Bonjour à tous !

Je m'aperçois que finir une histoire, a fortiori une histoire qui est écrite sur une longue durée de temps, c'est particulièrement difficile. Cette fic n'est pas très longue comparée à d'autres que j'ai pu écrire, mais elle est pas mal chargée. Je voulais trouver les bons mots, le bon ton, pour boucler la boucle, car c'est ça, terminer une histoire. Clore l'intrigue, mais aussi apporter une résolution psychologique pour les personnages.

Ce n'est pas la première fois que je le fais... Mais sans doute la première fois pour une histoire que j'ai commencé il y a autant de temps. Il y a un peu de regret, la peur de vous décevoir, la peur de me décevoir, de passer à côté de quelque chose... La peur de ne pas avoir vraiment fini. Bref, c'est intimidant, ça me rend mélancolique, mais... Les points finaux ne sont jamais que le début d'autres histoires.

Merci d'avoir lu celle-ci, de l'avoir suivie, de l'avoir aimée, merci pour vos reviews, votre gentillesse, merci pour tout. J'espère vous croiser bientôt pour de nouvelles aventures.

Une dernière fois pour cette histoire... Enjoy !

PS : Je dois la fin de ce chapitre, et donc quelque part la fin de cette histoire, à Makoto Shinkai, ses images sublimes, et la musique de son film La Tour au-delà des nuages (le titre Kodoku, 'solitude', en l'occurrence), qui m'ont donné l'inspiration :)


CHAPITRE SEIZE : Une décision irrévocable – Et un crépuscule sur le Seireitei

I

« Ma décision est irrévocable. »

Yamamoto regarda la lettre de démission sur son bureau d'un air très las. Après les troubles qu'ils avaient connus avec Aizen, dont le contre-coup se faisait toujours sentir via la multiplication des hollows sur Terre, ce n'était vraiment pas le moment de faire du renouvellement dans le personnel. De plus, il y avait bien peu de shinigamis assez puissants pour prétendre au grade de capitaine. Kuchiki avait recommandé Abarai pour lui succéder, mais l'idée ne plaisait pas au commandant du Gotei 13. D'après lui, le lieutenant de la sixième était aussi talentueux que prometteur, mais il manquait d'expérience.

« Capitaine Kuchiki... commença-t-il.

— Yamamoto-sama, l'interrompit aussitôt Kuchiki, commettant une impolitesse dont il n'était guère coutumier. Vous ne pouvez exiger de moi que j'accomplisse mon devoir si j'ai totalement cessé de croire à notre mission en tant que shinigamis. Ou plutôt... vous le pourriez, mais chaque jour que je passerais à mon poste, je me postionnerais en traître, et je refuse de devenir un capitaine sans loyauté. Vous ne pouvez confier tant de responsabilités à un homme qui n'est pas prêt à donner sa vie pour les assumer. »

Yamamoto soupira lourdement. Depuis aussi longtemps qu'il s'en souvienne (et cela faisait tout de même plusieurs millénaires), il n'avait jamais connu pire tête de mule dans tout le Seireitei que Kuchiki Byakuya, et pourtant, la concurrence était rude. Et il en allait ainsi depuis la prime jeunesse de l'héritier du clan. Il se demanda pendant combien d'années encore il allait devoir composer avec la redoutable opiniâtreté de Kuchiki, qui demeurait aujourd'hui l'un de ses meilleurs éléments, et qu'il voyait même, un jour, prendre la tête du Gotei 13. Personne n'exerçait aucun véritable contrôle sur lui : si Kuchiki vouait un profond respect envers la hiérarchie, au fond, il ne suivait jamais que ses propres principes et son propre code d'honneur. L'en faire dévier ne serait-ce qu'un tout petit peu relevait du miracle. Et les miracles, ce n'était pas vraiment la spécialité du commandant. Il chercha les mots justes pour convaincre son interlocuteur, et s'apprêtait à reprendre la parole quand une diversion bienvenue détourna leur attention.

