NOTE DE L'AUTRICE: Je reviens avec le troisième chapitre (et je m'excuse d'avance auprès de celles et ceux qui adorent Gavin Reed - il ne faut pas croire, je l'aime beaucoup aussi alors promis, il finira par être pardonné... je vous laisse lire pour comprendre pour quoi) Un grand merci à toutes les personnes qui lisent et laissent des reviews, vous êtes adorables!


CHAPITRE III - OLD GHOSTS


Plus de deux semaines s'étaient écoulées depuis le fameux meurtre sur lequel Hank et Connor étaient censés enquêter; et malgré l'acharnement de l'un et la patience à toute épreuve de l'autre, l'affaire n'était pas prête à avancer. Quoi qu'ils faisaient, ils étaient tôt ou tard confrontés à un mur. Hank finit par suggérer qu'il s'agissait peut-être d'un cas unique, que le tueur avait peté les plombs mais ne comptait plus recommencer, mais quelque chose ne collait pas. S'il s'agissait d'un acte impulsif, le ou la responsable n'aurait certainement pas été méticuleuse au point de ne laisser aucune preuve derrière son passage. Et pourquoi avoir laissé ce message? A qui était-il destiné? Aux humains? Aux androïdes qui choisissaient de les côtoyer plutôt que de leur tourner le dos? La seconde hypothèse était peut-être plus probable, étant donné le meurtre du AK700 dont le sang bleu a été utilisé pour marquer les cadavres.

Bien sûr, Hank le rassurait comme il pouvait. « On ne peut pas attraper tous les criminels, à chaque fois. Certaines affaires restent non-classées, faute de preuves et de pistes à suivre, c'est comme ça, l'accepter fait partie du job. Ne sois pas trop dur envers toi-même. » Mais Connor ne pouvait pas s'en empêcher. Faire du surplace était pour lui inacceptable et admettre l'échec signifiait reconnaitre qu'il n'était pas si performant que ça. A quoi servait-il, si ce n'était pour voir ce que les autres ne voyaient pas? Il avait été crée dans ce seul but...

Ainsi donc, malgré les jours qui passaient, l'avertissement ne quittait pas les pensées du RK800, et son partenaire le voyait bien.

- Allez viens, annonça Hank un soir d'un ton qui laissait sous-entendre qu'aucun refus ne serait toléré, debout devant le bureau de l'androïde. "Lucy fête son anniversaire et l'équipe au complet va se réunir au bar du coin pour une petite bière.

- Je ne—

- Ouais, mais tu viens quand même. On a tous besoin de décompresser.

Décompresser.

Même si Connor comprenait le sens de l'expression, il ne voyait pas comment il était censé mettre ce conseil en pratique. En tant qu'androïde, il n'avait pas besoin de relâcher la pression, pour la simple et bonne raison qu'il n'était jamais vraiment à cran (du moins, c'était ce dont il était convaincu). Depuis qu'il était devenu déviant, il avait apprit à gérer le flot d'émotions, parfois contradictoires et souvent nouvelles et incompréhensibles, et estimait qu'il les maîtrisait assez bien aujourd'hui pour ne pas se sentir... submergé.

- Je vais bien Hank, entama-t-il mais fut une fois de plus coupé dans son élan par le lieutenant, qui pointait du doigt sa main. Suivant son regard, interloqué, Connor découvrit avec une pointe de stupeur que le stylo qu'il tenait, l'ayant fait glisser et tournoyer entre ses doigts longs et habiles à la place de la pièce de monnaie habituelle, était tordu.

Quand avait-il fait ça? Il ne s'en était même pas rendu compte.


Le bar était bruyant et bondé; bien trop au goût de Connor, qui ne se sentait définitivement pas à l'aise dans une foule pareille. Assis au comptoir dans une posture un peu trop rigide comparée aux autres clients, l'androïde parcourut la pièce du regard, essayant de repérer les visages familiers. Même Gavin Reed était de la partie. Comme souvent ces derniers temps, Connor ne se sentait pas à sa place, au milieu de tous ces humains joyeux et (pour la plupart) éméchés.

Un peu plus loin, plusieurs personnes se mirent à chanter « Happy Birthday to you »; puis quelques minutes plus tard, au milieu de toutes les voix qui formaient un brouhaha incompréhensible, à travers les rires et le bruit des pintes de bière qui s'entrechoquaient, Connor reconnut la voix de Riley. Aussitôt en alerte, il chercha la jeune femme du regard, ce qui était loin d'être tâche aisée dans cette foule.

Un verre à la main - Connor eut le temps de noter qu'il s'agissait d'une boisson non-alcoolisée - Hank le rejoignit, lui assénant une petite tape amicale sur l'épaule.

- Alors, c'est pas si horrible finalement, si?

Bien sûr que si, eut envie de répondre l'androïde, mais à la place, essaya de regarder par-dessus l'épaule de Hank.

- Je ne savais pas que Riley serait là.

- Ouais, elle et Lucy passaient pas mal de temps ensemble, du temps où elle venait— pourquoi?

