Bien le bonjour ! Et oui, je suis de retour, et fidèle au poste pour honorer ma tradition d'un Spamano le 1er juillet. Aujourd'hui, nous fêtons mon cinquième anniversaire sur le site, ah, dio santo, que ça fait loin !

Disclaimer : les personnages d'Hetalia appartiennent à Hidekaz Himaruya. L'image de la cover est tirée de la série I Medici : Masters of Florence.

Petit retour dans le temps : mai 2018, Niniel est en plein blocus et prépare son examen de littérature italienne médiévale (best cours ever) tout en gardant dans un coin de sa tête l'angoisse de n'avoir aucune idée de quoi écrire pour le premier juillet. Quant tout à coup, Dante et Boccaccio semblent se pencher vers elle pour lui souffler à l'oreille l'idée d'un Spamano situé à Florence au XVe siècle. Evidemment, vu que j'ai eu des examens suivis de la flemme suivis de responsabilités fatigantes au sein de mon cercle étudiant, j'ai dû revoir mes ambitions à la baisse et ce qui devait être un OS se retrouva scindé en plusieurs parties (deux, plus vraisemblablement trois) qui seront publiées à raison d'une fois par mois.

Genre : drame historique, un peu de romance et un peu d'intrigue meurtrière.

Pairing : Spamano

Rating : T

Contexte : Florence, années 1420, les Medici commencent à prendre de l'importance.

Résumé : Quand l'héritier de la compagnie Vianelli meurt inopinément, Romeo n'a pas d'autre choix que de ramener son fils illégitime de Naples pour le reconnaître comme héritier. Pour Lovino, ce nouveau titre vient avec beaucoup de changements et d'ennuis. Fort heureusement, il rencontre l'associé du patriarche, Antonio, qui l'aide à bâtir une nouvelle vie à partir des fragments brisés rapportés de Naples. Jusqu'à ce que le spectre de la trahison et du meurtre revienne hanter la demeure des Vianelli...

J'espère que vous aimerez, on se voit en fin de chapitre pour des notes, et dans les reviews pour vos avis ;)


Renaissance

Napoli.

Lovino ferma sa dernière malle avec un soupir mêlé à un grognement d'effort. Il avait bien cru qu'elle ne se fermerait jamais, celle-là. Il s'assit dessus et contempla un moment la maisonnette qu'il laissait derrière lui. Vide. Empoussiérée déjà. Froide. On aurait dit sa vie, sans chaleur, sans couleur, sans vie. Il s'arracha à ses réflexions en se rappelant qu'il n'était pas en avance. Son départ pour Florence était imminent et il devait encore confier ses malles et ses bagages aux marchands qui avaient, contre une jolie somme, gracieusement accepté de mener ses affaires jusqu'à la cité toscane pendant que lui-même voyagerait à cheval. À rien ne servait d'atermoyer davantage son départ, son destin était en marche, et Lovino avait conscience que bon nombre de jeunes gens enviaient sa situation. Ce n'était pas donné à tous les jeunes étudiants en droit qui ne possédaient, par héritage, qu'une maison exigüe et ses meubles, de se découvrir du jour au lendemain fils bâtard d'un riche usurier florentin qui voulait faire de vous son héritier légitime.

Lovino grinça des dents à cette idée et décida de couper court à toute réflexion. Il poussa la malle à l'extérieur de la maison, à côté de ses autres maigres ressources empaquetées, sur lesquelles il s'assit. Voilà. Il n'avait pas vingt-cinq ans et déjà il avait l'impression que sa vie prenait fin en même temps que son existence à Naples. Les marchands étaient en retard. Le jeune homme aux mèches d'un brun roux s'impatientait, guettant tous les badauds s'aventurant dans la ruelle étroite que le soleil commençait à peine à réchauffer. Parmi eux, il remarqua un homme un peu plus âgé que lui, aux yeux et cheveux noirs de jais, qui marchait à vive allure et les traits concentrés, contrariés. Pourtant, un sourire naquit immédiatement sur les lèvres de Lovino.

« Nastagio ! » l'interpella-t-il.

