CHAPITRE 13


C'était le jour du Conseil. Octavia avait vu errer Clarke le visage défait toute la journée. La tension dans le camp était à son comble au fur et à mesure que les heures passaient et que tout le monde attendait le retour de Marcus Kane, parti à la place de l'ambassadrice en convalescence. Quand il arriva tard le soir, son regard fermé donna la réponse à toutes leurs questions.

Il convoqua tous les Skaikru et s'adressa à eux d'un air grave.

— L'ambassadeur Azgeda n'est pas revenu, ce qui signifie qu'ils refusent l'accord et préfèrent sacrifier Roan. La commandante Lexa a ensuite demandé ce que les clans avaient décidé. Deux clans ont refusé de la suivre et se sont déclarés neutres. Nous sommes donc dix clans à la soutenir dans cette guerre contre les Azgeda. Les armées des clans se regrouperont dans deux jours au pied de Polis. Je ne prendrai que les volontaires. Sachez que nous serons en première ligne, car nous possédons les fusils d'assaut. Mais nous combattons pour la paix entre nos peuples, une paix que les Azgeda refusent car ils ont toujours convoité le pouvoir suprême. Nous devons aider Leksa kom Trigedakru, car c'est d'elle dont dépend la paix entre nous tous.


Le lendemain, Marcus partit avec son armée rejoindre les troupes de Lexa. Clarke retrouva Raven dans la navette.

— J'ai trouvé un moyen de suivre la bataille, dit Raven avec un sourire satisfait. J'ai réussi à fabriquer un drone qui nous montrera tout.

Clarke ne dit rien, ne sachant si elle devait se réjouir ou non. Elle entendit Raven cliquer sur plusieurs boutons, puis le silence.

— Bordel !

— Quoi ? demanda Clarke, soudainement paniquée.

— Je viens de trouver l'armée des Azgeda. Il sont beaucoup trop nombreux !


Les armées des clans réunis s'étaient regroupées à proximité de Polis dans une plaine propice aux combats. Aux premiers rangs se trouvaient les Skaikru, chargés d'éliminer le plus d'ennemis avec leurs fusils jusqu'à épuisement de leurs munitions. Et encore devant, quatre femmes redoutables sur leurs destriers, Lexa, Indra, Anya et Octavia, attendaient le début de l'assaut, toutes grimées de peintures de guerres autour de leurs yeux concentrés et meurtriers.

Marcus observa l'armée devant eux. Ils étaient des milliers. Comment était-ce possible ? D'où venaient tous ces guerriers ?

— Commandante, ils sont tellement plus que nous ! cria-t-il.

Winnes set raun bakon kom givnes. Disha hukop souda win au! La victoire réside dans le sacrifice. Cette alliance doit gagner ! déclama Lexa.

A cet instant, Lexa sut qu'elle menait ses guerriers à leur perte. Elle comprit que les deux clans qui s'étaient déclarés neutres se trouvaient en réalité en face d'eux. Et que les Azgeda avaient réussi en secret à rallier des peuples des confins du monde, inconnus de la Coalition. Mais elle ne pouvait plus reculer. Elle pensa à Clarke, à ce que cette femme avait ranimé en elle, à la force qu'elle lui avait apporté, aux sentiments qu'elle avait réveillé. Alors, elle dégaina son épée, et lançant son cheval au galop, hurla son commandement ultime :

Kom wor ! Frag em op ! Pour la guerre ! Tuez les tous !

Tous les guerriers s'élancèrent à la suite de leur Commandante. Les Skaikru firent déferler leurs balles meurtrières sur les premières lignes des ennemis qui s'effondrèrent. Des centaines d'Azgeda s'écroulèrent, jusqu'à ce que le feu des fusils s'éteigne, laissant place à la fureur du métal contre le métal.

Les Skaikru se reculèrent, s'effaçant derrière les Natifs. Et Marcus, en retrait, observa, fasciné, les quatre femmes toujours en avant se battre contre les Azgeda.

Une vingtaine d'hommes les encerclaient, et leurs lames tranchaient, coupaient, cisaillaient, égorgeaient sans relâche, leurs corps dansant et volant dans une chorégraphie martiale qui lui était inconnue.

Lexa était la plus impressionnante. Des cinq hommes qui l'attaquaient, aucun ne survécut. En quelques secondes, ses épées les avaient réduit à néant, son corps virevoltant avec légèreté, cinglant et déchirant les guerriers qui tombaient devant sa dextérité effarante. Sa puissance, sa volonté, son courage menaient son armée comme aucun commandant ne l'avait jamais fait. Les quatre femmes, maculées du sang de leurs ennemis, continuaient leurs avancée, pourfendant les rangs Azgeda, et les Natifs les suivaient aveuglément.