La LED de Connor se mit à clignoter plus vite, son regard passant du visage de Hank à la main qu'il avait toujours sur son épaule. Il aurait juré qu'à un moment, il avait senti ses doigts se resserrer légèrement. Alors qu'il survolait toutes les réponses possibles qu'il pouvait fournir, ce dernier eut un rire amusé.

- Détends-toi, Connor. Je te charrie! Je sais que t'apprécies Riley et elle t'apprécie beaucoup aussi, elle me demande souvent de tes nouvelles. Je suis content de savoir que le courant passe bien entre vous, je t'avoue que je ne savais pas trop à quoi m'attendre... Elle n'a jamais vraiment côtoyé d'androïdes à Bloomington et j'avais peur que tu la trouves trop curieuse ou indiscrète. Mais je trouve ça génial que vous soyez devenus amis, tous les deux.

Avant qu'il ne puisse répondre à Hank, un éclat de rire bien trop familier parvint à ses oreilles; ce rire mélodieux et candide qu'il n'avait pas l'occasion d'entendre très souvent, mais qu'il affectionnait tout particulièrement. Entre quelques silhouettes qui ne cessaient de se mouvoir dans le bar, Connor reconnut la chevelure blonde foncée de Riley, ses yeux pétillants et son sourire... adressé à Gavin Reed, nonchalamment accoudé contre le comptoir.

En une fraction de seconde, le calme habituel de Connor fut supplanté par une émotion nouvelle qu'il n'avait encore jamais éprouvé et qui lui aurait certainement coupé le souffle, si toutefois il avait eu besoin de respirer.

La jalousie.

Sur le coup, l'androïde ne parvint pas à l'expliquer, ni même mettre un nom dessus. Tout ce qu'il savait était que le sang bleu qui pulsait à travers tout son corps s'était soudainement mis à bouillir, ou du moins, c'était la sensation qu'il avait. C'était inattendu, déroutant et sentir le contrôle lui échapper était désagréable. Il trouva soudainement que la pièce était encore plus petite qu'avant, comme si les murs se refermaient sur lui; tout le monde était beaucoup trop près, trop bruyant, trop insouciant.

A ses côtés, Hank était en train de discuter tranquillement avec un de leurs collègues. Dérouté, l'androïde reporta son regard sur ses mains, posées sur le comptoir en bois laqué. Ressentir des émotions n'était plus nouveau pour lui, mais il ne les avait encore jamais ressenti avec une telle intensité.

- Hey.

La voix douce de Riley le ramena à la réalité, les yeux de Connor retrouvant ceux de la jeune femme. Le monde cessa enfin de tourner.

- Est-ce que ça va?

Elle avait l'air sincèrement inquiète, son regard passant du visage de l'androïde à la lumière jaune qui clignotait sur sa tempe. Ce fut la première fois qu'il regretta la présence de cette lumière qui trahissait la moindre de ses interrogations et émotions. Connor avait bien des talents, mais mentir n'en faisait pas partie quand il était en présence de Riley.

- Oui, c'est juste— la foule, répondit-il et un sourire compréhensif apparut sur les lèvres de Riley.

Sa main vint se déposer sur l'avant-bras de l'androïde et il ne put s'empêcher de sourire à son tour, cette fois-ci avec une pointe de satisfaction. Gavin Reed avait peut-être réussi à la faire rire, mais jusqu'à preuve du contraire, il était le seul (à l'exception de Hank, mais c'était un membre de sa famille) à bénéficier de cette proximité. Sachant à quel point la jeune femme n'était pas tactile en général - ce qui était tout à fait compréhensible après ce qu'elle avait vécu - savoir qu'elle se sentait suffisamment en confiance avec lui pour le toucher, était... gratifiant.

- Je vois ce que tu veux dire. Tu veux sortir prendre l'air?

Connor ignorait si quitter cet endroit pouvait réellement changer quoi que ce soit à ce qu'il avait ressenti il y a quelques secondes à peine, mais suivit néanmoins la petite blonde à l'extérieur, sans hésiter et sans se poser de questions. Une fois dehors, Riley frissonna et souffla sur ses deux mains.

- Ca s'est sacrément rafraîchi. On commence enfin à se sentir en automne. J'arrive pas à croire que c'est Halloween dans une semaine!

Otant silencieusement sa veste, Connor vint la déposer sur les épaules de la jeune femme, cette dernière levant un regard surpris vers lui.

- Oh mais tu n'as pas besoin de—

- C'est rien, mon capteur de température est désactivé, répliqua-t-il simplement.

I was like a matchbox sleeping in some gasoline,

I was like a ripped wire breaking down the whole machine,

I'm searching for a way, I'm closer than I've ever been.

Out of the dark · Dia Frampton

Riley le dévisagea, plus attentivement cette fois-ci, puis laissa échapper un petit rire, son nez se fronçant légèrement. Un tic adorable que l'androïde avait déjà remarqué auparavant. Scrutant son visage avec attention, il se surprit à sourire, la vague d'émotions négatives qui l'avait rattrapée et submergée tout à l'heure, totalement oubliée. C'était fascinant comment sa compagnie l'apaisait.

