Partie 1 :

La Marque des Ténèbres

Prologue : Terre-les-Landes.

-Ne te balance pas si fort, Arthur !

Je relevais le nez de son livre et plissa les yeux quand mes iris furent heurtés par le soleil estival. Une mère s'élançait vers son fils, un garçon d'environ cinq ans, qui se balançait en « cochon pendu » à la barre des jeux du parc. L'enfant riait aux éclats, pourtant la femme le ramena fermement sur la terre et le rouspéta sèchement avant de le prendre par la main et de le sortir vivement du parc, sous les cris et les protestations dudit Arthur. Depuis mon banc, j'esquissai un sourire avant de me replonger dans mon épais volume aux pages jaunies. Un volume désuet et sans âge, qui arrachait des regards curieux de chaque passant qui me croisait. J'accordai à chaque passant stupéfait un léger sourire avant de se replonger dans sa lecture. Je venais sur ce banc presque chaque jour car curieusement, en été c'était l'un des endroits les plus calmes et les plus tranquilles du village. La plupart des familles avec enfant étaient en vacance, et ne se trouvaient dans ce petit parc que quelques ados qui écoutaient de la musique pour fuir leurs parents et la chaleur, et la famille du petit Arthur qui n'avait pas les moyens de voyager. Et chaque personne qui venait dans ce parc m'adressait un regard curieux, ainsi qu'un sourire poli. Je savais que personne dans à Terre-les-Landes ne savait quoi penser de moi. J'étais absente tout le long de l'année, et revenais pour les vacances grandie de quelques centimètres, avec de vieux grimoires et des sucreries étranges que j'offrais parfois aux enfants du parc. Au delà d'être responsable d'une partie des carries des enfants de Terre-en-Landes, j'étais également un épais mystère pour le reste des habitants, un mystère que mes parents entretenaient soigneusement tout en essayant de le masquer.

Car ce que la majorité des habitants ne savait pas, c'était que j'étais une sorcière.

Je souris en refoulant le rire qui me montait dans la poitrine. Une sorcière oui, une vraie. Avec une baguette et un balai. En revanche je n'avais pas de verrue et détestais les chapeaux pointus que mettaient les professeurs à l'école.

L'école, mon école, ma belle école. Poudlard, ma vie à présent. Ce monde inconnu qui s'était imposé à moi alors que je n'étais encore qu'une enfant à peine sortie de l'école primaire, sous la forme d'une lettre écrite à l'encore verte et signée « La directrice-adjointe, le professeur McGonagall ». Mes parents avaient lu la lettre une bonne dizaine de fois avant que le message leur paraisse clair, et avaient posé des yeux profondément choqués et déçus sur leur fille de onze ans. Leur petite fille parfaite et si délicieusement normale se trouvait être une étrangeté dotée de pouvoirs que personne ne soupçonnait – sauf Gary Hawlker qui avait hurlé sur tout les toits que j'avais transformé sa peluche en araignée. Ou l'épicière Elisabeth Fisher qui était persuadée de m'avoir vu faire voler des bonbons trop hauts pour moi. Mais pour mes parents, cela avait été un choc, d'autant qu'Alexandre, mon grand frère, n'avait certes reçu aucune lettre, mais leur faisait vivre la vie dure à la maison et à l'école. Je savais que mes parents avaient compté sur moi. Pour rattraper le coup, pour faire de belles études malgré de premières difficultés à l'école. Mais ces études, c'était à Poudlard que j'étais destinée à les faire, et malgré leur acceptation progressive, je savais que cela leur était resté en travers de la gorge. Alexandre, lui ne s'était pas calmé et je le savais parti battre la campagne en moto avec une bande d'amis que personne de notre famille n'approuvait, ajoutant quelque peu à leur amertume. C'était pour cette raison que je m'isolais toujours loin de la maison pour faire mes devoirs de vacance et taisais le plus que possible ma condition de sorcière, y compris chez moi. C'était difficile, car j'avais trouvé un monde extraordinaire et vivais des expériences vivifiantes que j'aurais aimé partager avec ma mère, mon père … Mais si ça permettait à mes parents de me sourire, je m'y pliais volontiers.

Alors je partais chaque après-midi à vélo, prétextant faire un tour, ou voir d'anciennes amies avec lesquelles je gardais contact. Parfois c'était vrai. Parfois j'allais juste faire mes devoirs dans le parc. Parfois je …

Les crissements des pneus d'un vélo sur le bitume me firent grimacer. Parfois je grognais, parce que je n'étais pas la seule sorcière de Terre-en-Landes et que je le regrettais amèrement. Je relevai les yeux, préparant une réplique cinglante ou mon regard le plus méprisant, ou les deux, mais à ma plus grande surprise ce ne fut que Susan qui descendit du vélo, son sac à dos sur une épaule, ses nattes d'un blond presque roux encadrant son visage rougi par l'effort. Je m'autorisai à me détendre et souris franchement à la jeune fille, laquelle me lui renvoya.

-Salut Victoria !

