Warning :
– Please name your reviews, so I can recognize you and try to answer you at the beginning of the chapters. Thanks !
– My dear translator, RandomnessUnlimited, is busy these days, so the translation will take some time. Be patient guys !

Same talk as the previous NDA : thank you for the reviews (I love you so much) and sorry for the absence (You hate me so much –and you'll hate even more after reading, LOL).

If you're wondering, here is two of the main reasons why it's taking me a long time to update :

– On a personal level, I'm not feeling well these past two weeks. I won't tell the story of my life, but long story short : my anxiety is getting worst, so I have to go to multiple psychologists (it eats my days). I'm just being honest with you guys. It's okay if it doesn't sound as a reason to you.

– I'm working on multiple projects (all referred to Kaeloo) : I have this story (Let's Change), « K », and some others drafts.

Thanks to DoubleDuckAvenger and RandomnessUnlimited who helped me. I won't lie : this chapter was so hard to write, lmao. Some informations :

This chapter was way too long (+20k words…), so I decided to cut it in two parts : this is the first one, 8900 words –without NDA.

I'm writing another Chaka/Kaelat story. Its name is ''K'', don't forget to check it !

– I'm not particularly proud of this chapter. I feel like there is a lack of emotional description.

Some sentences were put in the middle of the page to accentuate their importance.

Hors-sujet : A response to « Gabby », a guest who left a request on « K » : so, Gabby asked if I could write a fanfiction where Kaeloo reads Mr Cat's diary and discovers his self-hating thoughts. First things first, I'm happy you asked me because your idea is one of the things that I wanted to write ! Your request will be fulfilled, but not in a new fanfiction. I cannot tell you more, sorry ^^ (it'd be a spoil, haha)

Enjoy !


What happened ? (Part I)

Kaeloo s'agita une énième fois dans son lit.

Elle avait beau pivoté dans tous les sens, essayé des positions un peu plus bizarres les unes que les autres, prendre plusieurs inspirations, compter les moutons imaginaires qui dansaient au dessus de sa tête, aucune technique ne semblait séduire Morphée. Elle devait dormir. Elle n'avait pas le choix, c'était un ordre incontestable qu'elle ne cessait de transmettre à ses neurones depuis la tombée de la nuit –et pourtant, ces derniers semblaient faire la sourde oreille, pris d'un dynamisme inépuisable auquel son corps ne pouvait que répondre involontairement. Elle avait essayé d'user de son anxiété abusive en se rappelant qui elle était, ce qu'elle devait faire, la grande responsabilité dont elle devait quotidiennement témoigner de par une énergie olympique et d'une vigilance sans relâche, les catastrophes qui suivraient la moindre faille de sa part, mais même cela ne fut pas assez alarmant pour son esprit, qui se noyait dans des rêveries insaisissables.

Elle grogna. Seigneur, elle n'aurait jamais autant dramatisé son insomnie si ses amis avaient été des personnes raisonnables et responsables de leurs actes, pouvant se dispenser de surveillance –mais il y'avait, dans ce pays dont elle était la dirigeante, un écureuil surréaliste qui n'hésiterait pas à se jeter du haut d'une falaise si on le persuadait que sa petite-amie l'attendait en bas de celle-ci, un chat un peu (juste un peu) psychopathe qui n'avait aucun scrupule à torturer et manipuler les autres vers des absurdités violentes pour ses propres fins, et un canard calme mais toxicomane pouvant basculer vers une folie potentiellement meurtrière si on osait s'approcher de ses yaourts. Un drame est si vite arrivé si le moindre assoupissement fermait les yeux de la grenouille sur ces trois-là –surtout les deux premiers.

Les minutes passèrent et elle finit par abandonner son déchaînement désespéré contre la chaleur ambiante de la pièce qui semblait s'être imprégnée de ses draps, tandis qu'un soupir d'abdication lui échappa. Ses jambes sveltes rejoignirent chacune un côté du lit, formant un V avec son bas ventre, tandis que ses bras s'écarquillèrent comme si elle allait y accueillir la chaleur d'un autre corps, bien que sa solitude soit la seule chose que confirmait sa lucidité bancale. Sa fièvre était moins présente qu'hier, mais maintenait toujours une prise ferme sur son corps, l'affaiblissant d'avantage. Allons bon, Morphée était injoignable pour le moment –et pour le restant de la nuit, semblait-il–, pourquoi s'entêter à l'appeler ?

Qu'elle se laisse noyer une nouvelle fois dans la mer de ses pensées, peut-être y coulera-t-elle pour de bon.

Ainsi, ses pensées la conduire vers l'imagination de ce qu'aurait été un Pays-Trop-Mignon peuplé de versions idéalistes de ses amis : un Moignon suffisamment intelligent pour faire part de la réalité et du virtuel, du faux et du vrai, de l'acceptable et de l'interdit, un Monsieur Chat qui userait de sa maturité dans le recadrage des autres habitants (formant en quelque sorte un « second gardien » auprès de Kaeloo), de ses armes et sa malice pour des causes pacifistes, un Coin-Coin qui détesterait les yaourts et mangerait des aliments divers et variés et – et rien d'autre, elle n'espérait rien de plus de ce dernier, car il était déjà un canard idéal en dehors de sa pseudo-toxicomanie. Ils passeraient leurs journées à jouer dans la plus grande joie et respect des règles, sans qu'il n'y ait un écureuil assez fou pour les déformer, un chat machiavélique pour les enfreindre, et un canard pour encaisser les folies des susnommés, encore moins une grenouille qui les punirait.

Mais bizarrement, cette image d'amis idéalistes, aussi adorable fut-elle, n'arrivait pas à se compléter dans sa tête. Elle arrivait à cerner de façon générale ce qu'auraient été leurs journées –des heures et des heures passées à jouer dans le plus grand amusement– (du moins c'est ce qu'elle croyait), mais pour ce qui était des détails, comme des conversations qu'ils auraient eues ou des moments forts qu'ils auraient pu partager, Kaeloo bloquait. En fait, elle ne pouvait tout simplement pas concevoir autre image que celle qu'elle connaissait depuis toujours : '' elle, interférant entre ses amis et leurs occupations pour leur proposer de jouer. Moignon, qui râle parce qu'il n'a rien compris aux règles ou qu'il les trouve injustes. Monsieur Chat, qui fait une remarque désagréable ou parle du crapaud. Coin-Coin, qui continue à déballer ses yaourts''. Ses pensées lui imposaient cette scène comme on imposerait des instructions strictes à un enfant, celles qu'il ne pourra jamais s'imaginer autrement. Si elle avait la capacité de changer ses amis, le ferait-elle ? Qui sait, peut-être leur retirerait-elle quelques désagréables traits –mais même cela corromprait l'ensemble de leur personnalité. D'un côté, il était indéniable qu'elle voulait qu'ils restent tels qu'ils étaient, même si ça la dérangerait d'un autre côté parce qu'ils étaient loin d'être parfaits, mais d'un autre –

Elle coupa nettement le fil de ses pensées lorsqu'un mal insoutenable traversa son arrière crâne, telle une vague altérant la mer calme. Elle posa aussitôt ses mains sur le sommet de sa tête verte, et massa maladroitement son front, poussant quelques geignements plaintifs, tandis que ses yeux s'étaient compressés dans une expression de douleur. Ses jambes se détendirent instinctivement, laissant faner leur crispation –ils furent si détendus que Kaeloo ne les sentit plus, comme s'ils avaient été anesthésiés, quoique cette sensation exquise ne dura qu'une seconde. Elle expira tout air dans ses poumons et fixa paresseusement le plafond de sa chambre dont la couleur était méconnaissable dans ce qui restait de la pénombre. Ses yeux clignèrent à maintes reprises, tentant d'effacer ces points noirs qui brouillaient leur champ de vision –mais ce geste bien qu'involontaire amplifia stupidement ses hallucinations. Sa fièvre la rappelait à l'ordre, lui intimant d'arrêter de penser à pareils casse-têtes lorsque tout ce dont elle avait besoin était un peu de repos.