- Qu'est-ce que j'aimerais pouvoir faire ça. Surtout les soirs d'hiver où quoi que je fasse, j'ai les pieds gelés... non vraiment, je t'envie parfois, admit Riley et tout à coup, l'expression de Connor redevint sérieuse et il fronça même les sourcils.

- Tu ne devrais pas.

- Quoi?

Ce fut probablement la première fois que Riley le voyait ainsi, comme en attesta la lueur de surprise dans ses grands yeux verts.

- M'envier... Vouloir ce genre de choses. Tu es si—

Sans même s'en rendre compte, sans l'avoir prémédité, l'androïde effleura puis prit délicatement sa main dans la sienne, toujours à l'affut de sa réaction et prêt à faire marche arrière au moindre petit signe de mal-être ou d'effroi de la part de son interlocutrice. Il ne voulait en aucun cas la mettre mal à l'aise, mais les mots se déversèrent sans qu'il n'ait eu le temps d'y réfléchir, incontrôlables. Nécessaires.

- Tu es humaine et fragile, mais aussi précieuse— tu es... parfaite, comme tu es.

Les yeux de Riley brillèrent dans la pénombre; il ne sut dire si c'était à cause de ses propos - il espérait vraiment ne pas avoir dépassé les limites, mais dans une bien étrange et inattendue pulsion, Connor avait ressenti un besoin viscéral d'être honnête - ou si c'était simplement le reflet des lumières du bar et des lampadaires dans la rue. Lentement, les doigts de la jeune femme se refermèrent autour de sa main qu'elle ne chercha à aucun moment à repousser.

Le silence entre eux parut s'éterniser, mais il n'était pas gênant, bien au contraire.

C'était un silence confortable; celui de deux esprits qui semblaient se comprendre, sans avoir besoin de mots.

- Connor, finit par murmurer Riley, sa voix teintée de tendresse, mais oscillante.

Elle semblait vouloir lui avouer quelque chose, elle aussi, mais n'osait pas.

Je suis désolé. Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise. J'ai été trop loin. Je ne sais pas pourquoi j'ai dis toutes ces choses. Il y avait tant de choses à dire, pourtant plus aucun mot ne franchit la barrière de ses lèvres. Muet comme il ne l'avait encore jamais été, Connor cligna des yeux, soudainement captivé par les lèvres de Riley. Une part en lui essaya désespérément d'y trouver une explication logique mais là encore... c'était le néant. Le thirium qui coulait dans son ses veines artificielles semblait à nouveau incandescent, tel de l'or liquide, et sa brève inspiration pour éviter la surchauffe n'y changea strictement rien.

- Evans?

La voix de Reed eut l'effet d'un électrochoc.

Se reculant brusquement, Riley reporta son regard sur le détective qui venait de sortir du bar d'une démarche un peu chancelante, une bouteille de bière à la main. De son côté, Connor demeura immobile. L'envie de croiser le regard - accusateur? moqueur? perplexe? - de ce bon vieux Gavin était proche de zéro. Ce dernier les rejoignit avec un sourire adressé à Riley, mais également un air intrigué qu'il tenta tant bien que mal de dissimuler.

- Je me demandais où t'avais disparu, son regard s'attarda quelques secondes sur Connor et il ricana. "Dis donc tas de ferraille, et si t'allais voir ailleurs et laissais les humains discuter entre eux, hein?

Tas de ferraille n'était définitivement pas la pire des insultes qu'il avait en stock pour l'androïde; ce dernier avait l'habitude et préférait l'ignorer la plupart du temps, mais à voir l'expression outrée de Riley, la jeune femme ne comptait pas le laisser s'en tirer si facilement.

- Sérieusement, Gavin?

- Roh, détends-toi chaton, on se chamaille, c'est tout, pouffa le détective après avoir bu une nouvelle gorgée de bière, puis se pencha vers la jeune femme. "Retournons plutôt à l'intérieur que je te paie un verre.

- Non merci, rétorqua Riley, s'écartant aussitôt de lui. "Et si tu veux mon avis, tu as suffisamment bu pour ce soir.

- T'étais pas aussi coincée à l'époque...

- Gavin, arrête s'il te plaît.

- Je me souviens de toutes ces fois où tu venais rendre visite à Hank, vêtue de tes petites robes affriolantes— tu faisais toujours mine de ne pas le remarquer, mais tu savais très bien l'effet que tu m'faisais, hein...

Son regard affamé glissa le long de son corps, comme si elle n'était rien de plus qu'un objet sexuel, une marchandise qu'il évoluait. Connor avait beau comprendre que son attitude répugnante était guidée avant tout par l'alcool dont il avait abusé au cours de la soirée, ça ne l'excusait aucunement. Ses poings se serrèrent malgré lui.

Comme pour les fois précédentes, il sentit la détresse de Riley bien avant qu'elle ne se manifeste dans son comportement. Il entendit son rythme cardiaque s'emballer, vit ses pupilles se dilater. Le comportement de Reed et sa proximité lui faisaient peur. Habitué à subir ses moqueries et provocations, convaincu que la violence n'était jamais la solution, Connor ne réfléchit même pas avant de s'interposer entre son collègue et Riley.

- Laisse la tranquille.

