Bonjour à tous,

avant de commencer votre lecture, je dois vous parler d'une petite chose qui revient fréquemment lorsque je discute avec les personnes écrivant des fanfictions: la pénurie de reviews. Beaucoup d'histoires sont abandonnées, non terminées à cause du manque de reviews, et on peut facilement le comprendre. En effet, lorsque vous passez des heures et des heures à travailler un chapitre que vous avez beaucoup de lecteurs, mais que vous ressortez avec 5 reviews... ça ne vous encourage vraiment pas à poursuivre l'écriture. Les reviews, à une certaine époque du moins, nous aidaient vraiment à retravailler nos personnages, ou une scène, ou permettaient juste un échange sympa.

Pareil pour les personnes qui vous ajoutent dans les favoris sans commenter, faire ça ne montre qu'une seule chose à la personne qui écrit : j'aime bien ton histoire et je vais juste attendre la suite pour mon bon plaisir mais ne jamais commenter. Nice! -_-

Sachez que si nous postons ici, c'est parce que cela nous amuse ou nous fait plaisir d'écrire ce qui pourrait juste rester bloqué dans notre cerveau MAIS un commentaire ne coute pas grand chose, en réalité, ça ne coute qu'un peu de temps et probablement, même sûrement, moins que le temps que nous avons passé à écrire.

Donc, je/nous allons faire une expérience sur mes fanfictions: J'enverrai la suite à ceux qui me disent ce qu'il pense de l'histoire en commentant.

Pour ceux qui ont un compte, vous n'êtes même pas obligés de laisser une review, vous pouvez aussi m'envoyer un message privé.

Pour les Guest, vous pouvez soit vous créer un compte, soit transmettre votre adresse mail comme ceci: votre . adresse . mail (mettez bien des espaces) puis me dire sous quel opérateur (Google, hotmail, wanadoo...si si, ça existe encore) et enfin juste préciser si je dois mettre .fr à la fin ou .com. car la sécurité fanfiction ne permet pas d'inscrire vos coordonnées directement.

Cette expérience a pour but de faire sortir de leur coin les lecteurs fantômes.

Pour ceux qui commentent déjà ou envoient déjà des messages en privé. Merci. Cette histoire n'est pas abandonnée grâce à vous.

Bonne lecture.


.

..

2

..

.

Mon index enfonce le bouton de l'ascenseur. Dans le miroir qui me fait face, j'observe une dernière fois mon reflet pour m'assurer que ma tenue et mes cheveux sont en ordre. Je rabats ensuite sur mes yeux mes lunettes de soleil frappées du logo Dior. La descente jusqu'au rez-de-chaussée n'est marquée par aucun arrêt. Il est encore tôt et beaucoup sont sortis hier soir pour faire la fête.

Lorsque les portes s'ouvrent sur mon passage, je repère le groom qui a récupéré mes affaires la veille, il me lance un grand sourire en s'avançant vers moi. J'ai l'impression désagréable qu'il m'attendait.

-Madame Mills, me salue-t-il poliment en détaillant mon chemisier de soie vert.

-Bonjour Dean, je réponds en lisant son prénom sur son badge, un peu surprise qu'il vienne jusqu'à moi pour un simple bonjour.

-Vous allez prendre votre petit déjeuner? me demande-t-il en m'emboitant le pas.

Je lui jette un regard tendu qu'il ne peut remarquer à cause de mes lunettes.

-En effet, réponds-je lentement. Pourquoi?

-Oh! Euh... eh bien, il y a quelqu'un qui est arrivé pour vous voir, cette nuit.

Je m'arrête net au beau milieu du hall et fronce les sourcils après m'être tournée complètement vers le groom; je suis persuadée qu'il est impressionné. Ses yeux deviennent ronds et il déglutit rapidement.

-Comment savez-vous ça?!

-J'ai remplacé Betty à l'accueil cette nuit, enfin... juste pour une heure ou deux...

-Et...?

-Et une femme est arrivée ici en me disant que je devais lui donner le numéro de votre chambre.

Je hausse un sourcil et balaye le hall du regard. Personne ne semble s'intéresser particulièrement à nous. Mais cela ne me rassure pas pour autant. Le commun des mortels a tendance à penser qu'on ne peut pas se faire enlever en pleine journée et à la vue de tout le monde. Pas moi. J'ai vu et défendu trop d'affaires qui avaient démarré de la sorte.

-Cette femme a-t-elle donné son nom?

-Nan, pas le genre, m'informe Dean qui a l'air de se prendre beaucoup trop au sérieux d'un seul coup.

Il doit faire partie de ce genre de personne qui est persuadé de détenir les plus grands secrets des clients de l'hôtel. Je suis agacée. Quelqu'un voulait me voir cette nuit et cet idiot est celui en qui je dois avoir confiance pour une description éventuelle. Avec un peu de chance, il n'aura pas regardé que ses fesses ou ses seins et sera au moins capable de me dire à quoi ressemblait cette femme.

-Elle avait quel genre?! je demande d'une voix ferme pour lui faire comprendre que je ne suis pas d'humeur à le supporter.

Il hausse les épaules de façon nonchalante. Il doit avoir dix huit ans tout au plus et l'immaturité qui a tendance à le caractériser me hérisse.

-Elle a pris une chambre, m'avoue-t-il en dansant d'un pied sur l'autre. Mais... elle est descendue avant vous ce matin et elle m'a demandé de vous attendre dans le hall.

-Ce que vous avez fait!

-Ben oui.

-Evidemment...

-Elle m'a dit de vous dire qu'elle vous attendait pour le petit déjeuner.

Je fixe la porte qui mène à l'espace des repas et jette un coup d'oeil à ma montre. Huit heures.

-A-t-elle réservé une table?

-Ouep, dans le petit jardin, sous les cerisiers.

Pour y avoir dîner la veille, je sais que c'est un endroit isolé. Je pousse un profond soupire et plante Dean au milieu du hall. J'ignore volontairement le "bonne journée" qu'il me lance; il m'a passablement agacé et je n'ai pas envie de lui répondre, si je le faisais, je pense que je pourrai me laisser tenter par lui démontrer à quel point il est inconscient.

Sur le chemin, je sens mon téléphone vibrer contre ma hanche; le nom de ma nièce s'affiche sur l'écran en même temps qu'une photo de nous deux prise l'été dernier dans le jardin de ma soeur.

J'hésite un instant avant de décrocher. Margot ne me laissera pas tranquille si je refuse de lui répondre.

-Tante Régina, est-ce que je pourrai passer les deux premières semaines des vacances d'été chez toi!? commence-t-elle de but en blanc et j'entends mon beau-frère la réprimander.

-Bonjour ma chérie, dis-je en continuant d'observer les alentours d'un regard nerveux.

-Ça va?

-Pourquoi veux-tu passer les deux premières semaines des vacances d'été chez moi? j'élude habilement.

-Papa et maman ont décidé de les passer chez oncle Jean.

Je fronce les sourcils, attentive à ce que me dit ma nièce.

-Tu n'aimes plus ton oncle?

-Si... mais Roland et Peter sont deux gamins insupportables et...

J'entends Robin s'énerver derrière elle et elle couvre le téléphone pour s'engager dans une joute verbale avec son père. Puis, elle revient vers moi au bout de plusieurs secondes.

-C'est juste que c'est tout petit là-bas et puis... ils sont si gamins! Et je trouve ça indécent de laisser tante Regina toute seule, ajoute-t-elle à l'adresse de son père.

Je sens qu'elle est à court d'argument et cela à le mérite de me faire rire.

-Tu sais que toi aussi, à leur âge, tu étais insupportable? Au demeurant, tu l'es toujours un peu...

-Ah... trahie par sa tante préférée... s'exclame-t-elle de façon théâtrale.

-Tu n'en as qu'une, je rétorque à présent détendue.

-Mais et... et pour mes entrainements! trouve-t-elle soudain. J'ai besoin de suivre mes entrainements et ce n'est pas en allant là-bas que je vais pouvoir le faire... et puis...

-Margot, tu n'en fais pas un peu trop? Qu'est ce qui te dérange vraiment dans le fait d'y aller?

-Roland et Peter!

-Ce sont tes cousins, et je te rappelle que tu es fille unique alors ne fais pas en plus l'enfant gâtée. Et puis, ton oncle risque de mal prendre le fait que tu ne viennes pas alors que vous ne vous êtes pas vus depuis longtemps.

Elle m'écoute, et même si je sens que ce n'est pas vraiment ce qu'elle avait envie d'entendre, elle semble réfléchir sérieusement.

-Peut-être que je pourrais y aller une semaine et... si j'ai envie de rentrer... tu pourrais m'accueillir? propose-t-elle d'une petite voix.

-Margot, je pense que nous avons le temps de voir venir la chose... nous en rediscuterons à mon retour, d'accord?

-Tu rentres quand? Et pourquoi t'es partie?

-Ta tante a besoin, elle aussi, de prendre des vacances de temps en temps et de prendre du temps pour elle...

-Ohhhhh! Je vois. Homme ou femme? demande-t-elle en ne pouvant étouffer la curiosité flagrante que ma soeur lui a léguée.

-De quoi parles-tu?

-T'es en escapade amoureuse?!

Je suis secouée par un rire.

-Ni l'un ni l'autre, ma chérie. Je suis juste partie me ressourcer. Je dois te laisser, mon ange.

-Tu m'appelles?

-Promis.

Je raccroche avec un petit sourire aux lèvres. Margot a cette fabuleuse capacité à me détourner de mes problèmes, aussi importants soient-ils.

Je pousse les portes et pénètre dans la salle à manger spacieuse. Un petit homme près du bar m'accueille et à l'annonce de mon nom, il m'indique une table à l'extérieur. Je repère tout de suite la "mystérieuse" femme à l'ombre d'un cerisier. Elle s'est assise de telle manière que je ne peux pas voir son visage. Cependant, même si cette silhouette m'est familière, je ne me sens pas particulièrement à l'aise lorsque je rejoins la table. Lorsque je la contourne, je remonte mes lunettes sur le haut de mon crâne. Nous avons un échange de regard, elle me fait un sourire et elle porte sa tasse de café à ses lèvres avant de me montrer la chaise en face d'elle d'une main légère.

-Vous devriez vous assoir, me dit-elle tranquillement.

Je m'exécute. Elle a garni la table de tout ce qui pouvait se trouver sur le service. Je place ma serviette sur mon pantalon à pinces sombre et me sers une tasse de café à mon tour ainsi qu'un grand verre de jus d'orange.

Le froid a été remplacé par une douceur printanière mais je frissonne pourtant.