Un pas infranchissable la séparait du sommeil, mais elle n'arrivait pas à trouver le bon endroit ou poser pied, et voilà qu'elle se retrouvait abandonnée à mi-chemin, entre la fatigue assommante et l'incapacité de dormir. Alors, elle tenta de fermer les yeux, dans un dernier élan d'effort. Qui sait, peut-être Morphée lui accordera-t-elle miséricorde.

– AAAAH !

Kaeloo rouvrit brutalement les yeux et écarquilla la bouche, dans un cri mort-né. Le rythme de son cœur commença doucement, puis dangereusement à s'accélérer, tandis qu'une vigueur d'inconfort inexplicable la poussa à se déloger puissamment de son oreiller. Sa tête bourdonnait violemment, et ses orteils libéraient une chaleur désagréable qui avait la disgrâce de coller les draps contre ses pieds. Aussi, un accablement inexplicable commençait à la gagner, comme si le plafond allait s'effondrer sur sa tête d'une minute à l'autre, tandis qu'elle avait appuyé ses mains sur son lit, se soutenant dans cette position qui la boursouflait un peu. Elle tourna la tête, et constata désagréablement une tâche d'eau qui s'était formée sous sa silhouette, imbibant son oreiller et son matelas.

Pourquoi je transpire autant ? Qu'est-ce qu'il se passe ?!

Elle ne comprenait pas pourquoi elle se sentait ainsi –et son incompréhension accrût ces mystérieuses et désagréables émotions qui l'animaient au beau milieu de la nuit. Elle était certes, fiévreuse, mais elle allait bien plus mieux qu'hier pour que cela soit une simple hallucination passagère ! Son cœur affolé, ses muscles crispés et sa peau moite la plongeaient plus que jamais dans le monde des sensations. Ainsi, elle tenta quelques exercices respiratoires, tout en s'insufflant des ordres murmurés et calmants. Elle n'avait fait aucun cauchemar –elle n'avait même pas dormi, en réalité elle avait juste fermé l'œil le temps de quelques minutes. Elle avait beau été dans les vapes, ses sens étaient tout de même restés suffisamment alertes pour lui signaler le moindre bruit. Ainsi, quelle fut donc la cause d'un tel affolement physique ? Fusse sa fièvre qui la rendait hérétique, faisait-il trop chaud dans la pièce et son corps réclamait rafraîchissement ? Improbable. L'appréhension et le stress qui plantaient leurs crocs dans sa peau un peu plus prestement chaque minute, lui témoignaient d'une menace qui n'était que trop réelle, trop sérieuse, pour être d'origine naturel.

Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ?! Pendant un instant, une suggestion aussi ridicule qu'effrayante lui frôla l'esprit : elle était peut-être entrain de vivre ses derniers moments. Peut-être que son corps, à travers son déchaînement, se rattrapait à une vie qui lui glissait entre les doigts, tandis que son esprit, depuis toutes les sensations qu'il lui faisait vivre, lui implorait de crier et demander de l'aide ! Kaeloo se figea, et fut figé avec elle son souffle. Non. Ne pense pas à ça, c'est irrationnel, personne ne peut mourir d'une légère fièvre ! Elle avait mesuré sa température avant de dormir, et il n'y avait eu rien d'alarmant. Au contraire, son corps semblait retrouver lentement mais surement, son sang froid –contrairement à son esprit qui faisait tout l'inverse. Elle n'était donc pas mourante, si ?

Il faisait nuit et la pièce était calme, silencieuse ; rien n'aurait pu perturber cette quiétude nocturne. Pourtant, ses sens persistaient à lui signaler d'une sourdine irritante, la survenue d'un évènement malfaisant. Quelque chose d'horrible allait se –

Un bruit assourdissant, violent et puissant, comme si la terre venait de s'effondrer, ou que les cloches de l'enfer avaient tinté, fit vibrer le sol du Pays-Trop-Mignon.

Kaeloo lâcha instinctivement un cri de pure terreur, tandis que son dos s'arqua tel un piquet. Qu'est-ce que – Ses oreilles et sa tête commencèrent à émettre d'insatiables et atroces bourdonnements, mal interceptant ce brusque bruit. Les murs et le sol commencèrent à trembler sous ses pieds. D'abord doucement, puis avec plus d'insistance au fil des secondes, comme si sa maison ne tenait plus que sur une base. Kaeloo poussa un cri terrorisé et se jeta hors de son lit, encaissant un bref vertige, tandis que questions et ordres se bousculaient dans sa tête.

Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?! C'est une explosion !?

Sa tête tourna machinalement vers la fenêtre de sa chambre, revendiquant une explication immédiate qui se trouvait certainement dehors.

C'est lorsqu'elle vit ce qui se dessinait comme une grande fumée noire envahissant l'horizon, que sa pire supposition se confirma.

C'est une explosion.

Son cœur s'arracha de sa poitrine, son poule s'accéléra, ses doigts suèrent. A partir de cette réalisation, et tout ce qui s'en suivit de péripéties tumultueuses, Kaeloo refit confiance à la nature la plus primaire de toute espèce animale : l'instinct de survie. La conscience, la réflexion, et tout ce qui rimait avec rationalité, la quittèrent, libérant de la place à la seule chose dont son corps avait besoin : l'adrénaline.

« Une explosion ?! »

Ce fut le signe de départ pour son corps. Le sang pulsa dans ses veines, rapide comme jamais, puis l'adrénaline tant quémandée fit enfin son entrée en scène, ramenant ses jambes engourdies à leur vivacité d'antan. Elles bondirent brutalement hors du lit, encaissant aussitôt une chute due aux secousses sismiques qui menaçaient de mettre à terre toute sa maison. Les choses se déroulaient à une vitesse phénoménale, et Kaeloo était trop terrorisée pour penser à ses biens matériels. Elle rampa jusqu'à la porte de la chambre, munie d'une dextérité non seulement propre aux grenouilles, mais à la vie. En quelques secondes, la rainette souffrante et abattue devint une véritable coureuse élancée d'une force et d'une détermination olympiques. Elle continua sa longue escapade en dehors de sa maison, s'accrochant tantôt aux murs, tantôt aux meubles et aux îlots, respirant une adrénaline des plus pures, ravalant tant bien que mal ses larmes et sa terreur. Elle aura bien le temps de se poser toutes les questions lorsqu'elle sortira d'ici, saine et sauve. Autour d'elle et sous ses pieds tremblants, plafond et sol vacillaient comme les pendules d'une horloge. On aurait cru à un séisme.