L'homme allait justement dans sa direction et la tension de son visage sembla disparaître un moment, bien qu'il demeurât soucieux. Il salua Lovino d'un sourire et le rejoignit jusqu'à ce que la distance entre eux soit réduite autant que la bienséance le permettait. Leurs doigts s'effleurèrent imperceptiblement, Lovino l'entraîna dans la maison vide et ce fut là, à l'abri de tout passant, à l'abri de toute vue, que l'étudiant eu droit à son baiser d'adieu.

« Que fais-tu par ici de si bon matin ? » demanda-t-il quand le ténébreux Nastagio lui eut rendu l'usage de ses lèvres.

« Je n'allais pas te laisser partir sans te dire adieu comme il se doit. »

« C'est très prévenant. »

Ils échangèrent un autre baiser, plus long et plus passionné, qui les laissa à bout de souffle.

« Tu vas me manquer, Lovino. »

« Tu pourras toujours composer des poèmes d'amour à ma gloire. »

« C'est une option. »

Le jeune homme sur le départ lui vola un autre baiser, alors que leurs corps se pressaient de plus en plus l'un contre l'autre et que leurs respirations devenaient haletantes. Un sourire lubrique fleurit sur les lèvres de Lovino mais disparut bien vite quand un cri résonna à son adresse depuis l'extérieur.

« Maître Vargas ? »

L'interpellé roula des yeux et émit un soupir de désespoir. Tous des trouble-fêtes. Nastagio le libéra de son étreinte et ajusta le pourpoint brodé mais un peu passé de l'amant qui ne serait bientôt plus qu'un lointain souvenir noyé parmi les mille muses du poète.

« Le devoir t'appelle. » lui rappela-t-il, compréhensif.

Lovino confirma d'un hochement de tête las, et émergea de la maison sur laquelle il évita de poser un dernier regard.

« Tout est là. » annonça-t-il aux porteurs que les marchands lui avaient envoyés. Je compte sur vous pour en prendre le plus grand soin. Vous serez grassement payé quand vous arriverez à Florence. Par ma… Par ma famille.

Il donna un coup de main pour monter les malles et quelques sacs qui constituaient ses biens sur la charrette qui les conduirait, en sûreté l'espérait-il, à Florence. Sa nouvelle vie. Sa nouvelle patrie. Sa nouvelle famille. Après des recommandations supplémentaires, les porteurs s'en allèrent rejoindre la caravane. Lovino sella le cheval qu'il avait acheté pour le voyage, tandis que Nastagio traînait dans les environs, feignant de n'être pas affecté. Il connaissait cette détermination dans les gestes du Napolitain, il connaissait la résignation dans ses yeux ambrés. Qui pouvait s'opposer à l'appel du destin ? Il n'avait pas la carrure pour s'interposer entre Lovino et le sien.

Le brun se mit en selle. Ils n'échangèrent pas une parole de plus, mais un dernier regard, intense, avant que Lovino entame son exil.

oOo

Firenze.

Ce fut le campanile de Giotto qui annonça à Lovino qu'il arrivait dans les environs de Florence, en s'offrant à sa vue avant toute autre chose, rapidement suivi du dôme inachevé de la cattedrale di Santa Maria del Fiore. Il n'avait pas l'intention de se laisser impressionner pour autant. Il passa les portes de la cité sans encombre et demanda son chemin jusqu'à la demeure des Vianelli, qu'on lui indiqua non sans s'étonner : tout le monde les connaissait à Florence, et par conséquent personne n'avait besoin de demander la localisation de leur maison.

Lovino ne se rendait pas bien compte de l'étendue des biens de sa prétendue famille jusqu'alors. Mais en arrivant devant l'imposante bâtisse austère et haute qui trônait sur une place florentine, il eut besoin, soudain, de reprendre son souffle. Ainsi donc, il allait non seulement rejoindre une famille de banquiers, mais à en croire la taille de sa demeure, elle était également terriblement influente à Florence. Il passa une grille ouverte qui permettait de fermer l'accès à une colonnade de pierre depuis la place. Un jardin en carré s'offrit à sa vue, entre trois ailes du bâtiment et la colonnade qui dispensait un peu d'ombre bienvenue en cette chaleur infernale de l'après-midi.