-Mais qu'est ce que vous faites là?! je souffle finalement puisqu'elle refuse visiblement de prendre la parole.

-Je vais bien, Regina, merci, et vous? Elle rétorque gentiment.

Cela fait deux mois que je ne l'ai pas vue. Elle a l'air soulagé que je me tienne devant elle. Je devrais me réjouir de son apparition soudaine et de l'air détendu qu'elle affiche mais je n'arrive pas à communiquer sans utiliser un vieux mécanisme de défense: la sécheresse.

-Nous sommes à Portsmouth, Emma. Qu'est ce que vous venez faire là?

-Je voulais vous voir, m'affirme-t-elle, m'assurer que vous alliez bien. Ça fait plusieurs semaines que vous vous terrez chez vous, et vous refusez tous mes appels!

-Je refuse les appels de tout le monde! Lui fais-je remarquer.

C'est la vérité, hormis quelques rares personnes, je ne réponds plus à quiconque depuis qu'Emma m'a ramené du tribunal ce soir-là. Beaucoup de choses se sont bousculées en moi et je n'avais aucunement l'envie de partager mes états d'âme et de dépression avec tout le monde. J'ai pris le temps dont j'avais besoin.

Après réflexion, je me rends compte qu'elle m'a manqué.

-Peu importe, continue-t-elle. J'avais besoin de vous parler et j'ai attendu que vous daigniez quitter votre maison pour ça... puisque vous n'ouvriez pas non plus votre porte, me reproche-t-elle comme une enfant, ou comme Margot.

-Je n'étais pas prête, Emma.

Je rabats mes lunettes sur mon nez, comme si cela pouvait me protéger de son regard perçant. Pendant tout le temps de mon enfermement volontaire, Emma est venue frapper à ma porte quasiment tous les soirs pour que je lui ouvre, pour me parler, me voir, savoir si j'allais bien. Je n'ai jamais ouvert malgré ses supplications, malgré le fait de savoir qu'elle était là et qu'elle s'inquiétait pour moi, malgré le fait que cela me faisait chaud au coeur et malgré toute mon affection pour elle. La vérité est que je n'aurais jamais laissé personne me voir dans un état aussi déplorable ni même avoué que je n'allais pas bien.

-Est-ce que vous êtes prête maintenant? elle demande d'une voix traînante.

Je pousse un profond soupire.

-Que pourrions-nous dire, Emma? Je souffle d'une voix lasse. Wayne a gagné, il a eu ce qu'il voulait!

Je le pense, la plus grande victoire de Wayne est d'avoir tiré sa révérence avant d'avoir pu être jugé coupable de quoi que ce soit, et après m'avoir fait passer pour une idiote, une dégénérée voire une manipulatrice sanguinaire auprès d'une Cour et de bien d'autres personnes.

-Mais il est mort, murmure sombrement Emma en cherchant mon regard à travers mes verres teintés.

-Ça n'est pas une perte, Emma. Il a tout fait pour que le doute s'installe dans l'esprit de tout le monde. J'ai été contrainte de quitter le bureau du procureur à cause de cette affaire! Et même si cela ne fait que deux jours et que j'ai reçu beaucoup d'offres d'emplois, c'est ce poste-là qui me tenait à coeur. Travailler à New York était mon rêve et je l'avais atteint.

-Vous avez quitté le bureau du procureur?!

Pour qui me prend-t-elle pour croire qu'elle n'est pas au courant?

-Ne faites pas semblant de ne pas le savoir Emma. Je n'avais pas encore remis un seul pied au bureau que la moitié des gens avec qui je travaillais pensaient que Wayne m'avait violée mais que j'étais trop fière pour l'avouer, et l'autre moitié que j'avais une liaison avec lui et que, peut-être, j'aurais participé au meurtre de Sarah O'Malley.

-Mais ce n'est pas vrai! Tout ça c'est des foutaises! Et cette conne de Sarah O'Malley n'a eu que ce qu'elle méritait!

Je la dévisage, scandalisée. Peut-être parce qu'à l'heure actuelle, j'imagine tout à fait que d'autres personnes auraient pu dire la même chose de moi si les rôles avaient été inversés ou simplement si Wayne était passé à l'acte un peu plus tôt.

-Des gens l'aimaient, Emma! Lui fais-je remarquer.

-Ouais… ben j'aimerai bien savoir qui…

-Graham.

Je lâche ça d'un ton évident, me rappelant trop tard qu'elle n'est pas au courant.

-Quoi?!

Elle est sous le choc. Elle s'avance pour être bien certaine que je ne suis pas en train de me moquer d'elle. Elle passe nerveusement une main dans sa chevelure de blé. Je décide de m'expliquer.

-Le soir où Wayne est venu chez moi, Graham venait d'en repartir après m'avoir annoncé que son ADN allait sans doute être retrouvé chez Sarah.

Emma ne me quitte pas des yeux, la bouche entrouverte.

-Mais… mais... mais ils avaient une liaison?!

-Ce n'est pas à moi de vous dire tout ça mais… Graham aimait profondément Sarah, même si j'ignore ce qu'il pouvait lui trouver hormis les charmes évidents que tout le monde lui connaissait. C'est un homme malheureux et… je crois que Wayne voulait essayer de faire croire qu'il existait entre Graham, Sarah, lui et moi un espèce de quatuor amoureux…

-Quel fumier!

Il y a un silence durant lequel je bois mon café tout en émiettant un croissant. Je ne vais pas plus loin dans les soupçons que je porte à Sarah O'Malley. Je ne suis pas persuadée qu'Emma ne ferait pas une crise cardiaque si je lui apprenais qu'à mon sens, Sarah entretenait une liaison avec Wayne. Durant deux mois, j'ai aussi eu le temps de relire le dossier maintes et maintes fois.

-Pourquoi vous avez gardé ça pour vous?! Me demande-t-elle soudainement.

-Parce que je le pouvais! Je n'étais pas obligée de jeter Graham sous les roues du bus avec moi. Et… je n'aurais pas échangé ma place avec lui. Pour rien au monde. Il s'en voulait de ne pas avoir été là le soir où Sarah s'est fait massacrer, ensuite, il me confie ce secret et alors qu'il vient de partir je me fais enlever à mon tour.

-Ouais… Je… j'en reviens pas qu'il ne m'en ait pas parlé!

Un nouveau silence s'installe pendant que nous regardons passer un couple qui va s'assoir un peu plus loin. Emma est encore sonnée par cet aveu.

-Je comprends mieux à présent pourquoi Graham refusait de donner la véritable raison de sa présence chez vous le soir de son enlèvement. Ça a dû être une terrible épreuve pour lui.

Même si je compatis pour Graham, je me doute qu'il n'est pas la raison pour laquelle Emma est venue jusqu'à Portsmouth.

-Emma. Je l'appelle pour qu'elle se re-connecte avec moi. Pourquoi vous êtes vous glissée hors de votre lit un vendredi soir pour venir dans cet hôtel et demander le numéro de ma chambre?

-Ben… parce que vous y étiez…

-Emma?!

La blonde regarde le couple qui s'est installé un peu plus loin, je sens qu'elle ne veut pas aller plus loin dans cette discussion, mais elle sait qu'elle n'y coupera pas.

-Je m'inquiétais pour vous… lâche-t-elle. Vous ne sortiez plus de chez vous...

Emma a toujours refusé la possibilité que je puisse être humaine. Elle m'a toujours considérée comme un roc. Etre soudain ramené à la réalité que je pouvais parfaitement mourir d'un claquement de doigt n'a pas dû être facile. Surtout pour Emma qui est finalement très investie dans ses relations, sous ses airs de mauvais flic.

-Donc, je reprends en la regardant sévèrement, vous avez su, par je ne sais quel hasard, que je quittais New York et vous avez décidé de descendre dans le même hôtel que moi?

-Oui.

-Tout ça, pour vous assurer que j'allais bien?

-Pas... pas exactement. Je devais vous parler de quelque chose et ça ne pouvait pas attendre votre retour...

Je plisse les yeux à cause des rayons du soleil lorsque je redresse encore une fois mes lunettes pour mieux observer le visage de ma collègue. Emma campe son regard dans le mien.

-Je vais démissionner de mon poste.

-Votre poste de lieutenant?

-Oui.

Elle observe mes réactions avec un intérêt tout particulier, comme si j'avais mon mot à dire sur ses choix de carrière. Son dos est raide et son pouls s'est accéléré. Elle déchire un morceau de pain au chocolat pour le grignoter à moitié. Puis, elle m'informe d'une petite voix qu'elle a créé sa propre agence d'investigation, qu'elle a déjà recruté Ruby et que cela fait en réalité plusieurs mois qu'elles travaillent sur cette société. Elle souhaite que cela reste secret pour le moment et je reconnais bien là Emma dans sa façon de procéder. Je n'ai aucun doute sur le fait que son agence rivalisera avec le FBI, la CIA et d'autres encore.

-Je vous félicite, dis-je sincèrement. Mais vous n'avez pas besoin de ma permission pour quitter votre poste, Emma.

-Je sais.

-Alors?

-En vérité, ça fait plusieurs mois que je préparais mon départ, depuis que… j'ai touché cette grosse somme d'argent.

-C'était donc pour ça l'immeuble, je comprends tout à coup.

-Ouais… Mais… il me manque un élément important dans cette agence et je voulais vous en parler.

Je ne vois pas spécialement comment je pourrais l'aider mais elle a le don de piquer ma curiosité.

-De quoi avez-vous besoin? je la questionne.

-De vous.

Il y a un silence durant lequel je l'observe longuement, mal à l'aise. Mes yeux ne sont plus recouverts par mes lunettes et je suis persuadée qu'elle peut y lire la stupéfaction la plus totale.

-Êtes-vous en train de me proposer un poste dans votre agence?

-Ben... ouais! On a besoin de quelqu'un comme vous, quelqu'un qui défendrait l'intérêt de nos clients.

Mon cerveau se met immédiatement en route. Si le fait de travailler avec Emma ne m'a jamais posé problème, c'est parce que mon travail de substitue me permettait d'être à ma place. Le fait est que je l'ai perdue et que je suis tombée de mon piédestal avec fracas. Toutes les offres d'emploie que j'ai reçues seront moins intéressantes que celle qui implique de travailler de nouveau avec Emma. Je le sais. Mais je ne pense pas que tout cela soit une bonne idée.

-C'est très gentil à vous, Emma… vraiment… mais...

-Ecoutez, si je viens vous voir aujourd'hui, c'est aussi parce que le temps presse pour l'une de nos enquête et que... j'ai besoin de vous. Je pourrai peut-être repasser demain avec le dossier et…

-Je ne serais pas là demain. Je l'informe.

