Partie 5 : L'armoire

Les sortilèges pour créer ou ouvrir un portail n'avaient pas fonctionnés.

Le pentacle d'invocation n'avait rien donné.

Ni les détecteurs de champs de force.

Ni le sort de localisation.

Ni celui d'analyse du flux magique.

-Et vous êtes certains que c'est cette armoire? répéta Harry pour au moins la dixième fois.

Draco et Lisa échangèrent un air mêlant l'épuisement à l'exaspération. Ça faisait plus de trois heures que Scorpius et Lily avaient disparus et qu'ils tentaient de comprendre où et comment cela avait bien pu se produire. Harry était arrivé une trentaine de minutes après que McGonagall l'eut avisé, il avait demandé à Ron et un autre Auror de le rejoindre sur place. La mine défaite de son époux l'avait accueilli et il s'était efforcé de dissimuler l'angoisse qui lui vrillait les tripes depuis qu'il avait appris la disparition de ses enfants.

-Oui, se contenta de répondre Draco en soupirant alors que, près d'eux, les deux autres Aurors pointaient leurs baguettes un peu partout en continuant de jeter une série de sorts de détection, ne se laissant pas démonter par le fait qu'aucun n'avait donné de résultat jusque-là.

C'était comme si Scorpius et Lily avaient été subitement arrachés de la surface de la Terre, juste comme ça, comme s'ils n'avaient jamais existé.

Harry se lécha les lèvres, comprenant la lassitude de son mari.

-Nous allons les retrouver, dit-il en prenant doucement ses mains entre les siennes, Draco s'y agrippa avec force, comme si c'était tout ce qui l'empêchait de tomber dans un gouffre.

Draco acquiesça en silence, se sentant complètement inutile au milieu de cette pièce. Il avait l'impression qu'ils n'arrivaient à rien, que tout ceci était vain et qu'ils perdaient un temps précieux. Mais qu'auraient-ils pu faire d'autre? C'était bien de cette pièce que ses enfants avaient inexplicablement disparu. Et il se surprenait constamment à espérer qu'à tout moment, ils apparaissent dans cette maudite armoire de la même manière qu'ils s'étaient envolés.

Il pensa que la dernière fois qu'il avait vu Scorpius, il s'était disputé avec lui et maintenant, il ignorait s'il le reverrait un jour. Il savait qu'il ne pouvait dire une telle chose à Harry, que ce dernier refuserait de penser qu'ils pourraient ne plus jamais revoir leurs enfants. Il lui interdirait de dire une telle chose, de même la suggérer, mais même s'il la taisait, Draco ne pouvait empêcher cette pensée de se frayer un chemin dans son esprit et d'y faire son nid malgré lui.

-Harry, Draco, on ne détecte absolument rien, dit Ron au bout d'un moment, après que l'autre Auror lui eut murmuré quelque chose.

Leur ami paraissait aussi atterré qu'eux et il peinait à les regarder dans les yeux. Draco secoua la tête.

-Continuez alors, on n'a pas tout vérifié! répondit-il en laissant transparaître son impatience.

-Non… C'est… je ne veux pas dire de… enfin… c'est que c'est bizarre, c'est très bizarre, même, de ne rien détecter comme ça. En fait, c'est presque impossible, dit Ron en fronçant les sourcils comme s'il réfléchissait à quelque chose dont il n'était pas certain.

-Peut-être que c'était un portail et qu'il s'est refermé maintenant? suggéra le Sauveur du monde sorcier.

L'autre Auror du nom de Stephen secoua la tête. C'était un homme d'une quarantaine d'année portant des lunettes démodées, une chemise boutonnée jusqu'au col et soigneusement rentrée dans son pantalon de toile beige. Le tout lui donnait l'air un peu ringard de celui qui préfère passer une soirée dans ses livres qu'avec d'autres êtres humains. Draco ne l'avait jamais vu auparavant. Harry l'avait présenté comme un spécialiste en magie résiduelle œuvrant dans le département analytique du bureau des Aurors. Son travail était tout autre de celui de Harry et de Ron qui œuvraient sur le terrain. Il intervenait lorsqu'on avait besoin de savoir quel genre de sortilège avait été lancé sur un objet ou un lieu et par qui. Harry l'avait fait venir avec Ron lorsqu'il avait compris à quoi ils avaient affaire.

-Non, un portail aurait laissé des traces. Ce qui est étrange c'est qu'il n'y a aucune trace de magie résiduelle ici. Il n'y a absolument rien en fait. Ce qui est impossible, nous sommes tout de même à Poudlard, dans une salle remplie de toutes sortes d'objets dont certains ont très certainement des propriétés magiques. En fait, cette salle en elle-même est magique, donc… c'est impossible qu'on ne détecte rien ainsi…

-Qu'est-ce que ça signifie? intervint Draco, voulant aller droit au but.

Stephen haussa les épaules.

-Que quelque chose absorbe la magie qui est pratiquée ici… J'imagine.

-VOUS IMAGINEZ? C'EST LA VIE DE MES ENFANTS DONT IL EST QUESTION ICI ET…

-Nous sommes tous conscients de la gravité de la situation, mais rien ne sert de se crier par la tête, Draco, le coupa Ron en tentant tout de même de garder un ton de voix calme, il comprenait la réaction de son ami, mais se désorganiser n'arrangerait en rien les choses, bien au contraire.

Draco se tourna vers Harry, piqué, mais ce dernier détourna le regard.

-Comment peux-tu être aussi calme? attaqua le blond, fâché de ne pas avoir son support.

Harry releva les yeux vers lui.

-Je suis aussi inquiet que toi, mais Ron a raison, rien ne sert de s'emporter, ça ne les ramènera pas plus rapidement. On doit garder la tête froide, on doit…

-Et s'ils ne revenaient pas? le coupa Draco, disant à voix haute ce qui le tracassait depuis plusieurs heures et qu'il n'avait pas osé prononcer jusque-là.

-Nous allons les retrouver.

-Tu ne sais pas… Tu ne peux pas savoir… Et s'ils ne revenaient pas, Harry… Et s'ils…

Mais les mots moururent dans sa gorge, incapable qu'il était de les prononcer, même s'ils s'imprimaient au fer rouge dans son esprit.

Et s'ils étaient morts?

Il sentit les larmes emplir ses yeux malgré lui et il détourna la tête. L'instant d'après, son mari le prenait dans ses bras, serrant fermement son corps contre le sien. Il se laissa aller contre lui, s'accrochant à lui comme à un roc. Non, il ne devait pas penser à cette éventualité. Ils avaient passé à travers de tant de choses, de tant d'obstacles, comme toujours, ils trouveraient une solution, il le fallait. Il donnerait sa vie pour ses enfants, il ferait tout ce qui serait nécessaire, jamais il n'abandonnerait.

-Chut… ne dis pas une telle chose, chuchota Harry en lui caressant le dos d'une manière qui se voulait apaisante.

-Mais, et si c'était ça la réalité?

-Je refuse de le croire.

Draco avait envie de croire Harry, de partager son optimisme, mais d'eux deux, il avait toujours été celui qui gardait espoir en toutes circonstances. C'était lui, le Sauveur du monde sorcier.

-J'ai peur, murmura le blond.

-Moi aussi, mais on doit rester forts, on doit les retrouver.

Draco acquiesça doucement et, lentement, ils relâchèrent leur étreinte. Ron posa une main sur le bras du blond pendant un instant pour lui montrer son soutien et ce dernier hocha la tête, lui signifiant qu'il avait repris le dessus. Stephen qui les observait détourna immédiatement les yeux, ne sachant trop comment se comporter avec eux, au regard du drame qu'ils vivaient.

Ils se remirent au travail et ne virent pas Draco se pencher lentement vers le sol et prendre un vieux livre à la couverture arrachée qui traînait par terre. Harry vit l'éclat de lumière provenant de la lame d'un couteau juste après que son mari eut transformé le manuel. Mais il n'eut même pas le temps de prononcer le « non !» qui, l'instant d'après, franchissait ses lèvres que son époux avait glissé la lame contre sa paume, tranchant la chair. Draco serra les lèvres dans une expression douloureuse et plaqua sa main ensanglantée contre l'armoire.

Puis le sol se mit à trembler.


« Une croyance dangereuse qu'entretiennent certains sorciers est qu'il existence un état dit « naturel » de la magie et que les sorciers ne devraient pas tenter d'interférer avec ce dernier, ni même pour rectifier une erreur. Ils s'en remettent alors à la « nature » qui finit toujours à sa manière et selon ses propres règles par rééquilibrer les choses.

Or, il est important de considérer que ce qu'on appelle la « nature » n'est en aucun cas une entité consciente capable d'exercer des choix basés sur des valeurs, mais plutôt un ensemble de forces régies par des règles immuables. Or souvent, presque toujours, même, la meilleure solution n'est pas celle résultant d'un laisser-aller aux mains de la « nature ».