La porte s'ouvrit avec fracas et le lieutenant Abarai débarqua essoufflé, le visage rouge d'avoir couru. Il s'inclina précipitamment en déblatérant des excuses confuses auxquelles Yamato ne comprit rien. Quand Abarai reprit son souffle, il conclut :

« Je vous en prie, Yamamoto-sama, n'écoutez pas un mot du capitaine Kuchiki, et veuillez l'excuser, s'il vous plaît. »

Yamamoto sourit. Il s'était plus ou moins attendu à une réaction de ce genre, mais l'impulsivité et l'authenticité du lieutenant avait quelque chose de rafraîchissant. En revanche, le capitaine Kuchiki apprécia nettement moins. Il pâlit de colère tandis que ses yeux prenaient une teinte d'un violet sombre de mauvais augure. Et pourtant, il avait à peine modifié l'expression de son visage. Ce talent avait quelque chose de fascinant, Yamamoto devait en convenir.

Ignorant avec aplomb la furie silencieuse de son capitaine, Abarai poursuivit :

« Vous avez lu nos rapports de la mission sur Terre, j'imagine ?

— En effet.

— Alors vous voyez que... eh bien, nous devons faire mieux, nous les shinigamis.

— Pas seulement sur Terre, siffla Byakuya entre ses dents, tendu à l'extrême.

— Oui, eh bien... » Abarai se gratta la tête d'un air embarrassé. « Oui, il y a ça aussi. »

Yamamoto se renfonça sur sa chaise, maintenant franchement diverti.

« Tiens donc ? Et que devons-nous mieux faire ?

— Vous en conviendrez, la Soul Society n'est pas le... milieu le plus égalitaire du monde, murmura Abarai précipitamment. En fait, elle est un reflet presque parfait de la Terre. Et je doute que l'iniquité soit une garante d'équilibre, sauf votre respect, Yamamoto-sama. »

Le commandant reporta son attention sur Kuchiki, étonné par son silence. Sa fureur semblait avoir fondu d'un seul coup, et il regardait son lieutenant d'un air complètement stupéfié qui augmenta encore son amusement.

« Et vous vous souciez de cette iniquité, capitaine Kuchiki ? interrogea-t-il en croisant ses mains sous son menton.

— Eh bien.. oui, Yamamoto-sama. Mais je ne suis pas venu ici pour faire des réclamations ou fomenter une rébellion. Je souhaite simplement renoncer à mes fonctions.

— Et moi, je vous l'interdis », répliqua Yamamoto.

Kuchiki cligna des yeux, tentant de dissimuler sa confusion.

« J'entends bien vos récriminations, dit Yamamoto.

— Mais, je n'ai...

— Ces questions ne sont pas nouvelles et je vous l'accorde, le temps est probablement venu d'apporter quelques changements à la Soul Society. Nous nous sommes contentés de rôle de passeurs d'âmes sans jamais chercher à utiliser nos pouvoirs et notre influence pour améliorer le monde. Notre indifférence nous a aliénés, de telle sorte à ce que certains de nos meilleurs éléments se mettent à douter. Je vous comprends, capitaine Kuchiki : qui voudrait d'une mission sacrée mais dépourvue de sens ?

— Yamamoto-sama, vous...

— Je dois dire que l'arrivée en force du shinigami remplaçant a bouleversé pas mal de choses ici, à commencer par vous, capitaine Kuchiki. Et moi aussi aussi, il m'a donné matière à réfléchir. Je convoquerai bientôt une réunion pour discuter de ces questions. Vous pouvez disposer. »

Comme Kuchiki restait planté là à le regarder en clignant des yeux, son lieutenant l'attrapa par le bras et le tira à sa suite hors de son bureau. Yamamoto rit un peu, puis se concentra à nouveau sur son travail.

II

Renji ne lâcha Byakuya qu'une fois à l'extérieur.

« Désolé, capitaine, mais... vous admettrez... Enfin, même le commandant était d'accord avec moi. »

Byakuya continua de le dévisager avec une infinie perplexité.