Elle amena son vélo jusque mon banc, puis le laissa choir aux cotés du mien. Le visage de Susan était constellé de tache de rousseur, et ses joues rebondies me donnaient envie de les pincer. Elle me gratifia d'un autre sourire en levant son sac à dos

-Livraison de fourniture ! annonça-t-elle gaiement.

-Et un grand merci !

Je pris le sac que me tendait Susan et vérifiai son contenu alors que la jeune fille s'installait à côté de moi. Des bouteilles d'encre teintaient dans le fond et quelques rouleaux de parchemins soigneusement rangés emplissaient le reste de l'espace. Quand on venait du monde des moldus, et que la prononciation du mot « sorcier » faisait frémir les parents, se fournir en objets de bases devenait vite difficile. Fort heureusement pour moi, j'avais vite découvert que la famille qui vivait dans la grande maison juste à l'extérieur du village et dont je côtoyais les enfants depuis ma plus tendre enfance était également une famille de sorcier. Quand j'avais reçu ma lettre pour Poudlard, Rose et George Bones étaient venus toquer à notre porte, et c'était fait une joie de révéler leur véritable nature à mes parents, en promettant que s'ils avaient la moindre question, ils seraient là pour y répondre. Ma mère, Marian, avait souri d'un ton poli mais crispé et mon père, Edouard, avait blêmi si fort que Mrs. Bones lui avait demandé s'il ne préférait pas s'asseoir. Ils avaient néanmoins accepté que le couple m'emmène faire mes achats scolaires au Chemin de Traverse, sans toutefois nous accompagner dans cette enceinte magique – et ils ne l'avaient pas fait depuis. Comprenant la réticence de mes parents, les Bones s'étaient également fait mes fournisseurs en parchemin et encre – ce que je m'efforçais de leur rendre tant que je le pouvais. Susan eut un grand sourire en me dévisageant.

-Tu me remercies pourquoi ? Pour t'avoir ramener des affaires, ou parce que c'est moi qui vient et pas Simon ?

-J'étais heureuse, Susan, ne gâche pas tout en prononçant son nom.

Susan pouffa discrètement. Simon était son frère aîné, et également mon camarade à Poudlard, où nous étions tombés dans la même année et la même Maison, à notre grand damne à tout deux. Nous ne nous étions jamais entendus et l'aînée des Bones, Caroline, s'était retrouvée à plusieurs fois à devoir nous séparer. Et c'était face à lui que j'avais eu la première fois conscience d'être différente, quand alors qu'il venait de me pousser dans la boue en une énième dispute, je l'avais regardé férocement, et par ce seul regard, j'avais changé des cheveux en vert et fait pousser d'immonde boutons sur son visage. Il avait détalé en hurlant, non sans me jauger d'un regard surpris. Il avait été le premier à découvrir que j'étais une sorcière.

-Pourquoi il n'est pas là, d'ailleurs ?

-Oh … Octavia a eue des places pour la finale de la Coupe du Monde et elle l'emmène du coup.

-Mon dieu, la finale !

Un sourire insensé fleurit sur mes lèvres, en même temps que mon cœur dévalait ma poitrine. Cela avait été l'une de mes plus belles découvertes une fois à Poudlard : le Quidditch. J'avais toujours été sportive : j'avais joué au foot et au baskets sur le terrain dans les hauteurs du village, et avais longtemps accompagné mon frère lors des entrainements de volley. Alors quand j'avais découvert le sport des sorciers, j'en avais été tout de suite été fascinée, notamment sur la façon de jouer : sur des balais.

Qui n'avait jamais rêvé de voler ?

Je ne m'étais pas révélée mauvaise en l'exercice, et mes années de foot et de baskets avaient affiné sa vision et sa réactivité. Parce que j'étais une fille, les garçons du village me mettaient sans cesse au but quand ils jouaient au foot, et c'était également à ce poste que je m'étais installée au Quidditch lors de sa troisième année. Cette année avait lieu la quatre-cent vingt-deuxième coupe du monde de Quidditch, et comme la Coupe du Monde de foot avait été fort décevante pour moi (l'Angleterre n'avait pas été qualifiée, comme aucun pays de Grande-Bretagne, et l'édition avait été gagnée sans surprise par le Brésil), j'espérais me rattraper avec le Quidditch.

-C'est qui contre qui, déjà ? Je suis assez déconnectée, chez moi.

-Irlande contre Bulgarie, répondit Susan d'un ton distrait. Mon père a essayé d'avoir des places, mais il s'y est pris trop tard, et de toute manière, on n'est pas très Quidditch dans la famille. Au fait, tu as eu les résultats de tes BUSEs ?

-Pas encore, dis-je avec une certaine appréhension.

