Wolffy Harry !


Notes : petite fic que j'ai écrit il y a longtemps, et que j'ai décidé de poster devant le désert niveau français sur KKBB. Elle m'a été inspirée par mes vagues souvenirs du film Fluke. Pas de bêta sur celle-ci, n'hésitez pas à me signaler les fautes !


Hey…Salut toi. C'est sympa d'être resté après le générique. Si tu t'attendais à voir un bonus, t'as tapé dans le mile, parce qu'il m'est arrivé un tas de putain de trucs bizarres après les événements de Noël ! Pas que ces événements là étaient pas bizarres, c'était énorme, cette histoire avec la sœur d'Harmony, mais ça reste dans le domaine des machins…possibles. J'allais dire normaux, mais définitivement non, se prendre une balle et enquêter sur un vrai faux suicide c'est pas vraiment normal, dans le sens c'est pas le quotidien de tout le monde.

J'parie que toi t'as jamais eu à faire ça, hein, pas vrai ? Je m'en doutais. T'as pas une tête à ça. Une tête à emmerdes. Moi je l'ai, et le karma qui va avec. Pourtant j'étais bien parti, sérieusement me faire engager par Perry, c'était une bénédiction. Le boulot, ça tombe pas tout cuit (ou alors ça cache quelque chose) et j'avais eu assez avec le coup du cadavre, donc je me serais méfié de n'importe quelle autre proposition « trooop sympa ». Mais après c'qu'on venait de vivre ensemble, je savais que je pouvais avoir confiance en Perry. C'était un pote, un vrai de vrai, comme on en fait plus, le genre qui plonge dans le lac pour te sauver la peau si tu sais pas nager. Et bon sang…ouais il m'a bien aidé, quand CE truc m'est tombé dessus.

Je sais pas par où commencer, c'est tellement dingue que tu me croiras sans doute pas et je t'en voudrai pas. J'ai raconté beaucoup de bobards dans ma vie, mais celui-là, si c'en était un, ce serait le plus méga gonflé qui soit. Tout à commencé quand je suis mort…

Nan, bordel, je peux pas débuter par ça, tu vas rien piger. Merde, Harry, commence par le commencement, pas comme le vieux avec ses blagues à la con, qui s'arrête en plein milieu pour te donner le détail qu'il aurait dû te donner au début. Pense chronologigue, mon pote, en piste !

Voilà. Je bossais pour Perry donc, depuis un mois. Comme j'avais pas vraiment d'fric de côté, j'ai pas pu me prendre une chambre d'hôtel, et j'ai eu droit à la chambre d'amis chez mon super détective de patron. Télé, lit moelleux, douche, quelque chose de correct à bouffer tout les jours, c'était carrément sympa. J'appréciais vraiment le 4 étoiles domestique mis à ma disposition, et cerise sur le gâteau, je m'entendais mieux avec Perry que je l'aurais jamais pensé. Tu sais, je le voyais comme un super pote, sur qui tu peux compter mais peut-être pas avec qui tu partages plein de points communs. Après tout, j'avais pas eu énormément le temps de le connaître, une semaine, c'est genre, rien , et je pensais plus à Harmony et à sauver ma peau à ce moment-là qu'à lui demander quel genre de musique il écoutait ou s'il aimait regarder le foot à la télé (nan, j'aime pas ça, lui non plus).

Au fait, Harmony s'est tirée. Du genre, très loin, pour faire du ciné. Les adieux…ont été courts, genre : merci pour tout Harry, t'es un mec adorable Harry, au revoir pour toujours Harry. J'ai eu moins mal que je m'y attendais parce que dans le fond, je savais depuis le début que ça finirait comme ça. Puis tous ces changements m'ont occupé l'esprit et j'ai pu doucement faire une croix sur la fille de rêve qui s'était révélée ne pas être la perle rare.

Bref, en un mois de coloc avec Perry, y avait vraiment eu une super évolution et partir de l'appart me faisait un méchant pincement au cœur. Parce que bon, je pouvais pas crécher éternellement chez lui, quand même…Il avait déjà été sympa de me dépanner, mais on avait besoin d'intimité, tous les deux. J'me voyais mal ramener une fille dans son appartement. Et l'inverse…l'entendre baiser à deux pas de ma chambre, avec un type parfaitement inconnu au bataillon, vraiment, nope. Ca aurait été trop embarrassant. Le genre de choses qui met un froid au matin, quand t'es devant ta part de pizza et ton café, lui qui se demande si t'as entendu, et toi qui te demande s'il sait que t'as entendu : plombage d'ambiance dans les règles de l'art.

Donc pas de culcolocation. On pouvait pas tenir ça éternellement. Y a un moment, faut lâcher la pression, sinon tu deviens barge. Bon j'aurais pu tenir encore un moment, un mois, c'était pas la mer à boire, j'avais eu de longues périodes de célibat sans pour autant péter les plombs, mais Perry…Bah j'en savais rien. Je supposais qu'il était du genre chaud bouillant vu la discussion avec Dabney (tu sais, le mec qui m'avait découvert un 'talent d'acteur'). Dabney avait dit à Perry : « Dès que tu vois un gus à poil, ta cervelle te dis : je veux ça. »

J'évitais donc de sortir de la douche avec juste une serviette de bain. Pas qu'il y ait eu le moindre geste déplacé, hein, nan…J'lui faisais confiance, mais quand on attire la poisse comme moi, on évite de tenter l'diable.

Quand ce truc de malade m'est arrivé, je sortais de chez lui , ma valise sous l'bras, et me disant qu'après tout, je le verrais quand même tous les jours. Je me disais que de temps à autre, j'pourrais rester un peu après le boulot, qu'on puisse se voir un film comme on le faisait en soirée, et ce genre de choses. J'avais appelé un taxi, et il m'attendait à l'autre bout de la rue quand j'ai senti un truc dans mes jambes, quelque chose de petit mais de suffisant pour me faire perdre l'équilibre alors qu'une bagnole arrivait juste à ce moment.