« Je vous connais mieux que ce que vous semblez penser, c'est tout. Rentrons, voulez-vous ? »

Rentrer ?

Oui, la sixième division était un peu comme leur foyer, après tout. Avec tout le temps qu'ils y passaient... Un foyer qu'il avait pensé abandonner, mais on l'y retenait. Pourquoi ?...

Il resta silencieux pendant le trajet, Renji aussi. Absorbé par ses réflexions, il se laissa surprendre par la petite foule qui les attendait.

« Capitaine, nous sommes heureux de vous revoir. »

Byakuya observa ses soldats, et constata que cette affirmation n'était probablement pas qu'une formule de politesse. Il y avait de la joie, de l'espoir, du soulagement dans les yeux des shinigamis. Ils comptaient sur lui, réalisa-t-il. Pour les protéger, les entraîner, les guider, les aider à devenir de meilleurs shinigamis et accomplir au mieux leur mission. Et aussi indigne qu'il se sente présentement de cette tâche, il ne pouvait pas se dérober aussi facilement.

« Je vous remercie, dit-il avec sa sobriété et son calme habituels. Retournez à vos postes. »

Tout le monde s'empressa de s'exécuter, et lui se dirigea vers son bureau, Renji sur les talons. Avec la une sérénité de façade travaillée depuis des éons, il prit place à son bureau, puis regarda ses papiers soigneusement triés. Il était shinigami... et il passait le plus clair de son existence à effectuer des tâches administratives. Cet état de fait avait un aspect comique qu'il n'avait jusqu'alors jamais vraiment saisi. Il fallait dire que l'humour n'était pas son fort... Et trop de choses, réalisa-t-il, n'étaient pas son fort.

Il leva les yeux et regarda Renji qui contemplait ses propres dossiers avec une moue dégoûtée qui fit naître un sourire sur ses lèvres. Il posa la plume qu'il s'apprêtait à plonger dans l'encrier et repoussa ses tâches administratives d'une main presque négligente.

« Le commandant Yamamoto a promis de convoquer une réunion, déclara-t-il. Il y a un sujet que je juge prioritaire : la lourdeur de notre système administratif. Son absurdité m'apparaît de plus en plus prégnante. »

Renji le fixa comme s'il venait de confesser une admiration secrète pour les Hollows.

« P-Pardon ? balbutia-t-il.

— Je pense que nous emploierions mieux notre temps aujourd'hui à entraîner les recrues et à aider à progresser les autres. »

Renji en était pratiquement livide. Byakuya sut la prochaine chose qu'il allait demander avant qu'il n'ouvre la bouche. Il l'interrompit donc avant qu'il ne prenne la parole.

« Je vais très bien, l'assura-t-il. J'ai simplement pris conscience d'un certain nombre de choses. Et si Yamamoto s'entête à refuser ma démission, alors il devra accepter que je fasse désormais les choses à ma façon. Après tout, cette division est sous mon commandement jusqu'à nouvel ordre. »

Le lieutenant cligna des yeux comme s'il se réveillait d'un rêve particulièrement étrange. En même temps... C'était bien toujours le même capitaine Kuchiki qu'il avait sous les yeux ?! Son sourire, doux et calme, n'avait rien de factice. Et il semblait très sérieux à propos de l'administration.

« Ne sois pas si étonné, Renji », dit Byakuya en prononçant son prénom avec une douceur qui lui donna des frissons. « Après tout, c'est toi qui m'as amené à changer. Comme le dit si bien l'adage, tu récoltes ce que tu sèmes. »

À ces mots, le lieutenant esquissa un sourire. Lorsque Byakuya avait refusé de voir qui que ce soit à leur retour à la Soul Society suite à leur affrontement avec Nnoitra, il avait eu peur, très peur. Puis, à peine sorti de l'hôpital, l'aristocrate avait foncé chez Yamamoto pour donner sa démission et il n'était parvenu à l'arrêter que de justesse. À ce moment-là encore, il ignorait comment interpréter les décisions et l'attitude étrange de son capitaine. Maintenant, il avait l'impression qu'un changement profond s'était opéré en lui. Et Byakuya avait raison, il l'avait probablement amorcé, mais il n'en revenait pas en constatant à quel point ses tentatives pour ramener un peu de lumière dans les yeux mélancoliques de son capitaine avaient porté leurs fruits.