Une domestique qui portait les cheveux serrés sous une coiffe et une robe de lin bleu foncé s'aperçut de la présence de Lovino et l'accueillit, avant de lui demander poliment ce qu'il faisait là. Ses vêtements, qui jadis avaient été de bonne qualité, mais s'étaient usés avec les années, ne le faisaient pas exactement passer pour un gentilhomme ou riche associé de la compagnie bancaire des Vianelli. Lovino en était particulièrement conscient et bredouilla une vague explication avant de se reprendre et de s'en tenir au plus clair :

« Je suis Lovino Vargas. »

« Vous voulez voir Maître Romeo Vianelli ? Il est en déplacement à la campagne pour la journée. »

« Ah. On m'avait assuré qu'à mon arrivée, je serais logé ici, mais peut-être… Enfin, je ferais sans doute mieux d'aller me chercher une auberge. Merci, et je… Reviendrai demain. »

Tout confus, Lovino tourna les talons et voulut rejoindre la place, mais fut arrêté dans sa progression lorsqu'il se retrouva nez à nez avec un nouvel arrivant. Il se figea à cette rencontre frontale, frappé de stupeur. C'était comme regarder son reflet à la surface d'un lac et y reconnaître ses traits, ses cheveux, la forme de son visage et même la couleur des yeux. L'expression sans doute n'était pas la même, son vis-à-vis arborant un demi-sourire qui ne devait certainement jamais le quitter alors que lui-même était médusé et fasciné à la fois.

« Bonjour. » lâcha la bouche si similaire à celle du Napolitain. « Vous devez être Lovino ? »

« O-Oui… » balbutia celui-ci.

« Je suis le Père Vianelli. Et, si mes hypothèses sont exactes, votre frère cadet. »

Lovino cligna des yeux à plusieurs reprises, comme frappé par la foudre. Son frère cadet ? Ils auraient tous aussi bien pu être jumeaux, à la différence de leur taille -Lovino était légèrement plus grand- et de l'implantation de leur épi capillaire. L'homme d'église, qui semblait pourtant familier à la direction des domestiques, remercia la jeune servante et dit :

« Je m'occupe de Maître Vargas. »

Joignant le geste à la parole, il l'emmena hors de la colonnade et emprunta un sentier pavé menant à une fontaine. Il s'assit sur la margelle, invitant son frère tombé du ciel à faire de même. Celui-ci s'exécuta tout en remarquant combien cet endroit paraissait paisible après l'agitation de la ville. De là à l'avouer, évidemment, il y avait un énorme pas. Toutefois, le sourire du religieux s'élargit et monopolisa toute son attention tant il rayonnait. De joie sincère ? Lovino se promit de s'évertuer à éclaircir ce mystère.

« Bienvenue à Florence. Et bienvenue chez vous. »

« Je ne suis pas chez moi. » rétorqua Lovino du tac au tac. « Je suis Napolitain. »

« Bien sûr. » rétorqua le Père Vianelli. « Je devrais plutôt vous souhaiter la bienvenue dans votre famille, mais là encore vous aurez sans doute du mal à nous considérer comme tels. »

« C'est exact. »

« Mais vous êtes venu. »

Lovino se tut, ne sachant que répondre. C'était vrai. Il avait évité de réfléchir à cela. Ça semblait seulement la meilleure chose à faire. Ou en tout cas la plus raisonnable, ce qui n'était pas exactement la même nuance que « la meilleure chose à faire ». Depuis la mort de sa mère, environ un an auparavant, il peinait à maintenir l'illusion qu'il avait les moyens de poursuivre ses études à l'université. Possédant la maison qu'ils habitaient, et vivant tous deux chichement, les bénéfices que sa mère avait, des années durant, reçus grâce à l'atelier de copies qu'elle avait repris à la mort de son mari, avaient été presque entièrement consacrés au droit de Lovino. Disparue, le voilà sans le sou. Mais c'était sans compter sur un messager arrivé de Florence au moment précis où Lovino craignait d'être forcé à mettre fin à la mascarade, pour lui apprendre l'identité de son père restée inconnue jusqu'alors, et lui annoncer qu'il était l'unique héritier, quoique bâtard, d'une compagnie bancaire florentine et florissante.