Sa porte ne lui avait jamais parue aussi salvatrice, alors qu'elle lui apparut enfin au bout de ce couloir qu'elle ne reconnaissait plus comme sien. « Enfin ! » cria-t-elle sans pouvoir s'en empêcher, tandis qu'elle ouvrit la battante en trombe. Elle se hissa dehors.

Et lorsqu'elle leva le regard vers le monde extérieur, la réalité la frappa des deux côtés.

Le premier coup fut physique. Lorsque son corps, ayant usé toute son énergie dans le transvasement d'adrénaline, s'écroula par terre, lui rendant autant de douleur que la bravoure dont il avait fait preuve durant ces quelques minutes. Les tremblements de ses jambes revinrent plus forts que jamais, les nœuds dans son ventre s'étaient unis formant un trou noir d'anxiété qui ondulait puis engloutissait lentement ses intestins, et sa tête n'était plus qu'un tambour sur lequel se déchainaient des bâtons résultants de vertige et d'une forte appréhension. Aussi, les battements tantôt violents tantôt mortellement lents de son cœur ainsi que l'irrégularité de sa respiration se passaient de commentaires. C'est à peine si elle se remémorait ce qui l'avait conduit ici, sur la pelouse de son jardin, tant le véritable séisme n'était pas celui qui secouait sa maison, mais sa tête.

Ce n'est pas le moment de flancher ! Tu dois voir ce qu'il y'a !

Accroupie, le dos vouté, la tête engouffrée dans les fleures, on l'aurait cru mourante. Mais non, malgré son teint qui n'était pas prêt de regagner sa couleur usuelle et l'incendie qui consumait sa gorge, elle tenta de ressaisir son courage. Les secondes passèrent, et à peine ressaisit-elle un brin de souffle, qu'elle leva les yeux.

Et le choc du second coup lui fit oublier le premier.

Le ciel. Le ciel auparavant bleu sombre, perforé par la brillance des étoiles et le clair de lune, avait carrément disparu... il était devenu noir comme le vide total. Il n'y avait plus de nuages immaculés, d'astres lumineux, de nuit : s'était substituée, à leur place, une majestueuse masse noire qui montait peu à peu aux cieux sous formes de vagues enchevêtrées. A cette vision, il n'y eut plus de doute permis : une catastrophe grave, très grave, de la plus haute gravité dirait-on, était arrivée.

Ainsi, considérant la disparition des nuages et le règne de cette obscurité charbonneuse, l'image se fit non pas plus claire mais plus sombre dans la tête de Kaeloo. Guidée par un second instinct, si ce n'est mauvais pressentiment, elle se souleva tant bien que mal, supportant le poids de son corps tel un fardeau, et s'avança de pas titubants vers la source de la fumée, le regard vide, incrédule. Plus elle s'approchait, plus une chaleur accablante et dangereusement proche s'emparait d'elle, la poussant à haleter. La pelouse sous ses pieds, jusque la verte, avait pris une couleur crépusculaire, reflétant quelque chose qui se dressait au loin. Son cœur se serrait un peu plus à chaque pas, tandis que des questions terrifiantes germaient peu à peu dans sa tête.

Qui a fait ça ? Ou a eu lieu l'explosion ? Est-ce que quelqu'un est blessé ?!

Toutefois, lorsqu'elle rencontra brutalement ce spectacle qu'elle n'aurait pu imaginer dans ses pires cauchemars, elle sut qu'elle avait trouvé la réponse.

Des flammes.

Des flammes majestueuses, de la taille d'un immeuble de cinq étages surplombaient les décombres de ce qui était auparavant… un immeuble, ou une construction dans le genre.

Les yeux de la grenouille s'écarquillèrent.

Un canapé était échoué sur la pelouse détruite, à quelques mètres de ce même feu. La couleur de son tissu, le rouge, avait été quasiment toute repeinte au charbon. Juste à côté de ce même canapé, s'étalait tristement par terre une nappe à carreaux presque totalement consumée par les flammes. Un peu plus loin, apparaissaient les lambeaux d'une autrefois majestueuse armoire –si ce n'est bibliothèque, qui fut dès à présent réduite à du petit bois, alimentant la combustion qui l'avait détruite.

Une ô combien saumâtre impression de déjà vu se fit dans la tête de Kaeloo, qui toisait ces trois meubles d'un regard immense, vide, comme s'ils renfermaient la réponse à toutes ses questions. Et c'était vrai. L'origine de la terreur qui l'avait réveillée en trombe, conduite jusqu'ici et frigorifié ses membres, était là, à quelques enjambées de chez elle.

D'autres meubles rendus méconnaissables par la chaleur étaient hasardeusement éparpillés. Chacun d'eux avait encaissé un coin sur la pelouse carbonisée, certainement balayés par l'intensité de l'explosion. Aussi était-il inutile d'évoquer toute la végétation et les rochers qui représentaient auparavant, le plafond de ce qui semblait être un ancien sous-terrain : leur décimation était la première à déplorer.

Le déclic se fit tout seul, sans qu'elle n'ait rien demandé.

L'image d'un salon familier, meublé d'un canapé rouge aux délabrements vêtus d'un drap à carreaux, d'une grande armoire remplie de livres et d'une cuisine ouverte, avoisinée d'une table à la nappe rouge...

Kaeloo sentit ses jambes la lâcher. La terre tourbillonnait autour d'elle, ou peut-être fusse sa tête.

…Il n'y avait qu'un seul habitacle à proximité de chez elle. Il n'y avait qu'une seule maison meublée d'une bibliothèque et d'un grand canapé au drap à carreaux. Il n'y avait qu'un seul sous-sol au Pays-Trop-Mignon.

Et c'était une chatière. La chatière de Monsieur Chat.

MONSIEUR SAT !

Ce fut la première fois qu'elle cria le nom du félin avec autre émotion que la colère.

La première et la dernière, peut-être.


Quoiqu'ayant été fortement impactée par l'explosion, Kaeloo tenta tant bien que mal de se stabiliser sur ses jambes, qui furent réduites à un vulgaire ramassis de mollesse et de lenteur. Peut-être traduisaient-elles toute son impuissance.

– MONSIEUR SAT ! Réitéra-t-elle d'une voix brisée en retombant lamentablement sur le sol, inapte de se tenir sur pieds.