-Ah… alors après-demain, peu importe.

-En réalité, je m'absente pour quelques temps, Emma.

-Vous allez où?!

Je me recule soudain sur ma chaise, une pièce du puzzle glissant devant mes yeux.

-Emma, comment vous avez su que j'étais dans cet hôtel?

Ses yeux deviennent ronds, comme un enfant pris en flagrant délit. J'affiche mon air sévère et un bras de fer commence entre nous deux. Elle craquera, j'en suis certaine. Je pense savoir que je ne vais pas du tout aimer la réponse qu'elle va me fournir, et vu son attitude, elle le sait aussi.

-Regina... c'était... je m'inquiétais vraiment pour vous...

-Emma!

-Votre téléphone.

Je pose mes yeux sur l'iPhone dernier cri qu'Emma m'a offert après que j'aie échappé aux griffes de Wayne. Le mien étant consigné comme pièce à conviction, elle avait gentiment proposé de m'en donner un autre et, à l'époque, j'avais choisi d'accepter.

-Quoi, mon téléphone?

-Il y a une puce à l'intérieur et... quand... quand vous vous éloignez de chez vous... je suis avertie.

-Vous plaisantez?! je gronde en lui mettant ledit téléphone sous le nez.

-Regina...

-Retirez-là! je lui ordonne en lui jetant le mobile.

-Je ne sais pas faire! C'est Ruby qui...

-Oh! Ruby était dans le coup!? De mieux en mieux! Je peste. Vous savez que c'est une atteinte à ma vie privée?! Quoi?! Je suis enregistrée et filmée à mon insu aussi? Ruby a-t-elle accès à mes messages PRIVÉS?!

Je hausse le ton sans m'en rendre compte et Emma tente de me le faire comprendre avec de petits gestes gênés.

-Regina, du calme.

-Vous vous foutez de moi?! je fulmine en tapant du poing sur la table.

-J'aurai pas dû! J'aurai pas dû! Mais... je ne pensais pas à mal!

J'essaie de calmer ma respiration. Bien sûr qu'elle ne voulait pas mal agir mais comment pouvait-elle imaginer qu'une atteinte à mes droits fondamentaux ne me rendrait pas furax? Espérait-elle que je ne poserai jamais la question?

-Mais... si ça peut vous rassurer, on n'a pas accès à quoi que ce soit dans ce téléphone.

-Juste à mes déplacements! C'est déjà juste un tout petit crime fédéral!

La menace n'est pas réelle mais je suis vraiment en colère et je me sens trahie.

-Regina, ne soyez pas fâchée contre moi, s'il vous plait... je... je sais que le droit et les libertés de chacun sont... fondamentaux pour vous. Mais... j'étais inquiète à l'époque et je crois... enfin... votre enlèvement a aussi eu un impact sur ma façon d'agir! lâche-t-elle.

Je suis coupée dans mon élan de la réprimander encore. Je ne me suis jamais mise à sa place ni à celle de l'équipe en imaginant ce qu'elle avait pu vivre, ressentir, durant les cinq jours où elle me savait entre les mains de Wayne. Sa fidélité à notre amitié est incommensurable. Je prends conscience qu'en me confiant ce téléphone, elle essayait de soigner son angoisse de me voir disparaitre de nouveau. Je m'en veux à présent de m'être emportée contre elle.

-Pour être tout à fait honnête, reprend-t-elle doucement, j'avais oublié que j'avais placé ce machin dans votre mobile.

Je hausse les sourcils, peu convaincue.

-Je vous le jure! C'est seulement lorsque je suis rentrée de mon service que j'ai vu que... j'avais une notification qui m'annonçait que vous étiez dans cet hôtel. Et...

-Et vous vous êtes dit "tiens si j'allais retirer cette puce de son téléphone?"

-Non. Je me suis dit que je ne savais pas où vous alliez, et à vrai dire je m'en moque! Mais j'avais besoin de vous voir et de vous parler, les yeux dans les yeux!

Son audace m'a toujours fascinée. Elle est capable de tout, je crois. C'est aussi pour ça que je savais qu'elle me trouverait dans cette forêt. Vivante ou non. Je suis reconnaissante qu'elle soit arrivée à temps et c'est sans doute pour cela que je ne peux pas lui en vouloir plus. Ça, ses yeux de chien battu, et le ton sincère qu'elle emploie toujours avec moi marque ma décision de lui laisser une chance.

-Soit. De quoi vouliez-vous me parler?

Elle se réinstalle confortablement et me sourit joyeusement. Son sourire aussi m'avait manqué, celui de ses lèvres comme celui de ses yeux.

-J'ai besoin de vous sur un dossier urgent.

-Je n'ai pas accepté votre offre d'emploie! lui fais-je remarquer.

-Je suis convaincue que lorsque vous aurez lu ce dossier, vous ne pourrez qu'accepter.

-Je ne peux pas vous aider sur ce dossier, je dois aller dans le Maine.

-Pourquoi?

Son ton a été ferme. Emma n'aime pas qu'on lui refuse quoi que ce soit, c'est aussi pour cela que dans notre travail nous nous sommes souvent disputées. La lieutenant est une femme de coeur et elle oublie parfois de garder suffisamment de professionnalisme mais c'est aussi ça qui en fait une enquêtrice hors pair.

-J'ai reçu une offre d'emploie dans le Maine et je vais m'y rendre pour voir si elle est intéressante.

-Refusez! Mon offre est plus intéressante!

Je ne vois plus de moyen de me débarrasser d'elle. Je ne veux pas lui mentir mais je ne peux pas lui dire la vérité non plus.

-Emma, je dois y aller, il n'y a pas que ça...

-Je vous en prie Regina! me coupe-t-elle, m'agaçant.

-J'ai des choses importantes à gérer là-bas!

Elle me sonde. Elle peut flairer les mensonges très facilement et si celui-là n'en est pas un, je peux sentir qu'elle sent que je lui cache quelque chose. Elle se penche pour récupérer un épais dossier dans son sac. Elle l'ouvre et me glisse la photo d'une gamine souriante qui tient un attrape-rêve entre les doigts.

-Le 15 avril 2000, Mady Queen, 14 ans, est retrouvée pendue dans sa chambre. Ses parents, John et Sophie Queen n'ont jamais retrouvé aucune lettre justifiant son geste...

-Emma.

-Ecoutez juste le résumé de l'enquête, si vous ne voulez pas être dessus, je ne vous forcerai pas.

-Nous n'allons pas parler de ça à la table du petit déjeuner! Allons dans ma chambre.


Emma a disposé des clichés et des documents un peu partout sur le tapis de ma chambre. Elle me montre de temps à autre le compte rendu du légiste ou une lettre que les parents de Mady ont reçue.

Je finis par soupirer devant le cliché du visage gonflé et exsangue de la jeune fille.

-Les parents ont reçu plusieurs lettres et il n'y avait rien de très important jusqu'à ce qu'ils reçoivent celle-ci.

Elle me tend une feuille qui a été soigneusement glissée dans un sac plastique.

-Elle aurait subi des agressions sexuelles?! je demande en parcourant la lettre.

-Tout juste... Et cette même personne précise qu'elle serait en réalité la première à avoir découvert le corps de Mady et qu'elle détiendrait la lettre de son suicide qui explique tout. En voici une photocopie.

-Dans le rapport d'autopsie, rien ne révèle que Mady aurait été molestée.

-Ouais... tout simplement parce que le médecin légiste était à l'aube de sa retraite et qu'il n'était pas vraiment pointilleux avec les prélèvements et... et le fait de faire son travail correctement.

Je souffle lentement pour extérioriser l'horreur qui se dépeint devant mes yeux.

-Emma, vous m'avez dit que c'était urgent... et... il n'y a aucun caractère urgent à trainer cette ordure devant les tribunaux.

-Eh bien... dans une semaine, le délai de prescription...

-Il n'y a pas de délai de prescription à New York pour les viols, lui fais-je remarquer.

-Mais dans le Montana, si.

Je la regarde sans comprendre.

-Regina, cette affaire a eu lieu dans le Montana.

-Oh... Il reste donc...

-Un mois.

Je baisse la tête sur les photos qui sont étalées à mes pieds et observe Emma durant quelques secondes.

-Je dois vraiment aller à Storybrooke, Emma. Je suis désolée mais... c'est très important...

-Figurez-vous que j'ai moi aussi des choses à y faire! M'informe-t-elle de manière éhontée.

-À Storybrooke?

-Ben… ouais… pourquoi pas?

-Parce qu'à part un shérif, un café, un antiquaire et une école, il n'y a rien là-bas!

Elle perd peu à peu du terrain. Je sens qu'elle abat sa dernière carte.

-Okay...! Ecoutez, j'ai vraiment besoin de vous sur ce dossier, il est important et… s'il vous plaît, laissez-moi vous accompagner là-bas, je me ferais toute petite!

Je la jauge du regard durant de longues secondes. Nous savons toutes les deux qu'elle se fait rarement "toute petite".

-Il me reste peu de temps, Regina.

Une angoisse répugnante monte le long de mes flancs pour se loger sous mes côtes. Avoir Emma à Storybrooke n'est pas une bonne idée, mais pour la première fois de ma vie, je ressens le besoin d'avoir quelqu'un à mes côtés. Non. D'avoir Emma à mes côtés.

-Vous promettez de vous faire toute petite? je demande pour seule confirmation.


La boule qui se forme dans mon estomac au moment où nous passons la frontière de la ville m'oblige à serrer le volant entre mes doigts. Je m'assure d'un regard dans le rétroviseur qu'Emma est toujours derrière moi.

Storybrooke est une petite ville minière perdue entre une forêt aux allures magiques et un port qui a dû connaître, à une certaine époque, une économie florissante. Plus jeune, j'allais me perdre dans les bois pour lire et m'inventer des histoires de méchantes reines, de chevaliers et de sorciers puissants. Tantôt du côté sombre, tantôt du côté clair, j'avais réussi à parfaire mon lancer de boule de feu et de sortilèges en tout sens. En passant non loin du port, je remarque que la vieille cabane dans laquelle ma soeur et moi passions le plus clair de notre temps est toujours debout. Ses vieux poteaux en bois sont un peu élimés par endroit et le sel et les vers sont allés creuser des trous ici et là.

Un peu plus loin, je constate que les lodges construits sur la plage sont toujours là. Il doit y en avoir une vingtaine et chacun est affublé d'une couleur différente, donnant l'impression de pénétrer dans un immense terrain de jeux pour enfants. Mes yeux errent sur celui qui est le plus en hauteur, accroché au flanc de la falaise, il surplombe les autres comme un charognard qui observerait sa proie. Sa couleur jaune le détache du gris-noir de la pierre.

