Jusqu'à ma dernière heure

Chapitre 1 : A l'heure de mon couronnement

Je n'aurais jamais imaginé que quelqu'un puisse me suivre volontairement sur le chemin que j'avais choisi.

Il n'était point ici question d'Hubert. Si ce dernier s'était métamorphosé en mon ombre, son dévouement, sa loyauté, m'étaient acquis bien des années avant que je n'envisage ce projet hors-norme. Depuis lors, pas une fois Hubert n'était revenu sur le serment qu'il m'avait prêté. Je ne serais sans doute jamais arrivée là où j'en étais aujourd'hui sans son travail acharné.

Non, l'être qui avait fait fi de tous mes pronostics et de toute sagesse, la personne qui avait ainsi dépassé toutes mes espérances, c'était elle, mon professeur.


Dès notre première rencontre, je savais que nos destins étaient liés : alliée ou ennemie, je ne pouvais alors me prononcer ?

Rhéa avait commis une erreur stratégique en faisant d'elle mon enseignante. J'avais appris à la connaître tout au long de l'année passée à ses côtés. Un profond respect et une sincère amitié étaient nés au fil des entraînements et des missions. Je n'avais pas prévu de rencontrer une personne comme elle à l'académie. Elle avait bouleversé mes plans.

Pour certains, elle était l' 'héritière', la 'réincarnation' d'une déesse en laquelle je n'avais jamais crue, pour d'autres celle du Héros jadis disparu. Son existence en elle-même pourrait être considérée comme une injure à l'encontre de l'idéal pour lequel je me battais : un monde libéré de l'influence de l'Eglise, un monde appartenant aux humains. En vérité, cette jeune femme ne constituait en aucun cas un être mystique, elle était juste le produit d'une expérience malsaine de Rhéa. Toutefois à mes yeux, malgré son statut de prophète, elle demeurait avant tout, Byleth, mon professeur.

Plus l'année avançait, plus je redoutais l'instant où elle allait ôter mon masque et découvrir mes plans. Maintes fois, j'avais voulu lui confier mes projets, mais jamais je n'avais osé me confesser. Je savais que la plupart de mes camarades de l'académie ne comprendrait pas. La probabilité qu'elle réagisse comme Dimitri m'était quasiment fatale. Dans mes plus noirs cauchemars, je pressentais une coalition dirigée par Rhéa, faisant aussi bien du futur Roi et de mon cher professeur des pions sur notre échiquier. Dimitri était perdu, je le connaissais trop bien, je savais que jamais il ne me rejoindrait, mais il y avait encore de l'espoir pour le professeur.

Je doutais aussi que les membres de ma propre maison cautionnent ma cause. Mon chemin était solitaire, les aigles s'ils régnaient sur les cieux, volaient éternellement seul. Je l'acceptais car tel était le prix à payer pour mes ambitions. Je continuais d'avancer sachant pertinemment que la perte de son soutien me serait insupportable.

Jamais Hubert n'approuva que j'emmène le professeur à mon couronnement clandestin. Je n'étais pas sûre qu'elle accepte de m'accompagner. Après tout ma démarche n'avait rien d'orthodoxe, mais de son plein gré, elle était devenue mon témoin de cet instant historique.

C'était pour Hubert, un risque bien trop important. Ce qu'il prenait pour une énième manœuvre politique, constituait en vérité l'ultime caprice de la princesse naïve que j'étais avant que je n'embrase le monde.

Alors que je recevais la couronne de mon père, m'apprêtant dès lors à nettoyer la cour impériale, je sentais son regard bienveillant posé sur moi. Le professeur restait majoritairement en retrait dans cette sphère de nobles et de politiciens. De nombreux membres de la cour désiraient la rencontrer, pour la jauger et l'amadouer. Il ne furent pas déçus, le caractère impassible et taciturne du professeur faisait office de barrière naturelle face à leurs vaines tentatives.

Byleth me soutint ouvertement lorsque un noble belliqueux n'accepta pas sa rétrogradation. A peine avait-il réalisé un pas vers moi, qu'elle était déjà prête à dégainer son épée. Ce geste bien qu'inutile, confirma à l'assemblée la loyauté du nouveau héros légendaire en vers son impératrice.

J'aurais voulu lui faire visiter ma capitale, mais la durée de notre séjour ne me le permit pas. Elle ne vit donc que la pire face de mon empire, les tactiques politiciennes et arrivistes, la corruption et l'hypocrisie. Je me promis qu'un jour si nous survivons toutes les deux à la guerre à venir, je lui ferais visiter en personne le véritable empire de Foldan.

Au retour de mon couronnement, le professeur s'endormit dans la diligence qui nous ramenait au monastère. Je lisais dans le regard ténébreux d'Hubert que c'était l'occasion parfaite pour se débarrasser d'une ennemie des plus redoutables. Même s'il appréciait la jeune femme, je savais que mon conseiller n'hésiterait pas un instant. Sa froide logique certes imparable n'égalait que la détermination sans faille et la fourberie qu'il employait pour atteindre mes objectifs.

Byleth était notre sujet de discorde principal. Pour Hubert, notre professeur représentait d'avantage un danger qu'un soutien, une menace qu'une aubaine pour mes projets. En résumé, elle était ma plus grande faille. Une faiblesse qu'une impératrice entrant en guerre ne pouvait se permettre.

Je ne remettais pas en cause la clairvoyance de mon acolyte. Mon attachement à elle, nous rendait vulnérable. Toutefois, pour mon bien comme celui de l'empire, si par chance elle rejoignait mon camp, je gagnais alors une alliée prodigieuse. Par conséquent, s'il existait une infime possibilité pour que le professeur marche à l'avenir à mes côtés, je me devais d'en prendre le risque.

J'avais déjà retenu Hubert lorsqu'il fomentait l'assassinat du professeur après qu'elle ait reçu l'épée du créateur. Mes ordres demeuraient catégoriques : le professeur était intouchable. Je lui devais au moins un face à face, quitte à en perdre la vie. Si, à ce moment, Byleth se mettait en travers de mon chemin comme je le pressentais, alors je l'éliminerai de mes propres mains, tel était notre accord, tel était ma hantise.

Dans cette calèche nous ramenant à l'académie, alors que s'était endormie innocemment Byleth, mon regard se fondit dans celui d'Hubert. Je n'eus pas besoin de lui rappeler notre arrangement. Je reportai mon attention sur ma future victime assoupie, ou peut-être mon futur bourreau. Je l'avais rarement vue si vulnérable.

De toute manière, à cet instant, jamais ma main n'aurait pu saisir la dague que je portais à la ceinture .

A la place, elle s'avança naturellement vers le professeur, passa autour de ses épaules et la fit basculer avec précaution sur mes genoux.

Je l'observais avec attention se blottir instinctivement contre moi. Je savais alors que quand bien même cette dague fut-elle dans ma main, jamais je ne pourrais l'enfoncer dans son cœur.

Une larme rebelle fendit mon visage et atterrit sur son front. J'avais alors pleinement conscience que d'ici la fin du mois je serais démasquée et que je la perdrais.

Je chérissais d'autant plus ces instants que la vérité serait bientôt révélée. Le reste du voyage ce fit en silence. En gardienne de son sommeil je veillais sur elle, m'octroyant le droit de parcourir sa chevelure émeraude à ma guise.

Une interrogation, un mystère, un paradoxe hantaient mes pensées tout au long du voyage

Comment un cœur qui ne battait pas, pouvait-il si facilement m'ébranler ?

Une fois arrivés sur place, je la réveillai délicatement. Nos regards se croisèrent et je compris :

Tout simplement parce que c'était elle.