Elle tenta à respirer de profondes bouffées d'air malencontreusement polluées, saccadées, rapides, puis expirer en toussant. Croyait-elle peut-être que son impuissance était due à son choc. Voilà qu'elle expérimentait une crise de panique pour la première fois de sa vie, au mauvais moment. Fièvre, crise, quelle était donc la suite de cette lise d'empêchements que lui avait prévue le bon dieu pour l'empêcher de venir en aide ?! Elle réitéra le processus plusieurs fois, tandis que ses yeux s'inondèrent de larmes. L'atmosphère toxique qui l'encadrait de chaque côté et envahissait ses poumons accentuait son état piteux.

Mais elle n'allait certainement pas rester les bras croisés sans rien faire, tandis que son ami avait certainement besoin d'être secouru. Elle ne laissera pas cette fichue fièvre condamner sa responsabilité !

Ses jambes la trahissaient ? Très bien. Elle aplatit son ventre sur le sol et se mit à ramper tel un têtard vers les flammes, insouciante des lambeaux brûlants répandus par le crépitement des flammes, venant s'échouer sur sa peau. Elle était incapable de marcher ? Parfait, elle rampera. Elle ne pouvait pas ramper ? Elle criera jusqu'à ce qu'on l'entende.

– MONSIEUR SAT !

Sa voix atténuée semblait étouffer tout espoir que quelqu'un l'entende. Et pourtant, elle persistait à ne pas craquer, bien que sa vision floutée trahisse ouvertement sa faiblesse.

Elle fera tout son possible, coute-que-coute, pour parvenir à Monsieur Chat; ou du moins l'avertir de sa présence. Lui dire qu'elle était là, à ses côtés, à la fois si désireuse mais impuissante de le rejoindre et de l'aider. Elle ne voulait pas être cette gardienne indigne de protéger ses amis. Elle ne voulait pas être cette amie qui ne pense qu'à elle-même lorsqu'il s'agit de situations aussi catastrophiques que celle-ci. Elle voulait faire ses preuves auprès de ses proches, et plus particulièrement Monsieur Chat, qu'elle avait amèrement déçu aujourd'hui. Enfin... aussi fallait-il qu'il soit encore de ce monde.

Une horrible petite bile invisible mais bien palpable s'installa dans sa gorge, rien qu'en supposant une telle issue.

Non, Monsieur Chat ne pouvait pas mourir. Il ne le devait pas. C'était le plus fort et le plus résistant d'entre eux ! Certes, il sera amoché, mais il s'en sortira en vie, n'est-ce pas ?!

Et aussi stupide soit-elle, elle se mit à prier que les chats aient réellement neuf vies. Sa prière prit plus de sens à ses yeux lorsqu'elle entendit le rugissement affamé des flammes, tandis qu'elles déchiquetaient les meubles de leur chaleur acérée, condamnant toute approche. Le crépitement et l'odeur étaient affreusement endurables, l'atmosphère se faisait de plus en plus oppressante, et la chaleur escaladait délibérément l'échelle de l'insupportable, et escaladait avec elle, l'anxiété de Kaeloo qui ne savait plus ou donner tête. Monsieur Chat ? Elle-même ? Ses amis ?

Elle était terriblement perdue et mal au point, aussi bien physiquement que psychologiquement. Sa tête la lançait, et la chaleur qui permettait à ses muscles de bouger la quittait petit à peu, faute de sa fatigue corporelle handicapante. Aussi, elle battait tous les records en termes d'anxiété. Le peu d'énergie qui lui restait se consumait dans des lamentations sans lendemain. Elle voulait aider, mais elle ne pouvait pas. Elle devait intervenir, mais elle ne pouvait pas.

Et il n'y avait pas pire sensation que de vouloir –plutôt de devoir– sans pouvoir, car elle donne naissance à la culpabilité.

Enfin, dieu, aussi injuste et inexistant semblait-il dans ces moments d'oubli, lui envoya une voix distinctive qu'elle reconnut tant bien que mal :

– Coin !

Un hoquet de surprise la réveilla. Elle tourna sa tête tant bien que mal, et découvrit Coin-Coin, debout derrière elle, à la regarder avec toute l'inquiétude et l'angoisse du monde. Il avait quelques égratignures par-ci par-là, mais que du superficiel. Il avait certainement dû contourner les flammes pour venir vers elle depuis sa chambre. Et dans ce spectacle qui l'happait progressivement par son horreur, le canard lui parut comme ce rayon lumineux qui traversait la pièce sombre, si ce n'est cet ange gardien qui sauvait au dernier moment.

– O-..Oh, Coin-...Coin...

Elle le vit s'avancer vaillamment vers elle pour la prendre dans ses bras et l'éloigner le plus possible du lieu accidenté, et elle se sentit en sécurité dans ses bras, comme le ferait un enfant qui, resté trop longtemps prisonnier de ses cauchemars, s'était accroché à la chaleur maternelle à son réveil. Mais les rôles s'inversaient, ici. La figure maternelle devint Coin-Coin, et l'enfant traumatisé ne fut d'autre que Kaeloo.

Monsieur Chat.

– COIN-... Coin ! Monsieur-... –CHAT ! S'empressa-t-il de formuler entre deux toussotements, le dioxyde de carbone ayant déjà fait et refait le tour de ses poumons.

– Coin !

La gratitude et le soulagement qu'elle ressentit vis-à-vis de ce « Coin », ainsi que ses larmes qui ravivèrent leur intensité, présagèrent que Coin-Coin se dévouait à aller chercher le félin. Elle fut soigneusement adossée contre un grand rocher, à une cinquantaine de mètres du lieu de l'explosion. Elle vit Coin-Coin lui tendre une boîte de pharmacie urgentiste et un regard désolé, signe qu'elle devra se soigner elle-même (étant donné qu'il doit encore sauver Monsieur Chat et trouver Moignon), avant qu'il ne reparte vers le chaos semé un peu plus loin. C'est avec un soulagement momentané qu'elle respira une bouffée d'air nettement plus fraîche que ses antécédentes, sans pour autant sentir les bénéfices sur son corps. Son anxiété, encore elle, bouchait tout accès correct à ses poumons.

Elle ne devait plus s'inquiéter pour Coin-Coin, maintenant. Si Monsieur Chat lui avait bien appris un truc utile à propos de ce dernier, c'est qu'il était indestructible. Rien ne devrait le blesser mortellement, pas même les flammes. Pour sûr, il s'en sortirait avec quelques brûlures, mais elles resteraient superficielles.

Par contre, Monsieur Chat... Elle tiqua désagréablement. Encore elle, cette maudite sensation d'inutilité et de peur qui lui sciait le cœur et l'estomac. C'était deux sentiments qu'elle détestait sentir en même temps –car pour elle, avoir peur pour quelqu'un alors qu'on ne peut pas l'aider relevait plus de l'hypocrisie que de l'incapacité–. Elle baissa la tête et se mordit la lèvre, étouffant une nouvelle vague de larmes imminente. L'indignité d'être leur amie commençait à se faire doucement ressentir à travers cette boule dans sa gorge, qui ne cessait de grossir telle une tumeur. Elle était non seulement l'organisatrice des jeux et des règles, mais aussi la responsable de l'établissement de la paix et du bonheur dans ce pays. Alors pourquoi a-t-elle l'impression de n'avoir accompli ce rôle que sommairement –c'est-à-dire, se contenter de crier ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire, et taper accessoirement sur les autres quand ils lui désobéissent– ? Pourquoi se sentait-elle terriblement hypocrite, maintenant qu'elle ne pouvait rien faire à part se lamenter dans un coin, tandis que son ami se noyait dans les flammes ? Son corps, à travers son incapacité à faire abstraction d'une légère fièvre au détriment de la vie de son ami, semblait retranscrire physiquement sa duplicité. D'une façon plus réaliste, plus douloureuse.