On se souviendra, à juste titre, de l'éruption du Vésuve résultant d'un trop plein d'énergie relâché lors d'une incantation commune d'un groupe de sorciers romains visant, nous le pensons, à augmenter leurs capacités au combat. Plutôt que de laisser le volcan entrer en éruption et raser la ville, ce qui a été la réaction « naturelle » face à une trop grande accumulation d'énergie, ces sorciers auraient pu intervenir et soulager cette pression en en faisant autre chose, plutôt que de laisser la « nature » s'en charger et tuer des milliers de personnes. »

-Extrait de Théorie de la magie, 3e édition, p.380-


-Lily, cours! cria Scorpius, pointant la baguette de Lisa vers son double et celui de sa sœur alors que Lucius se relevait péniblement, sans quitter des yeux les créatures se tenant juste de l'autre côté de la pièce, immobiles.

Mais Lily resta figée sur place, ne voulant pas abandonner son frère, pas encore.

Un sort fusa de la baguette de Lucius et frappa le double de Scorpius en pleine poitrine, mais ce dernier ne broncha même pas, se contentant de les dévisager de ses yeux aveugles.

Et soudain, les secousses débutèrent.


Narcissa posa une main sur le dossier du fauteuil près d'elle pour se stabiliser alors que les vases décoratifs posés sur le manteau de la cheminée et le service à thé sur l'ottoman se brisaient sur le sol dans un grand fracas. Un tableau se décrocha du mur, tombant face contre terre, puis un autre, près d'une fenêtre. Le tremblement de terre sembla redoubler d'intensité et ils peinèrent à demeurer debout, un chandelier tomba sur le sol dans un bruit métallique et Lily fit trois enjambés avant de saisir fortement la main de son grand frère. Les deux créatures n'étaient aucunement affectés par les secousses, comme s'ils n'avaient pas réellement pied par terre, comme des hologrammes, ils n'étaient aucunement perturbés par l'environnement physique les entourant.

Narcissa se tourna vers Scorpius et elle.

-Partez! lui cria-t-elle, sur son visage, aucune trace de peur, seulement une détermination telle que Scorpius ne pensa même pas à argumenter.

Il serra la main de Lily dans la sienne et se mit à courir en direction du hall d'entrée. Narcissa se tourna vers son mari qui venait encore une fois de lancer un sort aux deux créatures qui avancèrent sans même hésiter dans le mur de flammes magiques dressé devant eux. Une odeur de chair brûlée prit les deux sorciers à la gorge.

-Lucius, tu dois les amener dans cette boutique, maintenant!

-Hors de question que je te laisse seule ici avec ces choses. Les sorts ne leur font rien, que vas-tu faire contre eux? répliqua-t-il, l'ombre de la panique qu'il ressentait transparaissait dans sa voix.

Elle prit un éclat de verre dans sa main et serra sa paume autour jusqu'à ce que le tesson entaille sa peau. Elle se lécha les lèvres, comme si elle prenait un moment pour se concentrer et soudain, un champ de force apparut devant les deux créatures qui s'y heurtèrent. Les doubles monstrueux de leurs petits-enfants parurent surpris, pour autant qu'ils soient capables d'une telle émotion, puis leurs sourcils se froncèrent et ils rugirent de colère en chœur, s'obstinant à avancer.

La chose qui avait la forme de Lily posa ses mains sur le mur d'énergie et un grésillement se fit entendre alors que la peau de ses mains brûlait comme si elle venait de les plonger dans de l'acide. Les paumes de ses mains virèrent au rouge, puis la peau se couvrit de cloques. Elle ne semblait pas en ressentir de douleur, car elle continua à appuyer avec insistance sur le champ de force qui la maintenait sur place. Bientôt, le double de Scorpius en fit de même.

-Maintenant! exigea Narcissa dont la respiration s'était faite plus laborieuse, ses pupilles étaient dilatées et son corps tremblait légèrement, il était clair que maintenir ce bouclier lui coûtait.

Lucius plongea son regard dans le sien, mais aucuns mots ne furent échangés. Ils étaient inutiles. Et il se rua à la poursuite de Scorpius et de Lily.

La boutique était aussi sale et lugubre que lorsque Lily l'avait vu pour la première fois. La retrouver avait été très facile puisqu'après la description qu'en avait fait Lily, Lucius avait aussitôt sut de quel endroit il s'agissait pour l'avoir fréquenté dans un passé qui n'avait de cesse de venir le hanter.

Borgin and Burkes avait dû fermer ses portes peu de temps après la fin de la guerre. En effet, suivant la mort de Caractacus Burkes, l'un des copropriétaires de la boutique, monsieur Borgin s'était occupé seul du magasin pendant quelques années. Contrairement à son ancien associé qui avait toujours refusé de collaborer plus que nécessaire avec le Seigneur des ténèbres, loin de l'influence de Burkes, monsieur Borgin avait été immédiatement flatté de l'attention que le plus grand mage noir de tous les temps portait à son humble commerce. Non pas que monsieur Burkes était un homme obéissant à des principes moraux plus élevés que son associé. Non. C'était simplement une profonde misanthropie et un dégoût intense pour toute forme d'obéissance ou d'appartenance à quoi que ce soit qui avait motivé Burkes pendant toutes ces années.

Or, peu de temps après la fin de la guerre, les affiliations, qui n'avaient fait que grandir au fil des années, de la boutique avec les mangemorts et leur maître avaient fini par être découvertes lors des enquêtes menées par les Aurors pour dénicher les derniers mangemorts en cavale et tous ceux qui avaient sympathisés avec le Seigneur des ténèbres. En conséquence, Monsieur Borgin avait été condamné à purger une peine plutôt conséquente à Azkaban. Des charges pour possession d'objets magiques illégaux avaient été ajoutées en cours de route, faisant augmenter sa peine qu'il n'avait finalement pas purgée puisqu'il était mort des suites d'une pneumonie peu de temps avant la fin de son procès. La boutique avait donc été laissée à l'abandon depuis ce temps, personne ne souhaitant acquérir un magasin dans cette rue mal famée qui n'avait fait que péricliter depuis la fin de la guerre.

Scorpius n'avait rien dit lorsque Lucius les avait entraînés dans l'Allée des embrumes, mais ses sourcils s'étaient haussés alors que son regard balayait tout ce qui les entourait avec une curiosité indiquant que c'était la première fois qu'il mettait les pieds en ces lieux. Une sorcière à la tête recouverte d'un voile de dentelle jauni avait murmuré quelque chose à leur passage et Lucius lui avait jeté un regard dédaigneux en prenant la main de Lily pour la tenir près d'elle. La fillette s'était laissé faire, accélérant le pas.

Lorsqu'elle s'était enfuie de la créature, le chemin lui avait paru considérable, mais bientôt, ils passèrent devant la ruelle menant à l'arrière de la boutique. Elle leur avait alors montré du doigt la fenêtre par laquelle elle s'était échappée, mais Lucius s'était plutôt dirigé vers la porte d'entrée placardée, agitant sa baguette d'un simple geste dans sa direction. Les planches s'étaient aussitôt écartées avec une grâce laissant croire qu'elles se prosternaient devant le maître des lieux. Scorpius et Lily l'avaient suivi en échangeant un regard, l'absence de leur grand-mère et ce qu'elle signifiait pesant lourd entre eux trois.

Contrairement à Lily, Scorpius mettait les pieds pour la première fois dans cet endroit et la multitude d'objets hétéroclites lui firent tourner la tête. Il buvait du regard les tableaux, les statues et les autres objets dont il ne pouvait deviner la fonction, fasciné par tout ce qu'il voyait. Il s'approcha d'une vitrine derrière laquelle reposait une collection de pierres de différentes grandeurs et dont une semblait pulser d'une lumière bleutée. Scorpius se sentit étrangement attiré par elle. Il n'avait jamais rien vu de la sorte et il avait l'étrange impression que la lumière battait au même rythme que son cœur. Il fit un pas vers elle, sentant une douce euphorie l'envahir, l'angoisse qui l'habitait jusque-là s'envola et ne fut bientôt plus qu'un souvenir. Il sourit. Plus rien n'existait que cette pierre.

Comment était-il possible que quelqu'un l'eut abandonné ici? Il fit un autre pas et cette fois, il eut la sensation qu'on l'enveloppait dans une couverture chaude et douce. Il soupira de bien-être. La lumière bleutée prit de l'ampleur, il ne voyait plus rien d'autre, ne voulait rien voir d'autre. Tout ce qui importait était de s'approcher encore, un peu plus, juste un petit peu. Il tendit, sans vraiment s'en rendre compte, la main vers le loquet de la porte. Aussitôt, Lucius l'interrompit en l'accrochant brusquement par le bras, le tirant en arrière. Le charme se rompit aussitôt, le réconfort que lui avait apporté la pierre lui fut retiré d'un coup et il eut le sentiment d'être soudainement plongé dans les eaux glacées d'une rivière, la tête lui tourna.

