Chapitre 1 - Esclave en fuite

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Le temps ne pouvait être plus sombre en Mordor alors que Marwen s'acharnait dans les immenses champs bordant la Mer de Núrnen. Elle tachait tant bien que mal de faire ce qu'on lui demandait afin d'éviter la douleur que provoquaient les lanières des fouets de leurs ennemis contre sa chair.

Autrefois Marwen était à la tête des hommes vivant à l'extrême-sud du Mordor, et voilà qu'elle avait échoué à sa mission de protéger son peuple et se retrouvait à leurs cotés en tant qu'esclaves des forces du mal. Malgré le calme qui régnait dans la plaine de Núrn, le seigneur du mal était bel et bien présent en Mordor et les soldats orques et gobelins étaient de plus en plus nombreux.

Prise de fatigue elle ralentit le mouvement. Elle ne pouvait s'arrêter une minute sans risquer de recevoir un châtiment. Elle entendait déjà le grondement des orques qui déjà, dardaient sur elle leur regards insatisfaits. Prise de panique, elle reprit la cadence sans même lever les yeux.

Travaillant également dans les champs, Lithariel suivait sa mère en longeant les plantations. Étant adoptée, elle n'avait aucun trait en commun avec sa mère. Ainsi, côtes à côtes, personne n'aurait pu deviner qu'il y avait un quelconque lien de parenté entre les deux femmes, elles pouvaient donc rester ensembles sans attirer les regards des orques qui ne prenait que de plaisir à séparer cruellement les familles.

- Lithariel, mon enfant, appela Marwen la voix tremblante.

Elle ne lui répondit que d'un regard afin d'éviter d'attirer l'attention.

- Tu dois t'enfuir, continua-t-elle, tu dois partir et le trouver.

Sa voix était faible, Lithariel regarda longuement sa mère qui semblait être à deux doigts de s'évanouir rongée par la fatigue qui l'envahissait. Sous forme animale elle se savait capable de fuir grâce à sa rapidité mais cela impliquait de laisser Marwen seule ici.

- Je ne vous abandonnerai pas, mère.

- Transformes-toi et tu réussira à t'échapper. Tu dois le trouver, répéta Marwen, il pourra nous aider, il est le seul à en être capable. Je t'en prie, laisse-moi.

Lithariel était ce qu'on appelait un changeur de peau ou métamorphe, elle avait la capacité de prendre la forme d'un loup lorsqu'elle le souhaitait. Marwen n'affectionnait pas du tout ce côté de sa fille, lui interdisant de se transformer à moins d'une grande nécessité. Le simple fait de lui ordonner de se changer en loup démontrait l'état d'urgence dans laquelle elles se trouvaient.

- Qui ? Qui dois-je trouver ?

- L'héritier du trône d'Arnor et du Gondor, lui seul aura le pouvoir de rallier les peuples pour se préparer à la bataille.

Lithariel resta pantoise. Depuis longtemps on lui avait appris qu'il n'y avait plus d'héritier de la couronne, mais le simple fait que ce soit sa mère qui évoque ces mots laissèrent Lithariel dans un doute assez profond pour qu'elle tente de s'échapper des griffes de Sauron lui-même.

Elle poussa un cri de douleur lorsque le fouet de son ennemi vint lui entailler la peau. N'ayant pas vu le coup venir, elle se mordit la lèvre pour absorber les brulures intenses provoquées par la violence de l'acte qu'elle venait de subir.

- Silence ! Hurla l'orque d'une voix rauque.

La douleur s'estompa lentement. Elle respira profondément en serrant les poings et du coin de l'oeil elle le regarda lui tourner le dos pour reprendre sa position.

[…]

La nuit était tombée depuis longtemps en Mordor et quoique les orques étaient des êtres impitoyables, les esclaves pouvaient se reposer durant quelques heures. Ce n'était pas un acte de bonté de leur part. En fait, bien trop d'esclaves mouraient à l'ouvrage s'ils ne leur laissaient pas un peu de répit et les pertes devenaient bien trop grandes pour le travail qu'il y avait à faire aux champs. Entassés comme des animaux dans une vieille grange qui autrefois leur appartenait, hommes, femmes et enfants tentaient de trouver le sommeil. Lithariel se coucha directement sur le sol, posant sa tête sur son bras afin de ne pas avoir le visage directement dans la boue.

Marwen était allongée près d'elle, emmitoufler dans son vieux poncho légèrement troué. Son visage terne révélait l'épuisement dû aux travaux forcés dans les champs. Ayant eu autrefois la grâce d'une reine, ces souvenirs n'étaient aujourd'hui que de poussières.

Les orques claquèrent les portes puis des cris stridents se firent entendre suite à une courte conversation en langage noir. Ils s'éloignèrent en riant, faisant voleter la terre sous leur pas puis en quelques secondes les braillements s'éloignèrent.

- Lithariel, c'est bientôt la fin pour moi. Je le sens dit-elle d'une voix étranglée.

Le regard triste, elle observait sa mère sans dire un mot.