Sa voix, d'ordinaire douce comme du velours, même dans les situations les plus stressantes, était devenue hostile. C'était une mise en garde, mais tout laissait supposer qu'il n'allait pas le répéter une seconde fois. Face à lui, Reed eut un léger mouvement de recul, ne s'étant clairement pas attendu à ça, avant de s'esclaffer.

- Hors de mon chemin le robot, avant que je t'envoie à la déchetterie.

- Riley t'a dit non, il me semble que c'est suffisamment clair et explicite.

- Dégage, je te dis! l'attrapant par le col de sa chemise, Gavin le poussa.

- Ca suffit!

Essayant maladroitement de s'interposer entre les deux hommes, Riley leva les mains, mais sa tentative d'apaiser les tensions et d'éviter le conflit ne mena à rien. A la seconde où la main de Gavin toucha l'épaule de la jeune femme, le poing de Connor s'abattit sur son visage.

A cet instant, ni la présence de Riley, ni sa voix - qui avait pourtant toujours réussi à le calmer - n'auraient pu le ramener à la raison. Une rage sans pareilles s'était emparé de l'androïde. Il n'attendait qu'une chose, que Gavin riposte pour lui donner une raison de déverser la colère immensurable qui vibrait à travers tout son corps. Et le détective n'y manqua pas. Se jetant sur lui avec un grondement, il parvint à faire trébucher l'androïde, le ruant de coups qui furent - pour la plupart - bloqués ou esquivés sans trop de mal.

Dans un élan de désespoir, Riley se rua à nouveau vers eux en les implorant d'arrêter, mais les deux hommes étaient tellement aveuglés par la colère et l'adrénaline que dans le feu de l'action, la jeune femme fut poussée et se retrouva violemment projetée à terre. En une fraction de seconde, Connor retrouva ses esprits et accourut vers elle, sa soudaine férocité remplacée par l'inquiétude.

Quelques secondes à peine plus tard, Gavin sembla à son tour retrouver ses esprits et son visage fut aussitôt déformé par une expression peinée.

- Putain... Riley, je suis désolé. Je ne sais pas ce qui m'a—

- Ne t'approche pas.

Même s'il ne daigna plus lui adresser un seul regard, concentré sur Riley, l'intonation de l'androïde suffit à dissuader Reed d'approcher. Entre temps, alertés par le bruit provenant de la rue, plusieurs personnes sortirent du bar; Hank fut le premier à se ruer vers eux lorsqu'il comprit de qui il s'agissait.

- Je vais bien, marmonna Riley, puis grimaça lorsque Connor effleura son bras endolori. L'asphalte rugueux sur lequel elle avait chuté avait éraflé la peau délicate de son avant-bras et de son coude, désormais couverts de sang. "Ce n'est rien, juste une égratignure...

- Mais enfin qu'est-ce qu'il s'est passé ici, bordel?! aboya Hank, ne manquant pas de foudroyer Gavin du regard.

Ce dernier tituba légèrement, s'essuyant la lèvre fendue en sang. Il ne répondit pas, mais cela n'empêcha pas le lieutenant de le pointer d'un doigt accusateur.

- Reste loin de Connor et de ma nièce, Reed.

Une fois Gavin parti, Hank rejoignit Riley et Connor. Ce dernier ne quittait pas la jeune femme des yeux, très concerné par son état, même si elle lui avait assuré que tout allait bien. Si elle avait été blessée, c'était de sa faute. Il n'aurait jamais dû perdre le contrôle de la sorte. Il n'aurait jamais dû permettre à ce qu'il lui arrive du mal.

- Quelqu'un va-t-il enfin m'expliquer ce qu'il s'est passé? s'enquit Hank, mais avant que Connor n'ait le temps de s'expliquer, Riley le devança.

- Rien de grave— tu connais Gavin, il a fait une blague un peu déplacée... il ne réfléchit pas avant d'ouvrir la bouche, encore moins lorsqu'il a bu... et Connor a prit ma défense, ce qui ne lui a pas plu...

Essayant de dissimuler le fait qu'elle était malgré tout chamboulée - plus émotionnellement que physiquement - Riley esquissa un sourire en remettant maladroitement la veste de Connor, tombée par terre, sur ses épaules.

- Promis, je vais bien, ce n'est pas la peine de me regarder comme ça, je ne suis pas en sucre. Connor, tu veux bien me raccompagner, s'il te plait?

A ses côtés, Hank maugréa quelque chose dans sa barbe, mais Riley parvint à le désarmer en le prenant dans les bras.

- Arrête de t'inquiéter pour moi tonton, je vais bien, vraiment. On se voit demain, d'accord?

Hank n'allait jamais cesser de s'inquiéter pour elle, mais elle réussit à le rassurer (du moins, pour ce soir) et savoir que Connor serait là pour s'assurer qu'elle rentre chez elle, saine et sauve, était suffisant pour qu'il accepte de la laisser partir sans l'assaillir de plus de questions.


Les rues étaient étonnamment calmes, pour un vendredi soir.