« Entraîner les recrues, ça me paraît une bonne idée », approuva-t-il.

Il s'aperçut qu'il était déjà debout avant même d'avoir terminé sa phrase. Byakuya suivit le mouvement et Renji se mit à lui parler en détail du programme qu'il prévoyait pour chacune des nouvelles recrues, et des idées qu'il avait pour certains shinigamis plus endurcis mais dont certaines compétences méritaient d'être affinées ou stimulées.

Ils sortirent du bureau et longèrent le couloir en direction des terrains d'entraînement, Byakuya écoutant attentivement les analyses de son lieutenant, sans l'interrompre. Et à mesure qu'il parlait, Renji était de plus en plus loquace, et donc de plus en plus heureux.

Byakuya ne lui en tint pas rigueur. Au contraire, ce matin-là, il prenait un plaisir tout particulier à l'écouter. Il n'avait jamais douté des compétences de Renji, sans quoi il ne l'aurait jamais pris comme lieutenant. Cependant, il découvrait qu'il avait sous-estimé ses capacités, et sous-employé ses talents. Renji était un pédagogue hors pair, avec un esprit d'observation bien développé, et une empathie et un charme qui rendaient les interactions avec ses subordonnés à la fois naturelles et productives.

Ils passèrent donc le restant de la journée à parfaire les talents de leurs subordonnés, se prenant tous les deux à espérer que leur division devienne la meilleure de tout le Gotei 13. D'après Renji, c'était tout à fait envisageable.

Le soir venu, ils reçurent la visite d'Ichigo, qui crut que Byakuya le menaçait encore de mort quand celui-ci l'invita à dîner. Renji lui fit signe que tout allait bien, mais Ichigo ne le crut que lorsque Rukia débarqua à son tour et le pressa d'accepter.

« Bon bah... Ok, alors... » acquiesça-t-il en se frottant le crâne et en riant bêtement.

Rukia aussi remarqua le changement qui se produisait chez son frère et demanda subrepticement à Renji ce qu'il avait 'encore fait', comme si ce changement n'était pas positif... Et ils passèrent une soirée agréable et paisible, du moins, aussi paisible qu'elle pouvait l'être avec Renji et Ichigo se tenant dans la même pièce.

III

Quelques heures plus tard, Ichigo prit congé, Rukia regagna sa chambre, et Byakuya et Renji demeurèrent seuls dans le silence paisible de la demeure. Il était encore tôt, et le crépuscule commençait à envahir le ciel indigo où dérivaient quelques nuages.

« Tu crois que les choses vont réellement changer ? » demanda Byakuya d'une voix presque inaudible en dépit du calme ambiant.

La question étonna Renji, ou plutôt... Ce n'était pas la question en elle-même, mais le fait que son capitaine la pose. Jamais il ne demandait à ce qu'on lui donne des certitudes là où il n'y en avait pas, et on aurait pu croire que c'était parce que Kuchiki Byakuya n'avait pas besoin d'une chose aussi insignifiante qu'une certitude, mais Renji savait aujourd'hui qu'il n'en était rien. Byakuya avait fondé sa vie entière sur des certitudes. Alors, plus que quiconque, il les recherchait quand elles venaient à faire défaut. Mais aujourd'hui, et pour la première fois depuis tant d'années, il marchait en territoire inconnu, et il avait choisi de ne pas le cacher à Renji. Ce simple fait, pour le lieutenant, constituait une déclaration bien plus signifiante que n'importe quel mot d'amour.

Renji ne répondit pas tout de suite, son regard attiré par le jardin où les ombres s'allongeaient à mesure que montait la nuit.

« Je ne crois pas que Yamamoto-sama aurait cherché à vous tromper, capitaine. S'il vous a dit que vos récriminations étaient légitimes, alors il y donnera suite. »

Byakuya posa ses yeux clairs sur son lieutenant.