C'était quitter beaucoup de choses et de personnes qu'il avait toujours connues et aimées, c'était rejoindre l'inconnu et changer complètement d'existence et d'identité, mais c'était le plus raisonnable. Qui dans pareille situation n'aurait pas saisi cette opportunité ? Ce n'était que lors du voyage vers la cité toscane qu'il s'était mis à douter. Était-ce une sage décision ? Trouverait-il sa place dans une famille qui n'était pas la sienne et qui ne se verrait sans doute pas comme telle ? On l'avait appelé par nécessité. Les détails, il les ignorait. Sans doute, ses dispositions à Naples avaient été trop radicales. Sans doute, il eût mieux valu se contenter, dans un premier temps, d'un voyage de reconnaissance.

Mais tous ces palabres intérieurs ne valaient pas la peine d'être tenus. Il était quand même là, en plein cœur de Florence, dans un jardin calme et magnifique, avec son nouveau demi-frère qui détenait certainement tous les secrets que Lovino, secrètement, brûlait de connaître.

« Peut-être que vous, vous pourrez m'expliquer pourquoi. »

« Dans la mesure de mes compétences, je le peux en effet. Ce devrait être le devoir de notre père, hélas il est absent. Nous ne vous attendions pas avant demain. »

« J'ai été heureux sur la route. »

« Ce dont nul ici ne se plaindra. Hé bien. » fit le cadet en inspirant. « Je crois qu'il ne sert à rien de retarder l'heure de la vérité. Je suis le fils cadet de Romeo Vianelli, je m'appelle Feliciano, mais il n'y a guère plus que la famille proche qui ne m'appelle pas « mon Père ». J'ai été ordonné prêtre il y a de ça deux ans, dans le dessein pas si secret de notre père de disposer d'un cardinal parmi notre famille, ce qui est toujours très pratique. »

« Si vous le dites. »

« Elia, mon frère aîné, et le vôtre, était l'héritier de la banque. Romeo l'a formé à cela toute sa vie. À nous deux, nous étions censés étendre l'influence de la famille, lui dans le siècle, moi dans l'Eglise. Qui sait, je finirai peut-être pape. Seulement, il y a six mois, on a retrouvé le corps d'Elia dans une maison close, sans vie, au petit matin. Personne ne sait comment il s'est retrouvé là, mais il fallut se rendre à l'évidence : je ne peux prendre la relève de mon père, et mon frère est mort. J'ignorais votre existence jusqu'à il y a quelques mois… La famille a traversé une crise, et pour éviter que nos clients nous retirent leurs fonds, mon père a été forcé de révéler qu'il avait un fils illégitime, vivant à Naples, mon aîné d'un an, et donc en âge de prendre la relève. Il vous a fait chercher, et vous voilà. »

Lovino accusa le coup, avant de conclure d'un air sombre :

« S'il n'avait pas eu besoin de moi, il ne se serait jamais encombré de mon existence, c'est bien cela ? »

« Romeo n'est pas un homme mauvais, mais il est pragmatique. Il ne voulait pas nuire à la famille en entachant sa réputation. Si cela peut vous rassurer, son testament, m'a-t-il expliqué, a toujours comporté une close vous concernant. »

« Comme c'est aimable. »

« Voyez votre présence ici comme une opportunité de recommencer. Je crois savoir que votre mère est décédée ? »

« C'est exact. On m'avait toujours dit que mon père était un inconnu qui s'était épris de ma mère quelques années après son veuvage. Je ne m'attendais pas à ce qu'il surgisse du néant, bien au courant de mon existence et de ma situation alors que j'en ignorais tout. »