Alors qu'ils marchaient côte à côte, ni Connor, ni Riley ne semblaient vouloir briser ce silence qui s'était installé entre eux depuis qu'ils avaient emprunté la direction de l'appartement de Riley. Malgré la proposition de Connor d'appeler un taxi, Riley insista pour rentrer à pieds. La vérité était qu'elle n'avait pas hâte de se retrouver seule face à ses pensées et l'anxiété qui l'étouffait depuis que Gavin l'avait agrippé, traité d'aguicheuse et regardé comme un vulgaire morceau de viande.

Elle le connaissait depuis des années, même si Hank avait toujours veillé à ce que leurs interactions se limitent au strict minimum; Gavin ne faisait pas partie de ses personnes préférées et il préférait qu'il ne devienne pas trop proche de sa nièce. Alors qu'elle avait toujours prit sa défense et le considérait même comme un ami (n'en déplaise à son oncle) l'homme avait réussi à lui faire très peur ce soir. Riley avait beau essayer de faire le vide dans sa tête, le souvenir tout frais de ce regard, sombre et insatiable, la fit frissonner et des larmes piquèrent ses yeux.

A ses côtés, elle sentit Connor se raidir.

- On aurait dû prendre un taxi, tu trembles comme une feuille, lança l'androïde, ses sourcils froncés.

Elle n'aimait pas le voir ainsi; aussi tendu et inquiet... Même si elle n'allait pas non plus prétendre que savoir qu'il se souciait de son bien-être la laissait de marbre. Au cours de ses dernières semaines et depuis qu'elle était arrivée à Detroit, Connor était devenu un véritable ami; quelqu'un sur qui elle était sûre de pouvoir compter. Elle n'osait même pas imaginer l'état dans lequel elle serait à l'heure actuelle, s'il n'avait pas été là. Ravalant ses larmes avec l'espoir fébrile qu'il n'ait pas eu le temps de les voir, Riley lui sourit.

- Je n'ai pas froid, c'est juste— je suis juste un peu secouée.

- Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour t'assister? demanda Connor puis hésita, comme si à peine les mots sortis de sa bouche, il s'était aussitôt rendu compte que sa question était trop formelle et détachée. Il sonnait comme un androïde, pas comme un ami. "J'aimerais pouvoir t'aider.

Le dévisageant avec un sourire encore un peu triste, mais également empreint de douceur, Riley laissa sa main se faufiler jusqu'à la sienne. Les pensées se bousculaient dans sa tête, son corps tout comme son esprit demeuraient encore en alerte après ce qu'il s'était passé, mais elle espérait que ce contact - qu'elle initiait de son plein gré - aurait aux yeux de Connor plus de signification que n'importe quels mots qu'elle aurait bien trop de mal à trouver, dans son état actuel.

- Tu le fais déjà, finit-elle par le rassurer, d'une voix à peine audible. "En étant là.

Ils marchèrent ainsi pendant quelques minutes, les doigts entrelacés, jusqu'à ce que l'androïde rompe le silence d'une voix incertaine.

- Riley... puis-je te poser une question?

- Bien sûr.

- Pourquoi n'as-tu pas dis la vérité à Hank? Par rapport à ce qu'il s'est passé.

Une part en elle s'était doutée que cette question viendrait, tôt ou tard, et elle ne pouvait décidément pas en vouloir à Connor de chercher à comprendre, mais son coeur se serra douloureusement et un noeud se forma dans sa gorge. Ses tentatives de ne pas y penser étaient clairement vouées à l'échec. Les propos de Gavin avaient été plus que déplacés et il n'était pas question d'une simple blague graveleuse, pourtant, elle n'avait pas voulu s'épancher là-dessus auprès de son oncle. Quelque chose lui disait qu'il aurait réagi de la même manière que Connor, si ce n'est pire.

- Je sais pas— ils travaillent ensemble, se côtoient tous les jours et Hank ne le porte déjà pas dans son coeur... Je crois que je ne voulais pas aggraver les choses, tout simplement. Hank a toujours été très protecteur, mais il est aussi très impulsif et je ne voulais pas qu'il fasse quelque chose qu'il risquait de regretter par la suite. Quant à Gavin... il s'est comporté comme le dernier des salauds ce soir, mais je ne crois pas qu'il— il n'a pas un mauvais fond. Il s'est bâti cette carapace et cette réputation, et a clairement abusé d'alcool ce soir, mais il n'est pas... il ne me ferait pas de mal. Enfin, je crois...

Connor demeura silencieux mais à en croire les clignotements incessants et saccadés de sa LED, il ruminait mille et une pensées à la seconde.


Ils venaient de sortir de l'ascenseur lorsque la musique et les voix étouffées parvinrent aux oreilles de Riley, qui fronça aussitôt les sourcils. Il n'y avait pas d'erreur possible, le bruit provenait bien de son appartement. Suivie de près par Connor, la jeune femme ouvrit la porte, tombant nez à nez avec une bonne quinzaine d'inconnus; certains étaient affalés sur le canapé, d'autres se trémoussaient au rythme de la musique. Son appartement, jusque là toujours calme et bien rangé, était sens dessus dessous.

- Amber!