-Ne touchez à rien! avertit Lucius en le regardant de bas en haut, comme pour s'assurer qu'il allait bien.

Lorsque Scorpius leva de nouveau les yeux vers la pierre, cette dernière ne brillait plus et avait l'apparence d'une roche tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Il se passa une main sur le visage, certain que s'il avait touché la pierre, quelque chose de terrible lui serait arrivé. La fascination qu'il avait ressenti quelques instants auparavant pour cet endroit se mua en peur. Tout ce qu'il voulait, désormais, c'était quitter cet endroit et rentrer chez lui.

Au fond du magasin, tout près d'un buste représentant Méduse, ses cheveux constitués d'une multitude de serpents entourant sa tête comme une auréole démoniaque tandis que son regard vide les fixait, une grande armoire en bois foncé trônait. Scorpius la reconnut aussitôt, mise à part la porte qui était intacte, elle était identique à celle présente dans la salle sur demande et qui l'avait aspirée dans cette autre réalité.

La porte était ouverte.

Lucius s'avança vers le meuble que lui désignèrent ses petits-enfants et posa le bout de sa baguette dessus en murmurant une incantation.

-Qu'est-ce… commença Scorpius, mais le regard que lui envoya son grand-père lui fit se taire.

Après quelques secondes, l'ancien mangemort pinça les lèvres en relevant sa baguette.

-Rien, déclara-t-il. Il n'y a aucune trace d'aucune sorte de magie que je sois en mesure de détecter. Mais… je sais de quoi il s'agit.

Les deux jeunes se tournèrent vers lui d'un même geste.

-C'est une armoire à disparaître.

-Une quoi? demanda Scorpius.

-Une armoire à disparaître, répéta Lucius. Elles servent à se déplacer rapidement. Chaque armoire à un double et lorsqu'on y place un objet ou quelqu'un, ce dernier va apparaître immédiatement dans l'autre armoire. Elles étaient très populaires durant la première guerre, les gens s'en servaient pour nous… pour échapper aux mangemorts.

Le frère et la sœur échangèrent un regard, bien conscient que leur grand-père avait failli dire « pour nous échapper ». Tous deux étaient parvenus à oublier ou, du moins, à mettre de côté le fait que cet homme était un ancien mangemort et ce soudain rappel les ramena à la réalité.

-Le double est à Poudlard, alors? dit Scorpius.

-Il semblerait… mais visiblement, l'armoire est brisée puisqu'elle ne permet pas de voyager entre celle qui est à Poudlard, ici, mais bien à celle qui est dans votre Poudlard… si je puis dire. Pour autant qu'une telle chose soit possible.

-C'est possible, puisque nous sommes ici! rétorqua l'adolescent.

Lucius haussa un sourcil dans sa direction.

-Je n'ai toujours pas formellement écarté la possibilité que tout ceci soit une hallucination de ma part.

-Un jour grand-père Severus a accidentellement respiré les vapeurs d'une potion qu'il préparait et il a vu des mouches partout dans son laboratoire et ça a duré des heures. Grand-papa Remus a dit qu'il n'y avait que lui pour halluciner une telle chose, intervint Lily en hochant la tête avec un air de connaisseuse.

Scorpius ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel.

-Ça n'a rien à voir, Lily…

-Tu as dit grand-père…Severus? l'interrompit Lucius en fronçant les sourcils.

Il ne connaissait qu'un seul Severus, mais c'était impossible que…

-Oui, Severus Snape, c'est pas notre grand-père biologique, mais après… euh… après ta mort, c'est lui et Remus Lupin qui se sont occupés de père… enfin, de Draco.

-Remus Lupin et Severus Snape… ensemble?

-Ouais, répondit son petit-fils comme si ça allait de soi tandis que Lily hochait également la tête pour appuyer les propos de son frère.

-C'est… c'est fascinant, répondit Lucius, à la fois choqué et étrangement touché de savoir que son vieil ami avait pris soin de son fils, même si cela n'était pas dans cet univers et que c'était étrange de s'appesantir sur une telle chose.

Imaginer Severus en couple était difficile. Il ne l'avait jamais vu s'intéresser de près ou de loin à quiconque. Mais l'imaginer en relation avec l'ami de son ancien ennemi juré était quasi impossible. Comment une telle chose avait-elle pu se produire? Quoiqu'en y réfléchissant bien, il s'agissait aussi d'une réalité dans laquelle son fils était vivant et marié à nul autre que Harry Potter avec qui il avait deux enfants. Enfants qui se trouvaient devant lui après avoir, selon toute vraisemblance, effectué un voyage accidentel dans une autre dimension. Donc…

Lily le sortit de ses pensées en s'approchant du meuble.

-Peut-être que si j'essaie d'entrer dedans, suggéra-t-elle.

CRAC. CRAC. CRAC.

Ils sursautèrent en voyant apparaître autour d'eux trois sorciers, leurs baguettes pointées sur eux.

-LÂCHE TA BAGUETTE ET ÉLOIGNE-TOI DE MA FILLE, MALFOY! cracha une voix que Lily et Scorpius reconnurent aussitôt.

Harry Potter, vêtu de son uniforme d'Auror se tenait devant eux, le visage tordu par la colère et la fatigue. Deux autres Aurors dont une que Scorpius reconnut comme étant Susan Bones, une collègue de leur père qu'il avait parfois invité à la maison, les entouraient.

-Et merde, souffla l'adolescent.

Lentement, Lucius déposa sa baguette sur le sol et immédiatement, un des Aurors la fit léviter jusque dans sa main. Mais, contre toute attente, Lily s'interposa entre son grand-père et son père, écartant les bras comme si elle tentait de l'abriter derrière elle, malgré sa petite taille. Cela aurait pu être drôle si la situation n'avait pas été aussi critique.

-Non, papa!

-Écarte-toi de lui, Lily! ordonna Harry en regardant la scène sans comprendre.

Elle secoua la tête de gauche à droite avec ferveur.

-Non!

-TOUT DE SUITE! s'emporta le Sauveur du monde sorcier.

Scorpius dévisageait son père comme s'il le voyait pour la première fois, peinant à le reconnaître tant son visage gris et fatigué ne ressemblait en rien à celui de son propre père. Il ne pouvait s'imaginer non plus ce dernier crier de la sorte après sa sœur, il était toujours si insupportablement jovial dans leur monde.

-On pourrait peut-être tous se calmer, intervint Scorpius en haussant les épaules.

Tous les regards se tournèrent vers lui, mais les baguettes ne s'abaissèrent pas.

-Qui es-tu? demanda Harry froidement.

Scorpius n'aurait même jamais pu imaginer son père employer un tel ton. Il haussa un sourcil d'une manière très Malfoy. Ne pas se faire reconnaître par son propre père avait quelque chose de profondément troublant, même s'il était conscient qu'ici, cet homme n'était pas son père. Il ne put s'empêcher de ressentir un pincement au cœur.

Enfant, il lui arrivait parfois de faire un rêve, toujours le même, dans lequel ses parents et lui faisaient les boutiques au Chemin de Traverse et lorsqu'il allait voir l'un ou l'autre de ses pères pour lui demander quelque chose, ceux-ci ne le reconnaissaient soudainement plus. Il tentait alors de les convaincre qu'il était leur fils, de leur faire se rappeler qui il était en leur racontant ses souvenirs, tout ce qu'il savait sur eux, des choses que seul leur fils pouvait savoir. À un point, il finissait toujours par éclater en sanglots, les suppliant de le reconnaître, et c'est toujours à ce moment-là qu'ils finissaient par le reconnaître et qu'il se réveillait, son oreiller couvert de larmes et la gorge encore pleine de sanglots.

Il lui arrivait alors de courir hors de sa chambre pour rejoindre ses parents dans la leur, s'assurant qu'ils étaient encore là et qu'ils le reconnaissaient toujours. Il n'avait jamais compris pourquoi il faisait ce rêve et n'était pas certain de croire que cela signifiait quoi que ce soit. Et si les rêves avaient une quelconque signification, il n'aurait interpréter celui-là. Après tout, il avait eu une enfance des plus heureuses, il s'était toujours senti aimé par ses parents qui lui avaient tout donné. Même si parfois il se plaignait de leur côté surprotecteur, de la bonne humeur presque harassante de Harry, du côté envahissant de Draco qui ne semblait pas comprendre qu'il était désormais un adolescent et qu'il avait envie d'être indépendant, il était très proche d'eux et savait qu'ils donneraient tout pour lui.