- Sauves-toi d'ici, sauve ta vie mon enfant. La mienne s'achève de toute manière. Va à la rencontre d'Elrond à Fondcombe, tu seras en sécurité avec lui. Il saura où trouver le Dúnedain.

Elle acquiesça d'un simple signe de la tête. Le regard de Lithariel se détacha de sa mère qui s'était endormie rapidement. Elle était tellement fatiguée elle aussi, mais elle devait rester éveillée. C'était ce soir qu'elle allait tenter de s'évader.

Cela faisait plus d'une heure qu'elle n'entendait plus un son autour d'elle. Elle tourna la tête une dernière fois dans la direction de Marwen avant de se redresser lentement. Lithariel se fraya difficilement un chemin à travers hommes, femmes et enfants étendus sur sol pour atteindre la grande porte de la grange. Sans un bruit, elle poussa lentement la porte laissant une fine lueur lunaire éclairer l'intérieur de la vieille bâtisse.

Une fois dehors elle prit la forme d'un grand loup aux yeux ambre. Elle leva le museau vers le ciel et ferma ses yeux. Le vent glissait doucement le long de son pelage gris, elle prit une grande bouffée d'air. Comme il était bon de retrouver cette facette d'elle-même. Du point de vue des hommes être un métamorphe était mal vu et c'est pourquoi elle ne se transformait que rarement au cours des années, gardant son secret bien enfoui. Fille de reine elle se devait de plaire à son peuple et révéler un tel pouvoir aux yeux de tous pouvait déclencher un soulèvement.

Lithariel scruta les environs. Les orques étaient bien tranquilles cette nuit-là. Tant mieux, cela lui permettrait de fuir plus aisément le Mordor.

[…]

Sa vision étant meilleure lorsqu'elle était sous forme de loup et elle n'avait pas de mal à s'aventurer dans la noirceur totale. Stratégiquement, il était plus avantageux de progresser en Mordor pendant la nuit comme c'est à ce moment qu'il faisait le plus sombre. Ainsi il était plus facile de ne pas se faire repérer par les soldats orques et gobelins. La couleur de son pelage offrait également un puissant avantage pour se camoufler dans les rocheuses et la terre du Mordor. L'adresse du loup était aussi un atout à ne pas négliger afin de sortir des terres du mal en vie.

Cela lui prit bien des nuits avant d'atteindre son but. La plupart des orques étant réunis à l'extrême nord du pays noir, Lithariel avait longé les monts de l'ombre jusqu'à Minas Morgul. Le chemin aura été assez facile jusque-là. Elle poursuivait son chemin en direction des monts cendrés, tout en longeant les montagnes qui traçaient les frontières du Mordor.

La louve était épuisée et n'avait mangé que très peu depuis plusieurs jours. Son pelage était terne et sale, enduit de poussière et de boue. Elle se rapprochait dangereusement de la porte noire et ceci étant son plus gros obstacle, elle ne cessait de réfléchir à la façon dont elle allait passer de l'autre côté.

Elle passa deux jours à se cacher dans les cratères et rochers du Mordor près de la porte noire. Lithariel observait les allez et venus de ses ennemis ainsi que des gardes sur les tours d'observation de chaque côté de l'immense barrage de fer. La porte s'ouvrait fréquemment pendant la journée mais la nuit elle restait close. Elle allait devoir traverser les frontières du Mordor pendant la journée et c'était un problème car elle ne pourrait passer inaperçue.

Cela faisait des heures qu'elle attendait le bon moment. Elle se préparait à courir car sa vie en dépendait. Armée de confiance la louve n'avait aucun doute quant à sa rapidité. Elle était tout de même nerveuse de foncer droit vers ses ennemis.

Des grondements se firent entendre au loin, ça y était, une légion d'orques arrivait en Mordor et la grande porte allait enfin s'ouvrir. Elle scruta l'immense structure de fer. Le cor des orques résonna en écho dans les monts cendrés annonçant la venue de leurs semblables. Lithariel était à une centaine de mètres des frontières, elle devait courir le plus rapidement qu'elle pouvait et tenter d'éviter les attaques de ses ennemis car dès qu'ils la verraient ils allaient certainement se ruer sur elle. Les battements de son coeur s'accéléraient alors que les bruits de pas grossiers se rapprochaient dangereusement. Des grincements se firent entendre suivi d'un bruit sourd.

La porte s'ouvrait.

Elle sentait la terre vibrer sur ses pattes, elle se rapprocha subtilement en se faufilant entre les rochers. Elle avait peur. Peur de ce qui allait arriver dans les prochaines minutes. Elle s'accroupit légèrement derrière le dernier rocher qui la sépare de la vaste plaine de sable qui menait à la porte. Prête à bondir, elle attendait que les orcs situés au dernier rang aient traversé le mur.