Malgré le volume de la musique et les voix qui s'entremêlaient, son amie apparut au milieu de la foule, jouant des coudes pour se frayer un chemin jusqu'à Riley. Le grand sourire qu'elle affichait, ajouté aux effluves d'alcool - qui donnaient littéralement la nausée à Riley, après ce qu'il venait de se passer avec Gavin - ne fit qu'amplifier la colère sourde qui bourdonnait à l'intérieur de la jeune femme.

- Oh, Riley. Je pensais que t'allais rentrer plus tard...

- Qu'est-ce que c'est que ce bazar?

Riley était trop éreintée pour lui passer un savon en bonne et due forme, mais découvrir que sa colocataire avait profité de son absence pour organiser une fête, sans même l'avoir prévenue au préalable, était le coup de grâce dont elle se serait bien passée ce soir. Ce n'est pas comme si elles en avaient parlé plus d'une fois; des règles de base à respecter pour que cette colocation se déroule sans accroc. Ne pas transformer son appartement en boîte de nuit en y invitant plein de gens qu'elle ne connaissait pas, le tout sans même lui en avoir parlé avant, figurait tout en haut de la liste.

- Je suis désolée, ça s'est un peu fait à la dernière minute, je sais que j'aurais dû—, le regard d'Amber s'attarda brièvement sur Connor (elle ne loupa pas l'occasion de lui adresser un sourire charmeur, que le brun ignora royalement), puis elle remarqua le sang sur le bras de son amie. "Oh non, Riley! Qu'est-ce qu'il t'est arrivé?! Laisse-moi voir...

- C'est rien, je suis juste tombée, la coupa Riley en retirant son bras. "Ecoute, je vais aller dans ma chambre, prendre une douche et quand je sortirai, j'apprécierais vraiment beaucoup que tout le monde soit parti, d'accord? Je n'ai pas passé la meilleure des soirées et je veux juste être tranquille chez moi.

Même si ça la démangeait clairement d'en savoir plus et de la bombarder de questions, Amber se mordit la lèvre et ne fit qu'acquiescer avec une petite moue exagérée, tel une enfant punie qui ne réalisait pas la gravité de ses actes.

Se retournant vers Connor qui n'avait pas bougé, ni prononcé un seul mot depuis leur arrivée, Riley lui fit un petit signe de tête.

- Tu viens?

La confusion sur le visage de l'androïde était si adorable qu'elle réussit à dérober un petit sourire amusé à Riley.

- Je pensais te demander de l'aide pour désinfecter ça, expliqua la jeune femme en montrant sa blessure. "Je suis un peu trop en colère contre Amber et je me suis dis que ça ne te dérangeait pas...?

- Oh, oui. Bien sûr, répondit Connor et ne tarda pas à la suivre vers sa chambre, essayant tout comme elle de faire abstraction de tous les gens qui grouillaient dans son salon. Lui aussi, avait eu son lot de personnes enivrées pour la soirée. Aucun des deux ne remarqua le regard à la fois curieux et perplexe d'Amber, qui ne les quitta pas des yeux jusqu'à ce qu'ils disparaissent derrière la porte.

Une fois celle-ci fermée, Riley réussit enfin à se détendre; enfin, autant que la situation le permettait. Chaque muscle était endolori et la tension dans son corps n'allait probablement pas la quitter avant un moment, toutefois à l'abri des regards et dans le confort de sa chambre, elle arrivait enfin à inspirer sans avoir l'impression que ses poumons étaient écrasés par un énorme poids.

Elle vit Connor disparaître dans la salle de bains, puis en ressortir avec une petite trousse de pharmacie. La vue de l'androïde fouillant à l'intérieur avec un air des plus concentrés lui extorqua un nouveau petit sourire, alors que la petite blonde se posait au bord de son lit, laissant tomber la veste de ses épaules et palpant son avant-bras pour constater l'ampleur des dégâts. Sa blessure n'était pas profonde, mais maintenant qu'elle en prenait conscience, elle s'avérait tout de même douloureuse.

Elle se laissa sagement faire pendant que Connor s'affairait à nettoyer, désinfecter puis panser les vilaines écorchures, sursautant ou réprimant parfois un gémissement de douleur, malgré la grande délicatesse dont il faisait preuve.

- Désolé, marmonna-t-il lorsque pour la énième fois, Riley émit un petit bruit plaintif.

Relevant la tête et profitant du fait qu'il était comme toujours extrêmement concentré sur la tâche qui lui avait été confiée, Riley laissa son regard s'attarder sur les traits gracieux de son visage, bordés par la lumière diffuse de sa lampe de chevet. Il était beau, c'était indéniable. Riley avait plus d'une fois remarqué les regards intéressés de certaines femmes croisées dans la rue, ou même ce soir-là, dans le bar. Ses « créateurs » chez CyberLife avaient mit un point d'honneur à soigner les plus minimes des détails; ses cils longs et délicats, la fossette sur son menton, ses tâches de rousseur éparpillées sur son nez et ses joues. Quant à ses yeux, qui avaient la couleur d'un cognac hors de prix à la lumière du soleil, ils semblaient presque noirs dans la pénombre et lorsque Connor releva la tête et son regard croisa le sien, Riley sentit un frisson la parcourir.