Harry avait toujours été celui vers qui il allait plus naturellement lorsqu'il avait un problème ou qu'il avait envie de se confier. Il savait que son père ne le jugerait pas ou ne se mettrait pas en colère, il attendait toujours qu'il finisse de parler avant de lui donner son avis, l'écoutant silencieusement plutôt que de s'emporter comme Draco. Harry savait toujours quoi dire quand il n'allait pas bien et il peinait à lui refuser quoi que ce soit, même si son autre père avait dit non quelques instants plus tôt.

Et maintenant, Scorpius avait de nouveau l'impression d'être dans ce rêve ou plutôt, ce cauchemar, qu'il n'avait pourtant pas fait depuis des années.

Qui était-il?

-Euh… répondit-il, toute forme d'éloquence l'ayant soudain quitté.

-C'est mon petit-fils, dit Lucius à sa place.

Les yeux de Harry détaillèrent l'adolescent de bas en haut et une moue traversa son visage. Scorpius se répéta que ce n'était pas vraiment son père qui le regardait avec autant de mépris, mais cela était tout de même douloureux.

-Oui, c'est pour le moins… apparent, finit-il par dire. Maintenant que les présentations sont faites, Lily, je te demande pour la dernière fois de t'éloigner de cet homme.

Lily croisa les bras sur sa poitrine et ne bougea pas, le défiant du regard. Peu impressionné, Harry fit un pas vers elle et la saisit par le bras pour l'entraîner loin de Lucius. Elle poussa un cri et un éclair de lumière rouge traversa la pièce. La baguette de Harry vola de ses mains et retomba plus loin sur le sol. C'était Scorpius qui venait de le désarmer et qui pointait maintenant sa baguette sur lui en tremblant, ne parvenant pas à croire qu'il venait de lancer un sort à son père et qu'il le menaçait présentement de sa baguette.

-Lâche-la! cracha-t-il, le cœur au bord des lèvres.

Lily se retourna alors vers Harry et mordit la main de son père qui la lâcha alors en poussant un glapissement de douleur. Elle se rua derrière son frère qui pointait toujours sa baguette vers Harry.

Les baguettes des deux autres Aurors étaient pointées sur eux, mais ils n'osaient pas lancer de sort de peur que Scorpius soit plus rapide et attaque Harry avant que leurs sortilèges ne le frappe. Scorpius connaissait suffisamment son père pour savoir qu'il était fou de rage, mais qu'il se contenait, se forçant à réfléchir. Seul le rouge qui teintait désormais son visage trahissait sa véritable émotion.

La tension était palpable et ils se dévisageaient tous à tour de rôle sans broncher, sachant trop bien que le moindre geste enclencherait une série d'attaques qui ne pourraient que mal se terminer. Les jointures de Scorpius étaient blanches tellement il tenait sa baguette serrée entre ses doigts, le cœur battant si fort contre sa poitrine qu'il était certain que tous pouvaient l'entendre.

-Pourquoi avoir enlevé ma fille, que veux-tu? demanda alors Harry à Lucius.

-Je n'ai en aucun cas enlevé ta fille! répliqua l'ancien mangemort. C'est elle qui est venue nous trouver, Narcissa et moi.

Harry plissa les yeux. Il ne le croyait visiblement pas et c'était compréhensible.

-Et pourquoi ma fille se serait-elle enfuie de sa chambre en pleine nuit pour se rendre jusque dans le Wiltshire par Merlin sait quel moyen, trouver des gens qu'elle ne connaît pas, des anciens mangemorts, qui plus est?

-Mon épouse n'a jamais été une mangemort, répliqua Lucius, puis il poussa un profond soupir, réalisant que jamais l'Auror face à eux n'avalerait un mot de ce qu'il avait fini par s'admettre être la vérité.

-Elle était bizarre dans les heures précédents son enlèvement, elle a posé des questions sur ton fils, sur ta femme et sur toi, continua Harry sans s'attarder à la correction de Lucius. Que lui as-tu fait? Pourquoi après toutes ces années t'en prendre à ma famille? Est-elle sous Imperium? Mettre une enfant de cet âge sous Imperium, il n'y a qu'une sale ordure comme toi pour faire ça, tu me dégoûtes, tu aurais dû finir tes jours à Azkaban, tu…

-Non, papa, il ne m'a pas enlevé! intervint Lily en secouant la tête, au bord des larmes, mais le reste de ses explications mourut dans sa gorge, sachant que cette pâle imitation de son père ne la croirait jamais.

Une vague de découragement s'abattit sur elle comme un seau d'eau qu'on lui aurait renversé sur la tête, elle avait la certitude que cette situation ne pourrait que mal finir et qu'elle ne rentrerait jamais chez elle. Les larmes roulèrent sur ses joues, mais elle les essuya rageusement.

CRAC.

Les trois Aurors furent brutalement projetés à travers la pièce comme des marionnettes dont on aurait brusquement tiré sur les ficelles. Au même moment, la baguette de Lucius fusait dans les airs et il l'attrapa au vol.

-Grand-mère! dit Lily en voyant la sorcière s'avancer vers eux presqu'au même moment.

Des cheveux s'étaient échappés de son chignon auparavant impeccable et son front était trempé de sueur, mais elle ne semblait pas blessée. En la voyant, Lucius s'avança vers elle et prit ses mains entre les siennes un instant, les serrant, puis les relâchant lentement. Il avait pensé…

-Tu…

Elle l'interrompit.

-Lorsque vous êtes partis, les deux créatures ont subitement disparues, j'étais certaine qu'elles vous avaient suivi, d'une manière ou d'une autre… mais je vois que ce sont plutôt les Aurors qui étaient après vous, fit-elle remarquer en regardant les trois sorciers inconscients, elle fit un pas vers Harry qui était étendu sur le sol un peu plus loin, mais ses jambes cédèrent et n'eut été de Lucius qui la retint de justesse, elle se serait écrasée par terre.

-Tu n'aurais pas dû utiliser ta magie, chuchota Lucius très bas en la maintenant contre lui, mais Scorpius et Lily l'entendirent et échangèrent un regard, ils savaient pour la magie du sang de leur père et de leur grand-mère même s'ils ne l'avaient jamais vu être employée par leur père ou par leur tante Sara.

Draco avait été très inquiet que son fils hérite du don. Cela l'avait même fait hésiter à faire un enfant qui serait biologiquement le sien. Mais Harry et les longues discussions qu'il avait eues à ce sujet avec les sœurs du clan avaient finis par le convaincre. Lorsqu'ils avaient su que l'enfant était un garçon, il avait été rassuré puisque normalement, cette magie ne se transmettait qu'aux filles, il était une exception, le premier cas connu, en fait. Et lorsqu'en vieillissant, ils avaient constaté que Scorpius n'avait pas le don, ça avait été à nouveau un grand soulagement.

-Ça va aller, j'ai juste besoin d'un moment, répondit Narcissa en s'assoyant péniblement sur une chaise de bois brinquebalante recouverte d'une impressionnante couche de poussière.

Lucius pinça les lèvres, mais ne répondit rien.

Ils ignoraient combien de temps les Aurors demeureraient inconscients, mais considérant que les deux créatures étaient à leurs trousses, ils devaient faire vite. Lucius jeta néanmoins un regard curieux vers celui qu'on appelait encore parfois le Survivant.

-Voilà donc ton père, dit Lucius à Lily.

-Notre père, corrigea Scorpius en se demandant s'il serait plus facile de ne pas être le fils aîné du Sauveur du monde sorcier.

-Et qui est votre mère? demanda Narcissa qui n'avait pas encore pensé à poser cette question. Est-ce la même femme pour vous deux?

-C'est Daphnée Greengrass qui nous a porté tous les deux, mais nous l'appelons tante Daphnée, répondit Scorpius, habitué de répondre à cette question.

Lucius haussa un sourcil, il connaissait bien la famille Greengrass.

-Lily, tu t'apprêtais à entrer dans l'armoire, je pense que ce serait en effet la solution la plus logique, dit alors Lucius.

La fillette acquiesça et s'avança vers l'armoire, puis elle se retourna comme si elle venait soudain de se rendre compte qu'elle avait oublié quelque chose d'important. Elle entoura Lucius de ses bras et ce dernier, surpris, mis un temps avant de réagir et de refermer ses bras autour d'elle, peu habitué qu'il était à ce genre de contact. Il la serra un peu plus fort en réalisant que c'était la dernière fois qu'il verrait sa petite-fille, près d'eux, Scorpius enlaçait sa grand-mère de la même manière.

-J'aurais aimé avoir plus de temps, mais avoir eu la chance de te rencontrer est déjà exceptionnel, dit Lucius.