J'étais en train de penser à mon déménagement et le dernier truc qui m'est venu en tête c'est « ah merde, j'ai oublié ma brosse à dents ». J'ai rien vu venir. Ni la voiture, ni les gens autour de moi, ni le ciel au dessus de ma tête, rien de rien, juste du noir. J'aurais essayé d'regarder un type déguisé en Dark Vador sans le sabre laser recouvert de cirage dans un tunnel aux loupiotes pétées, ça aurait été du pareil au même.

Et puis j'me suis réveillé. La tête dans le cul, un putain de mal de crâne, et ce son abominable dans les oreilles…Les sirènes de l'ambulance. Comme si on mes les avait fourrées directement à l'intérieur des feuilles de choux. Woaaawoaaaawoaaa. A devenir dingue…Je voyais trouble. Rien de bien distinct, et cette odeur de sang…du sang et plein d'autres choses. L'odeur des gens…du parfum…l'asphalte…l'after-shave de Perry…hey Perry !

Je commence à y voir plus clair, et là, le choc. Je me vois. Moi, à quelques mètres de moi…Ca n'a aucune putain de logique, mais pourtant, je vois Harry, enfin mon bon dieu de corps étalé sur la chaussée et recouvert de sang. Tellement au niveau de ma jambe que j'regarde pas trop, je flippe qu'elle soit séparée du reste, et je veux pas voir ça. C'est menu ketchup niveau d'ma tête aussi, et Perry… Perry, il a l'air encore plus mal que moi, si c'est possible. Il me tient dans ses bras et…oh merde, il pleure et m'appelle avec toutes sortes de mots fleuris, mais je suis juste pas foutu de lui répondre.

― Harry bordel, dis-moi quelque chose…crétin d'New-Yorkais…

Les infirmiers m'embarquent et Perry suit. Enfin il suit mon corps, parce que moi, je suis toujours là. Je regarde la flaque de sang en me demandant pourquoi y a pas de…Je sais pas, de lumière blanche, si je suis mort ? Je vois mes voisins et j'essaye de suivre la conversation, et là je constate que, merde, ils en savent plus sur ce qui m'est arrivé que moi. L'un d'eux à tout vu. C'est une saloperie de cabot qui m'a fait tomber. J'ai reçu un fameux coup à la tête et à la jambe. Le conducteur de la voiture est interrogé par les flics un peu plus loin, mais à première vue, il n'a rien à se reprocher. C'était juste un accident, comme il en arrive tous les jours, sauf que cette fois c'est tombé sur ma pomme.

En tout cas, c'est drôlement étrange de mourir, on perçoit les choses autrement…les odeurs surtout. J'ai l'impression de sentir la bouffe chinoise alors que le resto est à trois ou quatre rues de notre building, et puis…j'ai faim ? Les mouvements des gens paraissent bizarres…Y a comme une ombre qui vient vers moi.

― Dégage de là, sale cabot, t'en as assez fait comme ça !

Il a un grain celui-là. Je regarde à droite et à gauche, mais je vois aucun chien, il a dû se tirer après m'avoir rentré dedans, Médor.

― Tire-toi !

Aoutch ! Bordel, il m'a filé un coup de pied cet enfoiré ! S'en prendre à un mort, il devrait avoir honte, et puis ça fait mal bordel ! Ça…Ça fait mal ? Je baisse les yeux et là, je crois que je vais m'évanouir. Je voix deux petites pattes brunes. Les miennes ! Les miennes, putain de bordel de merde !

Je me tire aussi vite que je peux sur ces fameuses petites pattes, courtes qui plus est, et je me réfugie dans une ruelle qui donne sur mon immeuble. Et puis je m'observe…enfin comme je peux. J'ai les poils courts, de longues oreilles. J'ai juste envie de crier un bon coup et de me réveiller, mais tout ce qui sort, c'est un aboiement. Mon dieu, je suis un putain de clébard ! Je me demande un moment si on n'a pas fait l'échange, comme dans un mauvais film, et que mon autre moi est en train de lever la patte sur une porte d'hôpital, mais je suppose que c'est peu probable.

Alors où est l'esprit ou…l'âme, je ne sais pas comment appeler ça , de Wolffy ? Je crois qu'elle est toujours là, avec l'instinct et les trucs de chien qui vont avec. Chien, meilleur ami de l'homme…au point de partager son corps avec lui en cas de pépin ? C'est gros comme une maison d'éléphant ça. Rose, l'éléphant. Et mon pote Wolffy m'indique là qu'on crève de faim. Pauvre bestiole, chien errant sans aucun doute, m'enfin, j'ai quand même encore une dent contre lui pour m'avoir précipité dans cette situation complètement hallucinante. Pour me rassurer, je me dis que je rêve, que j'fais un mauvais trip du aux médocs, que c'est le choc de l'accident…Je vais me réveiller de ce cauchemar d'un moment à un autre. Mais en attendant de quitter le pays des merveilles, je fouille la ruelle, truffe en avant, pour récupérer de quoi bouffer. Manquerait plus que je meure une seconde fois !

Bon. Nous avons un conflit d'intérêt. La ruelle est vide de chez vide, et mon instinct de toutou me dit d'aller chercher à manger plus loin, mais ce qui me reste de lucidité humaine me dit de surveiller l'entrée de l'immeuble pour voir Perry revenir de l'hôpital. Je résiste…je résiste…je rrr….non je dois pas roupiller ! Peut-être que mon coloc va rester à mon chevet toute la nuit ? C'est difficile d'évaluer le temps qui passe quand on n'a pas de montre, et j'ai l'impression que ça fait des heures que j'attends là, au point que je me demande si je n'ai pas juste fermé l'œil quelques instants, juste quand Perry rentrait, et que je l'ai définitivement raté.

Il y a un moyen tout simple pour s'assurer de ça. Je sors de ma retraite et cherche après la voiture de mon pote, mais je ne la trouve nulle part où il a l'habitude de la garer. Je reconnais la voiture de ma voisine de palier, sous laquelle se trouve un ennemi à poils longs. Ma partie 'chien', ou l'esprit de 'Wolffy' (il faut bien que je lui donne un petit nom, mh ?) me dit de me méfier, le souvenir d'une méchante griffure me revenant en mémoire. Mais l'envie de lui courir après n'en est pas moins forte…Mais je risque de m'éloigner, encore, et je ne peux pas me le permettre.