Monsieur Chat avait raison après tout. Dirait-on même que ses paroles n'avaient jamais pris autant de sens à ses yeux qu'à cet instant-ci; maintenant qu'elle goûtait au verre qu'elle avait fait boire aux autres. Elle n'était qu'une sale hypocrite. Elle se voulait mignonne, protectrice et joyeuse, mais elle n'accomplissait son rôle qu'à moitié. Toujours trouvait-elle un prétexte qui lui permettait d'échapper des situations qui la mettraient en danger, au péril de laisser ses amis encaisser toutes les conséquences. Sentir qu'elle avait monstrueusement failli à son devoir, couplées à l'horrible pressentiment que rien ne sera plus comme avant après cet accident à cause d'elle, la faisaient violemment frémir d'une culpabilité qui enrageait son corps fiévreux. Seul moyen de la purger de son péché, fusse de lui ramener l'entièreté de ses amis. Sains et saufs.

– C-Coin... !

La voix de son ami fut comme cette vague salvatrice qui échoua son cœur noyé sur le rivage du soulagement. Elle leva les yeux, mi-souriante, dans l'espérance fatale de trouver ses amis comme elle souhaitait les revoir, sains et saufs, et –

… Et tout bonheur disparut de son âme.

Il n'y avait pas d'adjectifs pour retranscrire les émotions qui l'assaillirent aussi douloureusement que progressivement, comme se propage un venin mortel dans les veines. C'est à cette vision même, que l'évidence retentit dans le cœur frigide de la grenouille.

Rien ne sera plus comme avant.

Depuis tous ces épisodes pendant lesquels il lui avait été donné de se transformer en Bad Kaeloo, Kaeloo avait vu Monsieur Chat sous plusieurs formes. Très maniable paraît-il, il pouvait être réduit en compressé en boîte, en livre, en cendres, en tête lorsqu'il était tant pressé que son corps « rentrait » littéralement dans son cou, ou simplement être difformé (une jambe ou un bras de travers). Ces formes aussi grotesques et effrayantes les unes que les autres, étaient toutes le fruit de la barbarie qu'exerçait Bad Kaeloo sur le matou quand il l'énervait. Toutefois, qu'elle lui éviscérait la tête ou qu'elle le transformait en boîtier, Monsieur Chat semblait avoir les mêmes capacités régénératrices de Coin-Coin. Certes, il conservait les séquelles sur son corps assez longtemps, mais le lendemain de l'accident, il revenait complètement rétabli, voir même prêt à encaisser de nouveaux coups. C'est pour cela que Kaeloo, quoique généralement peinée par la douleur qu'elle lui causait, ne se prenait pas la tête plus que ça à punir Monsieur Chat pour ses entourloupettes. Ces derniers-temps, elle était même arrivée à se convaincre que c'était normal de le frapper lorsqu'il dépassait les limites convenues. Et comme ce dernier ne lui en voulait pas (il semblait même l'encourager à le frapper), tout allait comme convenu. Il la met en colère, elle le frappe, ils oublient –et c'était un peu ça, la base de leur relation.

Mais à partir du moment-même ou ses yeux s'étaient posés sur son corps (non, cette masse molle sensée représenter son corps) soutenu tant bien que mal par les bras noircis de Coin-Coin, sa vision changea. Ce n'était pas l'inquiétude qui l'avait agressée en premier, ni même la tristesse ou la peur. C'était les remords, la culpabilité et l'immonde sensation d'avoir participé, d'une façon ou d'une autre, à l'amochage de son corps.

Que dire, que décrire ? Son pelage orange n'était plus visible tant le charbon et les plaies ensanglantées s'y étaient acharnés, ses yeux étaient fermés d'une quiétude effrayante, ses lèvres étaient figées, et sa peau... quelle peau ? Ce n'était plus qu'une surface rigide, peuplée par de profondes blessures qui laissaient filer un lac de sang dont la course se finissait au sol, sous forme de gouttelettes au bruit répétitif et nauséabond. Mais tout ceci, ce fétide concentré de rouge et de noir, ce n'était rien comparé à ce qu'elle vit par la suite. Coin-Coin, en voyant le regard larmoyant de son ami s'écarquiller sur cette partie-là du corps du chat, baissa des yeux humides au sol. Oh oui. Lui aussi, il l'avait remarquée. Il sentit son cœur louper plusieurs battements qui désorganisèrent sa respiration, tandis qu'il eut le courage de relever les yeux une seconde fois vers son amie. Cette dernière s'était miraculeusement relevée, comme si l'urgence de la situation l'avait rendue insensible à la douleur sensée immobiliser ses muscles. Il la vit, entrain de bouger ses pattes handicapées par la peur en direction du chat –et il la sentit en même temps qu'elle, cette sensation d'avoir le cœur découpé en deux.

Elle fit le tour du corps mutilé de Monsieur Chat en rampant douloureusement, les yeux rivés sur son bas dos, puis s'arrêta lorsqu'elle eut une image suffisante sur celui-ci. Une seconde de silence; puis deux; puis d'autres, incomptables. Avant qu'un sanglot bruyant n'explose, suivi d'un long cri de douleur féminin.

La queue de félin de Monsieur Chat. Sa moitié remuante avait disparu, ne laissant qu'un trou noir sanglant.

– NOOOON ! Sanglota-t-elle. Si ce n'était sa position assise, elle se serait effondrée sans effort. Coin-Coin, dont les yeux étaient brumeux de larmes, ne put se contenir plus longtemps à l'entente du cri déchirant de son amie. Il s'effondra, tout comme elle, et allongea Monsieur Chat sur le sol. Kaeloo, incapable de se soutenir sur ses jambes après l'abomination qu'elle venait de voir, rampât piteusement jusqu'au corps de son ami. Elle enveloppa ses joues entre ses mains tremblantes, la lèvre inférieure mordue jusqu'au sang, les yeux gonflés, les larmes coulant telle une douce pluie sur le visage sinistrement paisible du félin. Elle constata la rigidité effroyable de son pelage sensé être si doux, faute de tout ce charbon l'ayant souillé.

– Monsieur Sat… murmura-t-elle d'une voix terriblement triste et sceptique.