« Ne soyez pas trop dur avec lui… C'est un homme bien. Quant à moi, j'aimerais que nous soyons amis… Et frères. Elia avait plusieurs années de plus que moi, et mon père ayant clairement établi ses préférences en même temps que nos destins, notre relation n'était pas des plus sereines. Je ne voudrais pas rater le coche une deuxième fois. Promettez-moi au moins d'essayer. »

Il tendit la main à Lovino, en arborant à nouveau ce sourire extraordinaire de candeur et de chaleur. Le Napolitain en fut troublé. Au moins, et contre toute attente, le frère était accueillant. Il n'avait pas vraiment hâte de rencontrer la femme légitime de Romeo, cependant. Autant accepter tous les alliés qui se présentaient. Il saisit la main de Feliciano et la serra cordialement, ce qui élargit encore, si cela était possible, le sourire du Père Vianelli.

oOo

Après sa discussion avec son demi-frère, Lovino avait demandé qu'il l'excuse et avait quitté la demeure Vianelli pour se perdre dans la ville inconnue et dans les nouvelles informations qu'il avait à digérer. Le religieux lui avait souri avec compréhension et avait simplement suggéré qu'il laisse ses bagages légers dans la chambre qu'on lui avait assignée -une chambre confortable d'après les dires de Feliciano, et non celle du mort pour éviter de le mettre mal à l'aise. Après avoir suivi son conseil, Lovino avait mis son plan à exécution.

Il avait laissé ses pas le mener et l'égarer à travers des ruelles et des places que le soleil rendait avenantes, mais il était insensible à la beauté des lieux et prévoyait de le rester. Naples était encore trop familier à ses yeux, et Florence trop étrangère. La plaie de son cœur avait besoin de plus de temps pour se refermer, les racines de son existence, arrachées à leur terre natale et nourricière, restaient à vif et il faudrait du temps, des mois, des années, pour qu'elles bouturent éventuellement et se familiarisent à ce nouvel environnement.

Ce ne fut qu'arrivé face à l'édifice repéré précédemment, mais dont il ignorait encore le nom à ce stade, qu'il s'autorisa un temps d'arrêt, bien malgré lui. Maintenant qu'il se trouvait au pied de la façade décorée, sculptée et peinte, il en avait le souffle coupé. C'était là la cathédrale de Florence. Inachevée. Il détailla longuement les murs, les hauteurs et les annexes qu'il pouvait voir, puis décida d'entrer. Il n'était pas particulièrement friand d'architecture d'ordinaire mais ce lieu était assurément digne d'aller y jeter un œil. Se signant, il demanda brièvement une bénédiction à dieu pour son séjour à Florence qui s'annonçait assez long, puis il se perdit dans la contemplation des murs, des sculptures, des fidèles en pleine dévotion, plongés dans leurs prières comme si le monde extérieur n'existait plus. Les laissant à leur culte, Lovino se trouva bientôt sous le dôme inachevé, à la vérité non encore entamé. Les échafaudages des derniers travaux étaient encore en place. Cette vue en contreplongée sur le ciel et le vide l'oppressa, ou peut-être était-ce l'immensité de l'endroit, qui ne rendait le néant de la coupole que plus palpable et désolant. Le ciel le narguait de son bleu azur triomphant alors qu'un nuage gris de pluie flottait constamment au-dessus de la tête de Lovino, le pourchassant depuis Naples.

Il vit passer des oiseaux, loin, si loin de lui. Quelle vue avaient-ils de là-haut ? Lovino fut soudain pris d'une irrépressible envie d'accéder au ciel. Conscient de l'ambition trop élevée, il la revit à la baisse et voulut atteindre le sommet de la cathédrale, la base de la coupole qui devait jamais voir le jour. Peut-être que ça l'aiderait, peut-être qu'il parviendrait enfin à dominer Florence et ses peurs, à se rendre maître de cette ville étrangère, à purger le sentiment d'être écrasé par un monde et un destin plus grands que lui. Et, s'il n'y parvenait pas, qui sait ? Il pourrait toujours essayer d'apprendre à voler.

