Vendredi soir, 23h37

Emma n'avait jamais été une personne très tactile. Elle n'avait jamais été le genre de personnes à enlacer ses amies ou donner des câlins à tout va. Son espace personnel et son intimité étaient des éléments sacrés qu'elle ne laissait pas à la merci de n'importe qui. C'était d'ailleurs un avantage de son métier. Tous les échanges avec ses clients étaient formels, et la plupart se faisaient même derrière des barrières en plexiglass, dans des centres pénitentiaires. Aucun risque, donc, que quiconque n'envahisse sa bulle.

Néanmoins, elle se passa de commentaire lorsqu'elle fut violemment plaquée contre un mur, dos à son assaillant. Deux mains cabossées vinrent se poser sur sa cheville gauche, palpant son jeans avec vigueur, avant de remonter lentement le long de sa jambe. Elle aurait rêvé de donner un coup de pied à l'homme qui la touchait, mais se retenait autant qu'elle le pouvait. Elle n'avait pas manqué de remarquer le Glock 17 que portait son acolyte dans son dos. Elle tâcha donc de rester silencieuse, et occupa son esprit à autre chose. Pour se divertir, elle essayait d'imaginer ce qu'il se passait dans un certain bar, à quelques rues de là.

23h38

Regina fit un nouveau tour sur le poteau, et croisa le regard d'un homme d'une quarantaine d'années assis à la table la plus proche de la scène. Elle ramena son attention vers le bar, en essayant de ne pas songer à la nuit qui l'attendait, et frémit lorsque Seth lui fit signe de le rejoindre. Elle finit son mouvement lascif, adressa un clin d'œil complice au quadragénaire, et rejoint son patron en toute hâte.

« Ivy m'a dit que tu prenais ses conneries ! » éructa l'ancien policier à son escorte.

« Qu'est-ce qu'elle t'a dit au juste ? » répliqua la brunette.

« Qu'on t'avait proposé de la came et que tu l'avais prise ! C'est vrai ? »

Il croisa les bras sur sa poitrine pendant que Graham lui servait un verre de scotch. Instinctivement, le proxénète tendit le verre à la jeune femme.

« T'as jamais dit que c'était interdit… » hésita l'étudiante, craignant des représailles suite à son aveu. « J'en prenais au début, puis j'ai arrêté… Mais l'autre soir avec le truc des enchères…

-Je me contrefous de ce que tu prends ! » rétorqua l'homme. « Ton client a passé la meilleure soirée de sa vie et il veut revenir. Apparemment tu l'as vraiiiiment épuisé… » Il adressa un sourire malicieux à la brunette qui retint un haut le cœur en songeant à la fameuse nuit dont elle n'avait, en fait, presqu'aucun souvenir. Elle haussa les épaules, indiquant qu'elle ne saisissait pas où il voulait en venir.

« Ben ça te motive peut être pas, mais au moins ça plait aux clients. Alors si t'en as besoin d'autres, viens me voir. Je me ferai un plaisir de te fournir !

-Et si ça me tente pas de m'auto-droguer pour passer de meilleures soirées ?
-J'sais pas, tu peux aussi demander aux amis de ta mère ce qu'ils en pensent, non ? »

Le regard de Seth se fit perçant et Regina ne put s'empêcher de déglutir. Elle prit une longue gorgée de son verre et acquiesça lentement. Le proxénète ne suggérait pas les choses, il les ordonnait. Et la portoricaine comprit qu'elle n'aurait plus vraiment de mot à dire sur sa consommation, à moins de garantir une satisfaction totale à tous ses clients. En un sens, elle n'était pas sûre de ce qu'elle préférait. Alors qu'elle rejoignait la scène d'une démarche qu'elle voulut enjouée, elle se demanda comment elle parviendrait à avouer à Emma que la situation était bel et bien désespérée…

23h46

« Enlève ta veste, et file moi ton téléphone, » ordonna l'homme à l'intention de la blonde. Emma s'exécuta en silence, se demandant combien de temps cette fouille allait prendre. Elle n'avait pas prévu de passer la soirée dans ce bar. Le criminel se saisit de son smartphone et l'éteignit rapidement avant de le placer dans sa poche. Il accrocha la veste sur un manteau dans l'entrée, et poussa l'avocate dans le dos pour qu'elle avance. Elle n'était jamais venue dans ce bar qui était ouvert depuis quelques mois, et se demandait pourquoi ils avaient changé leurs habitudes. Toutefois, elle songea que ça ne la concernait pas et qu'après tout, elle n'était pas là pour se renseigner sur les occupations du crime organisé.

23h51

« T'es en retard, » maugréa un quinquagénaire très imposant en adressant un signe de tête à l'avocate. Il devait faire presque deux mètres de haut et avait l'allure d'un lutteur professionnel. Même si elle ne le craignait pas, Emma était toujours impressionnée par la prestance de l'homme. Il portait un costume cravate bleu marine, et ses cheveux courts étaient soigneusement peignés. Sa barbe était fraichement taillée, et on y devinait quelques poils gris disparates, signe que l'homme n'était plus aussi jeune.