Susan dut lire sur mon visage que le fait d'en parler risquait de m'angoisser car elle n'insista pas. J'étais une élève studieuse, mais assez normale du point de vue de mes capacités : j'avais mes défauts comme mes faiblesses. J'étais d'une nullité telle en Potion que j'avais fini par faire une crise de nerf chaque fois que je devais entrer dans cette salle obscure des cachots. Et la froideur du professeur Rogue n'aidait en rien. En revanche, et à la plus grande stupéfaction de mes camarades, je m'étais révélée fascinée par l'Histoire de la Magie. Déjà dès l'école primaire, les leçons d'Histoire avaient été celles que je retenais le mieux, aussi avais-je été enthousiasme lors de mes premiers cours à Poudlard. Mais je n'aurais pas pensé être aussi enchantée, aussi intéressée par l'Histoire des Sorciers, la façon dont elle croisait la notre, la frôlant pour mieux s'éloigner, comme chaque groupe avait agi sur l'autre … Et le ton monocorde de Binns n'avait en rien modéré mon exaltation. Les BUSES, le premier examen que passaient les sorciers, avaient été une véritable épreuve de nerf pour moi. D'autant plus que cette année avait été ternie par une blessure que je m'étais faite en tombant dans les escaliers, poussée par un Serpentard qui en avait après mon sang. Mon poignet s'était fracturé et par prudence, j'avais dû déclarer forfait pour le second match de mon équipe face à Serpentard – qui nous avaient explosés, nous faisant presque tout espoirs de gagner la coupe, qui avait échu à Gryffondor.

Bref. Ma cinquième année était définitivement une année à oublier.

-Tu pourras venir chez nous si tu veux, pour la finale, proposa finalement Susan avec un sourire. On l'écoutera à la radio. Et comme Simon ne sera pas là, tu n'as aucune raison de refuser.

-C'est vrai, cédai-je en passant une main nerveuse dans mes cheveux. C'est quand, demain soir ?

-Oui. Caroline sera là avec son copain.

-Ah je vois. Tu ne veux pas te retrouver à tenir la chandelle ?

-Tu as tout compris ! avoua Susan la mine penaude. Tu viens alors ?

J'esquissai un sourire attendri devant la bouille presque suppliante de la jeune fille. Contrairement à son frère, j'avais toujours appréciée Susan, malgré nous deux ans de différence. Elle était timide, mal dans sa peau – beaucoup d'élèves à Poudlard se moquaient de ses tâches de rousseurs et de ses rondeurs – mais c'était une fille profondément gentille à laquelle je ne pouvais rien refuser.

-D'accord alors. On se voit demain.

Le visage de Susan se fendit d'un sourire et elle se leva en battant des mains.

-Parfait ! Merci beaucoup, tu sauves ma soirée !

-Un plaisir, me moquai-je alors que Susan reprenait son vélo. Elle sort toujours avec Andrew Vance, ta sœur ?

Susan me lança un long regard appuyé, à la fois entendu et désespéré qui me donna ma réponse. Elle enfourcha le vélo et me jeta un regard avant de partir.

-Au fait, tu devrais quand même aller voir chez toi. Parce qu'une chouette de l'école est passée chez nous avant que je parte, je crois bien que c'était les résultats de Simon.

Et elle lança son vélo avec un dernier signe en ma direction, me laissant seule avec ma perplexité et mon angoisse montante. Après quelques secondes à fixer le vide, hésitant entre courir chez moi trouver cette enveloppe et fuir le plus loin possible pour me donner une excuse pour ne pas l'ouvrir, je grognai en fermant mon grimoire. Je pris le sac à dos de Susan, saisis mon vélo et me mis à rouler une boule au ventre vers cet avenir flou qui me tendait les bras.

-Enfin Edouard, il est vingt-trois heures …

-Il a vingt ans, chérie. C'est normal qu'il vive sa vie, il est majeur.

-Oh il n'a pas attendu d'être majeur pour vivre sa vie.

Les mots de ma mère débordaient tellement d'amertume que mon cœur se serra et je rivai mes yeux sur la télévision pour m'occuper l'esprit. Oui il était vingt-trois heures et oui, Alexandre n'était pas rentré. A mon sens, ce n'était pas encore inquiétant, si ma mère n'était pas dans la cuisine à faire les cents pas en attendant son retour. Mon père finit par abdiquer, et me rejoint dans le living-room avec un gros soupir. C'était un homme assez petit par rapport aux normes, aux tempes grisonnantes et au sourire habituellement avenant. Mais là son visage était profondément marqué par la lassitude, et ses yeux gris dont j'avais hérité étaient assombris par les cernes.

-Va te coucher, lui proposai-je charitablement. Je vais veiller en attendant qu'il rentre.

Je n'avais pas prévu d'aller me coucher de ci-tôt, de toute manière. Pour une fois que le film à la télévision était divertissant, moi et ma plaquette de chocolat avions bien l'intention d'en profiter. Un rire de dépit secoua la poitrine de mon père.

-Ne t'en fais pas, ta mère aussi. Oh seigneur, quand est-ce qu'il grandira …

-Il est déjà bien assez grand, il nous dépasse tous, tentai-je de plaisanter avant de craquer un morceau de ma plaque pour le tendre à mon père. Du chocolat ?

Cette fois, mon père s'esclaffa d'un rire sincère, et s'assit à mes côtés en acceptant le carré.