Laissant à ses pieds le bon soin de guider son esprit égaré, il trouva bientôt un escalier étroit de pierre dont la fraîcheur ne parvint pas à refroidir ses ardeurs. Commença une longue ascension pénible qui lui rappela les vers de Dante, bien que ce ne fût pas la vertu qu'il voulait atteindre, mais bien la catharsis. Il arriva enfin en haut, et la montée ne fut plus la seule raison d'être à bout de souffle. La vue dépassait ses espérances. Il pouvait voir toute la ville et les limites de son territoire, nouveau terrain de jeu ou théâtre d'un combat prochain, il l'ignorait encore. Il se hissa sur le muret de briques constituant le point culminant de la cathédrale et se mit à en parcourir prudemment la circonférence, les yeux perdus sur le monde qui s'étendait, si petit et si vaste à la fois, au loin à ses pieds. Un sourire, le premier depuis longtemps, fleurit sur ses lèvres alors qu'il se sentait libre à nouveau.

Puis ses yeux ambrés se risquèrent vers le gouffre béant, et la chute lui parut si facile, si commode, qu'il dût s'arrêter. La tête lui tourna. Quelque qu'était l'immensité du territoire à découvrir, il restait le vide, inéluctable, qui grandissait et croîtrait dans son cœur comme le vide à ses pieds semblait dangereusement l'appeler.

Il eut le vertige.

oOo

La maison n'était pas plus peuplée quand Lovino y revint, à la fois émerveillé et nauséeux de son expérience sur le dôme. Mais la nuit tombait et, tandis que les cuisines étaient en effervescence pour préparer le repas, les résidents étaient tout aussi occupés à s'y préparer. Quant au Père Vianelli, qui de par sa fonction n'avait guère à s'inquiéter de sa toilette, il avait jugé plus important et urgent d'attendre le retour de son frère pour lui suggérer une visite des lieux. Lovino se prêta au jeu, au moins pour connaître l'emplacement de sa chambre, et estima que la demeure correspondait environ à vingt maisons telles qu'il en habitait une autrefois.

Alors que Feliciano l'invitait à admirer les fresques du couloir des chambres, le Napolitain osa poser la question qui le taraudait :

« Vais-je rencontrer votre mère à ce dîner ? »

« Oh, non. » répondit Feliciano, à la fois rassurant et navré. « Elle a rendu sa belle âme à dieu, il y a déjà cinq ans. »

« Aucun espoir de nouvel héritier légitime, dans ce cas… Ce n'est vraiment pas de chance. »

« Un peu de respect, voulez-vous ? Le chanceux de cette histoire, c'est vous. »

« Je n'ai rien demandé. »

« Vous avez accepté de faire ce qu'on vous a demandé, cela revient au même. Venez. Je vais vous montrer la bibliothèque. »

Lovino ne pipa pas un mot de plus et se laissa conduire. Pendant un bref moment, Feliciano s'était montré ferme et autoritaire, avant que sa nature douce et calme ne reprenne le dessus. L'étudiant s'en voulut d'avoir été irrespectueux et d'avoir, indubitablement, froissé son allié, ce dernier n'ayant pas l'air de sortir aisément de sa candeur.

oOo

Le dîner qui suivit se déroula pourtant dans le calme, et Feliciano présenta avec enthousiasme quelques amis, associés et clients de la compagnie Vianelli qui séjournaient en ce moment à Florence, chez eux. On l'introduisit également auprès de l'épouse et de la fille du défunt Elia. Elles l'accueillirent avec bienveillance, malgré le deuil observé par la jeune épouse. La petite Emilia sembla particulièrement enthousiaste à l'idée d'un nouvel arrivant dans la maison. Elle n'avait pas sept ans, mais arborait d'épais cheveux bouclés de la même couleur que ceux de Lovino et, supposa-t-il par conséquent, que ceux de son père. Cette réflexion l'amena à se demander comment il était, quel genre d'homme il avait été. Il aurait peut-être aimé le connaître. Penser qu'il avait fallu qu'il meure pour découvrir sa famille était navrant et faisait à nouveau bouillir en lui une certaine colère.