Rien que l'évocation de son nom l'entraîna dans un énième sanglot. A ses côtés, Coin-Coin pleurait silencieusement, le regard fermé et baissé au sol. Il n'avait même plus la force d'aller chercher Moignon. Il se réconforta dans l'idée que son ami devait certainement dormir à poings fermés, dans un sommeil heureusement profond qui lui épargnerait ce spectacle ensanglanté. Tant mieux, tenta-t-il de se dire parmi ses sombres pensées. Moignon était le plus jeune, le plus immature et susceptible. Il ne devait pas voir ça.

Aucun enfant ne devrait voir ça.

– Non... Pas vous...

Pas lui.

Pas après tout ce qu'ils avaient vécu. Pas après ce qu'ils s'étaient dit hier. Pas après leur réconciliation, aussi minime soit-elle. Pas après tous les efforts qu'il avait faits pour s'intégrer. Pas après ce qu'il avait vécu avec ses frères et son père. Pas après le mal qu'elle lui a fait. Pas alors qu'il ne lui a pas excusé. Pas alors qu'elle avait réalisé ce qu'il valait pour elle. Comment la vie pouvait-elle être si injuste avec quelqu'un qui avait déjà souffert et vécu des choses imbuvables pour son âge ? Pire, qui avait fait l'effort de se réconcilier avec son vécu, d'avancer, sociabiliser ?

– Ze...

Coin-Coin rouvrit partiellement les yeux pour les relever vers son amie, scrupuleusement accroché à son début de phrase. Son regard s'écarquilla quand il vit son teint, rendu un peu pâle par la fièvre, virer versun jaune carrément maladif. Son visage, face à celui du chat agonisant, était tracé par de longs sillions rouges, et son corps dansait sous les rythmes effrénés de ses sanglots perpétuels.

– Ze suis... Murmura-t-elle entre deux sanglots que sa gorge malade encaissa horriblement.

« Désolée ? Lui souffla sa conscience, d'une voix imaginaire qui frisait le sarcasme. Tu n't'en rends compte que maintenant ? »
Elle aurait aimé se dire, en réponse à sa propre conscience qui se rebellait contre elle, « mieux vaut tard que jamais » dans un dernier élan désespéré d'auto persuasion, mais il n'était pas tard. Elle était déjà arrivée au seuil du « jamais » ce jamais irréversible, éternel, qui ferme les choix et ouvre les conséquences.

– Si seulement…

Et alors qu'elle était sur le point de continuer ses lamentables excuses, ses pensées lui ramenèrent soudainement un souvenir qui n'avait presque rien à voir avec l'urgence de la situation. Un souvenir qu'elle s'était repassée en boucle hier, jusqu'à s'effondrer par terre.

« Mais c'est toujours comme ça, avec toi ! »

Elle comprit, la nature de ce ça; sa définition : Elle ne se rendait compte des choses que lorsqu'il était trop tard. Monsieur Chat avait raison, comme d'habitude, et elle le détestait pour ça –le fait qu'il ait toujours raison quand cela la concernait. Il y'avait des choses dont elle ne s'était rendue compte qu'hier; des choses qui auraient pu régler tous leurs malentendus depuis des années; des choses dont la valeur ne scintillait à ses yeux que maintenant –que trop tard. Et ces choses là, si primordiales en ces moments des plus cruciaux, étaient ses sentiments pour lui. Le fait qu'il était trop tard pour tenter de comprendre, trop tard pour se faire pardonner, trop tard pour dormir la conscience tranquille et pardonnée.

Ce qui était affirmé, dans cette ambiance bruyante et chaotique, était que Kaeloo avait eu entre les mains, pendant des années, une clef qui aurait pu résoudre bien des problèmes et des conflits. Une clef qui, si avait été usée, aurait donné vision sur un champ de bonheur et de contentement dont elle aurait pu jouir non seulement avec Monsieur Chat, mais aussi avec tous ses amis, des plus anciens jusqu'aux plus récents. Une clef qui s'était rouillée un peu plus à chaque dispute qui les séparait. Dès à présent, elle, cette clef, était bonne à jeter dans ces flammes qui consumaient inlassablement la chatière du chat.

« Quand je veux t'ouvrir les yeux sur ce que je ressens pour toi, tu me prends toujours pour un gros con »

Elle allait définitivement mourir d'un infarctus, si elle continuait. Sa tristesse, si grande qu'elle peinait à l'évacuer, déchirait sa poitrine à la scie, puis déflagrait sa cage thoracique à coups de marteau. Elle ne parvenait même plus à pleurer, grimaçant sous l'effet d'une pression qui menaçait d'exploser son corps. Elle toussait bruyamment, évacuant cet air qui, bloqué par ses sanglots, peinait à oxygéner ses poumons. Mais elle n'en avait qu'à faire, de sa respiration, car celle (la respiration) de son chat était plus importante que la sienne, présentement.

– Z'est pas drôle, monsieur Sat ! ... Fini de zouer, réveillez vous ! Murmura-t-elle d'une voix à la fois suppliante, mais empreinte d'une ombre d'espoir, comme s'il allait réellement se réveiller.

Peut-être qu'il plaisantait, qu'il simulait cette inconscience pour guetter sa réaction. Il en était capable après tout, non ?! Il l'avait déjà manipulée maintes fois, pourquoi s'en priverait-il cette fois-ci ?

Peut-être que ce n'était qu'un jeu !

« A chaque fois que j'y mets tout mon cœur, à chaque fois que je suis prêt à te l'avouer, tu m'remballes et tu fais passer ça pour un jeu ! »

Sauf que ça ne l'était pas.

Et pour une fois, c'était elle qui mettait son tout son cœur à le réveiller tandis que lui, la remballait indirectement en restant évanoui. Un retournement de situation aussi cynique que révélateur.

– Mais – Mais ze ne comprends pas ! Il- il devrait déza être conscient, réprimanda aveuglément la grenouille, assaillie de plusieurs soubresauts. Il s'est touzours réveillé. Il a survécu aux pires choses ! Il va le faire auzourd'hui, hein Coin-Coin ?!

Et sa tête tourna vers son ami, laissant leur regard larmoyant s'entrechoquer brutalement, tandis qu'elle attendait de lui la moindre confirmation (même mensongère) de ses paroles.

Mais non.

Kaeloo savait qu'il n'était pas prêt de se réveiller. Coin-Coin savait qu'elle lui demandait implicitement de la rassurer, lui dire quelque chose qui s'apparenterait à un souffle d'air frais dans cette suffocation qui les prenait au cou. Ils savaient tous les deux que c'était une question rhétorique. Ainsi, Coin-Coin ne fit rien pour répondre. Il se tut, simplement, baissant le regard au sol. Peut-être eut-il compris que confirmer l'irréalisable ne ferait qu'encore plus de mal. Kaeloo le regarda encore quelques secondes de plus, espérant de lui le moindre geste affirmatif. Mais il n'en fut rien. Et son silence lui communiqua tout ce qu'elle ne voulait pas entendre de pire. Quelques larmes supplémentaires s'échouèrent de ses yeux rouges, avant qu'elle ne retourne à la contemplation du visage amoché de son ami :

– Les sats ont bel et bien neuf vies, non ?! Enchaîna-t-elle. Alors pourquoi il ne se réveille pas ?!