-Je ne t'oublierai jamais, grand-père, murmura Lily contre lui.

Doucement, il relâcha son étreinte et bientôt, Lily fut dans les bras de Narcissa et Scorpius se tenait devant lui, lui tendant la main. Il la serra dans la sienne.

-Je suis enchanté d'avoir fait ta connaissance et… prends soins de ta petite-sœur.

Scorpius acquiesça, la gorge nouée.

Narcissa mit un temps avant de relâcher sa petite-fille et lui embrassa le dessus de la tête avant de la relâcher. C'était douloureux de devoir dire adieu alors qu'elles venaient tout juste de se rencontrer, mais elle était à la fois réconfortée par le fait que quelque part, même si c'était dans une autre dimension, son fils était en vie, heureux, même si elle n'était pas là pour le voir. Peut-être était-ce leur destin d'être à jamais séparés. Elle se demandait ce qu'elle avait pu faire pour être affligé d'un sort si cruel, peut-être était-ce sa punition à elle pour ne pas avoir su protéger adéquatement son fils, peut-être n'était-ce que le hasard que dans ces deux réalités, la mort les séparait d'une manière ou d'une autre. Peut-être qu'il existait d'autres dimensions dans lesquels ils étaient réunis, heureux, tous ensemble.

Lily prit une inspiration avant de s'avancer vers l'armoire.

-CONFRINGO!

La partie supérieure du meuble éclata en projetant des fragments de bois contre le mur derrière sous le regard horrifié du couple Malfoy et de leurs petits-enfants. Ils n'avaient pas vu Harry qui avait repris le contrôle de son corps quelques instants auparavant et rampé jusqu'à sa baguette qui avait roulée un peu plus loin.

-NON! cria Scorpius en voyant l'armoire détruite.

-Tu n'as aucune idée de ce que tu viens de faire, Potter! cracha Lucius en le fusillant du regard alors que Narcissa portait une main à sa bouche, horrifiée par ce que l'Auror venait de faire.

Puis ils l'entendirent. Lily n'eut pas besoin de se retourner vers la porte pour savoir de quoi il s'agissait, elle aurait reconnu ce son entre mille, désormais. Ce craquement horrible et ce glissement, mouillé, écœurant. Un frisson d'épouvante pure la traversa de part en part, la laissant figée sur place, incapable d'affronter ce qu'elle savait s'avancer inéluctablement vers eux.

-Putain de merde, dit Scorpius en écarquillant les yeux.

-Langage, répliqua automatiquement Lucius.

Harry, tout en continuant à pointer sa baguette sur eux, se tourna pour voir ce qui suscitait une telle réaction chez les quatre autres et il sentit son sang ne faire qu'un tour en voyant, près de la porte du magasin, ce qui ne pouvaient être qu'une hallucination provoquée par un sort particulièrement diabolique. Sa fille ou plutôt ce qui était une copie macabre et cauchemardesque de Lily se tenait près de la porte d'entrée, à côté d'une copie du petit-fils de Lucius Malfoy. Mais les deux copies avaient la moitié du visage recouvert de cloques suintantes comme si on leur avait lancé de l'acide tandis que leurs yeux d'un blanc opaques étaient posés sur eux. Aucune expression n'animait leurs visages et leurs bras pendaient le long de leurs corps comme des soldats au repos.

-Qu'est-ce que c'est que ça, Malfoy? Je te jure que tu vas payer, tu entends? Je te le jure! Fait les disparaître immédiatement! Et ton propre petit-fils? Tu es vraiment un grand malade!

-Je n'ai rien à voir avec eux et si tu veux sortir d'ici en vie, je te suggère de reculer lentement, dit Lucius en levant sa baguette doucement vers les créatures, même s'il savait trop bien qu'aucun sort ne les arrêterait.

Narcissa prit Scopius et Lily par la main et les entraîna près de l'armoire, posant sa main sur le bois, essayant de pousser sa magie dans le meuble, de voir s'il était possible de le faire fonctionner quand même.

Les deux créatures avancèrent d'un pas lent vers eux. Peut-être que l'affrontement qu'elles avaient eu un peu plus tôt avec Narcissa les avait rendues plus prudentes ou peut-être était-ce simplement parce qu'elle savourait leur victoire désormais inévitable.

-STUPEFIX! lança Harry aux deux clones, mais le sort frappa le double de Lily avec le même effet qu'une douce brise, faisant voleter doucement ses cheveux derrière elle.

-La magie ne leur fait rien, dit Lucius en soupirant comme s'il venait de faire quelque chose de particulièrement stupide, alors qu'il avait été lui-même dans la même position moins d'une heure auparavant.

Narcissa ferma les yeux et parvint à élever un champ de force autour d'eux, similaire à celui qu'elle avait érigé au manoir. Cette fois, les doubles s'immobilisèrent en voyant le mur d'énergie se dresser devant eux. Leurs visages auparavant sans émotion se tordirent de rage et ils poussèrent un rugissement qui fit sursauter Scorpius.

-Que sont ces choses? demanda Harry dont la colère s'était désormais changée en peur.

L'ancien mangemort haussa les épaules. Derrière lui, Narcissa se concentrait en tentant d'ouvrir un passage, elle dû se retenir à l'armoire alors qu'un étourdissement la traversait.

-Ce sont nous qui les avons amenés ici, dit Lily en indiquant son frère et elle. Ils sont ici à cause de moi…

Quelque chose traversa le visage de Narcissa, comme si elle venait de réaliser quelque chose. Mais, avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit, une voix s'éleva de l'armoire : « NON! ».

Et le sol se mit à trembler. Scorpius reconnut aussitôt la voix.

-Papa? PAPA? cria-t-il en posant ses mains contre l'intérieur de l'armoire.

-Scorpius? répondit une voix qu'il reconnut comme étant celle de son autre père. Scorpius, est-ce que c'est toi?

Les larmes dévalèrent les joues de Scorpius.

-Oui! Oui, c'est Scorpius! Je suis avec Lily et… grand-père et…

-Severus? Tu es là? coupa la voix de Draco.

-Non… commença Scorpius, mais il fut interrompu par la voix brisée de Narcissa.

-D-Draco? prononça-t-elle avec l'incertitude de celle qui ne veut pas y croire.

Seul le silence lui répondit.

-Draco, c'est… c'est bien toi? répéta Narcissa un peu plus fort.

Tout son corps tremblait et Scopius se demanda si c'était dû au fait qu'elle était à bout de force ou dû à l'émotion d'entendre la voix de son fils décédé.

-Mère? répondit la voix de Draco, incertaine.

Lily posa sa main contre l'avant-bras de sa grand-mère, tandis que Harry regardait la scène en silence, ne comprenant pas ce qui se jouait devant lui, un œil sur les deux créatures qui n'attendaient que l'instant où le champ de force disparaîtrait pour attaquer et l'autre sur sa fille et la famille Malfoy qui parlaient à une voix désincarnée qui ressemblait à s'y méprendre à celle de Draco Malfoy. Mais c'était impossible. Et pourquoi Lily semblait-elle si proche de ces gens qui, selon toute vraisemblance, l'avaient enlevée? Qu'est-ce que c'était que cette histoire?

Subtilement, il jeta un Énervatum sur les deux Aurors toujours inconscients sur le sol, mais rien n'y fit. Heureusement, les deux sosies monstrueux ne leur prêtaient aucune attention, peut-être comprenaient-ils que dans leur état, ils ne constituaient pas une menace.

La chose qui ressemblait à Lily releva les lèvres et Harry vit les longues dents acérées qui étaient plantées dans ses gencives et qui n'avaient rien à voir avec les dents de sa propre fille. Il se tourna vers les autres.

-On devrait…

-La ferme, Potter, le coupa Lucius, tout aussi secoué que son épouse d'entendre la voix de son fils mort depuis plus de quinze ans.

-Draco, Lily et Scorpius sont avec nous, ils vont bien.

-Ils vont bien? répéta Draco sans tenter de dissimuler l'émotion qui l'étreignait, il était clair qu'il pleurait.

-Oui, nous allons trouver un moyen pour qu'ils rentrent chez vous, répondit Narcissa.

-Je… je ne comprends pas. Où êtes-vous?

-Une autre dimension, papa, comme dans les films de Rose! expliqua Lily. Ici tu es mort et toi et papa vous n'êtes pas ensemble et Scorpius c'est pas mon frère et il y des monstres et…

-Des monstres? l'interrompit son père.

Narcissa vacilla légèrement, elle sentait sa magie continuer de se drainer de son corps et l'affaiblir de plus en plus.

