CHAPITRE 5

Il connaissait le Centre comme sa poche, peut-être pas autant qu'Angelo, cependant Sydney pouvait se targuer de connaître des endroits sans caméras. Et c'est bien dans l'un de ces endroits qu'il avait décidé de se terrer en proie à une solitude qu'il voulait conserver encore durant quelques minutes. Peut-être était-ce aussi sa façon à lui de fuir une réalité dont il ne voulait pas. Ainsi, il se laissa glisser dos au mur, se remémorant le dernier échange avec son petit protégé, sur le banc de cette propriété qu'il avait acquis grâce au caméléon. Et tel un écho lointain, il entendit la voix de Jarod lui dire qu'il méritait à son tour ce bonheur dont le Centre l'avait privé durant toutes ces années en rajoutant une mention à Jacob, qui serait à n'en pas douter, fière de lui. Une larme perla sur la joue du psychiatre qui trouva la force de se redresser. D'ici peu, ce qu'il gardait jalousement comme un secret, n'en serait plus un et il se risquait certainement à quelques ennuis auprès des grandes instances du Centre. Mais il s'en fichait, c'était un moindre mal, comparé à la douleur qui l'assaillait présentement. Cependant, il fallait y aller, Mademoiselle Parker était sûrement déjà là, il ne pouvait se résoudre à la faire attendre plus longtemps. L'Européen reprit donc le chemin de l'ascenseur pour regagner l'étage menant au bureau de Parker, qui sans surprise, l'attendait avec ce cher Mr Broots.

« - Enfin vous voilà ! Surtout, ne vous excusez pas de nous avoir fait lever à l'heure du coq tout en nous laissant poireauter. » La demoiselle était fidèle à elle-même, un constat qui rassurait Sydney et lui permettait encore de profiter de ce quotidien délesté de la bombe qu'il s'apprêtait à balancer. Parker, bien que sarcastique comme toujours, avait cependant perçu, aussi infime soit-il, un changement dans le regard du psychiatre qui commença, sans croiser le sien, par s'excuser de l'avoir réveillé à une heure aussi peu conventionnelle. Ainsi, chacun pris place dans le bureau de la demoiselle, qui assise sur son siège en cuir, hors de prix, fixait son comparse dans l'attente d'une explication. « - Vous comptez rester silencieux encore longtemps Sydney ? » L'impatience de la demoiselle se faisait ressentir tout comme l'incompréhension de Broots qui se demandait, une fois n'est pas coutume, ce qu'il faisait là. Sydney s'éclaircit la voix, malgré tous les efforts qu'il déployait, il peinait de plus en plus à conserver son self-control. « - J'ai notifié Mr Lyle et Mr Raines, qui doivent être au courant à l'heure qu'il est ! » Parker perdit aussitôt de sa superbe, quelque chose n'allait pas et de toute évidence, cela semblait affecter ce pauvre Sydney. « - Vous pouvez être plus clair s'il vous plaît ! À ce que je sache, je ne suis pas encore capable de lire dans les pensées. » L'Européen prit une grande inspiration, il devait le dire, cette fois, il était dos au mur et aussi dure soit-elle, cette réalité était à présent effective.

« - Je me suis réveillé en pleine nuit... »

« - Attendez ! Vous nous faites venir, juste pour nous narrer vos terreurs nocturnes ? C'est une blague ! »

« - Mademoiselle, s'il vous plaît, arrêtez donc de vous conduire comme la reine des garces ne serait-ce que quelques secondes ! » La réplique réduit aussitôt la jeune femme au silence visiblement surprise d'entendre ce gentleman lui parler de la sorte et elle comprit bien malgré elle que c'était grave, que ce que le mentor de Jarod avait à annoncer aurait sous peu, une incidence sur tout le monde. Broots, toujours enfoncé dans son fauteuil, continuait à de demander ce qu'il faisait là et s'il sortirait indemne de cette entrevue. Sydney marqua à nouveau un long silence avant d'enfin reprendre « - Quelque chose en moi, me disait qu'il fallait que j'allume la télévision pour me brancher sur la chaîne d'informations en continue C'est ce que j'ai fait. Il était question d'un crash, survenu une heure, peut-être deux heures plutôt. L'avion décollait de Dover, allait à Washington. Il s'est écrasé, une erreur technique vraisemblablement. Personne n'a survécu au crash » Le pauvre, Sydney semblait de plus en plus désemparé par ce qu'il annonçait, tellement qu'il ébranlait la demoiselle définitivement délestée de son sarcasme. « - Sydney, je comprends que ça soit grave et dramatique, comme le sont tous les crashs d'avion, mais qu'elle est le rapport avec le Centre, avec nous » À ce moment très précis, Parker sentit en elle, poindre une douleur, aussi désagréable qu'inexplicable. Était-ce son sixième sens, digne héritage maternel, qui lui faisait ressentir cela, ou n'était-elle pas tout simplement en train de comprendre de quoi il était question ?

« - Sydney, je veux comprendre, alors par pitié arrêtez de ménager votre suspense. Nous ne sommes pas dans l'une de ces télé novelas. »

« - Arrêtez d'être ironique, vous le serez moins d'ici quelques secondes, vous pouvez me croire. »

« - Et bien allez-y bon sang ! Balancez votre révélation qu'on en finisse ! »

« - J'étais avec Jarod quelques heures plus tôt. Il m'a permis d'avoir cette propriété sur laquelle Michelle et moi lorgnions depuis quelque temps. »

« - Fermez là ! Vous voulez avoir des ennuis et nous rendre complices en plus ?! Vous auriez dû m'appeler, nous aurions pu le coincer. Mais où aviez-vous la tête Sydney ? » Mais peu ébranlé par les attaques de la demoiselle, le psychiatre reprit son récit l'air de rien, à ceci près, qu'il conjuguait bons nombres de ses verbes à l'imparfait, une donnée qui n'échappa à Parker, qui sentait la douleur en elle, s'accroître à mesure que l'Européen développait son récit. « - Il voulait retrouver sa sœur Emily. Un billet Dover-Washington avant de prendre la voiture pour rejoindre Baltimore. » En réunissant chaque pièce du puzzle Parker comprit alors bien malgré elle ce qui ébranlait tant son ami. Et au moment où Sydney reprit la parole, les incertitudes s'envolèrent aussitôt.

« - Il était à bord, c'était son vol. »

« - Sydney, loin de moi l'idée de mettre en doute vos certitudes, mais des vols Dover-Washington c'est assez courant pour en avoir plusieurs ! »

« - J'ai vu le billet Mademoiselle. » Broots, qui n'avait, jusqu'alors, peu suivi l'échange, comprit à son tour, pourquoi ils étaient ici. Dès lors, un silence mortifère assaillit toute la pièce. Plusieurs secondes s'écoulèrent avant qu'une voix ne vienne briser ce pensant silence et cette voix appartenait à une mademoiselle Parker presque victorieuse. « - Alors cela veut dire que je n'ai plus rien à faire ici et que de ce fait, plus rien ne me retient dans ce trou pourri » Et, c'est sur ces mots que la demoiselle tourna les talons et abandonna Sydney et Broots à leur sort, seuls dans le couloir. Leur monde venait probablement de basculer, mais qu'allait-il se passer après ça ? Jarod, était-il parvenu, une fois encore, à échapper à un destin funeste ? Était-il monté dans cet avion ? Était-ce possible que tout s'achève ainsi ?