― Henri ! Regina ! cria Emma. La limousine est là !

Les talons aiguilles de Regina résonnèrent dans l'escalier.

― Henri est prêt, dit-elle.

Elle-même était tirée à quatre épingles dans une élégante robe de cocktail noire.

Henri apparut à sa suite, l'air à la fois fier et embarrassé dans un smoking noir flambant neuf assorti d'une chemise à plastron, d'un nœud papillon et de chaussures si bien cirées qu'elles reflétaient la lumière.

― Rapprochez-vous tous les deux, dit Emma. Je vais prendre une photo !

Sans réticence, l'adolescent, qui dépassait à présent sa mère d'une bonne tête, lui passa un bras autour des épaules et sourit franchement à Emma. Regina semblait de marbre, mais Emma voyait ses yeux pétiller.

― Emma, ma chère, la fleur pour le corsage de Violette est dans le frigo.

Emma alla chercher la délicate orchidée mauve et tendit la boîte à Henri tandis que Regina l'abreuvait de recommandations de dernière minute tout en redressant son nœud papillon qui n'en avait nul besoin. Emma entraîna Henri vers la limousine de location et l'expédia à l'intérieur d'une tape sur l'épaule avec ce seul conseil :

― Ne fais rien que tu risques de regretter demain, mon grand !

Lorsqu'elle regagna la résidence, Regina avait sorti ses clés de voiture pour se rendre au lycée et piaffait d'impatience.

― Nous sommes déjà en retard, dit-elle. Je devrais y être depuis…

Emma l'interrompit d'un geste.

― Regina, dit-elle. Tout va bien. Elsa et Anna sont là-bas avec l'équipe technique et supervisent les préparatifs des terminales selon vos instructions. Nous sommes dans les temps.

La dernière année d'Henri au lycée s'achevait. A la fin de l'été, il quitterait la maison et partirait à l'université. Pour lui comme pour les autres élèves de terminale, le bal de fin d'année marquait la fin de leur vie de lycéens. En tant que directrice, la présence de Regina au bal était incontournable, et comme la plupart des professeurs, Emma était tenue d'y assister en tant que chaperon afin d'en assurer la surveillance.

― Promettez-moi de ne pas vous occuper d'Henri ce soir, dit-elle à Regina. Je garderai un œil sur lui !

Elles étaient ensemble depuis presque un an à présent, mais Emma n'avait pas renoncé à vouvoyer sa compagne. D'une part, parce que cela lui évitait les gaffes en public. D'autre part, parce que le tutoiement sur l'oreiller était ainsi tellement plus érotique.

Regina jeta un regard appréciateur à Emma. Celle-ci avait revêtu pour l'occasion une jolie robe bleu pâle à l'encolure carrée et à la jupe évasée qui lui descendait jusqu'au genou. Elle portait des ballerines plates assorties à sa tenue, et les mains expertes de Regina avaient coiffé ses longs cheveux blonds en une queue de cheval bouclée bien plus élaborée qu'à son habitude.

― Vous êtes ravissante, ma chère, dit Regina.

Elle s'interrompit un court instant avant d'ajouter d'un ton féroce :

― Si vous laissez cet insupportable Jones vous inviter à danser, je lui arrache les yeux de mes propres mains et ensuite je le vire !

Emma lui sourit avec affection.

― C'est d'accord Regina, je vous réserve toutes mes danses !

Elle n'avait plus dix-sept ans et n'allait pas à ce bal pour y danser de toute façon. Et puis elle ne se faisait guère d'illusions : jamais Regina ne franchirait ce pas. Mais peu lui importait. Regina portait au creux du cou le délicat pendentif en forme de goutte qu'elle lui avait offert, un petit rubis serti d'or, et cela disait à Emma tout ce qu'elle avait besoin de savoir.

Depuis bientôt un an qu'elles étaient partenaires, Regina avait tenu parole et lui avait offert une vraie place dans sa vie. Emma habitait désormais à la résidence Mills et partageait son lit. Henri était pour elle le fils qu'elle aurait pu avoir. L'air discrètement soulagé de sa présence constante qui facilitait les choses entre lui et sa mère, il avait accepté Emma sans faire d'histoires dans sa vie et celle de Regina.