-Nous n'avons pas le temps…Et…et ton père est ici, je… je t'aime. Je t'aime tellement… Je…

Mais sa voix se brisa. Lucius hésita, puis il se pencha vers l'armoire à son tour, supportant du même coup son épouse qui peinait à demeurer debout, épuisée de maintenir à la fois la barrière et le passage ouverts.

-Draco? C'est moi, ton père. Je…

Il s'interrompit, il aurait eu tellement de choses à lui dire, mais ils n'avaient déjà plus le temps. Il ferma un instant les yeux, puis sa voix reprit.

-Je regrette tellement…tellement de choses, mais… je veux juste te dire que je suis fier de toi. Je l'ai toujours été. Et tes enfants… vos enfants sont… prodigieux.

Il retint l'émotion qui menaçait de lui nouer la gorge et continua.

-Monsieur Potter, prenez soins d'eux pour moi.

-Oui, monsieur, répondit une voix qu'ils reconnurent tous comme étant celle de Harry.

Le Harry qui se tenait avec eux dans la pièce était l'image même de la confusion et son regard rempli d'incompréhension allait de l'un à l'autre, cherchant une explication qui ne venait pas. Lui aussi avait reconnu sa propre voix et c'est à ce moment qu'il réalisa qu'il s'était sûrement trompé sur toute la ligne. Qu'importe ce qui se tramait ici, cela n'avait rien à voir avec ce qu'il avait pensé au départ et il n'était pas certain qu'il pourrait un jour le comprendre.

-Je vous aime aussi, répondit Draco. Père, je…

Puis sa voix s'éteignit d'un coup.

-Draco? Draco? dit Lucius.

-Papa? appelèrent Scorpius et Lily en même temps.

Mais personne ne leur répondit. Lucius sentit Narcissa vaciller de nouveau et la barrière de protection clignota un moment, menaçant de disparaître. La sorcière était arrivée au bout de ses réserves magiques, elle ne pourrait plus tenir très longtemps. Elle se pencha alors à l'oreille de son mari et lui murmura quelque chose.

-Des gardiens? répéta-t-il sans comprendre.

Elle dodelina de la tête, mais parvint tout de même à la hocher légèrement.

-Elle a dit que ces choses étaient sûrement des… gardiens, dit Lucius aux autres.

-Des gardiens de quoi? demanda aussitôt Lily en fronçant les sourcils.

Il ne put répondre puisqu'au même moment, le champ de force que Narcissa avait maintenu jusque-là à même sa force vitale s'envola aussi vite qu'il était apparu. Harry poussa un cri de surprise tandis que le double de Scorpius bondissait vers lui. L'Auror tenta de lui jeter un sort, mais cela n'arrêta pas la créature qui se rua vers lui. Il eut à peine le temps de voir les dents acérées de la chose qu'elles se plantaient douloureusement dans son avant-bras, le traversant presque de part en part.

Lily hurla et courut vers le fond de la boutique, horrifiée, suivi de près par son frère. Ils contournèrent une table sur laquelle étaient posés des rouleaux de parchemins recouverts de poussière et de toiles d'araignées pour se diriger vers l'entrée du magasin. Mais la créature ressemblant à Lily les avait devancés et se tenait entre eux et la porte, leur bloquant l'issue.

Ils rebroussèrent chemin en tentant de faire abstraction des cris de douleur provenant toujours de Harry qui se battait à mains nues avec le double de Scorpius, roulant sur le sol, alors qu'un flot de sang s'écoulait de son bras et tachait tant ses vêtements que le plancher. Les deux enfants Malfoy-Potter n'avaient jamais vu autant de sang de leur vie et c'est à ce moment que Scorpius réalisa qu'il ne deviendrait jamais médicomage.

-Par ici! appela Lucius, qui tenait dans ses bras Narcissa qui était toujours inconsciente, en leur désignant un escalier étroit que Lily n'avait pas remarqué la première fois et qui était à moitié dissimulé derrière un rideau de velours à la couleur indéfinissable.

Scorpius hésita, ne pouvant détacher son regard de son père qui luttait seul contre la créature qui avait ses traits. Le monstre mordit une seconde fois l'homme qui tentait de reprendre le dessus, mais cette fois au niveau de son épaule et l'Auror poussa un halètement de douleur.

-Papa! appela-t-i.

Son père leva les yeux vers lui tandis que le sol se mit à vibrer sous leurs pieds, comme si tout le bâtiment était posé sur un haut-parleur gigantesque. Les objets posés sur les meubles tout autour commencèrent à se déplacer comme soudainement mû par leur propre volonté, un vase s'écrasa sur le sol près de Harry.

-COURREZ! SAUVEZ-VOUS! cria Harry dans sa direction. Je vais le retenir! PARTEZ!

Scorpius ne pouvait se résoudre à le laisser, même s'il n'avait aucun moyen de lui venir en aide. Il savait bien que cet homme n'était pas son père, pas vraiment, mais étrangement, cela ne rendait pas les choses faciles pour autant.

-Scorpius! VIENS! cria Lucius à son tour en faisant un pas vers lui tandis que Lily avait déjà monté l'escalier et disparut au deuxième.

L'adolescent vit alors l'autre monstre s'approcher de lui et il se rua vers l'escalier, abandonnant Harry à son sort tandis que la vibration se transformait en secousses qui finirent de projeter les derniers objets qui étaient toujours sur les tables et les armoires du magasin.

Ils montèrent rapidement les marches en agrippant la rampe, le sol tanguait comme s'ils eut été sur un navire agité par les flots. Ils étaient suivis de près par la créature ayant les traits de la fillette et Lucius jura lorsque la chose s'agrippa à son veston, déchirant l'étoffe de ses doigts devenus griffes, comme si c'eut été du papier de soie.

Si le rez-de-chaussée était encombré et sale, cela n'était rien en comparaison avec le deuxième. Des caisses étaient empilées dans un équilibre précaire jusqu'au plafond qui descendait en angle le long des murs, de telle sorte qu'un adulte devait se pencher à moins de se tenir parfaitement au centre de la pièce. Des objets étaient recouverts de housses d'une saleté écœurante et seuls de minces passages entre tout cela permettaient de circuler.

Lucius fit voler d'un coup de baguette une caisse contre la créature qui fut projetée en bas de l'escalier sous l'impact. Si les sorts ne leur faisaient rien, ils n'étaient pas immunisés contre les coups physiques. Scorpius fit voler une, puis deux caisses pour bloquer l'accès au deuxième étage et Lucius le félicita d'un signe de tête pour son initiative. Cela leur donnerait au moins quelques instants d'avance.

Lucius posa Narcissa, toujours inconsciente, contre un mur, jetant un regard inquiet aux piles de caisses qui menaçaient de s'effondrer. Il pria pour que les secousses n'augmentent pas ou ils seraient écrasés sous elles.

Un silence pesant se déposa entre eux et ils se regardèrent avec sérieux, horriblement conscients de leur situation désespérée. Que faire, à présent? Ils étaient pris au piège, l'armoire avait été en partie détruite, Narcissa était inconsciente et seule une barricade constituée de deux caisses en bois les séparait des deux créatures apparemment invincibles qui étaient à leurs trousses.

-Elle a dit que c'était des gardiens… mais, des gardiens de quoi? répéta Lily comme s'ils n'avaient pas été interrompus auparavant.

-Je ne sais pas, répondit Lucius alors que les cris de Harry s'interrompirent soudainement.

Ils devinèrent tous ce que cela signifiait et échangèrent un regard. Lily porta une main à ses lèvres tandis que Scorpius fermait les yeux un instant. Ce n'était pas réellement leur père, mais c'était tout de même horrible.

-Si ce sont des gardiens, c'est… c'est qu'ils doivent garder quelque chose, mais je ne vois pas le lien entre eux et nous et pourquoi est-ce qu'ils nous ressemblent comme ça? Que veulent-ils? dit Scorpius.

-Peut-être qu'ils sont fâchés que nous soyons ici, dit Lily. Ils veulent peut-être qu'on retourne chez nous?

-Pourquoi essayer de nous tuer, alors?

Elle haussa les épaules, elle n'en avait aucune idée. Elle jeta un regard vers sa grand-mère dont la respiration était faible, son teint cireux et affreusement pâle ne disait rien qui vaille. Elle, elle aurait su, sans doute, après tout c'était elle qui avait dit que c'était sûrement des gardiens. Lily se demanda d'où cette idée lui était venue, mais ils ne le sauraient pas non plus tant qu'elle était inconsciente.

-Mais peut-être qu'ils n'essaient pas de vous tuer, dit Lucius au bout d'un moment.

Scorpius le dévisagea comme s'il était soudain devenu fou.

-Euh… est-ce que je suis le seul qui vient d'assister à ce qui s'est passé dans les quinze dernières minutes? Sans compter l'accueil que j'ai eu à Poudlard et celui à la maison. Ces créatures veulent clairement nous tuer.