Je gare ma voiture devant l'établissement du village qui fait hôtel/bar/restaurant/supérette. Au même moment, une pluie diluvienne s'écrase sur la voiture. Emma est sortie la première et s'est abritée sous le auvent du diner. Elle me regarde à travers le pare-brise, se demandant probablement ce que je suis en train de faire.

Je la rejoins finalement et remarque tout de suite le petit sourire qu'elle a en coin.

-Regina, me dit-elle, sérieusement, il y a des gens qui habitent ici?!

Je lui lance un regard perplexe.

-J'ai grandis ici.

-Ah bon?!

Etonnée que cela puisse la surprendre, je ne relève pas sa remarque et elle danse sur ses pieds quelques secondes.

-Vous avez pourtant l'air terriblement normale, murmure-t-elle provocant chez moi un éclat de rire qui semble la rassurer.

Deux hommes passent devant nous en nous dévisageant, l'un d'eux se penche vers son acolyte pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. Emma remarque leur manège mais ne me pose pas de question. Nous remarquons une jeune femme brune qui traverse la rue à grandes enjambées, elle se protège de la pluie grâce à une veste en cuir sombre. Je ne la reconnais pas tout de suite mais elle affiche un grand sourire et trottine maintenant vers nous.

-Regina?! s'exclame-t-elle, surprise de me voir.

Scarlett Wolf, se revigore ma mémoire.

-Scarlett, je murmure soulagée.

Elle m'enlace avec vigueur, puis, elle se recule et avise les passants qui nous dévisagent.

-Alors? Vous avez besoin d'un GPS pour trouver votre chemin?! leur crie-t-elle en écartant les bras. Quelle bande de crétin... marmonne-t-elle ensuite en se retournant vers nous tout en secouant sa veste pour en faire gicler l'eau qui ruisselle dessus. Qu'est ce que tu fais en ville?

Emma m'observe avec attention, je sais qu'elle cherche le motif de ma visite dans le village de mon enfance.

-Un rendez-vous important... j'affirme.

-Pourquoi tu ne m'as pas appelé quand tu as décidé de venir?! me demande Scarlett alors que nous sommes toujours plantées devant le diner.

-Je... je ne savais pas que tu vivais toujours ici.

Elle hausse les épaules et remarque soudain la présence d'Emma.

-Salut! Moi c'est Scarlett! se présente la brune.

-Emma, répond ma partenaire en tendant sa main.

Scarlett la sert chaleureusement, puis un silence gêné fige le temps.

-Tu as un endroit où dormir? J'ai appris que tes parents avaient vendu la maison...dit-elle en laissant son regard voler vers le coin de la rue.

-Je comptais prendre une chambre au diner.

La brune hoche la tête, gênée. Elle sort un paquet de cigarettes et en fait sauter une pour la coincer entre ses lèvres.

-Ouais... euh... écoute, je suis pas sûr que grand-mère soit d'accord avec ça... tu la connais...

-Pourquoi elle voudrait pas? demande soudain Emma en recevant un regard menaçant de ma part.

Les yeux de Scarlett naviguent entre ma coéquipière et moi mais elle ne dit rien, se contentant de tirer sur sa cigarette. Puis, elle soupire et écrase finalement le mégot.

-Merde! J'essaye d'arrêter... nous déclare-t-elle. Bon... écoute, il y a un appartement au-dessus de mon bar, vous y serez très bien! Il est hors de question que tu dormes dehors!

-Tu as un bar?! je m'étonne en écarquillant les yeux.

Elle a un petit rire avant de se tourner vers l'ancienne bibliothèque. Les lettres de néons rouges nous indique le WereWolf.

-Tu fais de la concurrence à ta grand-mère, dis-je en souriant.

Scarlett apprend à Emma que sa grand-mère tient le diner en face de son bar. Tout en nous dirigeant à l'intérieur, elle explique que les jeunes de Storybrooke avaient besoin d'un endroit un peu plus à la mode et plus frais. Elle a donc racheté la vieille bibliothèque et en a fait un lieu unique.

A l'étage, les rayonnages ont été conservés et chacun peut emprunter un livre tout en buvant son café ou son thé. L'étage inférieur a été réaménagé grâce à des canapés et fauteuils moelleux, des poufs et des chaises de styles différents. Les meubles sont d'anciens meubles d'usines et donnent un style industriel branché.

Le petit appartement dans lequel nous posons nos bagages est aménagé avec goût. Scarlett nous informe qu'elle habitait ici, au début, mais qu'elle a finalement vite compris qu'il fallait une coupure entre son travail et sa vie privée. Elle nous laisse nous installer et nous propose de nous revoir lorsque nous descendrons. Nous choisissons chacune une chambre et nous retrouvons dans le petit salon. Emma en a déjà fait un espace de travail. Lorsque je pénètre dans la pièce, elle m'interroge du regard.

Elle meurt d'envie de me poser mille questions mais elle ne dit rien. Je me contente de faire du café et j'attache mes cheveux en une queue de cheval, dégageant mon visage de mes mèches sombres. Je m'avance vers la fenêtre. Storybrooke n'a pas tellement changé. L'ancienne ville minière a conservé sa figure des temps où les contremaîtres venaient construire leur maison en centre-ville. L'usine principale a été détruite depuis bien longtemps et les mines fermées et sécurisées pour qu'aucun enfant téméraire n'ait l'idée d'aller y faire une petite virée. Beaucoup de familles ont connu l'exode, mais certains habitants sont restés pour essayer de faire vivre le tourisme de chasse, de pêche et plein-air. Il n'est pas rare de voir débarquer des randonneurs en manque d'adrénaline, il n'est pas non plus rare de les retrouver morts dans la forêt quelques jours après. Pour mes parents, c'est ici qu'est née la passion pour les chevaux. Le tourisme équestre a été développé grâce à eux.

Si pour beaucoup d'entre nous, la forêt était notre lieu de jeu, elle n'en était pas moins dangereuse et menaçante lorsqu'on ne la connaissait pas. Je ressens la nostalgie de ces balades et j'ai presque l'impression de pouvoir sentir l'odeur de la mousse, des arbres et des plantes rafraichies par le passage du petit cours d'eau qui descend de la colline.

Evidemment, je ne me reconnais plus du tout dans l'enfant sauvage ayant soif d'aventures et d'étendues de nature à perte de vue. Plutôt que dans les arbres, j'ai décidé de me percher dans les buildings de New York et de courir après les criminels plutôt qu'après mes inepties d'enfant.

La route nous a fatigué mais ni Emma ni moi ne voulons nous reposer. Nous décidons de rejoindre Scarlett qui maintient son service derrière le bar. Si je n'accompagne pas vraiment la discussion, Emma s'en charge pour moi en faisant connaissance avec la brune. J'observe les clients, plus jeunes que moi pour la plupart. Ils ne savent pas qui je suis mais je connais suffisamment Storybrooke pour savoir que la nouvelle de mon retour a peut-être déjà traversé toutes les maisons. Je ne suis pas inquiète mais je me demande encore si j'ai fait le bon choix en venant ici.

-Re...Regina?!

Je me tourne vers la personne qui vient de troubler mes pensées.

Blanche a changé. Elle a troqué sa longue chevelure pour une coupe élégante et courte. Elle s'est affinée et ne ressemble plus à la petite fille joufflue avec qui je faisais les quatre cent coups dans la cours de récréation. Pourtant, ce n'est pas la nostalgie qui m'envahie mais un profond dégoût pour elle.

-Bonjour Blanche, dis-je simplement.

Je me sais en position de force car la surprise est plus flagrante chez elle que chez moi. Elle ne manque pas de me détailler des pieds à la tête. Quand elle atteint de nouveau mon regard, elle semble retrouver de sa superbe et relève le menton pour m'affronter.

-Tu es de retour en ville?

-De passage, je rectifie.

Elle a un rapide coup d'oeil vers Emma et aussitôt, j'ai une sourde envie de lui arracher les yeux pour lui faire avaler. D'instinct, je place légèrement mon corps entre elles.

-Bonjour, je suis Emma Swan, j'entends.

Je repère la blonde sur le point de se lever pour tendre sa main mais en voyant mon regard, elle se contente d'un petit signe discret. Blanche la salue avant de retourner son attention sur moi.

-Je ne pensais pas que tu viendrais quand je t'ai envoyé la lettre... mais je sais que grand-père t'aimait beaucoup…

Je vois Emma tenter de comprendre le dialogue qui se déroule devant ses yeux mais elle ne dit rien, se contentant de sourire poliment. J'ai presque envie de lui renverser ma boisson chaude sur les genoux pour qu'elle arrête de sourire à cette femme.

-Le notaire m'a écrit, dis-je d'un ton défiant.

Je sais pertinemment que Blanche a toujours été jalouse de la relation que son grand-père entretenait avec moi et je ne cache pas mon plaisir de remuer le couteau dans la plaie, même si j'ignore encore si c'est dans la mienne ou dans la sienne.

Les épaules de mon ancienne amie s'affaissent et elle a l'air déconfite. Je devine qu'elle n'était pas au courant et je me délecte de l'onde de choc qu'elle doit ressentir à présent.

-L'enterrement a lieu dans quatre jours, c'est cela? continué-je en me levant pour paraitre maternelle alors que ma seule envie est de la voir disparaitre sur le champ.

-Oui… tu es la bienvenue! se force-t-elle à me dire en lançant un regard coupable vers Scarlett et Emma.

-Je serai là.

Je sais qu'elle m'invite à l'enterrement uniquement pour montrer au reste du monde ses bonnes manières. Tout comme la lettre qu'elle m'a envoyé, elle espérait que je refuserai et que je ne mettrait pas un seul pied dans cette ville où je me sais détestée. Je la transperce encore de mon regard avant qu'elle ne recule de quelques pas. Elle nous fait un bref signe de tête avant de s'enfuir du Werewolf en oubliant la boisson qu'elle a commandé.

Je mets quelques minutes à redescendre sur terre pour m'apercevoir qu'Emma et Scarlett n'ont plus échangé un seul mot, attendant sans doute une réaction ou une explication de ma part. Je me contente de leur offrir un sourire de façade avant de leur apprendre que j'ai besoin de prendre l'air.

Je sors pour voir Blanche monter dans sa petite voiture bleu et démarrer au quart de tour. L'inimitié qui nous lie remonte à de longues années. Les conséquences de notre haine ont été désastreuses mais j'ai été celle qui a finalement tout perdu dans l'histoire.

Sans surprise, Emma me suit à l'extérieur. Elle m'emboite le pas et nous remontons la rue principale à mon rythme.

