— Merlin, alors tu...
— Oui, j'ai sauvé la vie de Pernelle Flamel, il y a environ trois siècles, dit Merlin en regardant la petite pierre rouge dans sa main.
Elle n'était pas plus grande que son pouce, et elle luisait de mille feux.
— Avec certaines personnes, notamment les Magiciens et les Sorciers, je m'autorisais à être moi, reprit le jeune sorcier. J'ai souvent passé quelques dizaines d'années aux côtés de ces gens, et nous échangions nos savoirs. La majorité était presque en dévotion envers moi car j'étais et je suis toujours l'homme vivant le plus âgé de cette planète.
— Et avec ce Flamel ? Tu t'es montré à lui ?
— Au début non, répondit Merlin en secouant la tête. À l'époque, je vivais à Paris avec ma femme Adrienne et nous avions deux enfants. Adrienne en attendait un troisième, mais je n'étais pas autant emballé que pour le premier, je jouais juste mon rôle aussi bien que possible.
— J'imagine qu'après autant de « premières fois », on doit commencer à connaitre la musique, dit Arthur avec un sourire en coin.
Merlin lui renvoya son sourire en opinant.
— Je passais beaucoup de temps dans les livres, dit-il. Déjà à Camelot, Gaius passait son temps à me dénicher tous les livres interdits qu'il pouvait trouver dans le château... Quand j'ai rencontré ce libraire qui ne payait pas de mine, et que j'ai découvert qu'il avait des livres si rares qu'ils étaient introuvables ailleurs, j'ai commencé à être fidèle à sa boutique. Petit à petit, nous avons commencé à discuter et au fil des années, à nous confier. Quand il m'a révélé qu'il était un Alchimiste, je ne l'ai d'abord pas cru, puis il m'a montré quelques « tours » et j'ai compris qu'il ne mentait pas. Je lui ai alors révélé que j'étais un Sorcier, et surtout, que j'étais Immortel. J'ai alors cru qu'il faisait une attaque car il avait entendu parler de moi au fil des années, il me connaissait, Arthur...
— Avait-il déjà cette pierre, à l'époque ? demanda le jeune Roi.
— Oui. Rencontrer un autre Immortel, pis encore un qui était né comme ça, a été un terrible choc pour Pernelle et Nicholas, mais ils sont passé outre et je leur ai enseigné mon savoir botanique. Et puis un jour, je faisais des courses pour Adrienne, en ville, quand j'ai entendu la sirène des pompiers. Le véhicule est passé à toute vitesse près de moi et, intrigué, je les ai suivis. Quand j'ai vu que la boutique des Flamel était ravagée par les flammes, mon sang n'a fait qu'un tour. Sans réfléchir, je me suis jeté dans l'incendie sous les hurlements des secouristes, et j'ai sorti Nicholas qui toussait, noir de suie. J'y suis ensuite retourné pour Pernelle, mais je ne l'ai pas trouvée dans la boutique. En voyant les précieux livres ravagés par les flammes, je les ai transportés ailleurs avec ma magie, en sécurité, puis j'ai cherché Pernelle.
Merlin se tut un instant et soupira.
— À l'époque, les maisons étaient beaucoup moins sûres que maintenant, le feu ravageait une boutique puis tout un quartier si on ne le maitrisait pas rapidement. J'ai compris que je devais faire vite quand j'ai entendu la charpente gémir. J'ai appelé Pernelle, j'ai hurlé son nom, mais la fumée me brulait la gorge et les poumons et j'avais les yeux qui pleuraient à cause de la chaleur et des fumées.
Arthur était pendu aux lèvres de son ami.
— Où était-elle ? demanda-t-il.
— Dans leur appartement, au premier étage, elle avait pris des somnifères pour se reposer car son Immortalité arrivait à son terme et la vieillesse reprenait le dessus. Quand je l'ai enfin trouvée, je n'ai pas pu la réveiller. Je l'ai alors hissée sur mon dos et j'ai tenté de redescendre, mais l'escalier était déjà dévoré par les flammes. Je n'ai alors vu plus qu'une seule sortie, la fenêtre... Je me suis jeté à travers le carreau et j'ai usé de magie pour que nous atterrissions sur le pavage sans nous briser les os...