Et même si je parviens à capter l'attention de Perry à son retour, je n'ai aucune certitude de pouvoir me faire comprendre. Tout ce que je suis capable de dire c'est « waouff », et aux dernières nouvelles, mon coloc préféré ne cause pas le Canidus Harrys. J'ai beau cogiter, je ne vois aucun moyen de lui faire piger ce qui m'arrive sans entrer dans l'immeuble, où, mieux encore, dans l'appart.

Ah oui, devine quoi ? Histoire de pimenter un peu le jeu, comme si je n'étais pas suffisamment dans la mouise je me rappelle un fait essentiel : Perry n'aime pas les chiens. Ça date de l'enfance, récit classique, il s'est fait mordre (et arbore encore une belle cicatrice sur le flanc, j'ai pu la voir quand lui sortait de sa douche, d'où ces confidences sur sa phobie). Depuis, il ne peut plus voir un clebs en peinture, mais j'espère au moins une chose : qu'il ne me fuira pas. Avec ma petite taille, je me doute que je ne suis pas un berger allemand ou un labrador, même si je ne sais pas exactement quelle est ma race, alors je ne devrais pas trop l'impressionner.

Ca y est, il est là ! J'entends le ronron de la bagnole (ah , s'il pouvait écraser le chat griffeur !) et je l'attend, tranquillement assit sur le trottoir devant l'immeuble. Quand il sort, il est blanc comme un mort saupoudré de sucre glace et tellement décalqué qu'il passe à côté de moi sans me voir. Ça ne peut pas se passer comme ça, alors je tente un timide « ahhhu » qui lui fait faire un bond de puce sur le côté. On dirait qu'il a vu un serpent à sonnettes, et je m'en sens presque vexé. Et plus encore quand il recule à chaque fois que j'avance.

― Vas t'en ! Rentre chez toi, sale bête…

Ah, petit comique. C'est précisément ce que je veux faire, rentrer chez moi ! Enfin chez lui, mais c'est du détail…C'était encore mon chez moi il y a de ça quelques heures. Je sens que ce n'est pas en lui faisant les yeux doux que j'obtiendrais quelque chose, alors je décide de la jouer fine. Je fais le brave toutou, remue un peu la queue pour faire bonne figure (toi là, qui souris derrière ton écran, si tu trouves ça drôle…) et m'assied à nouveau. A moitié rassuré, Perry me regarde du coin de l'œil tout en ouvrant la porte et là, je fonce. Je cours vite, sacrément plus vite qu'avec mes pattes humaines, je peux te le dire, et je suis à l'intérieur en moins de temps qu'il ne faut pour dire waouff.

Je dérape un peu, me retournant dans la manœuvre, et je parviens à trouver deux points positifs dans ma situation. Un, il n'y a personne d'autre que moi et Perry dans le hall. Deux, il n'est pas interdit d'avoir des animaux dans l'immeuble.

― Ksss, ksss, tu peux pas rester là…allez, dehors…

Perry fait mine de repartir m'ouvrir la porte mais je me mets dans le passage, lui montrant mes nouvelles quenottes pointues au passage, mais sans grogner. Je pense qu'en fait, ça doit être encore plus flippant…Mais j'obtiens ce que je veux, il recule vers l'ascenseur, ouvre rapidement la porte, mais n'ose pas m'empêcher d'entrer dans la cabine avec lui en me repoussant du pied. Trop peur du machouillage de jambon soudain. Il est coincé, mais il n'ose pas appuyer sur le bouton, car ça voudrait dire se retrouver seul avec moi dans un espace clos.

Je pense qu'on est dans une impasse, quand arrive madame Brown. Chère vieille femme, merveilleuse voisine, toujours serviable mais surtout, amoureuse de toutes les bêtes du bon dieu, si vous voyez ce que je veux dire…

― Oh, quel adorable petit chien monsieur Van Shryke…

― Ce n'est pas le mien…C'est un chien errant, il est entré quand j'ai ouvert la porte…si vous pourriez m'aider…

― Oh voyons, il ne peut pas rester dehors par ce temps. Qui va venir avec madame Brown, mmh… ?

Je me dis un instant que c'est un bon plan, de me faire gâter chez mémé. J'aurais à manger, je pourrais me reposer, mais après ? Je ne suis pas sûr de pouvoir ressortir de chez elle autrement qu'en laisse, elle voudra m'emmener chez le véto, me faire castrer ou d'autres horreurs, va savoir ? Finalement, elle me parait beaucoup, beaucoup moins sympathique, mais je suppose qu'elle peut m'être utile. J'ai un plan…Je ne suis pas certain du résultat, mais qui ne tente rien n'a rien, et bon dieu, qu'est-ce que je risque, au point où j'en suis ?

Je trottine vers Perry qui se plaque contre le mur du fond, tandis que mémé fait monter l'ascenseur, et je lui lèche le bout des doigts comme le bon toutou fidèle. Perry relève sa main comme si je l'avais mordu et me regarde comme le diable incarné, mais je me frotte contre ses jambes, avant de m'asseoir littéralement entre elles. Je sens qu'il flippe méchamment, et je suis un peu désolé de lui faire subir ça, mais seulement un peu, parce que eh, est-ce que j'ai le choix ?

Dès que la porte de l'ascenseur s'ouvre, j'enclenche la phase 2 du plan, courant dans le couloir et me levant sur mes deux pattes de temps en temps pour voir les numéros, avant de m'arrêter devant la porte de Perry et de l'y attendre comme si c'était une habitude. Je vois à la tête de madame Brown que je suis un putain de génie. Elle tire la gueule, mamie, et fait un tas de reproches à Perry sur sa façon de traiter son animal de compagnie, comme il devrait avoir honte d'essayer de se débarrasser de moi comme ça, et qu'elle tiendra ça à l'œil. Pauvre, pauvre, pauvre Perry. Il se défend comme il peut mais il se fait écraser. Mamie SPA c'est une warrior, une vraie. Touche à une écaille de tortue et elle te colle un procès.

Elle finit néanmoins par rentrer chez elle, mais seulement une fois que mon coloc m'a ouvert la porte. Si je m'en sors, madame Brown, je paierais les croquettes pour vos bestioles pendant six mois au moins !