Cependant, même si des bruits couraient, le nouveau statut d'Emma n'avait rien d'officiel. Emma, Regina et Henri sortaient en famille, mais Regina avait horreur des démonstrations publiques d'affection. Jamais elle n'aurait tenu la main d'Emma ou ne l'aurait embrassée devant témoins – pas même devant son propre fils d'ailleurs.

Quant au lycée, la plupart du temps Emma et Regina, n'ayant pas les mêmes horaires, continuaient à s'y rendre chacune dans sa propre voiture. Il arrivait comme ce soir qu'elles fassent la route ensemble, ce qui ne manquait pas d'attirer l'attention, mais la rumeur accordait généralement à Emma le mérite d'avoir réussi à tisser avec la directrice un lien d'amitié. Dans les paris de Gold, si la cote de Robin Locksley s'était effondrée depuis longtemps, le nom d'Emma n'apparaissait que tout en bas du classement, plus à titre de plaisanterie ou de spéculation hasardeuse qu'autre chose.

Regina, indifférente aux bruits de couloir et bien moins irritable que naguère, ne confirmait ni n'infirmait aucune rumeur. Emma, heureuse ainsi, se gardait bien d'alimenter les potins. Elle partageait la vie de la femme qu'elle aimait, c'était tout ce qui comptait – il appartenait à Regina de décider quand le moment serait venu pour elle de le faire savoir à ceux qu'elles côtoyaient.

La fête battait son plein. Les élèves, à peu près tous issus de familles fortunées, étaient vêtus avec l'élégance des héritiers qu'ils étaient : les garçons avaient su éviter les smokings tape-à-l'œil de toutes les couleurs, et les filles les robes de princesse à volants et froufrous qui leur auraient donné l'air de grosses meringues colorées. La bande-son sélectionnée par le comité d'organisation des terminales n'en était pas moins pop, mais les jeunes couples dansaient et s'amusaient sans tapage excessif entre deux verres de punch sans alcool.

Le bal n'inspirait guère de nostalgie à Emma. A dix-sept ans elle vivait en foyer et, sans le sou, n'avait pas osé se rendre au sien. C'était peu avant que sa rencontre avec Neal n'ait achevé de la précipiter dans l'âge adulte.

Afin d'éviter les chahuts, les bagarres et les incidents divers, elle gardait un œil vigilant sur les élèves tout en papotant distraitement avec Elsa. A tour de rôle avec ses collègues, elle alternait la surveillance à l'intérieur et à l'extérieur dans le but de limiter tant que faire se pouvait dans le périmètre du lycée les dérives liées aux belles nuits d'été et aux trop-pleins d'hormones adolescentes. Elle avait déjà confisqué une ou deux flasques d'alcool introduites en douce dans la salle du bal ainsi que quelques cigarettes au contenu tout à fait illicite imprudemment sorties dans la cour, mais rien de bien grave dans l'ensemble.

La nuit avançait. Le roi et la reine de la promo avaient été couronnés comme il se devait et abondamment photographiés. On avait dansé, ri, applaudi, lâché des ballons et des confettis. Le rythme commençait à ralentir et les élèves à se disperser. Certains prenaient congé deux par deux ou en petits groupes, d'autres s'écroulaient dans un coin du gymnase, au pied d'un arbre ou sur la pelouse extérieure afin de prolonger les derniers instants de leur vie de lycéens avec les amis dont ils seraient bientôt séparés. Dans le gymnase, le DJ passait surtout des slows tandis que jeunes couples et bandes d'amis se pressaient pour se faire photographier une dernière fois.

Emma avait résisté avec bonne humeur et sans grand mal à toutes les invitations à danser, même les plus inattendues – certains de ses élèves ayant vaillamment tenté leur chance auprès d'elle. Tout en surveillant du coin de l'œil les groupes qui se faisaient et se défaisaient, elle avait noté que Regina elle aussi avait décliné toutes les propositions – aucun élève cependant n'avait eu le cran de l'inviter !

