— Can you tell me what is happening in the text ? demanda Yaoyorozu

Sonia… herm… the character does her homework when the phone rings because her sister wants to talk about her trip in London.

Is doing.

— Quoi ?

— « Is doing her homework », not « does »

Is doing her homework, répéta Sero.

— Mais sinon, c'est bien.

Enfin, tout cela commençait à prendre sens. Sero n'aurait pas parié qu'il retiendrait ne serait-ce que la moitié de tout ce qu'il avait appris une fois les examens passés. Cela n'avait que peu d'importance. A quoi lui serviraient les équations polynomiales ou l'histoire de Tokyo au XVIIIe siècle quand il serait devenu un héros professionnel ? Mais pour l'instant, pas le choix, il fallait jouer le jeu. Et puis, les quelques informations qu'il parviendrait à conserver ne pourraient pas lui faire de mal.

Depuis plusieurs jours, Sero passait tout son temps à réviser. En apprenant sa situation, les deux délégués lui avaient préparé un programme intensif, qui ne lui laissait que peu de temps pour le reste. Les rares moments où il pouvait s'aérer un peu étaient dédiés à l'entraînement physique qui, selon Iida, ne pouvait aller que de paire avec un entrainement cérébral. Sero, qui avait toujours détesté les sports d'endurance, se retrouva plus d'une fois à prier le ciel de lui accorder dix minutes de plus de course autour du terrain, ne serait-ce que pour échapper à une nouvelle session géographie.

D'autres élèves s'étaient petit à petit joint à eux, et ils étaient à présent cinq à profiter de l'emploi du temps préparé par les premiers de la classe.

— Bon, dit Uraraka en consultant son planning. On continue les langues pendant encore une demi-heure, on va faire trois quarts d'heure de musculation, on mange et cet après-midi, on attaque directement sur le japonais.

De tous ceux qui l'avaient rejoint, Uravity était de loin la plus motivée. Comme Kirishima, ses résultats académiques avaient chuté en même temps que sa popularité avait grimpé. Au cours de l'année, elle avait participé à plusieurs missions de sauvetage très médiatisées et son avenir en tant qu'héroïne s'en trouvait presque garanti. Ce n'était pas pour autant qu'elle se résignait à descendre toujours plus bas dans le classement.

— On va y arriver, ajouta-t-elle, confiante.

Sero hocha la tête. Il ne doutait plus qu'il décrocherait de meilleurs résultats, cette fois. Il ne se faisait pas d'illusions, jamais il ne se classerait dans les meilleurs mais au moins, il pourrait remonter d'une place ou deux.

Alors qu'il s'apprétait à se lancer dans une série d'exercices écrits de son côté, son portable vibra. Il venait de reçevoir un message de la part de Old Spirit.

Est-ce que tu pourras passer me voir au bureau, cet après-midi ? Je voudrais discuter de deux trois petites choses.

Elle y avait accolé une adresse non loin de Yuei. A pied, Sero calcula qu'il en aurait pour une trentaine de minutes environ. Selon ce dont elle devait lui parler, il serait occupé une heure ou deux, ce qui faisait jusqu'à trois heures en tout. Voilà qui le ralentirait considérablement dans ses révisions. Mais d'un autre côté, se dit-il, autant aller la voir au plus vite et être fixé.

Bien sûr, je viens dès que j'ai terminé ma séance de révisions.

Yaoyorozu ne lui en tint pas rigueur. Elle avait déjà beaucoup à faire entre les autres et ses propres lacunes, et ils savaient aussi bien l'un que l'autre que le japonais était le point fort de Sero. S'il devait lever le pied sur une matière, autant que ce soit celle-là.

Finalement, il choisit de prendre le bus. Le déjeuner s'était éternisé, si bien que lorsqu'il quitta l'enceinte de l'école, il était déjà plus de treize heures trente. Old Spirit l'attendait devant la porte quand il arriva. Blitz Fire et elle avaient choisi un bureau au premier étage, juste au-dessus d'un salon de thé traditionnel. D'un geste de la main, elle l'invita à la suivre et s'engagea dans un escalier encombré de débris.

— On fait quelques travaux d'agrandissement pour la porte d'entrée, expliqua-t-elle, et il a fallu qu'on casse le mur. C'est encore un peu le bazar, ça va prendre plus de temps que prévu. Pour l'escalier, par contre, on pourra rien faire.