Immédiatement, l'androïde s'écarta, alarmé. Riley oubliait encore qu'elle ne pouvait rien lui cacher et que la moindre réaction, totalement imperceptible à l'oeil humain, n'avait aucune chance de lui échapper.

- Est-ce que ça va?

- Oui... merci, souffla-t-elle avec un sourire un peu gêné, retirant son bras sur lequel il venait de finir d'appliquer un bandage.

Prêtant une oreille attentive à ce qu'il se passait derrière la porte, Riley fut forcée de constater que la petite fête organisée par Amber n'était pas encore terminée; la musique avait considérablement baissé de volume mais plusieurs voix inconnues continuaient de s'entremêler entre elles, parfois ponctuées de rires. Dans un geste naturel et instinctif, sa main attrapa celle de Connor alors que le brun faisait mine de se relever. C'était comme si une vague de panique menaçait de l'engloutir à tout moment et que sa seule bouée de sauvetage était la présence, réconfortante et sécurisante, de l'androïde.

- Connor— tu veux bien... tu veux bien rester ici— avec moi, cette nuit?

Pour unique réponse, Connor resserra doucement ses doigts autour de sa main et acquiesça.

Pendant son inspection (un peu trop assidue) de son visage, Riley eut le temps de remarquer que l'un des coups de poings de Gavin avait tout de même réussi à atteindre sa cible et qu'une petite parcelle de son menton laissait apparaître une surface blanche et brillante. Malgré l'absence de sa peau synthétique à cet endroit, Connor avait à cet instant l'air plus humain et vulnérable que jamais.

- Tu es blessé aussi. Laisse-moi voir ça, déclara la jeune femme en se levant et en l'invitant à prendre sa place.

- Ce n'est rien du tout, tenta de protester Connor, mais le regard en face lui fit comprendre qu'il n'avait pas le choix. Riley était très têtue; peut-être plus encore que son oncle. Lorsqu'elle avait une idée derrière la tête, rien au monde ne pouvait la faire changer d'avis. Docile et silencieux, Connor s'assit et se laissa faire alors qu'elle effleurait son menton; son vrai menton, même s'il n'était pas forcément à l'aise avec l'idée qu'elle le voie ainsi.

- Est-ce que ça fait mal?

Riley savait bien que la curiosité était un de ses défauts, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. A ce moment là, c'était l'échappatoire dont elle avait besoin. Se concentrer sur Connor et essayer de le connaître mieux, lui permettait de ne pas ressasser les événements de ce soir. Et puis, elle avait envie d'en savoir plus à son sujet. Connor était le premier androïde avec lequel elle communiquait au-delà des banalités et plus le temps passait, plus elle était fascinée par sa ressemblance avec un humain.

- Les androïdes ne ressentent pas la douleur, répondit Connor, presque automatiquement, puis réfléchit et se ravisa. "Enfin, les androïdes qui ne sont pas déviants, du moins. Nous avons tous ce qui se rapproche d'un système nerveux humain, mais celui-ci reste dormant jusqu'à notre... éveil. Quelques temps après le mien, j'ai découvert qu'on pouvait le régler et même le désactiver à notre guise, comme notre capteur de température. Je suppose que c'est assez— pratique. Mais ça a aussi des inconvénients.

- Du genre...? Riley l'invita à poursuivre, toujours aussi intriguée d'en apprendre plus.

Marquant une courte pause, Connor déposa sa paume par-dessus sa main, l'invitant à la presser contre sa joue. Ce geste força Riley à retenir sa respiration, non pas parce qu'elle était mal à l'aise, mais parce que ce ne fut qu'en touchant son visage - en le touchant réellement, pas juste en le frôlant du bout des doigts - qu'elle réalisa à quel point elle mourait d'envie d'effleurer sa peau lisse et dénuée de toute imperfection, depuis déjà un moment.

- Je ne ressens pas ta chaleur. Celle que j'ai sentie, la première fois que j'ai serré ta main dans la mienne. J'entends ton coeur et ton sang qui pulse dans tes veines, mais je ne ressens plus—

Il s'interrompit, les sourcils froncés, comme s'il était incertain quant à ce qu'il voulait dire ou qu'il avait du mal à trouver les bons mots. Riley déglutit péniblement, suspendue à ses lèvres, puis finit par ôter sa main avec un tout petit rire embarrassé.

- Eh bien vu la petite bagarre de ce soir, c'est sans doute pour le mieux.

- D'ici demain, tout reviendra à la normale. J'ai juste besoin de... me recharger un peu.

- Connor, dit Riley, plus sérieuse mais son regard continuant de refléter toute sa douceur et bienveillance. "Tu es normal. Toutes les facettes de toi sont normales, tu n'as pas besoin de ressembler à un humain pour l'être.


Connor n'avait pas besoin de dormir à proprement parler, mais depuis qu'il vivait sous le même toit que Hank, il avait prit l'habitude de laisser son processeur et tous ses biocomposants habituellement sollicités durant la journée, tourner au ralenti pendant la nuit. Pour reprendre les mots du lieutenant bougon, il se mettait en veille. Installé dans le fauteuil, faiblement éclairé par la lumière de la lune qui apparaissait timidement dans l'une des grandes fenêtres, l'androïde se redressa avant même d'entendre le sanglot déchirant de Riley.