— Et c'est ce jour-là que cet homme t'a offert ce bout de pierre ? demanda Arthur.
— Quelques semaines après, plus précisément, quand Pernelle a été tirée d'affaire et qu'ils ont obtenu de la ville de quoi reconstruire leur boutique. Mais ils ont préféré partir car ils étaient dans ce quartier depuis trop longtemps, et que leurs visages étaient connus. Nicholas a préparé son filtre, ils l'ont ingurgité, puis sont venus me trouver, en dehors de la ville. En remerciement pour ce que j'avais fait pour eux, sauver Pernelle et protéger les livres, Nicholas m'a offert un morceau de la Pierre Philosophale... pour vous.
Arthur se redressa, surpris.
— Pour moi ? Mais comment ça ?
Merlin expliqua alors qu'au fil de ses années d'amitié avec les Flamel, il en était venu à parler d'Avalon et du Roi Arthur, et de son espoir de le revoir un jour. Le couple avait rapidement compris que leur nouvel ami était épris de ce jeune Roi mort dans ses bras, et ils en avaient longuement discuté avant que Nicolas ne consente à briser un bout de la Pierre Philosophale pour l'offrir à Merlin...
— Je n'en reviens pas, dit Arthur en se frottant le visage. Ils savaient ?
— Que vous alliez revenir ? Non, répondit Merlin en secouant la tête. Mais les Immortels sont pétris d'espoir, Sire, ils vivent avec l'espoir de vivre encore dans dix, cent, mille ans, et j'avais cet espoir, mais il s'amenuisait au fil des siècles...
Merlin regarda la pierre rouge dans sa main.
— Avec ce morceau, dit-il en le levant vers la lumière de la fenêtre. Vous serez en mesure de vivre bien plus longtemps que n'importe quel humain, Sire. Pour cesser de vivre, il vous suffira de ne plus prendre l'élixir, et de laisser faire la nature.
— Tu as dit qu'une infime particule de cette pierre permettait de vivre longtemps, mais combien de temps ?
— Chaque élixir permet de vivre vingt ou trente ans sans être inquiété par la vieillesse, répondit Merlin. Par contre, dès que ses effets s'estompent, le temps reprend le dessus et vous vieillirez à vue d'œil jusqu'à mourir, en quelques semaines.
— Cette petite pierre ne fait que quelques grammes, dit le jeune Roi, les sourcils froncés. Combien de temps durera-t-elle ?
Merlin le regarda et esquissa un sourire.
— Bien plus de mille ans, dit-il.
La bouche d'Arthur lui tomba sur la poitrine.
— Mille ans ?! s'exclama-t-il. Mais Merlin, tu...
— Oh, Sire, nous n'avons que cinq ou six ans d'écart, vous savez ? À mille cinq cents ans près.
Arthur ronfla alors puis prit la petite pierre rouge et l'observa. Il regarda ensuite son ami et hocha la tête.
— Alors c'est entendu, dit-il. Dès que tu auras recouvré ton apparence première, tu t'attelleras à la confection de cet élixir, même si je n'en aurais pas besoin avant une soixantaine d'années. Quoi que, je me demande...
— Oui, l'élixir ramène le corps à l'âge auquel on a commencé à le prendre pour la première fois, répondit Merlin. Si vous le preniez maintenant, à chaque nouvelle prise, vous retrouveriez vos trente ans, mais si vous le preniez pour la première fois à quatre-vingt-dix ans...
Arthur hocha la tête.
— Je vois, dit-il. Je vais y réfléchir... Occupe-toi de la potion pour redevenir comme avant, que je n'ai plus l'impression de parler à mon grand-père.
Merlin rigola doucement et Arthur lui rendit la pierre rouge qu'il rangea soigneusement dans un écrin de velours. Il s'attela ensuite à sa potion d'apparence et Arthur alla s'allonger sur son lit, pensif.