Elle pointa la paroi de béton qui donnait sur le commerce au rez-de-chaussée. Évidemment, ce n'était pas un bon point. Autant des personnes à la carrure normale pourraient sans souci arriver jusqu'en haut, autant ce serait une autre histoire pour quiconque était un peu plus grand ou large que la moyenne. Sero imagina FatGum essayer de s'y engouffrer et fut tout de suite pris d'une bouffée de claustrophobie.

— Après toi, dit Old Spirit une fois qu'ils furent arrivés en haut.

Le bureau en lui-même avait meilleure mine que l'entrée. Le plancher sombre fraîchement posé et les murs couleur sable conféraient à l'ensemble une ambiance calme, loin du lino froid et de la lumière au néon que Sero avait vu lors de ses différents stages. Même si en tant que héros de terrain, il voulait passer le moins de temps possible assis devant un écran, il savait que le quartier général d'une telle entreprise était essentiel pour la communication. Ce serait dans ces locaux qu'ils recevraient les journalistes mais aussi les clients en quête d'aide ou de protection. C'était une qustion d'image. Et Dieu savait à quel point Old Spirit et Blitz Fire allaient devoir se montrer attentives à leur image.

Les meubles étaient encore tous recouverts d'une épaisse bâche de plastique translucide, qui laissait tout de même apparaître un choix de mobilier simple mais raffiné. Sero tenta de s'imaginer le tout en activité et se demanda si un jour, ces lieux deviendraient pour lui aussi familiers que les dortoirs de Yuei.

— Je te fais faire un tour du propriétaire ?

— Avec plaisir.

Ils passèrent rapidement en revue toutes les pièces. En plus du bureau principal, il y avait une salle de pause, avec un micro-ondes, un frigidaire et une bouilloire encore entreposés dans leurs cartons, un coin sanitaire équipé d'une douche, un grand débarras destiné à ranger le matériel et un vestiaire.

— On doit encore revoir certaines parties du câblage électrique et changer les conduites d'eau parce que tout était abandonné depuis des années, mais on pense ouvrir courant juillet. Si tout se passait bien, je pourrais même parier sur juin.

Sero acquiesça, absorbant toutes ces informations. Rien ne lui semblait encore réel, il lui faudrait encore un peu de temps pour s'y faire. De toute façon, rien n'était encore joué. Il n'était pour l'instant question que d'un stage sur toute la longueur de sa troisième année, ce qui, sans être négligeable, ne l'engageait à rien.

— Et si je te payais un thé ? demanda soudain Old Spirit en se tournant vers la sortie. Je te prive de précieuses heures de révisions, c'est le moins que je puisse faire.

Ils descendirent vers le salon juste en-dessous, où une jeune femme les accueillit avec un sourire doux. Toute la boutique respirait le Japon traditionnel et il flottait dans l'air un parfum de haricots rouges sucrés.

Ils prirent place à une table près de la vitrine et Old Spirit sortit tout de suite de son sac un petit paquet de documents.

— Vous ne vouliez pas seulement me faire faire une visite des locaux, pas vrai ?

Le regard que lui lança Old Spirit suffit à le renseigner. La joie et la légèreté dont elle avait fait preuve jusqu'ici s'effacèrent pour laisser de nouveau place au professionnalisme froid que Sero avait toujours connu.

— Dis-moi, est-ce que les noms de Mizushima Yoshiro et Nishimura Jûro te disent quelque chose ?

— Absolument pas. Pourquoi ?

— Parce que ce sont deux élèves de Yuei. Et ils faisaient partie du groupe qui a voulu s'en prendre à toi.

Voilà qui ne l'étonnait que plus ou moins. Il était vite apparu, quand ils avaient arrêtés la bande, que seulement une poignée d'entre eux apparatenaient au lycée K. Il ne faisait plus aucun doute que la plupart d'entre eux avaient intégré la bande plus tard et venaient d'autres écoles, mais que Yuei fasse partie du lot, voilà quelque chose que Sero n'avait pas envisagé.

La lumière se fit dans son esprit quand Old Spirit sortit les photos des deux garçons en question. Sero mit plusieurs secondes à les reconnaître, tant parce que leurs visages étaient des plus ordinaires que parce que cet épisode était classé depuis longtemps dans sa tête, mais il était sûr et certain qu'il s'agissait d'eux. Les deux élèves de fillière générale qui lui avaient cherché des problèmes dans la file d'attente du self.

— Le lieutenant Tsukauchi m'a fait parvenir certains de leurs résultats. D'après leurs historiques de navigation, ils ont pas mal fréquenté des forums militants, dont Héros de Valeur.