-Non, peut-être que grand-père a raison. Ils ne nous ont rien fait à nous deux.

-Parce que nous avons réussi à leur échapper! répliqua son frère.

-À voir la vitesse à laquelle ton double a attaqué Potter et leur capacité à se déplacer presque immédiatement d'un lieu à l'autre, je crois que s'ils avaient voulu vous tuer, ils l'auraient déjà fait depuis un moment, répondit Lucius.

Scorpius secoua la tête, ne parvenant pas à croire que sa petite-sœur et son grand-père croyaient vraiment que ces créatures pouvaient vouloir autre chose les concernant que de les déchiqueter de leurs dents démesurément longues et acérées. Ils venaient de tuer Harry, nom de dieu!

-Alors, vous suggérez quoi? Parce qu'ils ne semblent pas trop avoir envie de parler si je me fie à leur tête.

-Il faut retourner près de l'armoire, si grand-mère a réussi à ouvrir un passage, c'est qu'on peut passer par là pour retourner chez nous, il faut juste rouvrir la brèche, dit Lily d'un ton convaincu.

-Je te rappelle que les deux monstres sont toujours en bas, comment veux-tu qu'on se rende là et qu'on tente de rouvrir le passage? En plus, grand-mère est inconsciente, elle n'a plus de force, elle ne pourra jamais rouvrir la brèche assez pour que nous puissions passer, répondit Scorpius avec impatience.

-Et pourtant, ta sœur a raison, votre seul moyen de rentrer chez vous est par cette armoire. Il faut y retourner, intervint Lucius.

-C'est du suicide! répliqua Scorpius.

Soudain, les secousses prirent une nouvelle ampleur et les trois jetèrent des regards apeurés aux caisses empilées les unes sur les autres. Un craquement inquiétant retentit, comme si quelque chose dans la structure du bâtiment venait de céder, mais ils ne pouvaient voir quoi. Lily poussa un cri lorsqu'une des caisses du dessus tomba sur le sol et se brisa, révélant qu'elle contenait des masques africains de toutes les grandeurs, emballés dans du brin de scie. L'un d'eux tomba juste devant Scorpius et le dévisagea de ses yeux vides, il était particulièrement hideux et l'adolescent se demanda s'il avait des particularités magiques.

Puis, les caisses bloquant l'accès à l'escalier tombèrent à la renverse comme s'ils avaient été poussés brusquement par quelqu'un de démesurément fort. Mais ils n'eurent pas le temps de s'en inquiéter puisque le sol céda sous leurs pieds d'un coup. Par chance, une partie du plancher resta accroché au reste et atténua la chute, mais Scorpius se cogna la tête contre la patte d'une table en acajou et ferma les yeux de douleur, sonné.

Narcissa était toujours à l'étage au-dessus, posée sur une partie du plancher qui était demeuré intact. Lucius se releva péniblement et parvint jusqu'à Lily qui venait tout juste de se mettre debout, elle était couverte de poussière et une longue estafilade traversait maintenant sa joue droite. Un bourdonnement assourdissant emplit la pièce et ils comprirent que cela provenait de l'armoire en voyant cette dernière se mettre à trembler de plus en plus et cela n'avait rien à voir avec les secousses qui ne s'étaient toujours pas arrêtées. Non, l'armoire vibrait à son propre rythme, sa porte, dont il ne restait désormais plus que la moitié, se fermant et s'ouvrant si rapidement que Lucius se demanda si elle ne serait pas arrachée de ses gonds.

Nulle trace de Harry, il devait être enseveli quelque part sous les décombres. C'était déjà un miracle qu'ils n'aient pas subi le même sort. Il ne voyait pas non plus les deux créatures, peut-être avaient-elles elles aussi étaient écrasés sous les caisses ou une partie du plancher? Il n'était pas assez naïf pour croire qu'elles étaient mortes, mais cela leur donnerait peut-être une chance de leur échapper si elles étaient blessées ou assommées.

Soudain, une lumière aveuglante jaillit de l'armoire comme si un projecteur venait d'y être allumé. Lucius ferma les yeux et ne vit pas la bibliothèque tomber à la renverse vers lui. L'instant suivant, il hurlait de douleur alors que sa jambe était écrasée sous le meuble en bois massif, sous le choc, il échappa sa baguette qui roula plus loin.

-Lily! appela Scorpius, toujours étourdis, craignant qu'elle n'ait été elle aussi blessée.

-Je suis ici, avec grand-père! cria-t-elle en réponse, elle tomba à genoux alors qu'une secousse plus intense se fit sentir, gardant son regard fixé sur le sol, à moitié couvert par sa main pour ne pas être éblouie par la lumière.

Elle rampa jusqu'à l'endroit où elle avait cru voir disparaître la baguette de Lucius tandis que ce dernier haletait de douleur près d'elle. Un rugissement sur sa droite lui coupa la respiration et elle se tourna pour se retrouver nez à nez avec le double de Scorpius qui rampait vers elle. Elle poussa un cri et se recula le plus rapidement qu'elle le pouvait, renonçant d'un coup à récupérer la baguette de son grand-père.

Un cri beaucoup plus grave déchira l'air et elle reconnut la voix de Lucius. Elle releva la tête dans sa direction, mais la lumière l'éblouie à son tour et elle fonça dans son frère sans même voir que ce dernier se tenait devant elle, il l'entoura de ses bras.

-Nous allons mourir, nous allons mourir ici! On ne reverra jamais les parents! Je n'irai jamais à Poudlard! On va mourir! cria-t-elle, paniquée, le corps secoué de profonds sanglots.

-Non, nous allons rentrer à la maison, ok? Je te le promets! Tu entends?

Mais ce qu'elle entendit à ce moment-là fut le bruit violent qui déchira l'air. Là où l'armoire se tenait une fraction de seconde auparavant se trouvait désormais un trou béant dans le sol, toute trace du meuble avait disparu et elle vit avec horreur que le trou prenait peu à peu de l'ampleur, avalant tout sur son passage, comme un immense trou noir. Scorpius le vit aussi, car il se recula en l'attirant contre lui. Aucune issue n'était visible autour d'eux, les débris et le plancher effondré bloquant l'accès à l'endroit où sous tout cela devait se trouver la porte du magasin et les fenêtres.

Sans doute alarmés eux aussi par ce trou béant qui grandissait de plus en plus, n'obéissant à aucune règle de physique qui prohibait sans aucune doute l'apparition de trous noirs provoqués par des armoires en plein cœur de Londres, les deux créatures qui se trouvaient soudainement ensemble à plusieurs mètres d'eux commencèrent à se diriger droit sur eux.

Scorpius constata avec horreur que le menton et la chemise que portait son double était désormais couverte de sang. Celui de Harry et de Lucius, sans doute.

-Par-là! cria-t-il à sa sœur en pointant le bout du plancher toujours rattaché à l'étage au-dessus, ils pourraient l'escalader et mettre un peu de distance entre eux et le trou noir qui avait pris encore plus d'ampleur.

Il vit l'armoire de verre dans laquelle se trouvait la pierre qui l'avait envoûtée un peu plus tôt tomber sans bruit dans le néant et entreprit de grimper à la suite de sa petite-sœur, l'aidant en poussant sa main contre la semelle de son soulier, elle profita de l'élan et se hissa sur l'étage au-dessus. Les créatures les auraient sans doute rattrapés si au même moment, le sol sur lequel elles se trouvaient ne s'était pas subitement effondré. Mais elles étaient agiles et sautèrent sur une table un peu plus loin d'eux en rugissant. Scorpius se hissa à son tour, aidé par Lily qui le tira de toutes ses forces par sa chemise.

Plus bas, les deux créatures franchirent l'espace les séparant du plancher effondré par où étaient montés leurs sosies en sautant d'une manière qui était beaucoup plus animale qu'humaine. Ils ne leur échapperaient pas. Lily avait raison, ils allaient mourir ici. Ils rampèrent jusqu'à Narcissa, toujours inconsciente et se serrèrent contre elle, Scorpius tenant sa baguette serrée dans sa main, pointée vers l'endroit d'où leurs doubles émergeraient d'un moment à l'autre. Il ne les laisserait pas les tuer sans se battre.

Un grincement terrible se fit entendre alors que tout le rez-de-chaussée semblait disparaître dans le trou noir. Scorpius vit son double se hisser face à eux, ses griffes plantées dans le bois du plancher tandis que la copie de Lily était agrippée à son dos. Lorsqu'elle était plus jeune et qu'ils ne se disputaient pas continuellement comme à présent, il se souvenait qu'il portait souvent sa sœur ainsi. Leurs querelles lui apparaissaient désormais si futiles. Elle se serra un peu plus contre lui, le corps tremblant. Il donnerait tout pour la protéger, pour qu'elle puisse rentrer à la maison saine et sauve.