-Regina? m'interpelle la blonde en refermant sa veste face au vent qui nous gifle le visage.

-Hum?

-Vous êtes là pour un enterrement?

Oui, j'aurai probablement dû dire à Emma la raison de ma venue ici.

-Je vous l'ai dit, j'ai des choses importantes à régler!

-Je suis désolée, Regina, je ne savais pas, s'excuse-t-elle.

-Que vous sachiez n'aurait rien changé.

Nous remontons encore la rue et je me retrouve face à la maison dans laquelle j'ai grandi. Je suis curieuse de savoir comment les nouveaux occupants ont investi les lieux mais tout a l'air calme. Les herbes ont un peu envahi l'allée devant la porte et j'en déduis que personne n'y est venu récemment. Mon regard ne peut s'empêcher de dériver vers ma chambre d'adolescente. De lourds rideaux gris occultent ma vue et je suis presque déçue de ne pouvoir en admirer l'état. Le froid se fait plus mordant lorsque nous rebroussons chemin pour retourner au Werewolf.


Depuis mon enlèvement, mes nuits sont loin d'être paisibles. J'ai pris l'habitude de me réveiller désorientée et en sueur, parfois en criant, au beau milieu de la nuit suite à des cauchemars particulièrement réalistes. La plupart concerne Wayne. Je connais parfaitement ce symptôme réservé aux victimes et j'avais espéré y échapper.

Je me couche avec l'angoisse de m'endormir car Emma est dans la chambre à côté de la mienne et immanquablement, mon sommeil est très agité. Sans doute le fait d'être de retour à Storybrooke ajoute à mon inquiétude.

Cette fois-ci, c'est un choc violent qui me réveille. Dans la panique, et parce que je ne connais pas la chambre, je ne parviens pas à trouver l'interrupteur pour éclairer la pièce.

Lorsque j'entends Emma cogner contre ma porte, je me fige, espérant qu'elle ne va pas entrer.

-Regina?! Tout va bien? demande-t-elle à travers la porte.

Le filet de lumière qui passe en dessous m'aide à m'orienter et je me rends compte que je suis allongée au sol. Je me lève pour aller ouvrir. La lumière m'aveugle légèrement mais je constate néanmoins qu'Emma détaille ma tenue.

-Tout... tout va bien? m'interroge-t-elle d'une voix hésitante.

-Oui. J'ai, de toute évidence, mal évalué les dimensions de mon lit... je suis tombée.

Je remarque qu'elle a une tasse de café à la main et son téléphone dans l'autre. Je dégage les mèches de cheveux qui tombent sur mon visage et fronce les sourcils.

-Vous ne dormiez plus?

Elle continue de me regarder étrangement et se secoue soudainement.

-Euh... non, j'étais en train de... je demandais à Ruby comment enlever la puce sur votre téléphone.

-A quatre heures du matin?

-Ouais... je ne dors pas beaucoup... marmonne-t-elle.

-Ruby sait-elle que nous sommes à Storybrooke?

-Je ne l'en ai pas informé. Vous devriez vous recoucher, vous avez une petite mine.

Nous avons un échange de sourire mais je décide de la rejoindre pour un café, sachant pertinemment que je ne parviendrais pas trouver le sommeil.

Nous nous installons dans la cuisine et Emma regarde mes cheveux collés dans ma nuque par la sueur; ils ne laissent aucun doute sur le fait que je viens de passer une nuit particulièrement difficile. Durant quelques minutes, elle ne dit rien. Puis, elle adopte sa voix trainante.

-Vous faites souvent des cauchemars?

J'essaie tant bien que mal de nier, de faire semblant de ne pas comprendre ce qu'elle veut dire.

-Je vous ai entendu, Regina...

-Oh... c'est... c'est moi qui vous ai réveillé? demandé-je confuse.

-Non! Ne vous inquiétez pas.

Il y a un silence gêné de ma part.

-Dites... je peux vous poser une question? reprend Emma en triturant sa petite cuillère en attendant mon approbation. Entre vous et Blanche... il s'est passé quelque chose? Je veux dire... y'avait vraiment beaucoup de tension tout à l'heure!

Je prends un instant pour réfléchir à ma réponse. Blanche et moi étions meilleures amies lorsque nous étions petites nous étions toujours l'une avec l'autre jusqu'à nos dix-sept ans. Mais un jour, tout avait finalement basculé et je m'étais libérée de mes chaînes, j'avais décidé de prendre le large et de la laisser en arrière. Ni l'une ni l'autre ne nous étions pardonnées.

Emma ne connait pas celle que j'étais avant d'arriver à New York. Mes professeurs me décrivaient comme étant follement intelligente mais impossible à canaliser. J'avais longtemps enchainé les bonnes notes avant de m'effondrer totalement pour révéler un côté rebelle et téméraire. Je m'étais affirmée et j'étais devenue une enfant sauvage, ingérable. Ma nièce, en cela me ressemble beaucoup. J'ai un sourire en pensant à elle avant de me souvenir de répondre à Emma. Je me contente finalement de lui dire que certaines querelles ne s'éteignent jamais.

Emma et moi avons seulement la lune pour témoin lorsque nous nous installons sur le petit balcon de l'appartement. Elle amène des couvertures, je fais mine de ne pas m'étonner lorsqu'elle me couvre gentiment. Elle allume une bougie avant d'ouvrir un paquet de chamallow.

-Vous savez, finit-elle par dire au bout d'un long moment de silence, la semaine où vous avez disparu... je me suis rendue compte que... c'était ça, ma plus grande peur...

L'éclairage de la lune est mauvais et la bougie n'aide pas forcément à discerner les traits du visage de l'enquêtrice mais je peux facilement imaginer, grâce à ses yeux fuyants, qu'elle rougit. Elle place un chamallow sur la flamme.

-De quoi vous parlez?

-Une fois... vous vous souvenez pas? Vous m'avez demandé quelle serait ma plus grande peur...

Je fouille ma mémoire mais n'ai aucun souvenir de cette question, je m'étonne d'ailleurs d'avoir été jusque là avec ma coéquipière.

-C'était dans l'affaire Tom Morton!

-Oh! Je me rappelle! Mais... c'était une question réthorique, non?

-Oui... mais je n'avais pas de réponse à l'époque. Maintenant, je sais que... vous perdre à ce moment là, ça a été ma plus grande peur.

La révélation me laisse sans voix. Emma n'est pas quelqu'un de démonstratif, le simple fait qu'elle accentue son propos me prouve à quel point cela doit être important pour elle.

Je la revois maintenant pénétrer dans la cabane, me détacher et m'accompagner dehors. Me frotter le dos alors que je vomis l'alcool sur nos chaussures... Je n'avais jamais prêté attention au regard qu'elle avait sur moi ce jour-là mais... en y repensant, je me rends compte qu'elle semblait reconnaissante, soulagée.

-Bordel! Ce fumier! Regina, faut rester réveillée hein! Nous faites pas un coma!

Je secoue mes mèches brunes afin de chasser le souvenir qui revient en force.

-Vous avez mené l'enquête sur ma disparition d'une main de maître, Emma, dis-je doucement. J'ai lu le dossier. Plusieurs fois.

-Pourquoi?

-Pourquoi quoi?

-Pourquoi avoir lu le dossier plusieurs fois? Vous pensez qu'on aurait pu le coincer plus tôt ?

Loin de moi cette idée, même si, au fond, j'aurai voulu qu'il n'ait pas le temps de tuer Malia Tyson alors que je me trouvais deux étages en dessous.

-Alors pourquoi?

-Parce que j'avais besoin de comprendre son cheminement. Même si je crois avoir parfaitement saisi le genre de psychopathe qu'il était... J'avais l'impression qu'il me manquait quelque chose dans ce dossier.

-Et vous avez trouvé ce que c'était?

J'ai un petit sourire triste. La seule chose manquante à ce dossier, c'était moi. Ma psychologie. Pourquoi avait-il décidé de s'en prendre à moi et qu'est ce qui a fait que je n'ai pas su que j'allais être sa prochaine cible? Après coup, cela me parait évident mais à ce moment précis, pourquoi n'en ai-je même pas eu une vague idée?

-On ne pouvait pas savoir que ça serait vous! Essaye-t-elle de me rassurer.

-Il s'en prenait aux femmes influentes dans sa vie. Nous aurions dû préparer son prochain coup! Je crois que Pino s'en est douté mais qu'il n'a pas osé nous en parler. A vrai dire, les deux femmes qui étaient dans la ligne de mire, c'étaient nous! Il m'a choisi moi parce que je correspondais parfaitement à son type de victime. Alors qu'il était avec moi, il pensait déjà pouvoir renverser la vapeur!

-Pourquoi?

Emma me fait replonger dans mes souvenirs et j'en remonte avec énormément de dégout et de colère.

-Il m'a dit que lorsque mon équipe me retrouverait morte, il serait là pour les voir pleurer ma mort mais qu'au final, chacun reprendrait sa vie. Il a dit ensuite qu'il parviendrait à faire en sorte de devenir votre ami.

-Mais il savait que nous le recherchions...

-Oui. Mais je pense que finalement, tout ce qu'il a dit s'est produit. Pour lui, ma mort ne signifiait pas forcément la mort physique et... chacun a dû reprendre sa vie.

-Mais je n'ai jamais partagé de verre d'amitié avec lui! Ni aucun de mes hommes, me répond durement Emma.

-Non, mais il a réussi à se faire défendre par Tamara et Greg.

Emma secoue ses longs cheveux blonds. Non. Elle refuse d'y croire et me soupçonne même d'être trop fatiguée. J'avance pour elle ma théorie moins métaphorique, celle que Wayne était un narcissique et qu'il espérait s'en tirer en me faisant porter le chapeau.

-Ca ressemble plus au personnage, concède-t-elle.

-J'ai eu le temps de l'observer de très près pendant cinq jours, Emma. Je crois que je n'ai pas tord lorsque j'affirme qu'il voulait me détruire moralement.

-Mais il n'a pas réussi. Vous êtes toujours là, debout.

Je hoche la tête pour lui donner raison, simplement parce que je n'ai pas envie de me chamailler avec elle. Oui, je suis debout. Ce qu'Emma oublie, c'est que toute victime doit passer par une reconstruction ou par une destruction totale. Or, l'abandon de mon poste à New York, et mon retour à Storybrooke me laisse penser que je tente une reconstruction par la destruction de celle que j'étais.

Je mâchouille le chamallow qu'elle m'a tendu, peu convaincue par le fait que le faire flamber sur une bougie soit bon pour notre santé.

-Il s'est pendu pour pas avoir à affronter ses victimes, Regina. C'est vous qui avez gagné. Quoi que vous disiez.