.
Quelques émanation corrosives et puantes plus tard, la potion de Merlin était prête. Arthur, qui somnolait sur son lit, se redressa dès que son ami commença à remuer, et il se leva pour se planter devant lui.
— Prêt ? demanda Merlin en montrant la potion dans une fiole.
— Tu me demandes vraiment si je suis prêt à revoir mon meilleur ami ? ironisa le jeune Roi avec un sourire en coin.
Merlin sourit, amusé, puis porta la fiole à ses lèvres et vida le contenu. Il se crispa aussitôt et leva la main quand Arthur approcha les siennes.
— Non, dit-il. Reculez, c'est la potion qui agit...
— Merlin, tu...
Merlin se courba alors en deux en portant sa main à son ventre. Très violente, la potion avait pour but de faire rajeunir, littéralement, à l'aide d'une très puissante dose de magie, les tissus qu'elle touchait. Merlin ayant ingurgité la potion, elle allait se diffuser dans tout son système et faire rajeunir l'estomac, les intestins, le foie, puis les tissus, les os, et enfin le cerveau, puis l'apparence extérieure...
Arthur eut énormément de mal à voir son ami souffrir le martyre à se tordre de douleur sur son lit comme s'il était pris de colites. Pendant une poignée de minutes qui semblèrent interminables, le jeune Roi observa Merlin, inquiet, se rongeant les doigts.
— Merlin, parle-moi...
Merlin secoua la tête. La douleur était telle qu'elle l'empêchait de parler. Soudain, il se détendit brutalement et tomba dans les pommes. Arthur se jeta sur lui.
— Merlin ! le secoua-t-il. Merlin !
Sous les yeux abasourdis d'Arthur, la peau parcheminée de son ancien valet sembla se défroisser et rajeunir, ses longs cheveux et barbe blanche raccourcirent et redevinrent noirs, ses mains tordues par l'arthrose se redressèrent et son corps voûté sembla se redresser également. Puis ce fut le silence se pesant.
— Merlin... ? souffla Arthur en posant une main sur son bras. Merlin...
Il secoua le jeune magicien, redevenu celui qu'il avait toujours connu avant de mourir. Tout à coup, Merlin ouvrit les yeux et regarda le plafond. Il aspira de l'air par la bouche et Arthur le regarda alors lever les mains et les regarder.
— Ça a marché ? demanda-t-il.
— Oui... répondit le jeune Roi. Merlin...
Celui-ci tourna la tête et sourit. Il plaqua sa main contre la joue d'Arthur qui rigola en lui prenant le bras dans ses mains. Merlin se redressa alors, s'assit au bord du lit et prit Arthur dans ses bras avec une force farouche.
Arthur se laissa étreindre et quand Merlin recula, il l'observa. Mû par une main invisible, il réduisit alors l'espace entre eux et souda sa bouche à la sienne en se relevant. Merlin bascula en arrière et Arthur grimpa sur le lit. Il s'allongea sur Merlin et brisa alors le baiser.
— Eh bien... dit le jeune Magicien. Quel accueil... si j'avais su...
Arthur rigola et posa son front sur le torse maigre. Merlin l'entoura de ses bras et le serra de nouveau en soupirant.
.
Les deux garçons restèrent immobiles jusqu'à ce l'un des deux ne montre des signes de faim imminente. Arthur s'assit alors au bord du lit et Merlin se redressa. Il posa sa main sur l'épaule de son Roi qui tourna la tête vers lui.
— Je me suis laissé emporter... dit-il doucement.
— Oh, ne vous en faites pas... souffla Merlin en retour. Si vous saviez... J'ai attendu si longtemps...
Il se pencha et embrassa Arthur qui lui rendit son baiser.
— C'est étrange, dit-il alors en reculant. Je... trouve ça normal.
Merlin sourit et appuya sont front contre le sien.