Lithariel bondit avec agilité puis entreprit sa course vers sa liberté. Cela ne prit que peu de temps avant qu'elle se fasse repérer déclenchant des cris au travers les rangs de ses ennemis. Tous se ruèrent vers la louve en poussant des hurlements. Elle esquiva une première flèche de justesse. Les archers sur les tours de garde avaient bandé leurs arcs en un rien de temps. La porte avait déjà commencé à se refermer. Si jamais elle n'arrivait pas à passer de l'autre côté c'était une mort certaine qui l'attendait. Les orques l'avaient rejoints et tentaient de l'atteindre avec leurs machettes mais la louve filait à toute allure. À bout de souffle elle tenta d'accélérer le rythme en esquivant ses ennemis.

Un sentiment de soulagement la traversa lorsqu'elle franchit la porte noire, se retrouvant dans une vaste plaine désertique. Elle de dirigea vers l'ouest, en direction du marais des morts. Elle n'osait même pas de retourner pour voir ce qui la poursuivait.

Soudainement, elle sentit une flèche pénétrer dans sa cuisse gauche et sa patte paralysa sous la douleur. La louve s'écrasa violemment contre le sol. Elle secoua la tête rapidement pour reprendre ses esprits puis jeta un oeil rapide à sa blessure.

C'était assez profond. Elle leva la tête et vit les orques se diriger vers elle, épée à la main. Lithariel se leva malgré la sensation de brulure que déclenchait la pointe de la flèche dans sa chair et reprit sa course en essayant d'éviter que sa blessure affecte trop sa démarche. Elle réussit tant bien que mal à distancer les serviteurs du mal. Plus elle s'éloignait du Mordor plus les cris stridents des gobelins étaient faibles.

Elle osa finalement regarder derrière puis son calvaire s'acheva quand elle constata que ses ennemis avaient rebroussé chemin, cessant de la poursuivre. Haletante, elle ralentit le pas pour tenter de reprendre son souffle, mais ne s'arrêta pas.

Ce n'est qu'au bout de plusieurs minutes qu'elle prit une pause. Retrouvant sa forme humaine, elle constata les dégâts sur sa cuisse. Elle empoigna la flèche avec ses deux mains et tira d'un coup sec pour la retirer de sa chair. Elle poussa un grognement de douleur puis elle expira lentement pour retrouver ses esprits. Elle ferma les yeux quelques secondes le temps de reprendre son souffle puis sans attendre elle reprit son chemin.

Étant plus vulnérable sous forme humaine, elle se changea en loup puis continua en direction ouest. Elle allait devoir longer le marais des morts et avec un peu de chance elle atteindrait l'Ithilien avant la tombée de la nuit.

[…]

Le ciel s'était couvert en milieu de journée et la pluie tombait encore à l'extrême-sud du Rhovanion. Lithariel venait tout juste d'atteindre le premier boisé de l'Ithilien alors que la journée tirait à sa fin. La louve était trempée et sa patte lui faisait horriblement mal. La peur l'envahissait petit à petit alors qu'elle s'affaiblissait à vue d'oeil. Elle devait atteindre Minas Tirith, en passant par Osgiliath, si elle voulait avoir une chance de survivre. Sa blessure était infectée, sa peau l'entourant était noircie et la douleur devenait insupportable. Au rythme où elle était encore capable d'avancer elle ne se rendrait jamais à la cité blanche avant plusieurs jours.

Seule, blessée et quasi sans défenses elle avait eu de la chance de ne pas croiser d'orques et de gobelins depuis sa fuite du Mordor.

Son estomac lui faisait mal tellement elle était affamée. Il commençait déjà à faire sombre dans les bois de l'Ithilien et c''était dans le silence que la louve était caché ederrière un buisson dans l'attente d'une proie. Elle scrutait les environs calmement mais elle avait un peu de mal à réguler sa respiration et ses sens étaient au ralenti dus à l'épuisement. Avec un peu de chance elle réussirait à attraper un petit gibier.

Prise par surprise, elle entendit des crépitements derrière elle et elle n'eut que le temps de faire volte-face avant de se retrouver avec une flèche pointée dans sa direction. Elle plaqua ses oreilles vers l'arrière contre sa nuque et elle s'aplatit au sol dans son élan de peur, se demandait si la fin était finalement arrivé pour elle.

Ayant bien trop peu de force pour se défendre, elle fixa longuement son assaillant sans bouger. Il était grand, vêtu d'une tunique aux couleurs de la forêt et s'échappait de ses cheveux d'un blond presque blanc deux oreilles pointues. C'était sans aucun doute un elfe. Devant sa réaction elle remarqua qu'il avait légèrement détendu son bras sans toutefois débander son arc. Elle glissa son regard vers la pointe de la flèche qui pourrait atterrir entre ses yeux à n'importe quel moment. Elle déglutit, puis soutint une nouvelle fois le regard de celui qui la menaçait.

Elle perçut quelque chose dans ses yeux, peut-être était-ce son air de chien battu qui lui donnait l'obligation de ressentir de la pitié à son égard mais cet elfe n'oserait pas lui faire de mal, c'est tout ce dont elle se souvenait avant de plonger dans une noirceur totale.

[…]