Le sous-entendu que ses mots laissèrent planer alourdit un peu plus l'atmosphère. Monsieur Chat était toujours resté conscient, même après les pires atteintes physiques que lui faisait subir Bad Kaeloo. Qu'importe la gravité de son état, il avait toujours conservé une pointe de lucidité, reposé sur son transat après des après-midi toutes entières à se faire tabasser. Alors pourquoi avait-il les yeux si fermement clos cette fois-ci ?! Pourquoi ne bougeait-il pas ?! Pourquoi ne remuait-il pas le bout de ses doigts ?! Pourquoi ne criait-il pas, exprimant sa douleur assurément insupportable ?! Les pires suppositions s'enchainèrent rapidement dans la tête de Kaeloo qui, si possible de le redire, était à un brin de l'évanouissement.

– C – …

Elle cracha bruyamment une énième bouffée d'air toxique que ses poumons rejetèrent. Chaque mot semblait lui valoir un énorme effort :

– Coin-Coin ! – Il –… Nous devons emmener Monsieur Sat– à l'hôpital !

– Coin !

L'indestructible se rua sur son ami, écartant doucement Kaeloo de lui. Avant toute chose, il prit son poule en main, et intima à son amie de ne pas faire le moindre geste susceptible de le déconcentrer –outre le crépitement grésillant des flammes. Quelques secondes passèrent sans que le canard ne fasse le moindre geste, tenant la main de son ami d'une palme tremblante. Kaeloo, qui le regardait, eut la simple impression de souffrir à chaque seconde qui séparait son ami d'un sauvetage à l'hôpital. Elle aurait voulu crier à Coin-Coin de se dépêcher, mais elle n'esquissa pas le moindre opposé de calme. Peut-être voulait-elle entendre une bonne nouvelle dans ce ramassis de terreur.

– Coin !

Son cœur bat encore.

Et Kaeloo sentit son propre cœur pulser à nouveau.

Peut-être y'avait-il l'ombre d'un espoir à l'horizon.


Le Pays-Trop-Mignon n'était pas conçu pour être une ville moderne et accueillir des dispositifs jugés nécessaires pour la santé et le bon-vivre de ses habitants. Loin de l'étrange magie qui y régissait, il se résumait à un continent dont la superficie était entièrement couverte de pâturages qui s'étendaient à perte de vue. Il y'avait quelques montagnes et grottes ici et là, ainsi qu'une plage à quelques heures de voyage, mais le principal environnement duquel jouissaient ses habitants restait la verdoyance et l'air frais. C'était une compagne conviviale, loin du reflet urbain de Broadway et de ses bâtiments entourés de divers magasins à la lumière néon. Aussi, le Pays-Trop-Mignon, dans son intégralité, ne remplissait pas les conditions satisfaisant la mesure du « niveau de vie » de ses habitants –sous-entendons par là la présence d'hôpitaux, d'écoles et de forces de l'ordre. C'était un continent conçu pour le jeu. Les salles de classe et de médication disponibles avaient été créées pour le divertissement; elles n'étaient pas équipées de dispositifs sérieux et réellement utiles.

Tout ceci était dû à une raison très simple, néanmoins inquiétante dans un sens : les habitants n'étaient pas supposés mourir, ou être en danger de mort imminente. Naturellement, le Pays-Trop-Mignon était un endroit uniquement conçu pour le divertissement des jeunes enfants et préadolescents, en dépit de leurs histoires personnelles. Souffrance et douleur, quoique rythmant le quotidien de ses habitants, n'avaient jamais tué personne. Il y'avait une magie invisible ou une loi incompréhensible qui les maintenait en vie. Simple référence : Kaeloo et Moignon, quoique possédant chacun une vie, avaient survécu à des choses qui auraient logiquement tué n'importe qui sur le champ. Il leur ait arrivé quelques fois de réellement succomber, mais ils avaient toujours fini par ressusciter, grâce d'un événement aussi comique qu'irrationnel. Personne, à part Kaeloo (peut-être), ne semblait comprendre le fonctionnement de la vie et de la mort dans ce pays –et personne ne s'en souciait. Pour eux, la mort définitive n'existait pas, ce qui les arrangeait, et puis c'est tout.

Du moins, elle n'était pas sensée exister.

Jusqu'à ce jour.

– Comment ça, inadapté aux soins urzents ?! C'est une blague ! Vous avez bien opéré un écureuil autrefois ici, non ?!

– Bââââ !

Le sol aurait pu trembler sous le cri de la grenouille, qui avait levé les bras dans un geste scandalisé, le regard cerné, injecté de sang, et le teint blême. A ses côtés, Coin-Coin soutenait tant bien que mal son ami sur ses épaules, vacillant dangereusement sous son poids lourd. Rien ne s'était passé comme ils avaient espéré. Ils avaient débarqué de toute urgence vers la chambre hospitalière la plus proche, celle ou ils avaient emmené Moignon la fois ou il avait fait une crise à cause d'Ursula. Mais voilà que le mouton-docteur responsable du bloc principal les avait arrêtés, sous le simple prétexte qu'il ne disposait pas du matériel (et des connaissances) nécessaire pour prendre en charge un cas aussi grave. Il semblait leur réexpliquer à bout de nerfs et pour ce qui semblait être la énième fois, que le bloc ne se chargeait que des cas et hospitalisations mineurs, celles qui garantissaient la vie des patients à coup sûr. Un chat coincé dans une dimension d'inconscience entre la vie et la mort ne pouvait donc pas être pris, faute d'une lourde responsabilité qui provoquerait le licenciement du mouton en cas de décès –et une transgression des règles générales qui régissaient le Pays-Trop-Mignon, jusque là peu coutume à ce genre de cas.

Evidemment, Kaeloo n'entendait pas de cette oreille là. Sa fatigue semblait s'être consumée en une colère sourde, tandis qu'elle s'était exagérément penchée sur la pauvre brebis :

– C'est INADMISSIBLE ! Vous n'pouvez pas laisser quelqu'un mourir sous un prétexte aussi ridicule qu'un licenciement ! C'est votre MISSION, nom de dieu ! Si vous n'aidez pas ce pauvre sat, qui aiderez-vous d'autre ?!

– Bââ ! Bêla négativement le mouton, tout en reculant face aux pas osés de Kaeloo, qui ne cessait de s'approcher furieusement, comme prête à lui sauter à la gorge.

– Ze ne veux rien entendre ! Ecoutez-moi bien, ze suis la gardienne de ce pays, et ze vous ordonne de prendre Monsieur Sat en sarze immédiatement, SINON… – !