Sero frissonna en entendant ce nom. De tous les groupes qui s'étaient formés autour de l'idéologie de Stain, celui-ci était le plus extrémiste et le plus nauséabond. Si certains avaient adhéré à ses idées de façon plus modérée et en avaient profité pour mettre au jour les pratiques douteuses, fraudes fiscales et autres malversations de héros qu'on croyait jusque-là irréprochables, l'approche de Héros de Valeur était plus radicale. En somme, tout héros qui n'était pas un homme, japonais de pure souche, shintoïste et hétérosexuel représentait pour eux une décadence immonde qui prouvait le déclin inéluctable de la société toute entière.

— On en sait encore trop rien, mais c'est très possible que ce soit eux qui ont obtenu ton numéro pour mettre ce traquenard en place. Pour l'instant, on pense qu'ils sont les seuls de Yuei à être impliqués, mais à partir de maintenant, il va falloir que tu sois vraiment très prudent.

Cette pensée ne le quitta pas jusqu'au soir. Il réussit à mettre ses ruminations de côté pendant quelques instants, au détour d'une équation particulièrement retorse mais ne parvint pas à se concentrer de tout le reste de l'après-midi. Chaque claquement de porte, chaque éclat de voix au loin lui rappelait qu'il n'était vraiment en sécurité nulle part.

Il retrouva peu à peu le calme après le dîner, quand il monta dans sa chambre accompagné de Shouji. Installé dans le hamac, il rattrapait son retard sur les lectures obligatoires du semestre, tandis que Shouji, en tailleur sur le lit, relisait le dernier chapitre du programme d'histoire. L'embarras des premières minutes, de se retrouver seuls dans un contexte aussi intime s'envola vite et Sero savoura ce sentiment de familiarité et de bien-être, qui lui avaient tant manqué ces derniers temps.

— Eh, demanda-t-il au détour d'une page, tu sais comment ça se lit, ça ?

Il était tombé sur un kanji qu'il ne connaissait pas encore et rien dans le contexte ne semblait l'aiguiller vers une définition ou une autre. Shouji, du bout d'un de ses bras, lut et relut encore la phrase.

— Aucune idée. Ça doit avoir quelque chose à voir avec une rivière, vu qu'ils parlent du fleuve Liao, un peu plus haut, mais sinon…

— Bon, je vais chercher sur Internet.

A peine eut-il saisi son portable qu'il reçut un message de Kirishima.

Dis, je peux te demander un service ? (ノ)'ω`(ヾ)

Mina ?

Mais non, idiot, c'est moi !

Sero fixa son portable, incrédule. Si Kirishima commençait à utiliser ce genre de smileys, cela ne pouvait vouloir dire qu'une chose : la fin du monde était proche.

Qu'est-ce qui se passe ?

Tu promets de rien dire à personne ?

Décidement, tout cela devenait de plus en plus étrange. Qu'est-ce qui pouvait être aussi terrible pour que Kirishima hésite à ce point, lui qui fonçait en toute occasion.

Bien sûr, comme toujours

La réponse mit du temps à venir. Les trois points dansaient sur l'écran, s'arrêtaient, reprenaient de nouveau, au point que Sero commença vraiment à s'inquiéter.

Est-ce que tu as des préservatifs ? J'ose pas demander à Kaminari et je sais que Katsuki, c'est mort…

Seul l'étonnement empêcha Sero d'éclater de rire dans l'instant. S'il avait su que ses deux amis en étaient déjà là de leur relation…

Oui, je crois que j'ai gardé ceux de la journée prévention, je te les amène si tu veux.

Je vais monter les chercher, t'embête pas. Merci, en tout cas. Merci merci merci merci merci

S'ensuivait une quinzaine d'emoji en position de prière. Sero étouffa un ricanement, s'étira puis s'extirpa du hamac pour se diriger vers son bureau. Comme il l'avait prévu, il trouva ce qu'il cherchait dans un tiroir, entre deux dépliants sur les dangers de l'alcool. Il prit l'emballage brillant entre ses doigts et l'observa sous toutes les coutures. Ces machins avaient une date de péremption, non ? Est-ce qu'ils seraient encore efficaces après six mois laissés à l'abandon ?

— Hanta ?

Sero tourna la tête et vit son petit ami se redresser d'un coup, le teint d'un rouge soutenu. Il l'observa un instant, perplexe, puis reporta son attention vers ce qu'il tenait dans la main. Ah oui… il venait de comprendre le malentendu. La chaleur ne tarda pas à lui monter au visage.