-Non, vous pouvez vous en convaincre Emma, mais August Wayne ne sera jamais puni pour ce qu'il a fait aux femmes qu'il a mutilées, violées, martyrisées et tuées.

Elle se tait. Que peut-elle répondre de toute façon? J'ai raison, et cela l'agace.

-Est-ce que c'est une histoire de petit ami? demande soudainement Emma qui décide de s'expliquer devant mon regard interrogateur: Blanche et vous?!

Si elle croit détendre l'atmosphère, elle se trompe.

-Oui...

-Ahhh! Je le savais! Elle vous a piqué votre petit(e) ami(e)?

Je ressers mes jambes contre moi, la couverture ne suffisant plus à me réchauffer. Je préfère céder devant ses questions. Il est préférable que je lui raconte ma version des faits plutôt qu'elle apprenne quoi que ce soit de la bouche de quelqu'un d'autre. Je ressens un sentiment de sécurité avec elle qui est loin de m'être familier et pourtant, je me mets à parler comme si elle était incapable de me juger.

-Beaucoup dans le village vous dirons que Daniel, mon petit ami de l'époque, est mort à cause de moi. Je suis la seule à savoir que c'est elle qui l'a tué.

Emma se fige, son sourire pas tout à fait éteint. Puis, elle se redresse sur sa chaise.

-Merde! Quoi?!

-Pas littéralement, précisé-je. Mais Daniel est mort à cause d'elle. Son grand-père était la personne la plus importante dans sa vie, alors si je suis ici, c'est un peu pour prendre ma revanche. Croyez-moi ou non, je suis heureuse de la voir souffrir de cette perte.

-Vous n'êtes pas triste pour son grand-père? Apparemment, vous étiez proche de lui et...

-Oui, nous étions proches, je la coupe. C'est aussi pour cela que je suis là.

Elle ne dit plus rien, le ton que j'aie employé semble l'avoir refroidi. Je pense qu'elle essaie de rassembler les morceaux de puzzle dans son esprit mais la fatigue commence à se faire ressentir de nouveau. Je lui propose de rentrer et nous éteignons la bougie avant de retourner chacune dans notre chambre.

Je suis réveillée par des coups contre ma porte. Ma montre m'indique huit heures du matin et je grogne avant d'ouvrir à une Emma surexcitée.

-Dans trois jours, après l'enterrement, nous irons dans le Montana!

-Je vous demande pardon?

-Le Mon-ta-na! Je... je viens d'avoir quelqu'un au téléphone...

-Mais combien de café avez-vous bu?

-J'en sais rien... une dizaine!

-Une di...

-Peu importe! Me coupe Emma. Je viens d'avoir un coup de fil de la personne qui a découvert le corps de Mady.

-Non?

-Si! Et elle est d'accord pour nous voir lorsque nous arriverons dans le Montana! Qu'est ce que vous en dites?

Mon visage se fend d'un large sourire. L'enquête avancera à pas de géant grâce à son témoignage. Nous discutons rapidement autour du petit déjeuner qu'elle a préparé.

-Ce sont les parents qui vous ont contacté pour l'enquête?

-Non, mon frère.

Je fronce les sourcils et repose mon verre de jus d'orange.

-Vous avez un frère?

-Euh... pas un vrai frère, j'ai pas vraiment de famille.

Emma a rarement évoqué son enfance, je sais qu'elle a perdu ses parents très tôt et c'est à peu près tout. Elle m'apprend qu'elle a été très longtemps proche de la délinquance mais que lorsqu'elle est arrivée dans le Montana, elle a réussi à retrouver une vie saine et à reprendre pied. C'est aussi là-bas qu'elle a eu envie de rentrer dans la police.

-C'était vraiment la maison de la dernière chance.

Je ne peux m'empêcher de remarquer qu'elle et moi avons finalement bien changées depuis notre adolescence. Emma semble avoir enfoui l'adolescente fugueuse et voleuse qu'elle était et moi j'ai volontairement ignoré mon côté sauvage.

-David propose de nous accueillir au ranch de Marco.

-Qui est Marco?

-Un gars bien, répond-elle simplement en précisant qu'elle a hâte de me le présenter.

Sur les coups de dix heures, je me prépare pour le rendez-vous avec le notaire et Emma propose de m'y accompagner. Je refuse poliment et lui propose d'élaborer un interrogatoire que nous allons devoir faire passer à la personne qui a trouvé le corps de Mady.


Une enveloppe. C'est tout ce que m'a remis le notaire. Elle est encore posée sur mes genoux. Le papier de l'enveloppe est jaune, elle est épaisse. Elle contient un objet, à n'en pas douter. Mon prénom a été écrit avec un stylo plume et de l'encre noire. Une jolie écriture. Je sais qu'il y a une, peut-être deux feuilles à l'intérieur mais je ne veux pas l'ouvrir. Je n'y arrive pas. Ce qui pourrait se trouver dedans me terrorise. Je presse le renflement du bout des doigts mais ne parviens pas à distinguer les formes réelles de l'objet. Je crois qu'il est emballé. Peut-être est-ce quelque chose de fragile. En face de moi, j'aperçois Emma qui sort du Werewolf pour son footing quotidien. Elle ne porte qu'un legging, un débardeur et une veste qu'elle zippe rapidement avant de partir.

Je repose mes yeux sur l'enveloppe et me mords la lèvre. Durant plus d'une demi-heure, j'essaie de me faire violence pour l'ouvrir, pour arracher la bande qui me permettrait de lever le mystère. Mais je n'y parviens pas. Je glisse l'enveloppe dans mon sac à main et rejoins Scarlett qui fume devant son établissement.

-Tu ne devais pas arrêter de fumer?

Elle tourne un regard tranquille vers moi.

-C'est pas pareil, c'est un joint, m'informe-t-elle en ricanant.

Je m'assieds dans la balancelle qu'elle continue de faire osciller à l'aide de ses boots épaisses.

-Tu sais que je suis substitue du procureur?

Elle fronce les sourcils.

-T'as pas démissionné?

Devant mon air ahuri, elle ajoute:

-On a la télé ici aussi, Regina!

-Les nouvelles vont vites...

-Quoi qu'il en soit, je te rappelle, qu'à une certaine époque, tu fumais avec moi! Me fait-elle remarquer.

-Oui, et j'ai grandis! Dis-je en attrapant le mégot pour le porter à mes lèvres.

Je tire une latte, sachant parfaitement que cela ne me fera pas le moindre effet. Je voulais simplement rabattre le caquet de mon ancienne camarade de classe. Ma dernière année à Storybrooke a été celle de ma rébellion la plus féroce et à cette époque, Scarlett était l'amie la plus déjantée que je pouvais me faire.

-T'es partie, Regina... me reproche-t-elle doucement.

-Je sais.

-Pendant quinze ans, continue-t-elle.

-J'en avais besoin.

Elle reprend le mégot et hoche plusieurs fois la tête en prenant de longues bouffées.

-Grand-mère t'en veut encore.

-Pour Daniel, ou pour être partie?

Elle me jette un regard en biais.

-Les deux.

Je baisse les yeux. Je sais qu'à l'époque, je n'ai pas géré les choses correctement, mais j'avais dix-sept ans.

-Tu es juste de passage? demande Scarlett en continuant le balancement de manière un peu plus légère.

-Oui.

-C'est con que t'aies démissionné.

Je ne réponds pas. Je sais que Scarlett n'a jamais voulu quitté Storybrooke, aussi étouffante puisse-t-elle être. Mais j'ai conscience qu'elle m'envie quelque part d'avoir osé. Nous regardons le paysage qui s'offre à nous et le silence plane un long moment, seulement secoué par le passage des voitures dans la rue principale. Scarlett et moi ne redeviendrons jamais amie, du reste, je ne suis pas certaine que nous l'ayons réellement été un jour. Mais ici, elle reste ce qui s'en rapproche le plus.

-Tu comptes aller à l'enterrement?

Elle hoche la tête encore une fois.

-Ouais. Tout le monde y va. T'imagine bien... l'ancien maire.

La pluie se met à tomber au moment où Emma revient. Elle nous fait un large sourire et propose une soirée fille. Elle explique à Scarlett qu'elle voudrait essayer de me redonner le sourire. Gênée, j'essaie vainement de décliner. Nous nous couchons à six heures du matin, écrasée de fatigue et d'alcool.


Ma robe bleu marine tombe juste au dessus de mon genoux lorsque je descends les escaliers du Werewolf qui a été vidé de ses clients pour que Scarlett puisse aller se préparer. Mes chaussures à talons ouvertes me grandissent de quelques centimètres et m'amènent presque à la même taille qu'Emma. Je vérifie une nouvelle fois le cache coeur de ma robe et replace mon collier.

Avant de sortir, je cherche mes lunettes de soleil dans mon sac à main afin de les mettre. L'enveloppe est toujours là. Décachetée. Des mouchoirs, mon téléphone, mes lunettes de soleil. Je déploie les branches et les glisse sur mes oreilles. Emma me rejoint et use d'un air contrit. J'attrape le bouquet sur le comptoir.

-Allons-y.

Il y a beaucoup de monde. Enormément.

Je sens les regards qui convergent vers moi lorsque j'arrive accompagnée d'Emma et de Scarlett. Aucune des deux ne semble embarrassée de se trouver en ma compagnie et j'affronte la foule en gardant la tête haute et fière.

Je repère Blanche qui s'applique à témoigner de la fausse gratitude à tout ceux qui en ressentent le besoin. Elle me scanne rapidement mais je ne lui renvois qu'un regard froid. Scarlett la prend dans ses bras et lui assure tout son soutien. Emma me suit de près alors que nous allons nous installer sur les bancs de l'église.

C'est une belle cérémonie, je ne peux le nier. Beaucoup de personnes sont là pour rendre hommage à l'ancien maire, au grand-père, au père, au professeur, à l'homme... J'entends des pleurs autour de moi et Emma m'attrape la main, pensant sans doute avoir décelé chez moi un besoin de réconfort. Malgré tout, ce geste me donne énormément de courage et je sens une bulle gonfler dans ma poitrine.

Nous sommes ensuite invités à aller déposer des fleurs sur le cercueil et faire nos adieux. L'échos de mes pas semblent assourdissants. Je n'entends plus que cela d'ailleurs. La file devant nous se fait de plus en plus courte et nous sommes à présent proche du cercueil. Scarlett me précède et je la vois s'incliner cérémonieusement pour laisser sa fleur. Vient mon tour.

Je me penche vers le cercueil pour déposer le bouquet de chardons, de gui et d'hellébores noires mais alors que je me relève, je sens mon corps secoué d'un petit rire nerveux.