« Tu diras ça à tes boys ! » répliqua la blonde. « Même dans les aéroports ils sont plus rapides pour te fouiller…

-On est jamais trop prudents, » éructa le mafieux en finissant son verre de ce qui semblait être du whisky. « Qu'est ce que tu veux ? »

Ils étaient assis sur une des banquettes au fond du bar, et Emma se doutait qu'il s'agissait de la table habituelle de l'homme. Sur la scène au fond, plusieurs danseuses se déhanchaient, et s'accrochaient à de hautes barres en métal. L'avocate frissonna en pensant à la brunette, mais songea que dans ce club-ci, les jeunes femmes ne dépassaient jamais l'étape de l'isoloir. Chaque client payait une somme astronomique pour qu'une danseuse lui fasse trois danses en privé, et ça s'arrêtait là. Aucune d'entre elles n'aurait jamais à passer de nuit avec un client ni à satisfaire des désirs qui la repoussaient certainement. Comme de fait, une jeune femme vêtue d'une mini-jupe et d'un soutien-gorge en latex passa à côté de la table, et l'homme lui fit un rapide signe de la main pour qu'elle serve Emma. Assurément, le club lui appartenait.

« J'ai une commande à te faire passer…

-Et tu compte me la payer comment, ta commande ? » ironisa le brun. « Je prends pas les cartes de crédit. » Un sourire moqueur s'élargit sur son visage, alors qu'il pensait avoir coincé la jeune femme. Mais elle n'avait certainement pas dit son dernier mot.

« Tu me demande ce que je t'offre en échange de ma commande ? » ricana-t-elle sous le regard ébahi de l'homme qui ne devait pas souvent faire face à des personnes insolentes. « Il me semble que t'es pas en dedans en ce moment, si ? » Elle adressa un regard rapide aux poignets de l'homme, et il se recula légèrement sur sa banquette.

« Je vais certainement pas te rendre un service parce que t'as fait ta job, » bougonna-t-il.

« J'ai négocié ta liberté totale et ton immunité, juste parce que la divulgation de la preuve n'était pas assez forte. Avec n'importe qui d'autre, t'aurais pris au moins cinq ans et tu le sais très bien, » rétorqua la blonde d'un air assuré. « Mais ma commande n'est pas finale, je veux juste que tu frame quelqu'un.

-Que je frame quelqu'un ? Tu m'as pris pour un flic ou quoi ? » Il gloussa malgré lui, et l'avocate sut qu'elle avait choisi le bon angle pour l'aborder. La serveuse fit irruption et déposa un verre de whisky sur la table face à Emma, interrompant quelque peu leur échange.

« Ben justement, je suis convaincue que ça va t'intéresser, » déclara la criminaliste, ménageant peu à peu son suspens. « Tu connais un certain Seth ? Qui dirige…

-Un club de danseuses, » la coupa le mafieux d'une voix plus forte. « Tu te fous de moi, j'espère ?!

-Pourquoi, t'as peur de lui ?

-Ce connard m'a fait faire du trou en 96. J'ai passé trois ans à Sherbrooke parce qu'il voulait jouer les cowboys, » expliqua-t-il en frappant son poing sur la table. De son côté, Emma prit une gorgée de son whisky. « Douze ans plus tard, le gars se fait accuser de fraude et expulser de la police. Peu de temps après, il devient un pourri et commence à faire affaire avec les newyorkais… Tu parles d'une ordure…

-Donc on est en business, toi et moi ? » interrogea la blonde d'un air amusé.

« Qu'est-ce que tu lui veux ?

-Y a une de ses escortes que…

-Ahhhh, je vois ! » ricana le mafieux. « Tu fais juste ça pour une histoire de cul, en fait !

-Pas vraiment, non, » répliqua la blonde d'un air sérieux. « Je veux juste empêcher Seth de lui nuire. Et pour ça je dois le framer

-Pourquoi tu le fais pas passer par quelqu'un, directement ?

-Parce que ça serait trop évident, » trancha l'avocate. « Un meurtre ça laisse des traces. Mais framer quelqu'un c'est juste l'enfoncer un peu plus dans ses troubles.

-Ouais, ça fait du sens… » acquiesça l'homme d'un air songeur. « C'est quoi le nom de la petite ?

-Regina, » souffla la criminaliste, pas sûre de ce qu'elle venait de faire. « Je veux juste être sûre de framer Seth pour qu'il n'ait plus aucun contact avec New-York, et je veux être sûre que son chien de poche le suit dans sa chute.

« Ça sera fait d'ici la fin du weekend, » assura l'homme d'un air sérieux. « Tu sais que c'est dangereux de faire affaire avec des criminels ?

-Je passe ma vie à faire affaire avec vous, » rétorqua Emma. « C'est pas comme si ça changeait grand chose…

-Non mais y a faire ton travail, et empiéter sur nos plates bandes. Et tu sais que le milieu ne perd jamais la mémoire. Si ton affaire nuit à quelqu'un d'autre, ça se saura et…

-Et je vais y passer, ouais je sais, » le coupa Emma en buvant son whisky d'une traite. « Mais c'est pas vraiment ça qui m'intéresse. » Elle croisa ses bras sur sa poitrine d'un air assuré, défiant le mafieux du regard. « On a fini, je crois ?

-Fais gaffe à toi, maitre Swan, » indiqua l'Homme d'un air étrange. « T'as pas envie d'avoir affaire à quelqu'un du milieu à cause de ça…

-Contente toi de faire ce que je t'ai demandé, et tu t'occuperas de ma sécurité plus tard, » déclara-t-elle d'un ton froid. « En attendant, sache qu'il y a des gars des SS sur le cas. Alors mets pas n'importe qui dessus, ok ? »

Elle le salua d'un simple signe de tête et partit aussi vite qu'elle était venue. Le criminel prit une grande inspiration en l'observant, se demandant comment une criminaliste pouvait oser défier ainsi la loi. En somme, il était clair qu'il ne s'agissait pas d'une simple affaire de sexe, et la jeune femme était certainement bien plus impliquée qu'elle en avait l'air...