FRICTION (Imagine Dragons)

Sora

Lorsque j'ouvre les yeux le lendemain matin, je n'ai pas l'impression d'avoir dormi. Seuls des cauchemars en tout genre ont peuplé mon sommeil pas du tout réparateur. Je n'en ai presque aucun souvenir si ce n'est qu'à chaque fois, je me retrouvais pris au piège, à deux doigts de connaître une mort plus douloureuse que la précédente.

Je soupire et me lève avec difficulté. L'horloge indique dix heures du matin Nozomi est sans doute déjà partie au travail. J'y serai bien aussi, mais le Firefly est fermé aujourd'hui et la patronne m'a formellement interdit de venir l'aider à ranger le bazar que cette attaque de Vilain a provoqué.

« Tu as besoin de repos, Sora ! » m'a-t-elle dit de sa voix bourrue. « Si je te vois poser un pied ici demain, je te fiche moi-même dehors par la peau du cou, c'est clair ? »

Je n'ai pu qu'acquiescer. Narumi tient toujours parole, et je ne tiens pas à faire l'expérience de ses menaces… Un frisson me parcourt tandis que je quitte la chaleur de ma chambre pour me diriger d'un pas lent vers la salle de bain. Rien de tel qu'une bonne douche pour me revigorer ! Je laisse l'eau couler sur mes cheveux, mes épaules, mon dos et emporter avec elle toute ma fatigue. Un soupir franchit mes lèvres.

Je ne parviens pas à me détendre. À chaque fois que mes yeux se ferment, je sens le métal froid de l'arme de ce Vilain contre ma tempe. Mon cœur s'emballe et les visages paniqués de Sakuya et de la patronne submergent toutes mes pensées. Et si cet homme avait tiré ? Que se serait-il passé ? Je chasse immédiatement cette éventualité de mon esprit et sors de la douche. Ressasser les derniers événements ne sert à rien. Je suis en vie et c'est tout ce qui compte.

— Je suis en vie et c'est tout ce qui compte, répété-je à mon reflet, comme pour me convaincre.

Pourtant, le malaise que je ressens ne me quitte pas. Je vois dans mes propres yeux une ombre qui ne s'y trouvait pas hier. Je sens mes muscles se crisper inconsciemment et mes doigts s'agiter d'un léger tremblement imperceptible aux yeux d'autrui.

— Respire, Sora, murmuré-je.

Je suis habitué au danger et ce n'est pas un Vilain de pacotille qui prendra le dessus sur moi ! Je redresse la tête et affronte le regard de mon reflet. Je souris. Cette ombre inquiétante dans mes pupilles a disparu.

Je me sèche et m'habille d'un sweat-shirt et d'un pantalon de training pour rester à l'aise. Après tout, autant profiter de ce congé imprévu pour rester un peu chez moi ! Je descends dans la cuisine, me prépare une tasse de café et allume la télévision. Quelques chaînes parlent de la prise d'otage au Firefly ; je ne peux m'empêcher de regarder. Je n'écoute que d'une oreille les dires des journalistes, mais les images suffisent à me mettre mal à l'aise. Ce n'est rien de très grave à priori : quelques vitres cassées et la porte d'entrée enfoncée, mais je ne peux pas rester assis plus longtemps. Avec un soupir, je m'empare de la télécommande et éteins l'écran. Je laisse le silence s'installer le temps d'une seconde. Je dois trouver quelque chose pour occuper mon esprit et cesser de penser aux événements de la veille.

C'est avec cet objectif en tête que j'ai passé environ deux heures à faire le ménage dans l'appartement. Nozomi n'en croira pas ses yeux en rentrant. Il faut dire que je ne suis pas le premier à me ruer sur l'aspirateur… Le pire, c'est que j'aurais pu encore continuer pendant deux autres heures et prendre les poussières sur chacun de nos bibelots, mais mon estomac m'a rappelé à l'ordre alors que midi retentissait.

Contrairement à la matinée, l'après-midi a été dédiée à ma flemmardise. En bref, j'ai rien foutu à part jouer aux jeux vidéo. Affalé sur mon canapé, je me concentre pour abattre ce boss bien plus puissant que les précédents.

— Allez, allez, allez ! encouragé-je mon personnage.

Sans grand succès puisque l'écran devient noir, quelques instants plus tard, et affiche en lettres majuscules GAME OVER.

— Putain !