Il avait senti que quelque chose n'allait pas. Soudainement alerte et sa diode clignotant d'un jaune vif et anxieux, Connor se précipita vers la jeune femme.

- Riley, l'appela-t-il prudemment en s'avançant vers le lit.

Elle était en train de faire un cauchemar et vu la sueur sur son front et la façon dont elle gigotait, ce dernier devait être très violent et réaliste. Pour l'une des rares fois de son existence, Connor se sentit totalement désarmé et inutile. Il avait peur de tout empirer ou de l'affoler inutilement en la touchant pour la réveiller, mais l'hypothèse de la laisser endurer sans intervenir lui était insupportable.

Alors qu'il répéta son prénom, impuissant, Riley parvint à se libérer de l'atroce rêve dont elle était prisonnière et s'assit sur le lit, le souffle coupé.

All the while, heart is torn, I just wanna be where you are.

Through the fire, through the storm, I just wanna be where you are.

Where you are · Tommee Profitt, Mike Mains

Avalant l'air avec avidité comme si elle avait été en apnée pendant bien trop longtemps, Riley remarqua immédiatement la présence de Connor, son regard fixé sur le point lumineux présent sur sa tempe. Dans l'obscurité étouffante et son corps fébrile encore secoué par les tremblements, cette lueur, parfois bleutée, parfois jaunâtre, se révéla être le point d'ancrage dont elle avait besoin pour ne pas perdre pied.

- Connor, souffla-t-elle d'une voix implorante et ce signal était tout ce dont l'androïde avait besoin pour réduire à néant la distance qui les séparait.

- Tout va bien. Je suis là.

Il fut surpris de la voir se rapprocher davantage et lorsqu'elle enfouit son visage contre sa poitrine, Connor demeura un instant interdit. Voir Riley aussi dévastée et la sentir sangloter contre son torse l'anéantit complètement; un poids indescriptible était en train d'écraser sa pompe de régulation à thirium et la sensation était indescriptible. Il avait l'impression de ressentir toute sa peine et toute sa détresse.

- Où sont tes médicaments?

Un peu déboussolée, Riley le regarda à travers les larmes. "Comment est-ce que tu—

Question stupide; bien sûr qu'il était au courant que son état psychologique nécessitait des traitements médicamenteux. Il l'avait sans doute scannée, analysée, parcouru tout son parcours scolaire et professionnel et eu accès à son dossier médical. Cette pensée l'aurait probablement contrarié en temps normal, mais à cet instant, encore secouée par les spasmes et la poitrine écrabouillée par une douleur lancinante, Riley lui en était presque reconnaissante de tout savoir, sans avoir besoin d'expliquer, de se justifier ou de demander.

- Pas tout de suite, réussit-elle à murmurer d'une voix éreintée. "Prends-moi juste dans tes bras... s'il te plaît.

Les bras de l'androïde se refermèrent doucement autour de la silhouette de Riley et la sentant se blottir plus fort contre lui, il laissa une main glisser dans sa chevelure dorée. Il savait que l'incident avec Gavin Reed n'avait été qu'un écho (presque inoffensif) de ce qu'elle avait vécu, mais il prit conscience, avec un certain effroi, qu'il aurait été capable de l'étrangler de ses propres mains s'il l'avait devant lui à cet instant précis, ne serait-ce que pour avoir ravivé ses souvenirs douloureux.

- Je ne laisserai personne te faire du mal Riley, plus jamais, se surprit-il à chuchoter.

C'était la première fois qu'il faisait une promesse, mais la tenir était désormais plus important que tout. Plus important que sa propre existence.

Connor laissa Riley pleurer dans ses bras, se contentant de la bercer et caresser ses cheveux, jusqu'à ce que sa respiration redevienne plus régulière. Il avait perdu toute notion du temps et pour être honnête, il s'en fichait complètement. Il aurait pu la tenir ainsi toute la nuit, s'il le fallait.


La douleur lancinante finit par s'apaiser et Riley sentit ses muscles raidis se détendre, son corps redevenant mou et malléable contre celui de Connor. L'esprit embrumé et à moitié assoupie, elle s'allongea sur le lit et l'attira avec elle, ne voulant aucunement quitter le confort et la sécurité de son étreinte. Il la suivit mais resta quelques secondes tendu et immobile, puis parut se relaxer à son tour.

Dans sa torpeur, Riley ne réalisa même pas que le bruit sur lequel elle calqua sa propre respiration, cadencé et paisible, provenait de la poitrine de l'androïde. Le bruit de sa pompe de régulation à thirium, à mi-chemin entre le tic-tac d'une horloge et le battement d'un coeur humain, la berça jusqu'à ce qu'elle se rendorme. La dernière chose dont elle eut conscience fut la lueur bleue qui caressait ses paupières, seule source de lumière dans la chambre, puis Riley sombra dans un sommeil profond et à ce moment là, dépourvu de tout cauchemar.