-Tu vas finir par avoir du sucre à la place du sang, me prévint-il toutefois alors que j'en craquais un pour moi.

-Ce serait fâcheux, je me mangerais. Au fait, je ne suis pas là demain soir, je vais chez Susan.

Mon père acquiesça sans un mot, mais je vis le coin de sa lèvre tressauter. Même si mon père acceptait mieux que ma mère ma condition de sorcière, cela restait un épais mystère pour lui. Il était Pasteur dans l'église du village, et il avait durant toute ses années fait un immense travail sur lui-même avant d'admettre que des gens comme moi pouvait être des créatures bénies par Dieu, et non d'immondes sbire du diable comme on pouvait le décrire le folklore religieux. Un long travail spirituel qui commençait à faire son œuvre, mais que ma mère avait du mal à entamer. Car de son côté, s'ajoutait au problème religieux le problème scientifique : elle était chercheuse dans un laboratoire pharmaceutique, et bien qu'elle soit très croyante, elle avait un esprit étriqué de scientifique. Et la magie, ça n'avait rien de scientifique. Elle finit par nous rejoindre dans le living-room en poussant de grands soupirs indignés. Comme mon père, elle était petite – avec une telle famille, je me demandais toujours comment Alexandre avait pu atteindre le mètre quatre-vingt – et ses boucles brunes étaient désordonnées après avoir passé plusieurs fois sa main dedans. Elle aussi avant s'immense cernes qui lui mangeait les joues, mais cela tenait aussi au fait qu'elle fasse des journées de dix heures de travail.

-Et toujours aucun appel, marmonna-t-elle avec vergue. Victoria, donne-moi du chocolat !

Je m'exécutai sans attendre et elle avala le carré entier en mâchant rageusement.

-En même temps il n'y a pas beaucoup de cabine téléphonique dans le coin, tempérai-je d'une voix douce dans l'espoir de l'apaiser. Maman, tu ferais mieux d'aller te coucher, je vais attendre Alexandre moi. Enfin, moi, le chocolat et Edward aux mains d'argent.

-Non, je dois l'attendre pour lui tordre le cou.

-Tu as une mine affreuse. Tu lui tordras le cou demain.

Ma mère se regarda à travers le miroir au dessus de notre canapé et ses lèvres esquissèrent une moue dépitée. Mon père se leva et la prit tendrement par les épaules.

-Elle a raison, chérie. Allons nous coucher, ça ne sert à rien de l'attendre ici, à part à te faire ronger un sang d'encre.

-Mieux vaut que tu sois en forme pour lui tordre le cou, enchéris-je avec un charmant sourire.

Ma mère finit par accepter à force de cajolerie et mes parents montèrent dans leur chambre alors que je finissais ma plaquette de chocolat, tout en regardant Edward tenté vainement de s'imposer dans un monde qui ne l'acceptait pas. J'adorais le monde dans lequel je vivais à Poudlard, mais j'admettais volontiers que la télé était l'une des choses qu'il me manquait le plus. Ainsi que tout mes livres, films, ou Histoire que les sorciers ne comprenaient pas. C'était pour cela que j'avais pris l'option Etude des moldus, provoquant la stupeur de ma meilleure amie, Emily. « Mais enfin tu vis chez les moldus ! » avait-elle rouspété quand elle avait découvert mon emploi du temps. « Alors à quoi ça te sert d'étudier les moldus ? ». Ce qu'elle ne pouvait pas comprendre, c'était à quel point le monde duquel je venais pouvait me manquer une fois passées les portes du château.

Edward aux mains d'argent s'éteignit finalement, et j'enchainais avec une cassette, un dessin animé susceptible de me vider la tête. Il était deux heures du matin et j'entamais une seconde plaque de chocolat quand j'entendis enfin le bourdonnement désagréable de sa moto. Je soupirais profondément.

-Bon sang, Alex, arrête de frimer, maugréai-je entre mes dents alors que le pétardement s'arrêtait enfin.

Quelques instants plus tard, la porte claqua. Je ne bougeai pas d'un pouce avant qu'Alexandre n'entre dans le living-room, les cheveux bruns désordonnés, le nez droit pointant effrontément en ma direction, un sourire moqueur aux lèvres. Il s'accouda à l'encadrement de la porte en me considérant.

-Bah alors, Tory ? Tu es mon seul comité d'accueil ?

-Maman compte te tordre le cou demain, lui annonçai-je avec flegme avant de lui tendre ma plaquette. Du chocolat ?

Alexandre me servit un sourire penaud avant de s'asseoir à mes côtés et de prendre la tablette.

-Allez.

Il craqua un morceau et me le passa. Nous restâmes un instant à regarder Le Roi Lion et à manger le chocolat, sans un mot. Contrairement à avec mes parents, Alexandre et moi n'étions pas en conflit. Je couvrais certaines de ses sorties et il s'était toujours comporté en grand frère protecteur avec moi, ce qui m'empêchait de le détester foncièrement pour les cheveux gris qu'il donnait aux parents.

-Au fait, finit-il par lâcher au bout de quelques minutes. Tu as reçu tes résultats d'exams, ou toujours pas ?