De toute façon, c'est qu'un jeu de merde. Je sais même plus pourquoi je l'ai acheté ni à quelle occasion. J'avise un moment la jaquette et fait la moue. Il est hors de question que j'abandonne face à ce stupide boss ! Sans attendre, je relance ma partie, mais trois coups à la porte d'entrée m'interrompent. Un coup d'œil à l'horloge du salon m'indique qu'il est trop tôt pour que Nozomi rentre déjà du travail.

Je grommelle et regarde par l'œilleton qui ose venir me déranger en pleine partie de Counter of Heroes : Revenge. Mon cœur rate un battement en apercevant mon visiteur. Fébrile, j'ai quelques difficultés à ouvrir la porte, mais je m'en fiche. Je la revois enfin !

— Jun ! Oh mon Dieu, je suis si content de te voir ! Ça fait des jours que j'essaye de te contacter !

— Je sais. Il faut qu'on parle, Sora. Je peux entrer ?

Son ton calme ne me trompe pas elle est anxieuse. Ses mains serrées et ses épaules crispées ne font que confirmer mes soupçons. Sans compter son « Il faut qu'on parle ». En général, et peu importe le contexte, cette phrase annonçait une mauvaise nouvelle.

— Oui, bien sûr, installe-toi, réponds-je en masquant mes inquiétudes. Tu veux quelque chose à boire ?

Alors que je me dirige vers la cuisine, Jun prend place dans le canapé où j'étais couché il y a quelques minutes.

— Non, non. J'en ai juste pour quelques minutes, ne t'en fais pas. Viens t'asseoir, c'est important.

— Jun, tu me fais peur là, ris-je en m'installant à ses côtés. Pourquoi t'es si sérieuse d'un coup ? On dirait que t'as vu un mort !

Son silence face à ma blague ne me rassure pas le moins du monde. Malgré mes tentatives pour détendre l'atmosphère, elle garde le regard rivé sur mon plancher. Je ne l'ai jamais vue dans cet état. Jun est une femme forte. Elle râle beaucoup, elle m'engueule aussi et parfois elle rigole, mais là… j'ai l'impression qu'elle est à deux doigts de fondre en larmes.

— Sora, je…

Elle s'arrête, hésite. Jun n'hésite pas d'ordinaire. Elle prend une décision et elle s'y tient. Je me rapproche d'elle sans oser la toucher.

— Jun, tout va bien ? demandé-je, inquiet. Dis-moi ce qu'il se passe.

Un léger soupir franchit ses lèvres. J'ai peur des prochains mots qu'elle va prononcer.

— Je vais aller droit au but. Il faut qu'on arrête nos… activités nocturnes.

Un coup de massue m'aurait moins surpris. Arrêter nos cambriolages ? Je ne peux même pas l'imaginer ! Je reste coi pendant ce qui me semble une éternité. La brutalité de son annonce m'a ébranlé plus que je ne voudrais l'admettre. Jun est ma meilleure amie et même si on est des hors-la-loi, perdre la seule activité qui nous unissait me bouleverse.

Néanmoins, le choc est bien vite remplacé par une frustration, une colère née de l'incompréhension. D'un bond je me relève et lui fait face.

— Quoi ! Mais, pourquoi ? Je te rappelle que tu as autant besoin de cet argent que moi, Jun !

— Justement, non, répond-elle d'une voix ferme. Ta sœur travaille à la police maintenant, Sora. Vous avez deux salaires ce qui devrait vous permettre de vivre décemment. Quant à moi… je me débrouillerai.

Mes poings se serrent. Elle se fout de ma gueule ?

— Tu te « débrouilleras » ? Jun, tu plaisantes ? Tu crois que ton salaire minuscule de mécano va payer les soins de ton père ? Ne sois pas ridicule ! Écoute, je ne sais pas ce qu'il te prend tout à coup, mais inutile de paniquer. Voilà des mois qu'ils nous recherchent sans avoir aucune piste et…

— La police est venue au garage ce matin.

Second coup de massue. Je me tais, figé et incrédule.

— Ta sœur était avec l'inspecteur, poursuit Jun. Ils ont interrogé les gars à mon propos. Ils leur ont dit que j'étais pas là aujourd'hui, que j'étais malade quelque chose du genre alors que je me planquais dans la réserve. J'ai tout entendu, Sora. Je suis leur principale suspecte.