Le plus dur à gérer est passé, parce que bien sûr, l'instinct à Wolffy avait une forte envie de croquer un type dégageant une telle odeur de flippe, mais il était tout embrouillé par mes souvenirs à moi, mes sentiments envers Perry étant des plus positifs. Maintenant, ça va mieux…L'odeur de la curiosité, parce qu'elle en a une, vient doucement recouvrir celle de la trouille.

― T'es un drôle de cabot…

Je regarde Perry dans les yeux, espérant qu'une sorte de déclic va se produire, mais il a juste l'air un peu mal à l'aise.

- Tu veux bouffer j'suppose ?

Waouff positif. Je me dirige vers le frigo et gratte à la porte, avant de regarder Perry à nouveau. Clairement, c'est pas un comportement normal pour un chien qui n'est pas habitué à l'appart, ça devrait lui faire tilt ! Mais non, il sort un reste de lasagne comme si de rien n'était, et me le pose à côté d'un grand bol d'eau. Je bois d'abord, me rendant compte que je crève de soif, puis renifle la lasagne froide. Ça à l'air bon, je sais que c'est bon, et que je devrais pas faire de chichi, mais mon moi humain déteste que ce soit froid. Je me déplace le long de la cuisine puis me lève sur mes deux pattes au niveau du micro-onde. Il lève un sourcil si haut que ça me fait marrer, j'adore cette expression chez lui, et je ne sais pas ce qu'un sourire donne sur ma bouille de chien, mais ça ne doit pas être encourageant parce que Perry recule un chouia, encore.

Je m'aplatis sur le sol alors, les pattes par-dessus la truffe.

― T'es quoi, une espèce de chien de cirque… ? Dire que c'est à cause d'un chien que…

Le regard de Perry se fait plus sombre, plus menaçant. Je chouine à la façon canine, espérant l'attendrir…Oh allé, quoi, Perry…tu ne ferais pas de mal à un tout petit, tout petit minuscule chien ? Sa colère à l'air de retomber, et il fait une petite moue qui m'fend le cœur.

― Oh après tout, même si c'était toi…c'est pas ta faute…

Il se laisse tomber sur une chaise, et se prend la tête dans les mains. Il accuse le coup, mon coloc…Je savais qu'il m'aimait bien, mais je pensais pas qu'il tenait autant que ça à son pote New-Yorkais. C'est le genre de découverte qui te fait plaisir tout en te rendant triste, un sacré bordel dans ma tête.

― Et voilà que je parle à un chien.

Je m'approche doucement et me lève sur mes petites pattes pour venir poser ma tête sur ses genoux. Il me regarde d'un drôle d'air puis finalement, il avance une main doucement. C'que j'aimerais lui faire un vrai câlin à cet instant, le prendre dans mes bras, lui dire que tout ira bien, alors qu'au fond, j'ai moi aussi vraiment vraiment la trouille, mais tout ce que je peux faire, c'est pousser ma tête sous sa main d'un air encourageant.

― Là, gentil…

Mouais, une phobie, ça disparaît pas comme ça, mais je considère que le fait qu'il me gratouille derrière les oreilles est un fait encourageant. Il se relève ensuite, et met ma lasagne au micro-onde. Je profite des quelques minutes nécessaires pour réchauffer le tout pour aller renifler un peu les meubles du salon et chercher quelque chose qui pourrait me permettre de me faire comprendre, mais tout ce qui m'intéresse se trouve haut, hors de ma portée.

Le plat de lasagne est au sol avant que j'ai pu trouver une solution et je laisse tomber les recherches pour manger. Que dire…C'est bon, mais c'est pas pareil qu'avant. J'avais l'impression de sentir plus de goûts différents en tant que moi-même, humain, en tout cas, et je me dis que ça doit être pour ça que les chiens avalent un peu tout et n'importe quoi. Après ça, j'ai envie de dormir, mais je me force à rester éveiller encore, parce que je ne sais pas combien de temps il me reste pour me sortir de cette situation. Perry pourrait se débarrasser de moi, enfin du moi-chien dès le lendemain, et ce soir, ce soir est peut-être le dernier moment que j'ai pour me faire reconnaître comme Harry.

Je réfléchis à quelque chose qui ne devrait laisser aucun doute à Perry, quelque chose qu'aucune foutue bestiole à quatre pattes ne pourrait faire. L'idée me vient quelques instants plus tard.

Quand j'ai emménagé chez le plus grand détective de LA, il a eu l'idée d'immortaliser le moment. Cette photo se trouve sur son bureau, près du pc, inaccessible à première vue, mais je tente le coup quand même. Je prends mon élan et je bondis vers la chaise de bureau, j'ai les pattes sur le coussin, j'y suis preeeeesque…Je glisse…et je retombe sur le sol.

Perry s'est allongé sur le canapé entre temps, l'air complètement vanné, et je comprends que pour cette nuit, c'est cuit. Je trottine jusqu'à lui et le regarde dormir un moment, avant de sauter dans le canapé qui lui, est à ma hauteur, et de me coucher à ses pieds. Je dors bien, et, contrairement à ce qu'on lit habituellement dans les histoires, quand je me réveille, je me souviens parfaitement bien de la merde dans laquelle je me trouve jusqu'aux oreilles.

On est samedi heureusement, et Perry ne doit pas partir bosser, je vais donc peut-être pouvoir le convaincre de ne pas me mettre à la porte où d'appeler un quelconque refuge où je finirais dans une cage, entouré de vétos sadiques et d'inconnus. Je frotte ma truffe humide dans son cou et il finit par ronchonner et s'étirer. Il a l'air encore dans le cake, et son froncement de sourcils signifiant sans doute « qu'est-ce que CA fait chez moi ? » est si adorable que j'en profite un peu, passant ma langue sur sa joue. Haleine de lasagne de la veille, fraîche attitude bonjour.