C'était pour cela que je ne pouvais pas détester mon frère. Il avait été mon plus fidèle soutien le jour où j'avais découvert que j'étais une sorcière et depuis, il était l'unique membre de la famille à s'intéresser à mon autre vie. Et sans que je ne l'admette publiquement, cela me faisait un bien fou de pouvoir partager cela avec quelqu'un. Je hochai doucement la tête et sorti le morceau de parchemin que j'avais plié dans ma poche. Alexandre le reçut avec une sorte de déférence. Ses yeux parcourent les lignes, se plissant, s'agrandissant, et il finit par éclater de rire.

-Et tu disais que tu allais louper !

-J'ai loupé, marmonnai-je en passant une main dans mes boucles.

-Oh, Tory, il n'y a qu'en Potion que tu n'es pas reçue. Et en Arithmancie, mais tu n'aimais pas cette matière, si ?

Non, je détestais l'Arithmancie. J'avais pris cette option parce que c'était la seule matière que Poudlard enseignait qui était un temps soit peu scientifique et que j'espérais ainsi prouver à ma mère que science et magie n'étaient pas opposées. Une des plus grosses bêtises de ma scolarité. Ces deux années d'Arithmancie avaient été des années de calvaire.

-Après Acceptable en Astronomie, Effort Exceptionnels en Sortilège, en Défense contre les Forces du Mal et Métamorphose – joli, je pensais que tu avais du mal ? – pareil en Botanique et en étude des Etudes des Rues. Et Optimal en Etude des moldus – quelle surprise, ça aurait été une honte si tu avais eu moins – et en Histoire de la Magie. Franchement, Tory, de quoi tu te plains ?

J'avouai avoir été agréablement surprise par la Métamorphose, matière que je souhaitais poursuivre, mais dans laquelle j'avais eu toutes les misères du monde. J'avais également dû travailler fort les Sortilèges, et cela avait payé, mais c'était mes uniques pleines satisfactions. Mes notes d'Histoire de la Magie et d'Etude des moldus étaient normales.

-J'aurais dû avoir plus en Etude des Runes, avoua-je d'une toute petite voix. Mais le texte était difficile, je ne comprenais pas et … j'ai paniqué. Et l'Astronomie franchement …

-Tory, tu comptais arrêter l'Astronomie. Et pour l'Etude des Runes … bon sang, tu es reçue ! Arrête d'être si perfectionniste, bon sang ! Vois les bons côtés ! (Il me mit le parchemin sous le nez et pointa la ligne de la Métamorphose). Tiens ! Regarde ce petit « E », tu n'es pas fière de ce petit « E » ?

-Si, admis-je dans un filet de voix.

Un grand sourire fendit le visage d'Alexandre.

-Alors ça se fête ! Je vais chercher les bières !

-Et ramène du chocolat ! lui criai-je alors qu'il quittait précipitamment le living-room.

Malgré moi, je souris. Je n'avais pas proposé à mes parents d'attendre Alexandre juste par bonté – quoique. Mais aussi parce qu'au fond de moi, j'espérais que mon frère veuille fêter mon premier diplôme avec moi. Il revint un instant plus tard avec deux bouteilles de bière et une tablette de chocolat que je m'empressai d'ouvrir.

-Tory, fit Alexandre en me tendant ma bière décapsulée. A ce petit « E » en Métamorphose !

-Et à ton cou tordu de demain, ris-je en toquant ma bouteille contre la sienne.

Alexandre grogna contre son goulot. J'eus un léger sourire de dépit.

-Sérieusement, tu aurais pu prévenir. Papa t'avait fait une assiette de poulet au curry.

-Un repas en famille tout joyeux en perspective, railla Alexandre. Comme si j'en avais envie après ce qui s'est passé hier.

Je ne répondis pas. Concernant ce qui s'était passé hier, les tords étaient des deux côtés, bien qu'aucun des deux côtés ne veuille l'admettre. Alexandre avait demandé à mes parents une avance d'argent pour pouvoir passer le permis, ce que mes parents avaient vertement refuser. Premièrement, parce qu'ils considéraient qu'Alexandre, ces études de mécanique en poche, se devait à présent de trouver un travail pour lui-même passer son permis. Secondement parce qu'ils considéraient avoir trop donné par rapport à ce qu'ils avaient reçu. Je les avais trouvé un poil injuste car contrairement à ce qu'ils songeaient, Alexandre essayait vraiment de trouver un travail dans sa branche, sans toutefois y parvenir. Pourtant il était doué, il avait réparé sa veille bécane seul, et servait de mécanicien à l'ensemble de Terre-les-Landes. Mais il jouissait d'un passé sulfureux et d'un casier pour délinquance juvénile qui effrayait les patrons. Eux, comme mes parents, refusaient de voir qu'Alexandre s'était calmé, et Alexandre n'aidait en rien. Son ton était agressif, ses actions ambiguës. Difficile de voir ce qu'il pensais sous son regard noir et ses mots durs. Cela envenimait les conversations et transformait les discussions les plus badines en dispute familiale à presque chaque repas.