Mais les Azgeda les surpassaient en nombre, et les guerriers de la Coalition ne pourraient pas lutter bien longtemps. Saisi d'effroi, Marcus vit que même Lexa commençait à faiblir, alors qu'une épée manqua de peu sa tête, sauvée in extremis par Octavia qui dévia le coup et décapita le guerrier.

La Coalition allait être anéantie ici, dans cette plaine.


Dans la navette, Clarke, Raven et Abby regardaient avec horreur les images retransmises par le drone.

— Ils n'y arriveront pas, c'est fini, dit Abby, les larmes aux yeux, avant de quitter la pièce, refusant d'en voir davantage.

Clarke, qui avait suivi le combat des quatre guerrières, le coeur épouvanté, ne pouvait se résoudre à l'inaction. Une idée abominable traversa son esprit désespéré.

— Raven, il reste des missiles opérationnels dans la navette ?

Raven la dévisagea en silence, estomaquée.

— Tu ne vas pas faire ça, Clarke...

— C'est notre seule chance...

— Je refuse de faire ça ! Cela tuerait tout le monde !

— Pas si tu le diriges correctement.

— Hors de question ! s'exclama Raven en se levant brusquement de la console de commande.

Clarke, le regard empli de larmes, sortit son pistolet et le pointa sur la mécanicienne.

— Prépare le missile, Raven, dit-elle la voix brisée par le chagrin.

— Non, Clarke.

— Prépare ce putain de missile ! C'est notre seule chance ! S'ils gagnent, nous mourrons tous !

Raven était consciente que Clarke avait sans doute raison, mais le missile ferait des dégâts de tous côtés, sans faire de distinction, et en particulier au centre de la bataille, là où tous leurs proches se trouvaient. Quand elle comprit enfin avec stupéfaction que Clarke était prête à sacrifier Lexa, Octavia, Kane et tous les autres pour la survie de leur peuple, elle accepta finalement de se rasseoir, et calibra le missile pour qu'il s'écrase au plus près de l'armée Azgeda.

— C'est prêt, dit-elle la mort dans l'âme en se levant à nouveau. Mais pour le reste, c'est à toi de le faire. C'est ta décision, ta responsabilité.

Raven quitta la salle de commandement, laissant Clarke devant la console, les larmes aveuglant ses yeux.

Mebi oso na hit choda op nodotaim. Puissions-nous nous retrouver, dit Clarke en Trigedasleng quand elle appuya sur le bouton d'allumage.


Les quatre guerrières, épuisées, avaient été obligées de reculer face au nombre de combattants, se réfugiant en deuxième ligne pour reprendre leur souffle. Anya et Indra étaient blessées, mais ne quittaient pas leur garde auprès de la Commandante.

Marcus savait la situation désespérée et se demandait quelle décision prendre quand quelque chose attira son oeil au-dessus de lui. Il leva la tête et mit quelques secondes à comprendre, avant de se mettre à courir comme un forcené vers Lexa.

— Commandante ! Commandante ! Un missile plonge droit sur nous !

— Un missile ? demanda Lexa qui ne connaissait pas le terme.

— Une arme des Skaikru ! Elle va tous nous détruire ! Dites à votre armée de fuir, vite !

Lexa leva ses yeux exténués vers le ciel, aperçut un objet brillant, et se précipita vers Gustus.

Teik oso rowenes laud ! Sonne la retraite !

Et alors que Gustus faisait sonner son cor, Lexa hurla à tous ses guerriers des premières lignes de fuir. Et tous se mirent à courir comme ils n'avaient jamais couru, dans un effort désespéré pour échapper à l'annihilation, les quatre guerrières courant de front, Marcus, Bellamy, Murphy, à leurs côtés. Et quand le missile atteignit sa cible dans une déflagration indicible, Lexa, comme dans un rêve, vit tous ses compagnons de combat être projetés comme des fétus de paille, pris dans une lumière aveuglante et une chaleur incandescente, elle sentit ses tympans exploser, et son corps propulsé en avant par le souffle apocalyptique. Elle entendit le bruit et la fureur. Et puis elle ne sentit plus rien.


Le vent soufflait sur la plaine défigurée, charriant l'odeur du sang de milliers de guerriers décimés, gisant au milieu d'un cratère, portant aussi les cris d'agonie et de souffrance des blessés et des survivants hagards. On discernait le feu, on respirait la mort, on révélait l'abîme. Et surgissant de dessous les cadavres, gravement blessée mais vivante, une guerrière se releva, son regard cerné de noir embrassant l'étendue du chaos.

- Klark... Chit don yu dula op? Qu'as-tu fait ?