― Je savais que j'aurais du te flanquer dehors de suite…

Le ton est gentil cependant, et il me gratouille à nouveau derrière les oreilles. Je suppose qu'il va se lever, déjeuner, quelque chose comme ça, mais la première chose qu'il fait c'est téléphoner à l'hôpital pour avoir de mes nouvelles. J'écoute plus qu'attentivement, et je n'ai aucun mal à saisir tout ce que dis le médecin à l'autre bout du fil, grâce à mon ouïe de super-chien, même si Perry n'a pas mit le haut parleur. Je suis dans le coma…Je n'ai pas de dégâts neuroquelquechose graves, ils m'ont remit du sang, et m'ont plâtré après avoir remit les choses en place parce que j'avais l'os qui faisait coucou à l'extérieur de la guibole, et en somme, j'irais presque bien si seulement je me réveillais. Je suis drôlement soulagé…

Bon ok, c'est pas la gloire, mais au moins, le puzzle est complet, ça pissait juste le sang à cause de la fracture, pas parce que ma jambe avait foutu le camp en laissant mon corps derrière elle. On demande à Perry s'il a le numéro de téléphone de mes proches, la famille quoi, mais il répond négativement. Mon téléphone est tombé de ma poche au moment de l'accident, et il a été réduit en purée électronique. Du coup, ils vont entamer des recherches. Perry pose encore quelque question, sur les horaires de visite, des banalités du style, mais je note qu'il n'a pas demandé quelles chances j'avais de m'en tirer. Trop peur d'entendre la réponse ?

Je lui refais une bibise mouillé sur le nez cette fois, même si je me doute que ça ne le consolera pas vraiment. D'abord, c'est l'intention qui compte. La réaction m'étonne plus que jamais. Il me prend contre lui et renifle. Oh non Perry, pleure pas…C'est juste quelques larmes, mais ça me rend putain de triste, et puis c'est juste trop bizarre de voir son patron chialer. C'est genre, un dur, un vrai, alors que mon sort le touche à ce point, ça me fait tout chose. Il finit par se lever, en me tenant toujours dans ses bras, et là, je saute sur l'occasion !

Je saute tout court d'ailleurs, quand il passe près du bureau, et j'atterris pile dessus cette fois. Je pousse le cadre photo avec mon nez, enfin ma truffe, bref, z'avez pigé, le faisant tomber vers l'arrière, la photo vers le haut donc. Ensuite, je pose la patte sur ma trogne figée sous le verre. Là. C'est moi, bordel, je peux pas faire plus clair que ça.

Mais Perry est un peu sous le choc de la nouvelle alors, même s'il est étonné, il ne prête pas plus attention que ça à cet étrange comportement. Il tend la main pour récupérer le cadre, mais je garde bien la patte dessus. J'en rajoute une couche en pleurnichant à la façon chien malheureux et il me gratouille à nouveau les oreilles.

― Qu'est-ce que tu as… ?

Il s'assied sur la chaise de bureau et me regarde, l'air curieux, se demandant sûrement à qui appartient ce drôle de chien.

― Harry saurait…Il aime bien les bestioles. Il va nourrir ceux d'la vieille quand elle s'absente une journée…il…

Je sens qu'il va dire un truc important, mais qu'en même temps, qu'il doit se sentir idiot de parler à un chien, alors je penche un peu la tête sur le côté, avec cette mine curieuse qui fait craquer la plupart des gens.

― C'est un crétin…

Merde. Perry, c'est pas sympa, je croyais que tu me trouvais cool ? Enfin, juste un peu ?

― Le plus adorable crétin qui soit…hétéro, qui plus est. Peut-être qu'il ne voudra plus m'voir mais si jamais il s'en sort…J'lui dirais. Je l'aime, mon coloc maladroit, tu saisis ça le chien ?

J'en reste comme deux ronds de flanc. Perry amoureux, hey ?! Et de moi ? C'est…c'est du délire. C'est…mignon ? Je sais pas…

Amoureux ou pas de toute façon, faut que je lui fasse piger que le brave toutou là, c'est moi, pour le moment, c'est ça l'urgence. Je lève une patte, puis l'autre, je me met debout, je colle la truffe sur la photo, mais nope, ça fait pas tilt.

― Pas un chien errant mmh… ? Je vais finir par penser que t'es vraiment un chien de cirque…

Je chope un gros marqueur dans le pot à crayons sur le bureau, le fourre entre mes pattes et retire le capuchon avec les dents. Là, Perry commence à me regarder bizarre, parce qu'il voit bien que je le mâchouille pas, son marqueur.

― Et quoi, tu vas écrire avec maintenant peut-être… ?

J'aboie une fois. Oui, grand futé, je vais écrire, si tu me donnes une bon dieu de feuille ! C'est quand même pas si compliqué…Sérieusement, si dans deux minutes il se décide pas, j'écris sur la table. Au diable les règles de bonne tenue de l'appart.

J'obtiens cette fois un regard franchement soupçonneux et Perry prend une feuille de l'imprimante pour me la donner avec l'expression type de quelqu'un qui se dit que A) c'est pas possible B) qu'il est complètement stupide de faire ça, et que C) c'est quand même pas possible.

Je pose les pattes sur la feuille pour qu'elle ne bouge pas trop et je m'applique, tenant le marqueur dans ma gueule. Mes mots sont ponctués de quelques virgulations baveuses, c'est pas droit, et à peine lisible, mais l'essentiel y est :

― Je...suis…Harry .

Perry se passe la main sur le visage, genre, woaw, je savais que j'aurais pas du reporter ce rendez-vous chez l'oculiste. Comme tout les gens confrontés à une situation totalement dingue, il essaye de penser rationnel, et j'peux presque voir ses p'tits neurones chauffer alors qu'il réfléchit. Je pourrais être vraiment un chien de cirque, et mon ancien proprio aurait pu m'appeler Harry, et puis…m'apprendre à écrire ? Oh ! Perry, ça tient pas cette hypothèse, réveille-toi mec !

― Harry… ?

J'aboie encore un petit coup. Donner de la voix, c'est peut-être la solution. Je vois qu'il est encore en mode auto-persuasion, tout ça est parfaitemeeeeent normal, mais que vérifier ne peut pas faire de tort. Après tout, il est seul, personne ne saurait jamais qu'il a soupçonné un chien d'être son coloc renversé par une bagnole la veille.

― Si tu es Harry…pose ta patte droite sur mon épaule gauche.