-Honnêtement, avoir le permis ça m'aiderait déjà à avoir un job, marmonna-t-il entre ses dents. Ça fait bien sur le CV.

-Tu aurais peut-être pu le demander autrement qu'en disant « de toute manière vous ne voulez pas me voir réussir, vous voulez me voir rater tout ce que je fais pour vous prouver que vous avez eu raison ».

-Tu ne le penses pas ?

-Non, Alex ! Ils t'ont aidé, peut-être pas de la bonne manière, mais ils ont voulu t'aider.

-En priant pour mon âme ?

Je soupirai profondément. C'était inutile de parler avec Alexandre, il avait hérité de l'obstination de ma mère, quand j'avais le caractère conciliateur de mon père. Je tentais d'apaiser les conflits, et quand je voyais rapidement que je ne pouvais rien y faire, je les fuyais. C'était peut-être lâche, mais c'était ce qui m'avait permis de survivre à des années de guerre entre mes parents et Alexandre.

-Amen, mon frère, finis-je par lâcher en lui tendant ma bouteille.

Alexandre me jeta un regard pénétrant de ses yeux clairs – les mêmes que les miens. J'y lus tout son courroux, mais également toute sa culpabilité. Pas par rapport à ses actes, mais par rapport à moi, je le savais. Alexandre s'en voulait de me mettre ainsi entre deux feux. Mais il était trop têtu pour que cela cesse, alors il toqua sa bouteille contre la mienne.

-Amen, ma sœur.

Je devais reconnaître cela à mon frère : il était l'incarnation de l'audace. Il était descendu le lendemain avec un immense sourire pour prendre le petit-déjeuner familial. J'avais passé une heure la veille à le convaincre de le faire, pour briser la glace, tout en restant sobre histoire de rester en vie. J'étais persuadée qu'il ne le ferait pas. Une fois que la bombe avait explosé, il avait tendance à disparaître jusqu'à que les choses se tassent et que ma mère, rongée par l'inquiétude, soit plus soulagée qu'agacée de le revoir. Mais il était venu au petit-déjeuner, sans un mot de travers, et ma mère ne se jeta pas à sa gorge et j'avais compris en échangeant un regard avec mon père que nous avions fait notre rôle de conciliateur en parallèle. Le petit-déjeuner avait été tendu, mais rien n'avait explosé et mon père avait même approché Alexandre pour lui parler de cette histoire de permis.

Mon frère avait tellement monopolisé l'attention de la journée que le fait que j'aille passer la soirée dans la maison des sorciers passa complétement inaperçu. Nous avions écouté la Coupe du Monde à la radio chez les Bones, et je m'étais retrouvée la plus exaltée avec Andrew, le petit-ami de Caroline, qui venait d'Irlande et était arrivée en vert de pied en cape. Le match avait été incroyable et m'avait fait regretter de ne pas avoir accompagnée ma meilleure amie Emily – ce n'était pas à chaque édition que l'Angleterre accueillait la Coupe du Monde et le match avait vraiment l'air extraordinairement vivant. Les buts irlandais avaient été enfilés les uns après les autres, si bien que le coup merveilleux de Viktor Krum pour attraper le Vif d'Or n'avait rien changé et l'Irlande avait soulevé le trophée. Pour fêter ça, Mr. Bones avait sorti une bouteille de whisky Pur-Feu qu'il m'autorisa à goûter. Les nombreuses bièraubeurre firent le reste et je me réveillais le lendemain chez moi avec un mal de tête atroce et l'envie de passer ma journée en mode pneu crevé dans mon lit.

Je me retournai sur le dos dans mes draps en gémissant. Je n'aurais pas dû accepter le deuxième verre de whisky que m'avait tendu Andrew. Et encore moins le boire cul-sec comme me l'avait suggéré Caroline. Et j'aurais dû manger les puddings qu'avait préparer Mrs. Bones et qui avaient l'air succulent, mais j'étais trop occupée à danser sur des musiques irlandaises avec Susan. Une soirée improbable, mais qui s'était révélée drôle et malgré le mal de tête matinal, je n'étais pas prête de l'oublier. Je souris dans le vide malgré ma douleur lancinante et mes idées peu claires. Oui, cela avait été décidemment une excellente soirée.

Quelques coups furent toqués à ma porte et un instant plus tard mon frère passa sa tête dans l'entrebâillement de la porte. Son éclat de rire me fit grogner.

-Moins fort, lâchai-je en me retournant dans ma tête.

-Je le savais ! Je le savais que c'était de la gueule de bois !

Je maugréai quelque chose que je ne compris pas moi-même. Je sentis le matelas s'affaissait là où Alexandre s'asseyait, s'esclaffant toujours devant mon état.

-Oui, bon ça va, marmonnai-je sans ouvrir les yeux. Tu étais dans un pire état la dernière fois.