— Peut-être que l'affection que vous aviez pour moi à l'époque n'en était pas tout à fait, hasarda-t-il.
— J'aimais Gwen, Merlin, je l'ai épousée, je...
— Oh, oui, bien sûr, mais à l'époque, vous n'aviez pas conscience que ce type d'amour était lui aussi existant, ni même... autorisé, souffla Merlin.
Arthur esquissa un sourire.
— Et maintenant ? demanda-t-il.
— Maintenant... Maintenant, nous allons vivre la vie que nous aurions dû vivre il y a plus de mille cinq cents ans, répondit Merlin. Bien entendu, le monde a changé en tant d'années, mais je le connais par cœur ou presque, j'ai tout connu, ses gloires, ses défaites, ses horreurs, et je vais tout vous montrer, tout vous raconter. Et nous aurons la vie entière et même plus pour tout faire.
Le jeune Roi avala sa salive et Merlin lui caressa la joue.
— J'ai attendu si longtemps, Arthur, que vous soyez enfin là devant moi, vivant... J'ai perdu espoir de nombreuses fois, mais Kilgarrah m'a toujours soutenu, il m'a redonné l'espoir, il m'a redonné confiance en moi, en les Dieux, et je suis désormais récompensé. Vous avez une seconde chance, Arthur, et je vais tout faire pour que vous ne la laissiez pas passer.
Arthur opina en silence, un sourire un peu hésitant étirant le coin droit de sa bouche, puis Merlin l'embrassa doucement avant de quitter le lit et de retourner à son établi. Arthur le regarda s'asseoir et farfouiller dans ses livres et ses parchemins, comprenant qu'il s'attelait désormais à l'élixir d'immortalité. Le jeune Roi réalisa alors qu'il avait été tué, qu'il avait passé mille cinq cents ans au « paradis », sans doute, il ne s'en souvenait pas, qu'il avait erré sans le savoir pendant cent cinquante siècles, torturant par son absence son meilleur ami fou amoureux de lui.
Je vous retiens, les Dieux ! siffla-t-il en son for intérieur. Merlin ne méritait pas une telle punition, il n'a fait que son devoir pendant tout le temps qu'il a passé à mon service, et on le remercie en m'ôtant la vie et en le faisant souffrir pendant des centaines d'années. C'est tellement injuste...
Arthur se mordit soudain la lèvre et se redressa.
— Merlin ?
— Oui, Arthur ?
Comme le blond restait silencieux, le brun se retourna, un bras sur le dossier de la chaise, intrigué.
— Qu'y a-t-il ?
— Je t'aime, Merlin, je veux que tu le saches, lâcha alors Arthur.
— Moi aussi je vous aime, Arthur, sourit le magicien.
Arthur sourit en baissant le nez, quitta le lit et tira un tabouret près du bureau. Merlin entreprit alors de lui expliquer comment il allait procéder pour confectionner l'Elixir d'Immortalité, sur la base de ce que Nicolas Flamel en personne lui avait raconté. Arthur pressentit alors qu'il allait passer de très bons moments auprès de celui qui fut, par le passé, son valet et son meilleur ami, son ange gardien et son gardien de secrets, et qui était désormais tout ça à la fois, tout en étant son compagnon.
Secouant la tête, Arthur posa son menton sur le bras du magicien qui sourit doucement en lui prenant la main, non sans cesser de parler. Les prochaines années, les prochains siècles, allaient être longs, bien plus longs que tout ce qu'Arthur avait vécu jusqu'à maintenant, mais peu importe, quand on est en bonne compagnie, ne dit-on pas qu'on ne voit pas passer le temps ?
FIN
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Merci à tous ceux qui ont lu cette toute petite histoire ! Elle traînait sans mes fichiers depuis des mois, non terminée, et puis un éclair d'inspiration m'est venu et voilà. Elle était censée être bien plus longue au départ, mais j'ai préféré ne pas risquer l'abandon avec une histoire trop longue qui n'aura jamais de fin.
Donc merci à vous, et à bientôt ! :3
Taery