-Va au diable! articulé-je clairement.

Emma se raidie à côté de moi, Scarlett se retourne dans un halètement étonné. D'ailleurs, à juger par les exclamations et les regards lancés dans l'assistance, elle n'est pas la seule à avoir entendu l'insulte. Personne n'a pu l'ignorer à cause de l'écho que les hautes voutes renvoient.

Blanche s'avance vers moi, une colère sourde m'arrive en une vague puissante qui ne me fait même pas ciller.

-Je te donne cinq minutes pour quitter cet endroit, Regina! En souvenir de notre amitié, tu devrais partir!

Mais je ne bouge pas; je l'affronte fièrement et j'ouvre la bouche pour lui répondre quand je me sens tirée presque violemment en arrière.

-Mais qu'est ce qui vous prend?! me demande Emma alors que nous sommes vers la voiture et que je suis écroulée d'un rire libérateur.

-Regina! C'était quoi ça?! s'écrie Scarlett, hors d'elle.

L'une d'elle me secoue, imaginant sans doute que je perds le nord.

-Si vous voulez y retourner, je ne vous en empêche pas! je crache méchamment.

-Mais pourquoi vous avez fait ça?

-Ca ne vous regarde pas le moins du monde, Emma! je rétorque froidement sentant revenir l'enfant sauvage à pas de géant.

Je ressens l'adrénaline du moment. Scarlett n'a pas l'air fâchée, juste ennuyée.

-Oh! Regina! C'est… mais enfin… je ne vous reconnais pas!

-La question c'est, est-ce que vous me connaissez, Emma? Vous avez voulu me suivre sans poser de question, c'était le deal et moi je réglais votre affaire! Alors respectez votre part du marché! Je lui rappelle en faisant le tour de la voiture. La fête est terminée.

-Je ne suis pas d'accord! Rugit Emma sous le coup de l'émotion. Nous devons aller demain dans le Montana pour une affaire urgente et importante, mais... je ne vous reconnais pas et ça, ça me pose problème, Regina!

Elle a l'air tellement déçue à ce moment là que j'en regretterais presque mon geste.

-Emma, je ne peux pas être celle que vous attendez! Je réponds néanmoins. Je ne suis pas la substitue du procureur parfaite que vous aviez en tête en voulant m'embaucher.

-Les gens sortent de l'église! nous avertit Scarlett. On devrait décamper d'ici.


Scarlett a rouvert le bar dès que nous sommes arrivées, je crois qu'elle était finalement mécontente de ma sortie à l'église. Les jeunes clients sont venus remplir les canapés et diverses banquettes. Ne voulant pas imposer ma présence, je me suis installée sur le balcon alors que le soleil pointait son nez. Emma est partie bouder dans la chambre. Je la comprends. La déception que j'ai lue dans ses yeux m'a été très douloureuse même si ma colère reste pour l'instant maîtresse de la situation. A présent, il fait gris et nuit.

J'entends la porte fenêtre s'ouvrir et Emma dépose une couverture sur mes épaules. Je la sens contrariée mais prête à parler.

-Je sais que ça a été une journée difficile pour vous, Regina et j'ai conscience que vous êtes chamboulée à cause de Wayne... mais...

-Vous vous trompez Miss Swan, dis-je en la faisant grimacer. C'était la meilleure journée de ma vie.

Elle me regarde sans comprendre. De ma position, je peux voir les rouages de son cerveau s'activer derrière ses yeux mais l'idée de devoir expliquer à Emma le pourquoi du comment ne me charme aucunement.

-Regina, murmure-t-elle en se rapprochant, pourquoi vous êtes venue?

Mes doigts serrent la rambarde et je peine à déglutir tant la colère comprime ma cage thoracique.

-Vous devriez aller vous coucher, Miss Swan. Je crois que demain vous devez partir pour le Montana et moi je vais rentrer à New York.

Elle ne dit rien. Ses épaules s'affaissent un peu. Je suis curieusement en colère contre moi. Je suis en train de regarder une autre Regina prendre les rênes de ma vie. Repousser Emma me déchire le coeur mais je sais aussi que si elle n'a pas confiance en moi, si elle ne me reconnait pas, alors elle aura toujours du mal à travailler avec moi et... de toute évidence, je ne suis plus la femme qu'elle a connue. Je suis en train de devenir une autre.

-Très bien… je vais descendre boire un verre, dit-elle d'une voix brisée. Bonne nuit Regina.

Lorsque j'entends la porte se refermer, je ressens un grand vide au fond de la poitrine. La nuit s'est installée, mes angoisses avec.

J'essaie tout d'abord d'analyser la situation en prenant du recul. En effet, mes actions récentes ne me ressemblent pas. Je n'ai plus rien de la femme qui savait parfaitement maîtriser ses émotions. Je pousse un profond soupire et même si ce que j'ai fait à l'église m'a fait un bien fou, je ne comprends pas comment j'ai pu laisser Emma assister à ça.

Emma, qui compte finalement plus que beaucoup d'autres personnes dans mon entourage. Je soupire avant d'entendre mon téléphone portable resté dans ma chambre.

-Hey! dis-je en décrochant à ma nièce.

-Coucou! s'écrie la voix enjouée de Margot.

Margot est tout ce que j'ai de mieux dans ma vie. Elle est parfaite, pure, bien élevée, intelligente, déterminée, avec un esprit de compétition et de justice. J'ai toujours voulu préserver tout le monde de mes peurs, de mes douleurs et Margot plus encore.

-Ma chérie, je peux te rappeler demain? dis-je en sentant ma voix trembler.

A l'autre bout du fil, il y a un silence soudain. Margot a, elle aussi, entendu le tremblement et je l'entends se redresser sur son lit.

-Tante Regina, qu'est ce qu'il y a? Tout va bien?

-Oui, je suis juste un peu fatiguée, mais si tu avais quelque chose d'important à me dire, je...

-Tu es sûre? Tu as une voix bizarre.

-J'ai dû tomber un peu malade.

Je ferme les paupières. Mentir à ma nièce, je suis tombée bien bas. Je m'arrange pour conclure la conversation au plus vite. Puis, je finis par me secouer et je descends dans le WereWolf dans l'espoir d'arranger les choses avec ma partenaire. Mes yeux balaient tout d'abord la salle du haut, puis celle du bas, mais elle n'est plus là. Sa voiture non plus. Elle est partie.


Je commande un verre à Scarlett.

-Je suis désolée, je marmonne faiblement.

-De quoi?

-D'être partie, la dernière fois. Et de t'avoir mise dans l'embarras aujourd'hui.

Elle hausse les épaules et me sors une bouteille de téquila.

-Besoin d'un remontant?

J'acquiesce en me servant un verre.

-Je m'en sortirai Regina, me dit-elle en croisant mon regard.

Nous parlons peu. Si j'enchaine les verres plutôt calmement au début de la soirée, je finis par ne plus suivre le compte à mesure que la soirée avance. Mon esprit intègre peu à peu l'information que ma coéquipière ne reviendra pas et Storybrooke ravive mon côté adolescente dépravée. Quelques rares clients trainent encore en fin de soirée et essayent de me mettre le grappin dessus.

Il y a un homme, je sais que nous étions au collège ensemble et il me plait. Scarlett essaie plusieurs fois de lui faire comprendre que je ne suis pas "ce genre de nana". La formule me plait au début, puis je me sens lasse de ne pas être soit disant ce genre-là. Dans la tête des gens, une substitue du procureur ne peut pas déroger aux règles statutaires, même au lit. Si elle savait. Les relations sans lendemain sont mes plats préférés. Ne rien devoir à personne, prendre et ne rien donner. Je me mets à considérer le fait de m'envoyer en l'air. Juste comme ça. Juste pour assouvir ce besoin primaire et détraqué chez moi.

Je ne suis pas ivre, pas encore. L'homme s'appelle Dan, il n'a pas beaucoup de conversation mais ce n'est pas vraiment ce que je lui demande. J'en suis presque arrivée à lui proposer de monter avec moi lorsque je vois une main s'abattre sur son épaule. Emma lui montre sa plaque et il déguerpit aussi sec. Scarlett et elle ont un échange de regard et je comprends que c'est la barman qui l'a appelée à la rescousse.

Lorsqu'Emma vient s'assoir à côté de moi, je n'ai même pas envie de croiser son regard. Le fait qu'elle ne soit finalement pas partie m'agace autant que ça me fait peur et me soulage. Je sens mes pensées glisser le long de mon cerveau à cause de l'alcool que j'ai ingurgité.

-Qu'est ce que vous buvez? Je demande en avalant le Bailey cul sec.

-À combien de verre vous en êtes? Me rétorque-t-elle doucement.

-Pas assez !

Mon estomac doit bien penser le contraire.

Je sens soudain une main sur mon bras que je relève pour commander un nouveau verre.

-Emma, ne m'empêchez jamais de faire ce que je veux! C'est clair? Craché-je en dégageant sa prise.

Je recommande un verre, elle commande une bière.

Les lumières s'éteignent peu à peu dans le bar.

Je jète un oeil au profil d'Emma avant qu'elle se tourne pour plonger son regard dans le mien. Elle parait inquiète pour moi et je peux le constater à la lueur qui brille lorsqu'elle pose ses yeux sur moi. J'hésite entre fondre en larmes sur le champ ou l'embrasser pour éviter d'éventuelles questions. Finalement, je ressens le besoin de lui prouver que je ne suis pas une horrible personne; que mes motivations étaient sérieuses et que tout ce fiasco n'était pas dû au fait que je suis une horrible garce. Je me détourne pour ne pas me mettre à pleurer et tente de reprendre le contrôle de ma voix en déglutissant.

Je vois vaguement Scarlett déposer les clés sur le comptoir avant de quitter l'établissement.

Au bout de longues minutes de silence, j'entends ma voix cassée par la colère dire:

-J'avais neuf ans quand cette ordure m'a touché pour la première fois!

Je sens son corps se figer à côté du mien. Emma et moi n'avons jamais parlé de nos vies si intimement. Mais qu'elle le veuille ou non, c'est sur elle que j'ai décidé de déverser ma peine. Je crois qu'au moment où je reprends, j'essaie surtout de comprendre ce qu'à été la fin de mon enfance et mon adolescence toute entière. En réalité, j'essaie de comprendre qui je suis.