La dernière fois, cela avait été au début de l'été, où Alexandre avait décidé qu'à seize ans j'étais assez grande pour « prendre ma première cuite ». Nous nous étions posés dans le parc de Terre-en-Lande tranquillement, avec certains amis d'enfance – y compris Simon Bones, pour mon plus grand damne. Si j'avais effectivement passé le stade « joyeux », Alexandre et même cette crevette de Simon n'avait pas été mieux et j'avais dû les ramener tout deux chez eux.

-Papa m'a demandé de te réveiller mais je lui ai dit que tu étais malade, renchérit Alexandre, un sourire dans la voix. J'ai toute de suite vu les symptômes, et en plus c'est rare de ne pas te voir te réveiller après midi … j'en conclu que l'Irlande a gagné ?

-Hm.

-Et que tu as fêté ça plus dignement que tes CHOUETTEs ?

-C'est des BUSEs, pas des CHOUETTEs.

Je levai une paupière lourde pour voir qu'Alexandre n'avait pas fait que me rendre visite, mais m'avait également monté le petit-déjeuner. Il sourit doucement en remarquant mon air ébahi.

-Que me vaut cet honneur ?

-Papa et maman me font un prêt pour le permis, annonça-t-il alors que je m'emparais d'une tasse fumante de chocolat chaud. Je les rembourserais une fois que j'aurais un job.

-Amen, soupirai-je, sincèrement soulagée que cette dispute ait trouvé une solution si vite. Ça manque de miel, cette affaire.

Je levai ma tasse d'un air entendu et Alexandre me jeta un regard torve.

-Je t'annonce que j'ai réglé pacifiquement le conflit …

-Papa a réglé le conflit.

-… et de te ramène le petit-déj au lit pour guérir sa gueule de bois, et la seule chose que tu oses me dire c'est « ça manque de miel » ?

Je le gratifiai d'un délicieux sourire avant de gémir quand ma tête me lança à nouveau. Cela arracha un rire à Alexandre, qui acheva sa visite en m'informant que les parents étaient sortis pour l'après-midi et que je n'avais rien à craindre à faire mes devoirs à la maison. Je n'étais pas sûre de vouloir sortir le moindre parchemin aujourd'hui. Je descendis une ou deux heures plus tard avec un mal de crâne moins soutenu, qui me permit de lire mon grimoire dans le canapé. Des cliquetis dans le garage m'indiquaient qu'Alexandre travaillait sur sa moto. Je m'endormais presque sur mon livre quand des coups virulents furent toqués à ma porte. Je me trainai jusqu'à elle, enroulée dans un plaid, alors qu'on martyrisait toujours le pauvre battant.

-Ça va, je suis là, marmonnai-je en ouvrant la porte.

-Navrée.

Susan se tenait de l'autre côté du battant, les cheveux en bataille, un sourire crispé aux lèvres. Malgré la brume dans laquelle baignait mon cerveau, je ne pus m'empêcher de remarquer l'alerte dans les yeux de Susan, ainsi que la tension dans ses traits. Je fronçai immédiatement les sourcils. Aucun des Bones n'avaient pour habitude de venir toquer à ma porte – sauf Simon qui n'avait décidemment aucune tenue.

-Qu'est-ce qui se passe ?

Susan se mordit la lèvre inférieure et se contenta de me tendre un journal qu'elle tenait à la main. Un exemplaire nocturne de La Gazette du Sorcier. Je le dépliai avec un soupir et découvrit l'imagine d'une immense tête de mort luisant dans le noir alors qu'un serpent lumineux sortait sinueusement de sa bouche. Mes doigts se figèrent sur le papier alors que la vision que l'image m'inspirait dissipait les dernières brumes de mon esprit.

La Marque des Ténèbres.

Je connaissais assez l'Histoire des Sorciers pour savoir ce que cette image signifiait.

-C'est … quand … ? bredouillai-je, incapable d'aligner une pensée correcte.

-C'est paru dans la nuit, expliqua Susan d'une voix tremblante. Quelqu'un a fait apparaître la marque, juste après la finale … Maman a attendu que Simon rentre toute la nuit …

-Il va bien ?

Cette marque me glaçait le sang, assez pour que je m'inquiète pour la santé de Simon. Seigneur, cette marque c'était celle de la mort. Si elle était apparue alors … Mais Susan secoua la tête.

-Il va bien, ça va, tout le monde va bien. Enfin, je veux dire personne n'est mort. La seule chose que dit l'article c'est que …

-Les moldus.

Ma voix blanche fit frissonner Susan. J'étais en train de lire l'article en question. Un groupe d'individu s'en était pris à une famille moldue, responsable du camping dans lequel logeaient de nombreux sorciers qui avaient assisté à la finale de la Coupe du Monde. Les mots s'insinuèrent dans mon esprit et j'eus l'impression qu'un liquide froid parcourait mes veines, me figeant un peu plus à chaque information. On les avait fait léviter, humilié en public … les sorciers s'étaient réfugiés dans la forêt … Les trouble-fêtes s'étaient volatilisés à l'apparition de la marque …

Seigneur. J'avais l'impression de lire un article issu d'une autre époque, vieille de près de quinze ans. Une époque à laquelle appartenait cette terrible marque, et où des actes de cet acabit étaient monnaie courante.

