicaments : Karasuma. Le mode opératoire était toujours le même, ce qui l'intrigua. Le nom de l'entreprise était relié à celui d'une banque, lui-même relié à une bulle « compte cachés ? ».

Une autre section regroupait un tas de nom qui lui étaient inconnus mais qui devaient signifier quelque chose pour son collègue. Se souvenant de l'article, il vérifia sans surprise que l'une des noms sur le carnet correspondait au nom de la journaliste qui avait écrit l'article.

Une bulle attira son attention. Au milieu, il y était écrit « Gala », ainsi qu'une date, qui indiquait qu'il aurait lieu dans deux jours. Qu'est-ce qu'un gala vient faire là -dedans se demanda-t-il. Le mot était entouré plusieurs fois comme si c'était la clé de résolution qui permettrais de relier toutes les bulles entre elles et d'expliquer celle qui trônait au centre.

Entourée de rouge et énigmatique, il ne comprenait pas ce qu'elle signifiait.

En son centre était écrit GIN.

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Le joint de la portière était collé par le froid, et une fine couche de neige s'était déposé sur le pare-brise.

— Cette satanée voiture, Patron… Chaque année, elle nous fait le coup…

— Arrête de te plaindre, Vodka.

Les deux hommes s'installèrent à l'intérieur. Vodka pris la place du conducteur. La Porsche noire démarra, et roula sous la neige qui s'abattait sur Tokyo. Gin ne parla pas pendant le trajet, se concentrant sur le nettoyage méticuleux de son arme. Le Beretta 1934 avait beau être ancien, ce semi-automatique ne le décevais jamais.

Arrivés à leur destination, Gin descendit.

— Va la garer plus loin. Lança-t-il à son acolyte.

L'homme vêtu de noir s'engouffra dans le hall de la tour de verre. L'endroit était raffiné, et plusieurs ascenseurs desservaient les nombreux étages d'habitation. C'était un endroit hors de prix. Pour les gens comme lui du moins. Il s'agissait moins d'appartements que de lofts ultra modernes perchés dans une tour de cristal surplombant la ville embrumée dans les nuages enneigés.

Vodka arriva, pressant le pas pour rattraper son patron. Les deux montèrent dans un des ascenseurs, seuls, laissant les portes se refermer sur eux.

Propulsés jusqu'au trente cinquième étage dans une colonne de verre, les deux hommes purent admirer le paysage durant leur ascension.

— Nous y sommes.

Il appuya sur le panneau tactile qui devait servir de sonnette high-tech. Un homme vient leur ouvrir. En costume bleu foncé avec une veste noire, portant le poids d'une cinquantaine d'années sur visage, il avait des traits à la fois sévères et amicaux.

Gin savait que s'était un faux semblant et qu'il ne devrait pas s'y tromper.

— Bonjour monsieur Hiata.

— Bonjour messieurs. C'est un plaisir de vous recevoir chez moi. Veuillez entrer s'il vous plait.

Il les guida jusque dans son immense salon, où il les fit asseoir.

— Vous voulez quelque chose à boire messieurs ? J'ai un très bon scotch.

— Non merci, l'alcool tue vous savez. Déclina Gin. Venons-en aux faits.

— Je sais pourquoi votre patron vous a envoyé à ce rendez-vous. Mais je lui ai déjà dis non. Je ne lui cèderais pas mes parts de l'entreprise. Je tiens à rester au conseil d'administration. Que feriez vous sans votre principal actionnaire, hein ?

— Je ne crain qu'on ne doive vous contraindre… Posa clairement l'homme en noir.

— Vous croyez que je vous ai laissé entrer sans avoir de garanties ?

— Mon patron ne commettrait pas une si grossière erreur. On se doute bien que vous ne vous laisseriez pas faire.

— Je n'ai pas de femme, pas d'enfants, mes comptes sont cachés. Donc vous ne pouvez pas me faire chanter si c'est l'idée qui vous a traversé l'esprit. Et ne comptez pas utiliser la violence ici. Tout est filmé, et la sonnette d'entrée a enregistrée vos empreintes. Mon cher, je dirais que cette fois-ci, c'est moi qui suis en position de force. D'autant plus que je connais les petits secrets de votre patron. Déclara-t-il, avec un sourire en coin.

— Je ne manquerais pas de faire part de ces détails à mon supérieur. Déclama Gin tout en se levant.

— Laissez-moi vous raccompagner.

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Sur le chemin du retour, Vodka semblait troublé, et Gin ne mis pas longtemps à le remarquer.

— Qu'est-ce qui ne vas pas, Vodka ?

— Rien…

— Ne me mens pas …

— Quelque chose est étrange. Vous ne vous en êtes pas rendu compte patron ?

— Si, évidement.