« Renji, nous sommes seuls... »

Le shinigami aux cheveux rouges lui adressa un regard interrogatif.

« Tu peux me tutoyer... précisa Byakuya. Et m'appeler par mon prénom. Je... préférerais que tu le fasses. »

Renji sentit un doux frisson le parcourir. Il n'espérait pas rendre leur relation officielle au Seireitei, parce qu'ils étaient d'abord liés par la hiérarchie. Mais au fond... ça lui importait peu. Tant que lorsqu'ils étaient seuls, ces liens disparaissent. Il sourit légèrement.

« D'accord... Et moi, ce que j'aimerais, c'est qu'on sorte regarder ce crépuscule. J'ai l'impression que c'est l'un de ces couchers de soleil qu'il faut pas rater. »

Byakuya le regarda un peu surpris, mais le suivit à l'extérieur, où ils s'assirent sur la galerie en bois, depuis laquelle ils pouvaient observer à loisir le ciel bleu foncé qui rougissait là où le soleil s'effondrait, peu à peu happé par l'horizon invisible derrière les arbres et les bâtiments massifs et dénués d'imagination du Seireitei. Ils ne disposaient que d'un coin de ciel emprisonné par la ville, mais assez vaste pour qu'ils puissent s'y perdre le temps d'un crépuscule.

Les rayons dorés tranchaient le ciel contrasté, illuminant le flanc des nuages épars mais gonflés d'une pluie qui refusait de tomber. Les averses printanières leur seraient-elles épargnées ce soir ? Renji aurait voulu qu'il pleuve, et voir l'obscurité se mêler aux dorures du soleil, et souligner les ombres profondes du jardin étendu devant eux, dans ce petit espace reclus où la froideur et l'impersonnalité du Seireitei n'avaient pas droit de cité, mais où tout était délicatesse et intimité.

« C'est donc la fin d'une ère... murmura Byakuya, le tirant tout à coup de ses rêveries.

— La fin d'une ère ? répéta-t-il doucement.

— Pour le Seireitei... Ou peut-être... pour moi. Plus jamais je ne pourrai poser le même regard sur les choses. Nnoitra a achevé de me faire apprendre la leçon que Rukia a commencé de me donner, et que Ichigo et toi avez reprise ensuite.

— Quelle leçon, exactement ?

— Le monde n'est pas ce qu'on veut ou ce que l'on croit qu'il est. Il se fiche de nos aspirations, de nos règles, de notre sens du devoir où de l'honneur. Il est. Et ceux qui échouent à le voir deviennent des victimes de leurs propres illusions, jusqu'à se transformer en monstres.

— Tu n'es pas un monstre.

— Pour toi, non. Pour les humains, pour les âmes esseulées jetées dans la misère du Rukongai, pour certains de mes collègues, oui. Et je ne peux leur donner entièrement tort. Ma conception égoïste du monde a fait de moi un être méprisable.

— Un être méprisable ne dirait jamais une telle chose de lui-même. »

Byakuya eut un sourire triste en entendant cette réponse, et garda le silence, ses yeux translucides presque noirs dans le clair obscur du crépuscule.

Renji réfléchit à ses paroles et poursuivit après une minute :

« C'est la fin d'une ère, oui... Ou le début d'une autre. C'est la même chose que de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Tout est question de point de vue.

— Quand je regarde ce ciel plein d'ombre et de lumière, je me sens... Parfaitement insignifiant. Ce sentiment ne m'a jamais posé de problème, du moins pas jusqu'à aujourd'hui. Ou peut-être avais-je seulement oublié ce que c'était vraiment, de contempler le ciel et d'y voir défiler sa vie et ses souvenirs, de savoir que même en étant immortel, nos vies se dérobent et nous fuient, emportant tout avec elles... Comme les nuages qui se forment puis s'effacent après la pluie. »

Sa voix mourut dans l'obscurité naissante. Il garda le silence un moment, et Renji ne chercha pas à le relancer, se contentant d'observer son profil magnifique se découper dans la lumière ambivalente du couchant.