-Papa m'a raconté qu'on les avait oublietté, raconta Susan, mais je l'écoutais a peine. Ils ne garderont aucun souvenirs de …

-Mais ça s'est quand même passé Susan ! Bon sang, je croyais que c'était fini, qu'il avait été détruit ?!

Ma voix était passée légèrement dans les aigus vers la fin, et je récoltais le regard affolé de Susan. Je fermai un instant les yeux pour le calmer, mais ça n'aida pas. Aussitôt, le monde se mit à tourner autour de moi et je n'eus en tête que l'imagine de mes parents et de mon frère volant dans les airs la tête à l'envers, au bout de la baguette de criminels cagoulés d'un autre âge.

-Il a été détruit, Victoria, assura Susan d'une voix douce. Mais il a toujours des partisans. Cela dit … C'est la première fois que la marque apparaît depuis la chute alors … je ne sais pas, je pensais que tu devais être au courant.

-Merci.

Susan me gratifia d'un dernier sourire crispé, avant de faire volte-face, non sans un dernier regard qui signifiait clairement « fais attention à toi ».

Seigneur, ce regard.

Je pensais ne plus y avoir à faire. Il m'avait poursuivi toute ma quatrième année, quand un soir d'Halloween Poudlard avait découvert ce sinistre message sur le mur du deuxième étage. Un message qui me faisait encore frissonner d'effroi.

« Ennemis de l'héritier, prenez-garde ».

J'avais compris quelques jours plus tard que c'était moi, l'ennemi.

Parce que j'avais un sang sale. Parce que mes parents n'étaient pas des sorciers. Parce que j'étais issue d'un monde sans magie, je dérangeai certaines personnes. Je l'avais compris très tôt à Poudlard, quand Ulysse Selwyn m'avait enfermé dans un placard à balai, non sans avoir inscrit sur mon front à l'encre indélébile le classique « Sang de Bourbe ».

Mais je n'avais pas eu conscience que l'on pouvait réellement me vouloir du mal à cause de ça. Sauf une fois, après avoir balancer mon pied dans les bijoux de famille de ce même Ulysse Selwyn après qu'il m'ait insulté. Mais cette fois là, je préférais l'oublier.

Et puis il y avait eu message, et l'agression de ce petit Gryffondor. Quel avait été son nom ? J'avouais avoir une mauvaise mémoire. Kevin ? Colin ? On l'avait trouvé se rendant à l'infirmerie, figé. Dès lors, mes amis avaient refusé de me laisser seule, y compris Simon,qui avait fait preuve d'une étonnante sollicitude. Alors ces regards, les mêmes que venaient de me lancer Susan, m'avaient suivi le long de l'année, et chaque fois qu'un Né-moldu était retrouvé agressée, la terreur montait d'un coup. J'avais passé des mois à avoir peur de la solitude, à sursauter au moindre bruit, à être sur mes gardes. A chaque nouvelle agression, je m'étais renfermée en songeant « et si j'étais la prochaine ? ». Et à chaque prochaine fois, j'étais secrètement et honteusement soulagée de ne pas avoir été la victime. Et je craignais à nouveau la prochaine fois. Une année de stresse et d'horreur.

Je n'avais jamais eu aussi peur de toute ma vie.

Mais la peur était passée. Le monstre avait été tué. Poudlard avait retrouvé sa bonhomie et les BUSEs avaient tellement occupé mon esprit que je n'avais pas trouvé le temps de resonger à l'année affreuse qui venait de s'écouler. Seuls la présence des Détraqueurs et l'évasion de Sirius Black avait assombri ce tableau mais je m'étais sentie loin de ces faits divers, toute plongée que je l'étais dans les BUSEs et le Quidditch, en sécurité dans le cocon Poudlardien.

Mais à présent, maintenant que je contemplai à nouveau cette Marque sinistre luire sur la photo, la peur refaisait surface. De manière brusque et irrationnelle.

-Tory ?

Je sursautai brusquement en détachant mon regard de la photo. Alexandre venait de sortir du garage et me contemplai les sourcils froncés, frottant ses mains noires de graisse contre un chiffon. Il était crasseux, couvert de sueur, mais pourtant je ne pus m'en empêcher : je m'élançai vers lui et l'enlaçai de toute mes forces, le journal toujours tremblant entre mes mains. Alexandre ne réagit pas dans un premier temps, surpris, avant de refermer ses bras sur moi avec automatisme.

-Euh, Tory ? Je suis couvert de graisse, j'ai travaillé toute la journée et euh … tu es sûre que ça va ?

Je ne répondis rien, me contentant d'inspirer à fond pour calmer les tremblements et de le serrer contre moi pour me rassurer. Je ne pouvais pas m'en empêcher, les visages des membres de ma famille se superposaient aux pauvres moldus suppliciés de la nuit dernière.

Et si ça arrivait aux membres de ma famille ?

Je vous protégerais, me promis-je alors, le nez enfoui dans le torse d'Alexandre. Je vous jure que je vous protégerais.