Après un repas léger et qui ne s'éternisa pas, Lovino décida d'aller s'aérer l'esprit dans les jardins avant de s'enfermer seul entre quatre murs pour la nuit. Il redoutait ce moment où, dans la solitude, le silence et les ténèbres, toutes ses pensées et idées noires fondraient sur lui comme autant de traits acérés pour le garder éveillé.

Dans les jardins en revanche, tout était paisible. L'obscurité régnait sur les rosiers, les pommiers et les clochers de Florence. L'air frais du soir le revigora, lui rafraichit les idées que le vin servi au dîner avait peut-être un peu embrouillées. Il trouva un banc de pierre parmi des buissons, et s'assit le regard tourné vers la colonnade qui l'avait fait entrer dans cette maison, cette famille, cette vie. Çà et là, quelques flambeaux éclairaient le domaine et conféraient à l'endroit une atmosphère à la fois chaleureuse et mystérieuse. À moins que ce ne fussent simplement les réminiscences des intrigues amoureuses lues dans Il Decameron qui associaient dans son esprit Florence à ces rendez-vous nocturnes, à ces histoires interdites et secrètes qui passionnaient pourtant toute la ville, si pas toute la péninsule. Il inspira longuement. Expira. Ce n'était pas si désagréable.

Il fut troublé dans son état de méditation par un bruit de sabots heurtant la pierre à toute allure. Ouvrant les yeux qu'il ne se rappelait pas avoir fermés, Lovino vit passer un cheval sous la colonnade, fort heureusement accompagné d'un cavalier. Le petit galop ne s'arrêta qu'une fois arrivé à la fin du portique. Parmi les ombres des flammes dansantes, le Napolitain ne distinguait pas grand-chose, et décida d'approcher du nouveau venu par pure curiosité. Qui pouvait bien arriver si tard ? Pour quel motif ? Peut-être, aussi, espérait-il ou pensait-il que c'était son… Son père, informé de son arrivée, qui avait accéléré ses affaires hors de Florence et était revenu dès qu'il l'avait pu. Balivernes. Il n'était pas impatient de rencontrer son géniteur et d'entendre des excuses noyées dans l'offre de tous les privilèges et avantages qu'il donnait désormais à Lovino en le reconnaissant comme héritier.

Dans le demi-obscurité qui régnait sous le portique, et entre deux colonnes, Lovino distingua un homme d'allure vaillante, musclé et souple, qui descendit de cheval avec légèreté pour flatter l'encolure de sa monture et la guider, présuma-t-il, vers l'écurie. La silhouette était alléchante, et le visage -que ne pouvait-il pas le voir plus distinctement !- semblait beau, encadré d'un collier de barbe taillé avec soin. Les cheveux, sans doute noirs ou bruns, étaient assez longs et ramenés en arrière par un catogan. Il était vêtu pour le voyage, sans ornements superflus, aussi Lovino devina qu'il s'agissait d'un messager revenu d'une quelconque mission. L'inconnu disparu avec son destrier, et Lovino resta avec cette image enchanteresse et auréolée de mystère dans l'esprit toute la nuit.


Notes

Le campanile de Giotto est une partie de la cathédrale Santa Maria del Fiore de Florence. Le dôme n'en a été achevé qu'en 1436.

Il y a une allusion au chant I de la Divina Commedia de Dante. Dans le premier chant, le poète se met en scène sortant d'une forêt (symbolisant l'égarement de la raison humaine) et voulant gravir une colline, symbolisant la vertu.

Il Decameron de Giovanni Boccaccio se passe pendant la peste à Florence de 1348, dix jeunes gens se retirent à la campagne et racontent chacun une histoire pendant dix jours. Beaucoup de ces nouvelles traitent de l'amour, surtout interdit et adultère, parce qu'à l'époque amour et mariage sont dissociés et par conséquent le véritable amour se passe en dehors du mariage. Les amants mis en scène dans ces histoires redoublent bien entendu d'ingéniosité pour savourer les plaisirs de la vie, mais le Décaméron a connu un franc succès même dans cette société médiévale qu'on nous présente souvent comme austère c:

On se retrouve bientôt pour la deuxième partie !

A bientôt !