Quoa ? La quelle patte sur…ok ok, c'est bon, je fais ça. Il sourit.

― Tu t'es trompé de côté.

Ok, problème de direction, ça prouve que c'est bien moi. Mais une preuve, ça suffit pas, c'est encore trop dingue pour qu'il y croie à fond.

― Oui pour cette patte…Non pour celle-ci.

Il me touche la gauche puis la droite, ou l'inverse, merde, on s'en tape.

― Tu es…

Il cherche ses mots, secoue un peu la tête. Je comprends ça mon pote, t'en fais pas, prends tout ton temps, assimile bien la chose.

― Tu es devenu un…chien après l'accident ?

*oui*

― Tu sais pour le coma et…ton état…

*oui*

― T'as entendu au téléphone.

*oui*

― Ok…t'as une idée de comment c'est arrivé ? Comment revenir…dans ton corps ?

Cette fois je lève l'autre patte.

*non*

― Bon…t'en fais pas, on trouvera une solution…Mh. T'as entendu aussi quand j'disais…

Papatte gauche. Et comment que j'ai entendu que t'en pinces pour moi, détective Van Shryke.

― T'es en rogne… ?

Eh ? Pourquoi je le serais ? Je penche un peu la tête sur le côté.

*non*

― Ok…on parlera de ça quand tu seras de retour. Va falloir que tu me donnes plus de détails sur ce qui c'est passé, faut…qu'on trouve un autre moyen de parler. Attends…

Oh, je risque pas de ficher le camp. Je me couche sur le bureau et regarde Perry faire je ne sais quoi sur l'ordinateur. J'suis incapable de distinguer autre chose que des formes floues sur l'écran alors je laisse tomber. L'imprimante crache quelques feuilles que mon humain préféré rassemble et colle entre elles avec des petits bouts de scotchs, avant de passer le tout dans notre grande plastifieuse. Le chef d'œuvre ressort brillant et tout chaud, et Perry l'installe sur le sol.

Il s'attend sûrement à ce que je descende de mon perchoir, mais c'est drôlement haut, et sauter sur la chaise de bureaux à roulettes, ça m'inspire pas confiance…

― D'accord, j'arrive…

Mon brave Perry. C'est pour ce genre de choses que je suis content de ne pas être un Saint-bernard. Je retrouve le sol et l'alphabet géant imprimé et je commence directement à l'utiliser. Je n'ai qu'à désigner les lettres de la patte et Perry à les recopier sur un carnet de note. Il a même pensé à faire une « touche espace » .

Bon, autant te dire que le blabla, je l'ai sacrément abrégé. Langage sms et phrases mini, parce que désigner chaque lettre avec mes p'tites pattes, c'était fatiguant. Mais pour pas t'irriter la rétine, mon brave petit spectateur, je vais tout retranscrire bien comme il faut. Merci qui ?

― Ok…C'est complètement dingue, mais soit. Allons-y…Ce n'est possible que…tu te sois réincarné en clébard, pas vrai ? T'es pas…mort.

Bravo la logique, Sherlock. Et puis je suis pas bouddhiste.

― Donc…ton…esprit…âme ? est passée dans le corps de ce clébard qui a provoqué l'accident…

Vous vous en doutez, Perry, l'est du genre terre à terre, l'est tout ce qu'il y a de plus athée, et toutes ces histoires d'esprit en balade, ça doit lui retourner le ciboulot.

― Ok, ok, on va dire que tout ça est parfaitement normal. Pensons logique.

C'est précisément c'que j'disais, enfin ce à quoi j'réfléchissais. Va-y, Perry, tu sais bien que c'est pas moi la tête pensante de notre duo, si tu trouves pas la solution, tu risques de ne plus jamais le revoir en chair et en os humains, ton coloc.

― Ce qui a provoqué la…sortie de ton esprit, c'est l'accident. Le choc, le fait d'être proche de la mort. Donc, à priori, la solution me parait évidente…

Je penche la tête, ne le suivant clairement pas, et il me fait ce regard par en dessous qui signifie « Réfléchis, gros crétin, c'est l'évidence même ». Alors je commence à deviner ce qu'il a dans la tête, et ça me plaît genre pas, mais alors pas du tout. Je résume ma pensée en deux mots, pattes sur mon clavier imprimé :

― T'es dingues !

― Tu vois une autre solution ? Harry, je sais comment t'es. Tu penses que ce clébard à pas mérité ça, mais c'est à cause de lui qu'on est dans cette putain de situation. Oublie un peu d'être gentil, oh, c'est pas le refuge de Mère Theresa ici.

Il me claque des doigts sous la truffe mais les éloigne très vite quand j'émets un son bas et contrarié, ce qui ne l'empêche pas de continuer à me faire la leçon.

― On s'en cogne de Lassie, on sort, je le pousse sous une bagnole, sa petite âme de clebs s'en va pour le paradis des chiens et toi, retour à la case départ.

― J'crois pas que ce soit une bonne idée. Et pas que parce que j'ai une certaine sympathie pour Wolffy.

― Tu lui as donné un nom… ?

― Eh ba quoi, fallait bien qu'on communique, lui et moi…Il a fait la boulette, mais il a essayé de réparer tu sais…Partager son corps, c'était plutôt sympa de sa part. Il doit être un peu comme moi, mauvais karma, tout ça…

― Harry, on cause d'un chien là. Oh et puis merde, peu importe, donne moi juste les raisons pour lesquelles ce ne serait pas une bonne idée de faire un Wolffycide ?

― Déjà, il est toujours là. Rien dit qu'il se laissera faire. Il pourrait te mordre…Prendre le contrôle, se casser en courant, et alors, tu pourrais ne pas le…nous retrouver.

― Comment ça se fait que ce soit toi qui aies le contrôle, d'ailleurs ?

― Aucune idée. Intelligence supérieure peut-être ? Souris pas comme ça, tu veux.

― Mmmh mmh. D'autres raisons ?