« Quand le monde est sur le point de sombrer dans la nuit, reprit doucement Byakuya, quand il ne reste que ces quelques pâleurs pour éclairer le ciel... Je me souviens. Je me souviens que tout aussi immortels que nous soyons, nous ne sommes rien. »

Renji avait retenu son souffle en l'écoutant. Il n'avait probablement jamais entendu Byakuya parler si longtemps. Et pourtant, il n'avait pas encore terminé. Le soleil et les ombres jouaient sur ses traits nobles, et d'abord Renji crut qu'il pleurait, mais non, c'était juste la pluie que les cieux avaient finalement libérée à travers le soleil qui disparaissait.

« Je me rappelle que j'ai aimé, et que j'aime encore, reprit Byakuya d'une voix sourde. Je me rappelle que si ce sentiment disparaîtra sans doute avec moi... Rien ne peut l'arracher à mon cœur. Rien ne peut me faire oublier. Tu avais raison... C'était l'un de ces crépuscules qu'il fallait voir. Je n'en ai jamais contemplé aucun avec toi, et celui-là... me semble approprié.

— La pluie et le soleil... Il ne manque plus qu'un arc-en-ciel, hein ? »

Byuakuya hocha la tête en souriant.

Mais Renji ne rit pas quand l'arc-en-ciel s'étira dans un tremblement à travers le ciel qui virait au noir. Alors, un rayon de soleil tomba en travers de l'étang où s'échouaient des fleurs de cerisier dans un silence presque parfait.

Il eut cette impression étrange que ce moment demeurerait à jamais suspendu. Dans leur propre éternité.

Et de ce sentiment découla celui de l'acceptation. S'il devait mourir maintenant, il mourrait heureux.

Mais maintenant n'était pas encore l'heure de rendre l'âme. C'était plutôt le moment d'apprécier cet éphémère – toujours éphémère même pour un shinigami – moment d'existence. C'était un instant qu'il devait graver, sculpter dans ce ciel, même si sa sculpture se diluait en volutes de vapeurs à mesure qu'il y touchait. L'émotion intense et pure qu'il éprouvait à regarder l'homme qu'il aimait et dont le visage s'assombrissait tandis que le crépuscule affamé avalait les couleurs de plus en plus pâles de l'arc-en-ciel, cette émotion... leur appartenait à eux deux. Elle les symbolisait, et peut-être qu'elle ne leur survivrait pas, mais à cet instant, est-ce que ça comptait vraiment ?...

Et à travers la lumière de plus en plus pourpre du soleil couchant, les pétales de cerisier rose pâle qui pleuvaient en silence prirent une teinte rouge sang alors qu'ils épousaient les eaux noires.

La main de Byakuya se serra sur la sienne. Il leva les yeux vers les cieux. L'arc-en-ciel avait disparu.

Renji porta cette main pâle à sa bouche et y posa un long baiser, ses lèvres pressant la peau fine et blanche. Non, il n'échangerait ce crépuscule pour rien au monde, pas même contre des milliers d'autres. S'il ne devait en garder qu'un, ce serait celui-là.

Byakuya observa son lieutenant qui avait dénoué ses cheveux et qu'un rayon de soleil faisait flamboyer. La lumière ne s'attarda qu'un instant.

« Je suis heureux... de ne plus être contraint à passer l'éternité seul. »

Renji lui sourit, et il s'aperçut de la futilité de ses mots alors même qu'il les prononçait. L'éternité ? Peut-être ce crépuscule la résumait-il ? Et après tout... Il aimait cette idée.

Renji se pencha vers lui et leurs lèvres se scellèrent alors que le dernier rayon s'abîmait dans la noirceur. La pluie se referma en un rideau crépitant sur le jardin, les isolant du reste du monde. On n'y voyait plus à un pas. Mais ce qu'ils avaient besoin de voir se trouvait juste à portée de leurs lèvres.