Je ne sais pas quoi répondre. Si la police a pu remonter jusqu'à Jun d'une façon ou d'une autre, ce n'est qu'une question de temps avant que je sois soupçonné à mon tour. Pour la première fois depuis mes débuts en tant que Blackjack, je sens mon sang se glacer de peur.

— On est grave dans la merde.

Je suis dans la merde, Sora. Tant qu'ils ne découvrent pas notre lien, tu n'as pas à t'inquiéter. C'est pour ça que je voulais te prévenir. Ce soir, je quitte Musutafu.

Troisième coup de massue. J'ai l'impression qu'on s'acharne sur moi, que le destin a décidé de cesser d'être aussi clément à mon égard. Je recule d'un pas, déboussolé.

— Ce soir ? Mais… mais et ton père ?

— Il vient de décéder.

— Oh. Je suis désolé.

Je ne parviens même plus à penser correctement. Mon monde entier semble s'écrouler et je ne peux rien y faire. Jamais, je ne me suis senti aussi impuissant.

— Ne le sois pas. C'était un vrai connard, je m'occupais de lui pour me donner bonne conscience parce que toute ma famille l'a abandonné.

Elle marque un temps d'arrêt, se lève du canapé et s'approche de moi. En temps normal, j'aurais déjà blagué sur notre proximité, mais ici, rien n'a semblé vouloir sortir hors de ma bouche. Je me contente de l'observer, comme si je n'étais qu'un spectateur de ma propre vie.

— C'est ma dernière soirée ici, Sora, alors je voulais aussi te dire que…

Jun semble hésitante ses prunelles brillent d'une lueur incertaine. Soudain, elle se hisse à ma hauteur et pose ses lèvres sur ma joue. Je la regarde, surpris. Montrer un quelconque signe d'affection autre qu'une tape au sommet de mon crâne ne lui ressemble. Je sais qu'il n'y a rien de romantique derrière ce geste. Il ne marque pas l'amour, mais bien l'adieu.

— Tu vas me manquer, sombre idiot.

Sur ces mots, elle recule de quelques pas, m'offre un sourire et se dirige vers la porte d'entrée. Je reste abasourdi, mais je me reprends bien vite.

— Jun ! Attends ! m'exclamé-je. Tu… Tu n'es pas obligée de partir aussi vite ! On peut passer ces quelques heures ensemble !

— Ca ne ferait que te mettre en danger, Sora.

— Je prendrai le risque ! lui assuré-je.

Je ne peux pas, je ne veux pas la perdre. C'est trop brusque, trop soudain. Nous avons tant vécu avec Jun, je ne peux pas l'abandonner ! Pourtant, le visage tranquille qu'elle m'offre en retour suffit à remplacer n'importe quel mot. Elle ne veut pas de moi à ses côtés pour sa nouvelle vie.

— Je sais. T'as toujours aimé jouer avec le feu, Jack, répond-elle en appuyant sur mon pseudonyme. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Arrête-toi là ou tu risquerais de te brûler pour de bon

Jun me sourit une dernière fois avant de s'engouffrer dans la nuit de Musutafu. J'ai envie de la rattraper, de la convaincre de rester, de lui dire qu'on sera toujours nous deux contre le monde, mais je la connais. Elle ne m'écoutera pas.

Pourtant, je n'ai aucune envie de rentrer chez moi.

Sans hésiter plus longtemps, j'écris un mot à l'attention de Nozomi et enfourche mon vélo. J'ai besoin de prendre l'air. Sans Jun et son Alter, les vols s'avéreront beaucoup plus compliqués. Elle peut en effet scanner une structure et la reproduire en modèle réduit, ce qui est assez pratique pour observer l'agencement d'une banque. Le reste n'est dû qu'à une observation méticuleuse de notre part. Privé de ce pouvoir, je vais devoir cambrioler à l'aveuglette.

Je m'arrête près d'un parc et m'assieds sur un banc. Il faut que je prenne une décision.

Le Blackjack doit-il survivre à cette nuit ? Et surtout, suis-je prêt à affronter Nozomi sous son masque ?


Hello ! J'espère que vous avez apprécié ce 5ème chapitre ! Les choses s'accélèrent et c'est tout à fait normal, héhé ! Le chapitre 6 sera possiblement encore du pdv de Sora, j'espère que ça ne vous dérangera pas trop ! Quant à Hawks, on le revoit bientôt pas de panique !

Sur ce, n'hésitez pas à laisser une review comme d'habitude !

Lawkyrie, pour vous servir