― Oui. Rien ne dit que ça va marcher. Là, si heu…mon esprit est pas parti, c'est parce que j'ai été rattrapé par le chien, peut-être… ? J'avoue que j'en ai aucun souvenir. Mais si c'est le cas, là, si Wolffy y passe, ptet que pssschuit, direction la lumière mon pote. Sacré risque. Et puis imagine que ça marche, que je me retrouve « dehors », et que je puisse pas arriver jusqu'à l'hosto ? J'crois qu'il faudrait que je sois juste à côté de mon corps pour que ça puisse se faire. Enfin, c'est juste des suppositions.

― Ouais. Bien entendu, ça pouvait pas être aussi simple. Reste plus qu'une chose à faire, approfondir le sujet.

Excellente idée. Peut-être que je suis pas le seul pauvre gars malchanceux à qui ce genre de tuile est arrivée. Mais en attendant de creuser plus profond, quelque chose d'autre me préoccupe vraiment. Urgemment même.

― Perry ? j'dois pisser, là.

Il lève les yeux au ciel puis se lève et…m'ouvre la fenêtre. Ok, les plantes en pot du balcon, pourquoi pas…

― Pas les géraniums, hein, Harry.

Les quoi ? J'y connais rien en horticolerie moi. Je laisse Wolffy faire son choix en espérant ne pas avoir fait de sacrilèges sur les précieuses de Perry. Il a choisi un genre de palmier miniature alors j'pense que c'est bon, ma petite peau de…tiens au fait, je ne sais toujours pas de quelle race je suis, moi. Mais bref, ma p'tite peau de chien est sauve, et je rejoins le salon où mon coloc en train de s'user les yeux sur le pc.

Il à l'air bien occupé alors je vais dans sa chambre, y a un grand miroir en pied dans un recoin, et je peux enfin voir à quoi je ressemble. P'tites pattes, long corps, longue truffe, un air un peu idiot et de grand yeux bruns, je suis un foutu teckel à poils courts. Brun. C'est pas vraiment flatteur, mais après tout, c'est pas une réincarnation. C'pas vraiment moi, juste le corps à Wolffy, et c'est pas de sa faute non plus, mais quand même, j'aurais préféré…je sais pas, un doberman, un berger allemand, un chien qui a de la gueule quoi. C'est vrai, je ne suis pas certain de pouvoir redevenir moi un jour. Perry pourrait ne pas trouver de solution. Bon on a du temps devant nous. L'hosto doit contacter ma mère, le temps qu'elle se déplace, tout ça…C'est pas demain qu'on va décider de débrancher toute la tuyauterie qui doit me maintenir en vie, mais quand même, j'ai aucune certitude.

Si une fois que le temps est écoulé, mon corps à moi meurt, j'vais rester coincé pour toujours et j'aurais même pas la consolation de pouvoir foutre la trouille aux voisins en leur aboyant dessus. J'pourrais plus jamais parler avec Perry avec des mots, des vrais, avec un accent New-Yorkais, ni me marrer avec lui, m'endormir sur son épaule devant un film après avoir vidé son paquet de chips en plus du mien, lui faire avoir c'regard qui veut dire « t'es un bon gars, Harry » quand j'réussis à conclure une enquête, tout ça…Ce sera fini. Et je ne sais pas ce que je deviendrais, alors.

Oh, pas que je ne fais pas confiance à Perry. Il saura la vérité, et je sais qu'il me gardera auprès de lui, le temps de ma petite vie de cabot, mais il continuera à vivre la sienne. Je ne pourrais pas vraiment lui en vouloir, mais il finira par se trouver un mec, que je pourrais pas piffrer parce qu'il prendra ma putain de place dans le canapé, et aura droit à tous les sourires. Je lui mettrais les chevilles en charpie, à ce squatteur, il s'engueulera avec Perry à propos de cette sale bête qui mord, et si Perry en pince vraiment pour lui, peut-être qu'il verra bien plus dans ce fichu teckel 'Wolffy' que 'Harry'…

Il se dira qu'il débloque, qu'il a rêvé, que son ancien gentil coloc est mort dans un accident de la route et qu'il faut qu'il arrête de reporter son affection sur un clebs qui ruine sa vie amoureuse. Et alors…Adieu, Harry.

Oh non, putain, rien que d'y penser ça me déprime. Je veux redevenir moi, là, tout de suite bordel. Je file au salon, m'asseoir près de mon super coloc qui n'a pas bougé.

― Qu'est-ce que tu as… ?

Il est fort. Vraiment très très fort, c'est un truc type de détective, savoir comment sont les gens en quelques regards, et une fois qu'on les connaît bien, savoir directement quand ça va pas. Je me dirige vers mon clavier perso et je désigne les lettres l'une après l'autre.

― J'ai la trouille, Perry.

― Je sais…

Il se passe la main sur le visage, et c'est évident qu'il l'a, lui aussi. Mais il se reprend vite. Il veut me rassurer, ne pas me montrer qu'il est complètement dépassé par les événements, et qu'il a drôlement peur lui aussi. Il parvient même à me faire un sourire que quelqu'un d'autre que moi trouverait assuré, avant de m'indiquer ses genoux avec les mains. J'me fais pas prier pour y monter d'un saut gracieux (mais si, puisque je te le dis). Le type qui devrait figurer en haut de la liste du meilleur coloc tend la main vers une chaise sur le côté où est posée une couverture, l'attrape, et m'enroule dedans avant d'me serrer contre lui. C'est que du bonheur, ça, c'est tout doux, et ça sent…mouais ba Perry, ça me parait normal…et puis autre chose…J'arrive pas à mettre le doigt dessus, alors j'renifle le tissu, la truffe sous le menton de mon Sherlock moderne. Ça y est je sais ! Je me sens moi, enfin mon odeur d'Harry humain. J'en conclus que Perry devait m'la mettre sur les épaules quand j'm'endormais devant la télé. Ehé, c'est qu'il en pince vraiment pour moi…

Il me gratouille les oreilles et j'le regarde longuement dans les yeux, mais il n'a plus cet air mal à l'aise signifiant « quoi, le clébard ? » maintenant.

― Harry…

Je t'écoute mon grand. Attentivement.

― Je te promets pas de te sortir de là…J'ai jamais été confronté à…ce genre de choses.

Ça je sais. Y a marqué détective privé sur sa carte, pas exorciste/ spécialiste des phénomènes surnaturels/ et encore moins prêtre.