— Ah, euh, non… balbutia-t-il. Je… euh… non, c'est pas du tout, enfin je veux dire…

Trois coups frappés à la porte sonnèrent la délivrance. Sero s'y jeta et invita Kirishima à entrer.

— Oh, euh, non, ça ira, merci. Tu as… euh…

Sero songea qu'ils devaient avoir une allure étrange, tous trois écarlates et balbutiants comme ils étaient. Les deux préservatifs passèrent dans les mains de leur nouveau propriétaire avec un tel souci de discrétion que si Todoroki passait par là, il penserait probablement à un deal de drogue.

— Super, tu me sauves la vie.

Il s'enfuit sans demander son reste, laissant les deux autres seuls. D'un pas lent, Sero vint s'asseoir sur le bord du lit et au bout de longues, longues secondes d'un silence total, explosa de rire. Il fut vite imité par Shouji et ne se calma qu'une fois saisi de points de côté.

— Oh mon Dieu, souffla-t-il encore ricanant, les larmes aux yeux, tu aurais dû voir ta tête…

— Ça m'a vraiment fait drôle. Je me suis dit : « Ah mais c'est qu'il brûle un peu les étapes, quand même ».

Ils se remirent à rire et petit à petit, Sero se retrouva allongé sur le lit à son tour. Shouji l'attira à lui et le couvrit de ses bras. Il baissa son masque et déposa un baiser au creux de sa tempe.

— On a le temps pour penser à ça.

— Oh oui.

Enfin, le jour tant attendu des résultats était arrivé. Malgré la confiance qu'il avait affichée pendant toute la période de révisions, Sero n'avait pas pu fermer l'œil de la nuit. Il se voyait déjà vingt-et-unième sur vingt-et-un, condamné à passer un an à Hibishô, loin de tout ce qu'il connaissait, loin de la ville, loin de ses amis, loin de Shouji.

Il se trouvait dans un tel état de fatigue quand sept heures sonnèrent qu'il finit par se mettre en retard. Chaque geste lui prenait deux fois plus de temps que d'habitude, en partie parce que les épreuves physiques l'avaient laissé pétri de courbatures et d'un bleu conséquent juste au-dessus du genou, mais aussi parce qu'il voulait profiter de ce qui seraient peut-être ses derniers moments dans le dortoir qu'il considérait désormais comme son foyer.

Les élèves s'étaient massés dans les couloirs, en quête de leur place sur le tableau. Sero dut se frayer un chemin à travers cette marée humaine, au milieu des cris de joie et des soupirs de déception.

Enfin, quand il arriva devant le tableau de la classe 2-A, tous ses camarades se tournèrent vers lui, silencieux. Il ne parvint pas à déchiffrer leur expression et s'avança vers eux. Il partit du résultat le plus élevé pour ensuite redescendre. Sans grande surprise, le haut du classement était occupé par Iida et Yaoyorozu. Shinsou suivait, pour son premier examen officiel en tant qu'élève de la filière héroïque. Plus bas, Midoriya et Bakugou ne se trouvaient qu'à un point d'écart l'un de l'autre, suivis immédiatement par Todoroki et Tsuyu. Venaient ensuite Jirou, Ojiro et Kouda. Le milieu de la classe était tenu par Shouji, qui parvenait enfin à dépasser Mineta. Il se plaçait lui-même au-dessus de Uraraka, et le douzième était Sato. Venait en treizième…

Lui.

Sero dut relire plusieurs fois pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Il sentit sa respiration s'accélerer puis se couper, puis s'accélerer de nouveau. Ses jambes arrivaient tant bien que mal à le maintenir debout, mais il se sentait sur le point de défaillir à tout instant. Il l'avait fait, il était treizième. Il avait réussi.

Une main se posa sur son épaule. Celle de Shouji. Sans hésitation, il se retourna et se jeta dans ses bras.

Le soulagement lui faisait tourner la tête. Je vais rester, je vais rester, se répétait-il en boucle, pour enfin réussir à y croire. Autour de lui, il entendaient des « Félicitations » et des « Bien joué, mec ! », sentait des mains passées dans son dos et qui lui ébouriffaient les cheveux.

Il songea qu'il devrait appeler ses parents dans la journée, pour leur annoncer la bonne nouvelle. Mais pour l'instant, il avait mieux à faire.

Il devait commencer à vivre.