Henri s'était amusé sans faire de bêtises. Il avait dansé avec Violette jusqu'à plus soif, fait la queue pour se faire prendre en photo avec elle, et ils se trouvaient présentement sur l'un des bancs extérieurs, à ne rien faire, jugea Emma, qui risquait de rendre Regina prématurément grand-mère d'ici neuf mois. Bien. La limousine était louée jusqu'à une heure, Henri ne tarderait pas à raccompagner la jeune fille chez elle.

Regina s'approcha, l'ombre d'un sourire aux lèvres, et Emma fut une nouvelle fois saisie par sa beauté, que mettait en valeur la sobriété de sa tenue.

― Tout va bien de ce côté-ci, dit Emma. Henri est là-bas avec Violette, et les autres…

― Mademoiselle Swan, déclara Regina d'une voix assez forte pour être distinctement entendue de tous ceux qui les entouraient, me feriez-vous le plaisir de m'accorder cette danse ?

Emma resta un instant interdite tandis que tous les regards convergeaient vers elle. Puis, sentant fleurir sur son visage un sourire radieux, elle tendit la main à Regina.

― Avec joie, madame la directrice.

Sous les regards curieux du personnel et des élèves encore présents, elles se frayèrent un chemin vers la piste de danse et s'enlacèrent pour suivre le rythme lent d'une énième chanson d'amour. Emma incertaine gardait ses distances mais Regina l'attira franchement à elle, et tout en dansant presque sur place, murmura en souriant :

― C'est moi qui conduis, naturellement.

Oubliant les regards ébahis posés sur elles de toutes parts, Emma suivit Regina et s'abandonna pleinement au plaisir du moment. Regina la tenait étroitement enlacée, ce qui était bien agréable, à ceci près que la montée du désir aidant, elle commençait à trouver difficile d'éviter toute démonstration publique d'affection.

― Regina, souffla-t-elle, nous devrions…

― Chut, dit Regina en lui prenant le menton.

Et elle posa ses lèvres rouges sur les siennes.

Des exclamations de surprise jaillirent de l'assistance. Pour faire bonne mesure, plusieurs flashes scintillèrent dans la pénombre. Eh bien, on pouvait difficilement faire plus officiel.

― Vous savez que dans une demi-heure cette photo sera sur tous les réseaux sociaux, n'est-ce pas ? chuchota Emma soufflée à Regina qui arborait un air satisfait.

― Et comment, ma chère, répondit Regina en prenant Emma par la main et en l'entraînant à l'extérieur, imperturbable sous les vivats, les applaudissements et les sifflements divers. Avec la cote que vous avez, Gold va me devoir une fortune ! Enfin, techniquement, à Sydney, bien sûr.

Emma considéra sa compagne d'un air soupçonneux.

― Ne me dites pas que vous avez entretenu le mystère exprès pour plumer Gold ! Ce n'est pas ça qu'on appelle un délit d'initié ?

Regina eut un sourire insouciant.

― Voilà qui rabattra son caquet à cet odieux banquier qui ne pense qu'à faire de l'argent ! Et à tous ceux qui croyaient pouvoir prédire qui je finirais par aimer.

Elle reprit, amusée :

― Vous souvenez-vous de cette cravache que nous avons vue l'autre jour, celle à l'extrémité en forme de cœur ? Eh bien, faites-vous plaisir. Commandez-la donc, et toutes les autres babioles que vous voulez pendant que vous y êtes !

Le cœur d'Emma, lui, était soudain en pleine expansion dans sa poitrine et elle avait perdu le fil de la conversation. Son cerveau s'était arrêté à l'avant-dernière réplique de Regina et la lui repassait en boucle.

Sans même y penser, Regina avait employé le verbe « aimer ».

FIN


Note de l'auteur : Cette fiction m'a été inspirée par le somptueux look SM de Regina-Evil Queen dans la série ainsi que par mon envie d'offrir à ce magnifique personnage sous-employé la fin heureuse qu'il mérite, j'espère qu'elle vous aura plu. Merci à toutes les personnes qui suivi cette histoire jusqu'ici, et doublement merci à celles qui voudront bien prendre le temps de me dire ce qu'elles en ont pensé ! Et qui sait, peut-être à bientôt pour d'autres histoires :-)

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