― Mais je te jure que je ferais tout pour qu'tu redeviennes toi-même.

J'mets une des mes pattes sur son épaule et pose ma p'tite truffe humide contre son nez. Il referme les siennes (plutôt modèles ours, lui) sur mes oreilles, me faisant baisser la tête pour m'embrasser un peu au dessus des yeux.

― Harry…

Je la sens bien venir la déclaration là. Il m'en a déjà fais une, mais indirecte, et j'avoue que ça me fait sacrément quelque chose qu'il s'apprête à m'en refaire une vraie de vraie là…

Putain, fais chier ! Toi aussi, tu le sentais venir, hein, le coup de la déclaration interrompue ? C'est d'un cliché, c'est d'un banal, mais pourtant, c'est ce qui arrive, quelqu'un est en train d'appuyer son gros doigt d'empêcheur de tourner en rond sur la sonnette.

Je soupire un max, parie que Perry va me reposer au sol, mais non, il me garde dans ses bras et se lève avec moi. Il s'en va ouvrir, comme ça, sans gêne…Ca va faire chien à son maîmaître. Et maître gaga de son animal à quatre pattes, ça fait…

― Ça fera encore un peu plus gay, comme ça.

Il me fait un petit clin d'œil à défaut de notre geste habituel de compréhension mutuelle, il a les mains occupées, et j'aboie en accord. Il ne se saisit même plus, maintenant qu'il sait que c'est moi le locataire de tout ces poils et de ces dents pointues. Bon, Wolffy est toujours là, mais c'est une bonne bête, et je crois qu'il aime bien Perry aussi. Sa p'tite cervelle de chien lui a pas permis de piger qu'il pensait à le pousser sous une bagnole, ce qui est une sacrée bonne chose, et Perry doit avoir l'air d'un maître idéal, tu penses…Y laisse pisser sur le palmier et il donne de la lasagne à la place des croquettes. Même possibilité de pioncer sur le canapé, c'est la vie de rêve pour mon pauvre pote poilu qui crevait la dalle et se caillait les billes, avant.

― Madame Brown…

Perry fait son plus beau sourire faux-cul, le genre prince charmant qui ferait craquer n'importe quelle belle-mère, parce qu'il a toujours à l'esprit que la veille, il faisait genre de pas le connaître, ce chien. Et que la voisine, si elle est vieille, n'a pas encore le citron comme un gruyère.

― Monsieur Van Shryke…Je vois que vous avez l'intention de prendre vos responsabilités…

― Oh, mais je vous assure, il s'agit d'un malentendu…C'est le chien de mon colocataire. Vous savez, Harry…Il l'avait emmené une seule fois, sachant que…je ne voulais pas d'animaux dans l'appartement. C'est une amie à lui qui le gardait en attendant qu'il déménage. Et avec l'accident…je…

N'avais pas fais le lien ? Ne l'avais pas reconnu ? Oh, bravo Perry, ça c'est de l'excuse brillante, bien joué ! Et bobonne culpabilise de t'avoir rappelé ces horribles événements.

- Ohhh je suis désolée…

Elle prend de mes nouvelles, mémé SPA, compatis beaucoup très fort à la douleur de mon Perry, puis se demande à voix haute, en me gratouillant la tête :

― Mais tout de même, comment est-ce qu'il est arrivé ici, s'il était chez une amie de Harry… ?

― Elle est passée le lui rendre à la sortie de l'immeuble, je suppose…Puis elle a du partir et c'est arrivé peu après.

― Et il n'a pas de laisse ? Pas de collier ?

Je sens que mon sagace Perry s'agace.

― De toute évidence non. Harry…il était…est…un peu tête en l'air…

Va y Perry, joue le mec bouleversé, et débarrasse-toi de la vioque !

― Oh heu oui, c'est un gentil garçon…je vous ai apporté ceci. J'ai pensé que ça pourrait vous être utile, enfin…en attendant qu'on vienne chercher le chien je suppose…

― Harr…Wolffy reste avec moi. C'est ce qu'Harry voudrait.

― Oh, fort bien…

C'est bon, elle est contente, la vieille à chats, et elle retourne à ses précieuses bestioles, rassurée sur mon avenir. Ah ouais, elle a laissé un paquet aussi. Perry le récupère et s'installe avec sur le canapé, tandis que je suis assis sur ses genoux. Le sac de madame Brown, on dirait celui de Mary Poppins, plus t'en tires dehors, plus y en a. Des os, des croquettes, des jouets, une baballe…Elle avait peur que j'manque de tout, faut croire, pourtant, j'suis loin d'être maltraité.

Tiens y a même un bol pour les frolics. Je hausserais un sourcil si j'pouvais, parce que Perry remplit la gamelle. Il doit savoir ce que j'en pense, parce qu'il dit aussitôt :

― Eh ba quoi ? Tu as un corps de chien, alors la nourriture de chien devrait convenir.

Je tourne la tête, un brin vexé.

― Essaye, au moins…

Moui. Après tout, pourquoi pas ? Je renifle, ça sent pas grand-chose. Le goût est pas si mal, mais c'est à des années lumières de la lasagne ou de la bouffe que fait un certain détective privé de chez privé. Mon regard doit exprimer tout ça parce que Perry finit par clore la discussion :

― Très bien, j'te ferais à manger.

Oh Perry, là c'est moi suis prêt à te faire une déclaration. Mais comme je peux pas, je m'en vais l'exprimer en geste, une bibise baveuse au bout de ses doigts. Il fait un peu la moue quand même, mais comme c'est moi, il ne dit rien mais ne se laisse pas faire pour autant. Il me gratouille le dos et s'essuie la main au passage, l'saligaud. Et avec un sourire en coin par-dessus l'marché.

― Bon, j'vais prendre une douche. Reste sage, « Wolffy ».

Et il continue de se foutre de ma gueule…Ca va s'payer tout ça. Si j'étais dans mon corps, j'pourrais lui faire une petite plaisanterie, mais je peux pas…Et je m'ennuie. Y a rien à faire quand on est un chien et qu'il n'y a pas d'autres chiens ou humains à proximité, à par roupiller. C'est loooong…Il est tombé dedans, ou quoi ? J'vais voir tiens, ça m'occupera.