-J'étais si petite, si encline à lui montrer que je l'aimais. Cet homme était le grand-père de ma meilleure amie. Je l'aimais comme une enfant aime son oncle. Je voulais lui faire plaisir et il me disait que c'était le moyen de me prouver son amour. Ça a commencé avec des caresses et j'étais récompensée par des cadeaux…

J'ai toujours eu du mal à songer à cette époque. A ce que j'aurai pu être si je n'avais pas été la cible d'un pédophile. Mon bras se tend pour agripper la bouteille de rhum et je verse une quantité non négligeable dans mon verre que je vide presque aussi tôt. Les vapeurs d'alcool tordent ma vision et mon esprit, et je ressens moins de difficulté à parler. Tout du moins, à me confier.

-On est très vite passé à l'étape supérieure… Blanche était ma meilleure amie... j'allais souvent chez elle. Et, il lui disait d'aller dans la piscine et de m'attendre car il voulait me montrer quelque chose ou... ou alors de commencer à regarder le film sans moi...

Je ris amèrement. Un rire que je ne reconnais pas. Un rire qui aurait bien pu appartenir à la méchante reine que je combattais dans la forêt lorsque j'étais petite. Ces images arrivent en flash dans ma mémoire.

-Elle ne remarquait même pas que j'arrivais à la fin du film... Il avait son petit rituel, il m'amenait dans une pièce, me demandait si je l'aimais, et comment je l'aimais et ensuite, il me demandait de lui dire pendant qu'il enfonçait son sexe en moi!

Une de mes main vole devant mes yeux. Je ne la regarde pas et sens son haut le coeur plus que je ne le vois. Mais mon esprit refuse d'analyser et de tempérer. Je ne m'arrête plus.

-Apres, les visites ponctuelles ne lui suffisaient plus alors il proposait de m'emmener avec eux en vacances. Au bout d'un an, il n'y avait plus de rituel… dès que je me retrouvais coincée dans une pièce avec lui… il me disait d'être gentille et il me violait…! A seize ans, j'ai rencontré Daniel, le cousin de Scarlett et il a très vite compris que quelque chose clochait chez moi… je veux dire, dans mon comportement sexuel… dès que je voulais lui montrer que je l'aimais je lui faisais comprendre qu'il pouvait me toucher ou…

Je plonge mon visage dans mes mains tant la honte m'immerge. Je revois encore les yeux étonnés et rieurs de Daniel alors que j'ai la main dans son pantalon et qu'il me demande pourquoi je veux à tout prix coucher avec lui. Je revois aussi son air sérieux quand il a compris. Mon estomac menace de se retourner à tout moment. Je me concentre pour garder une respiration normale. Je relève la tête de mes mains.

-Daniel a été d'un soutien… énorme pour moi. Un jour… Blanche nous a surpris, Daniel et moi, en train de nous embrasser et je lui ai dit que c'était mon petit ami… et que je voulais garder ça secret… seulement, elle n'a pas su tenir sa langue, sans doute parce qu'elle croyait que son grand père et moi étions si proche qu'elle pouvait lui confier ce secret…

Je bois en même temps qu'Emma, elle semble penser à présent qu'il n'y a rien de condamnable à finir ivre morte.

-Il m'a fait une scène terrible… Pour lui, Daniel était une menace.

Je regarde autour de nous, il n'y a plus personne, même Scarlett est partie. J'hésite un moment à aller me vautrer sur un des canapés. Finalement, je me rends compte que je ne suis pas certaine de vouloir qu'on me retrouve ici demain matin.

-Et Daniel? me demande Emma qui ne sait pas à quel point ça me crève le coeur d'entendre son prénom prononcé par une autre que moi. Ca me met en colère qu'elle ose l'utiliser.

-Léopold señor l'a emmené à la chasse... Daniel n'est jamais revenu.

Je fais claquer le plat du verre sur le comptoir et me tourne vers elle; un air déterminé sur le visage. Ma voix, ainsi que tout mon corps tremblent de rage lorsque je reprends:

-J'ai le droit de me réjouir de la mort d'un vieux pervers que je n'ai jamais pu affronter de son vivant! J'ai le droit de me délecter de la douleur de Blanche! J'ai le droit de vandaliser sa tombe quand ça me chante! J'ai le droit… d'être triste de sa mort… parce que… parce que j'aurai voulu traîner cette vieille ordure dans un tribunal pour le mal qu'il m'a fait.

Je hurle et ne me rends absolument pas compte que je me suis levée et que les sanglots étranglent ma voix.

-Regina…

-CET ENTERREMENT, C'ETAIT SON PROCÈS! Je rugis à la face de la blonde dans une colère que je ne retiens plus.

-Non Regina, elle murmure fatalement. Non.

Il n'y aura aucun procès. Et les crimes qu'il a commis sur mon corps ne seront jamais punis, ni même reconnus.

J'attrape la bouteille par le goulot et la voit partir pour éclater en million de morceaux contre le mur de pierres grises. Puis, alors qu'Emma se lève, sans doute pour maîtriser ma rage, je me retourne vers elle.

-Allez vous faire foutre! je lui lance en faisant mine de la repousser.

Je m'essuie la main sur laquelle du rhum a coulé lorsque j'attrapais la bouteille, puis, je m'engage dans les escaliers, ignorant complètement la blonde.


Il fait encore nuit lorsque je me réveille cinq heures plus tard, mais l'aube n'est pas loin. Malgré ma sensation nauséeuse, j'essaie de rassembler mes esprits et l'enveloppe encore posée à quelques centimètres de ma main me ramène à la réalité douloureusement. Elle est décachetée mais je n'ai pas encore eu le courage de lire les mots que cet ordure a posés sur le papier.

Ma gorge est affreusement sèche et je me lève pour me servir un verre d'eau dans la cuisine. Emma s'est endormie sur le canapé, je n'allume que la hotte afin de ne pas la réveiller. Je pose l'enveloppe sur le comptoir de la cuisine avant de prendre mon courage à deux mains. Je penche l'enveloppe sur le côté et quelque chose tombe dans ma paume.

Un mouchoir soigneusement plié. J'en soulève un coin et découvre le petit objet que renfermait l'enveloppe. Je sais immédiatement de quoi il s'agit. J'attrape rapidement mon manteau et quitte l'appartement.

L'air est frais et je décide de prendre ma voiture. Direction la plage. Lorsque j'arrive près des lodges, mes yeux montent instantanément vers celui qui est accroché aux flans de la falaise. Le jaune. L'ascension est moins longue que dans mes souvenirs et j'arrive finalement très vite devant la porte. Mes doigts se crispent sur la clé récupérée dans l'enveloppe et je parviens à l'insérer dans la serrure sans aucune difficulté. La porte grince de façon sinistre. La fenêtre donnant sur la terrasse est ouverte et l'air marin se faufile dans la pièce sombre. La lampe à huile est toujours posée au même endroit. Je n'ai besoin que d'une seule tentative pour l'allumer. L'appréhension qui m'a gagnée est remplacée par un choc violent et profond. Des photos s'étalent devant moi, dans des cadres ou sur les murs. Sur l'une d'elle, je suis encore une enfant, je souris à l'objectif en ayant un petit chaudron à la main. Sur une autre j'ai dix ans, je suis vêtue de mon maillot de bain violet et je plonge dans la mer. J'ai seize ans et un bras est passé autour de ma taille, j'ai douze ans et je suis sur le dos du cheval qui m'a été offert. J'ai deux ans et mon gâteau d'anniversaire porte la trace de ma main. Et puis, l'une d'elle attire plus encore mon attention. Elle ne devrait pas se trouver là. J'ai vingt huit ans et je suis sur les marches du palais de justice à New York. Lorsque je me retourne, je rencontre encore une dizaine de photo de moi, toutes ont été prises à New York. L'une d'elle doit remonter à six mois, grand maximum.

Les vagues s'échouent en rythme irrégulier sur le sable. Mes larmes me brouillent la vue et la boule qui s'est formée au fond de ma gorge m'est douloureuse. Je sens que mon esprit est dangereusement proche du court-circuit, du point de non retour.

Ma cage thoracique semble être devenue un réseau électrique qui diffuse des décharges dans le haut de mon corps. J'entends quelqu'un grimper dans le lodge mais je ne fais rien pour me cacher. Je suis simplement figée à la rambarde du balcon, à regarder l'océan noir qui se ride à cause des rayons de la lune.

Emma. C'est Emma qui se tient à côté de moi et m'observe silencieusement. Alors que je cligne des yeux, des larmes en profitent pour dévaler mes joues et glisser sur mon menton. Je me rends compte que ma respiration est devenue sifflante et que je pousse des gémissements plaintifs.

Emma n'ose visiblement pas me toucher ou même me parler. Je la crois assez intelligente pour ne pas ignorer les détails qui font de ce lieux l'antre de l'homme qui a brisé mon enfance. Je ne peux que comprendre le silence de ma partenaire et son désarroi. Elle en a appris plus sur moi en deux jours que durant les cinq années où nous nous sommes cotoyées quasiment tous les jours. La découverte qu'elle a fait de moi me paralyse. Cette impression soudaine qu'elle doit en être au même point que moi dans la connaissance de la personne que je suis.

Un coup de vent fait claquer la lettre dans ma main et me ramène à ces mots couchés sur du papier. Ces mots que j'ai finalement lus.

-Regina, m'appelle Emma d'une voix douce.

Le flot d'images qui s'échappent de force de ma mémoire me vrille la tête. Je porte une main contre mes yeux pour empêcher mes larmes de couler encore. Et plus que la tristesse, c'est la rage qui prend le dessus; une rage incommensurable qui brûle l'intégralité de mes terminaisons nerveuses. J'ai besoin de détruire pour nourrir cette furie qui s'est déclenchée. Le choc est si soudain que j'ai besoin de m'assoir. Je me dirige vers l'intérieur mais lorsque j'arrive vers la chaise, j'attrape le dossier pour la fracasser contre le mur. Des débris volent en tout sens et quand il ne me reste que deux morceaux de bois, je les lâche pour balayer ce qui se trouve sur le petit meuble à l'entrée. Les cadres photos se pulvérisent dans un fracas assourdissant et je remarque qu'Emma ne fait rien pour m'arrêter. Elle a les mains devant la bouche, n'en revenant probablement pas de la métamorphose qui se produit sous ses yeux. De colère, je me mets à hurler en détruisant chaque objet, chaque trophée, je fais dégringoler les photographies du mur. Mes hurlements sont tels, que j'ai l'impression de déchirer mes cordes vocales, mon esprit et mes forces.

Une fois que tout est anéanti dans la pièce et que je suis assise contre un mur, je vois Emma se rapprocher de moi et me parler. Je ne parviens pas à comprendre ce qu'elle me dit, je ne m'accroche plus à rien et laisse ma conscience glisser dans le néant.


Cette histoire n'est pas terminée, pour avoir la suite, merci de commenter. Cf. le message du début.