Étrangement, leurs doubles ne bondirent pas sur eux, ils se tinrent immobiles devant eux, les dévisageant de leurs regards aveugles.

-…gardiens… murmura alors une voix près d'eux.

C'était Narcissa. Scorpius se tourna vers elle.

-Grand-mère? Des gardiens de quoi?

-…gardiens, répéta la sorcière d'une voix faible.

-De quoi? GARDIENS DE QUOI? demanda Scorpius alors que Lily redressait la tête, le visage toujours couvert de larmes, mais aussi, d'un espoir qui donne mal au cœur à son frère.

Narcissa secoua la tête et doucement leva la main vers les deux créatures.

-Gardiens de quoi? répéta Scorpius, réalisant que c'était sans doute inutile, elle délirait sans doute.

-Allez, répondit simplement Narcissa en désignant toujours les deux monstres.

Lily et Scorpius échangèrent un regard.

-Allez vers eux? demanda Lily, incertaine.

La sorcière hocha presque imperceptiblement la tête et Lily se leva.

-Non, Lily! appela son frère, mais sa sœur était déjà debout et avait déjà avancé vers les deux créatures.

Il secoua la tête et la suivit. C'était du suicide…

Mais les deux créatures ne bougeaient toujours pas, les laissant approcher.

Lily s'immobilisa juste devant sa copie monstrueuse et, très doucement, lui tendit la main. La créature ne bougea pas, puis, après un moment, tout aussi doucement, elle leva la main à son tour. Scorpius imita sa sœur sans pouvoir empêcher tout son bras de trembler. Son double ne fit pas preuve d'autant de délicatesse et lui agrippa prestement le bras. Il voulut crier, mais sa voix mourut dans sa gorge alors que tout disparaissait d'un coup autour de lui.


« … et si ces incidents magiques et leurs descriptions soulèvent chez vous la question de savoir si un tel pouvoir devrait être confié aux mains de simples humains c'est que vous n'avez rien compris. La magie n'est jamais donnée, elle est, tout simplement. Aux yeux de la nature, il n'y a pas de bonne ou de mauvaise magie, il n'y a que les règles qui régissent l'univers et les conséquences des gestes que l'on pose, au-delà de toute morale qui n'existe que pour les Hommes. »

-Extrait de Théorie de la magie, 3e édition, p.393-


Lily n'avait pas fermé les yeux. Et pourtant, tout avait été brusquement plongé dans les ténèbres autour d'elle. Et, aussi soudainement, tout était réapparu, même si rien n'était pareil. Elle était debout au milieu de la boutique qu'elle venait de quitter, mais cette fois, au rez-de-chaussée qui était identique à quand elle y était venue pour la première fois.

Plus de trou noir ni de débris. Cette même couche de poussière épaisse qui recouvrait le sol et ces meubles autour d'elle. Par les fenêtres sales et barbouillés elle voyait que la nuit était sur le point de tomber, mais elle pouvait voir les bâtiments serrés les uns sur les autres de l'autre côté de la rue. L'odeur familière de moisissure et d'humidité flottait toujours dans l'air.

Cette fois, le corbeau empaillé au bec manquant recouvert de toiles d'araignées ne fit pas frissonner Lily, elle avait connu bien pire. Elle chercha du regard la toile au fond noir qui avait été lacérée, espérant presque y découvrir son occupant pour mieux le regarder droit dans les yeux pour lui prouver qu'elle n'avait pas peur, pour l'exhorter à tenter quelque chose.

-Lily!

Scorpius venait d'apparaître près d'elle ou peut-être était-il là depuis tout ce temps et ne l'avait-elle tout simplement pas vu. Instinctivement, elle glissa sa main dans la poche de son jean et, contre toute attente, sentie les morceaux de la baguette brisée de son frère contre ses doigts, elle en sortit les fragments avant de les lui tendre.

-J'avais oublié de te la rendre.

Il prit les morceaux et les fourra dans sa poche sans plus de cérémonie.

-Merci.

-Tu crois qu'ils… sont morts?

Il haussa les épaules.

-Rentrons à la maison, répondit-il simplement.

-Penses-tu que nous sommes vraiment chez nous?

La même pensée venait de lui traverser l'esprit.

-Oui, répondit-il avec une assurance qu'il ne ressentait pas.

En poussant la porte, plusieurs minutes de marche plus tard, de Weasley, Farces pour sorciers facétieux, Lily osa à peine lever les yeux vers le comptoir-caisse, craignant d'y voir son oncle Ron. Un soulagement sans nom passa sur elle en voyant son oncle Georges lever les yeux vers elle et son frère.

-Lily? Scorpius? Qu'est-ce que vous faites ici? demanda-t-il en contournant le comptoir pour venir les voir.

Son sourire mourut en voyant dans quel état ils étaient et ses yeux se teintèrent d'inquiétude.

-Par Merlin, que vous est-il arrivé?

-Ai-je bien entendu le nom de Scorpius? appela une voix d'un peu plus loin dans l'arrière-boutique.

-Et Lily, ajouta Georges en désignant la fillette.

-Évidemment! Et que nous vaut une visite de mes Malfoy préférés? dit Fred en faisant son apparition du fond du magasin, un large sourire aux lèvres.

Scorpius sentit son cœur s'arrêter.

-Malfoy-Potter? prononça-t-il lentement, craignant la réponse de celui qu'il considérait comme son oncle.

Ce dernier partit dans un grand éclat de rire. Scorpius et Lily échangèrent un regard tendu.

-À tout coup! rit Fred.

Mais aucun des enfants ne riaient et en s'approchant, Fred cessa de rire. On eut dit qu'ils s'étaient battus dans une cheminée pleine d'étoupe. Leurs vêtements étaient déchirés et sales. Lily avait un bandage souillé le long de la tempe et une longue estafilade le long de la joue, de la saleté lui collait à la peau tandis que les cheveux normalement impeccablement coiffés de Scorpius allaient dans tous les sens et qu'un hématome déformait le coin de son front. Fred se pencha pour examiner le visage de Lily, mais cette dernière n'en avait que faire.

-Draco Malfoy et Harry Potter sont bien nos parents? demanda aussitôt l'adolescent avec le plus grand des sérieux.

Ce fût au tour de Fred et de Georges d'échanger un regard.

-Qui vous a fait ça? demanda Georges, inquiet.

-Où t'es-tu cogné la tête, Scorpius? ajouta Fred.

-EST-CE QUE HARRY ET DRACO SONT NOS PARENTS? s'emporta l'adolescent en repoussant son oncle qui tentait d'examiner la bosse qu'il avait sur la tête.

Georges leva les mains dans un geste se voulant apaisant.

-Oui. Oui, tu es le fils de Harry et de Draco.

-Et c'est ma sœur? dit-il en pointant Lily.

Les deux jumeaux échangèrent un second regard, cette fois, ils étaient plus qu'inquiets.

-Oui…

Le frère et la sœur éclatèrent alors en sanglots et se jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Merlin, ils étaient de retour chez eux.

-Je reste avec eux, contacte leurs parents, murmura Georges à son frère et ce dernier hocha la tête en se levant.

-Nous sommes à la maison! Nous sommes chez nous! s'exclama Scorpius alors que sa sœur hochait vigoureusement la tête. Je te l'avais dit qu'on rentrerait à la maison. Merlin, je te l'avais bien dit.

-Vous êtes dans notre magasin, en fait, corrigea Georges de plus en plus inquiet et confus.

Scorpius éclata de rires à cette remarque ce qui ne fit rien pour atténuer les inquiétudes de son oncle. Quelques instants plus tard, Fred revint.

-Je n'ai pas réussi à rejoindre ni Draco ni Harry par la cheminée du manoir… commença Fred.

-Ils sont sans doute à Poudlard, intervint Lily. Ils nous cherchent!

-Mais, vos grands-parents étaient là, ils vont essayer de les rejoindre et ils vont venir vous chercher, continua Fred comme s'ils n'avaient pas été interrompu.

-Ils sont revenus de voyage? demanda Lily.

Fred fronça les sourcils.

-De voyage? Je ne savais pas qu'ils étaient partis.

-Oui… en Thaïlande, dit Scorpius de moins en moins certain.

-Lucius Malfoy en Thaïlande? Inimaginable! dit Fred en ne pouvant se retenir de pouffer de rire.

-Lucius Malfoy… répéta Scorpius, lentement.

-Oui… le père de votre père Draco… et votre grand-mère Narcissa, répondit Georges en se disant que décidemment, Scorpius devait avoir reçu un sacré coup sur la tête.

Lily et Scorpius se tournèrent l'un vers l'autre.

-Et merde.

-FIN-