Des éclairs jaillirent brusquement du corps fébrile de la grenouille, comme des coups de foudres qui s'abattaient sur son épiderme, tandis que ses biceps jusque là minuscules grossissaient à vue d'œil. Face à cette scène prémonitoire d'une transformation imminente, le mouton à lunettes tituba jusqu'à rencontrer le mur, impuissant, puis ferma instantanément les yeux lorsqu'il vit la rainette brandir son bras musclé sur lui. Il brailla une dernière fois, attendant le coup fatal qui mettrait fin aussi bien à sa vie qu'à sa carrière… et qui ne vint jamais. Le bruit des électrochocs se calma brusquement, et un silence meurtri s'installa autour de la potentielle victime, qui finit par rouvrir lentement les yeux. Aussitôt, il écarquilla le regard et régressa encore plus jusqu'à tomber à quatre pattes sur le sol, effrayé par la vision d'un coup de poing qui n'était qu'à quelques centimètres de son visage. Lorsqu'il leva le regard vers la source qui l'avait sauvé d'une défiguration certaine, il découvrit le canard. Sa palme jaune enrobait fermement le poignet à présent rétréci de la grenouille, qui le regardait à son tour avec des yeux vides, comme incapable de concevoir ce qu'elle fut sur le point de commettre. Le chat avait été délaissé sur le canapé, inconscient, salissant la moquette de ces gouttelettes rouges qui s'échouaient mollement de son corps.

Une scène digne d'un film émotionnel.

– Ze… ze suis…

Elle se tut, dans l'incapacité de digérer son acte mort-né. L'adrénaline, le stress, la fièvre, la fatigue, l'inquiétude, la culpabilité… c'en était trop pour son esprit –et peut-être que Coin-Coin et le mouton la comprirent, car ils demeurèrent silencieux. Jusqu'à ce que ce dernier ne braille avec hésitation, toujours au coin du mur :

–… Bâa… !

– C'est vrai, vous feriez votre possible ?!

Un soupçon de joie s'invita dans les yeux de la grenouille qui s'était immédiatement ruée sur le mouton, lui tenant brusquement les pattes. Il confirma avec un dernier braillement.

Et Kaeloo explosa de larmes pour la première fois. Tout au long de leur trajet jusqu'à l'hôpital, elle n'avait fait que pleurer silencieusement, puis essuyer aussitôt ses larmes, se forçant à poursuivre le susurrement de mots réconfortants à son ami inconscient. Elle s'était surpassée sur tous les plans –elle était carrément re-parvenue à marcher à côté du félin. Mais là, alors qu'elle eut cru voir Monsieur Chat expirer son dernier souffle dans cette salle d'attente, empêché de son droit le plus primitif par de ridicules directives citées sous les braillements d'un mouton soi-disant gentil, elle avait failli, juste failli, succomber à une misanthropie définitive –si ce n'est dépression. Elle avait supporté trop de choses en peu de temps. Elle avait l'habitude de se forcer à sourire et transmettre des ondes positives autour d'elle, même quand elle était emplie de la négativité la plus pure, mais là, c'en était juste beaucoup, beaucoup trop –elle avait assisté à une explosion, avait vu le corps entièrement mutilé et sanglant de son meilleur ami qui ne lui avait pas pardonné, puis avait failli assister au décès imminent de ce dernier. Entre deux soubresauts, elle vint même à se demander à qui étaient destinées ses larmes : Monsieur Chat, ou elle-même.

Coin-Coin la soutint tant bien que mal sur ses pattes tremblantes, tandis que la brebis responsable s'était déjà relevé, et devait être en route pour informer ses assistants de ramener tout leur matériel.

– Coin-Coin…

Certainement ne fut-elle toujours pas remise de tout cet air charbonneux qu'elle avait infligé à ses poumons malades, car elle pencha violemment la tête, toussotant comme jamais. Le canard s'accroupit auprès d'elle, prêt à l'aider d'une quelconque manière, et posa une main fébrile sur son dos pendant qu'il plaça l'autre sur son bras, lui intimant d'aller se reposer sur le fauteuil de la salle. Chose qu'elle refusa, restant cloîtrée là ou elle était, au coin du mur.

– Il faut qu'on sache au plus vite… – qui a fait ça...

L'interpellé écarquilla le regard.

Qui a fait ça.

Jusque là, il ne s'était pas posé cette question d'une primordialité fatale. Fut-il noyé par les vagues gigantesques du stress de cette dernière heure, il n'avait pas pris le temps de remonter à la surface et respirer un peu de pragmatisme. Tout s'était fait dans l'adrénaline, la vitesse et l'émotion forte : à partir du moment où il avait arrêté sa dégustation de yaourts nocturne en entendant l'explosion, jusqu'à ce même moment ou il se tenait accroupi auprès de son amie. Ainsi, la question que Kaeloo venait de poser s'apparenta à une torche qui vint guider le canard dans le brouillard de ses pensées.

Une explosion ne se déclenche pas toute seule, naturellement. Pour l'instant, il ne voyait que deux hypothèses assez viscérales : soit c'était un accident, comme une fuite de gaz ou le feu crépitant d'une cigarette venant se frotter aux missiles que le chat entretenait chez lui, soit c'était une tentative d'homicide. Les deux suppositions étaient tout à fait possibles.

Mais aussi horrible puisse cela paraître, la première semblait ridiculement irréaliste. Tout au long de sa vie, Monsieur Chat avait maintenu multiple armes plus dangereuses et explosives les unes que les autres. Il y'en avait pour tous les goûts : les bazookas, les missiles, les bombes qui se déclenchent avec un simple bouton… et bien d'autres auxquels Coin-Coin goûtait quotidiennement. Ainsi, si un accident devait avoir lieu, il se serait produit depuis bien longtemps. De plus, le félin était bien trop malin et perspicace pour être victime d'une maladresse de sa part –rajoutons à cela son habitude de faire des nuits blanches, ce qui lui aurait permis de sentir l'odeur caractéristique du gaz bien avant l'explosion. Aussi, autre élément inquiétant : Monsieur Chat possédait plusieurs chatières dispersées tout au large du Pays-Trop-Mignon, qui étaient toutes espacées de longueurs raisonnables, cachées dans les rochers et buissons. Cela rendait leur localisation quasi-impossible. Ainsi, pourquoi l'explosion se serait-elle produit à la même chatière ou le félin sommeillait, et pas ailleurs ? Comment le coupable de tout cela, si coupable y'avait-il, avait reconnu l'endroit ou Monsieur Chat serait au moment de l'explosion ? Un endroit que lui-même et Moignon ignoraient, tant le félin était intraçable, dormant dans différente tanière chaque nuit ?

Et plus que tout, quel était le motif du coupable ?

Pour sûr, Coin-Coin savait que Monsieur Chat n'était pas apprécié de tout le monde; chacun des habitants de ce pays avait goûté une bouchée de son caractère détestable –mais à son observation, ils s'y étaient tous habitués, finissant par se dire qu'il était ainsi. De toute façon, personne n'était meilleur que l'autre; tous avaient une part d'obscurité et de violence en eux. Monsieur Chat montrait la sienne plus souvent, c'est tout. Malgré cela, personne n'avait cherché à se venger concrètement de lui.

Toutefois, en termes d'ennemis potentiels, Coin-Coin pouvait trouver quelques habitants au profil plus ou moins convaincant. Il y'avait Pretty qui proclamait aimer le chat malgré la haine qu'elle lui voue de ne pas réciproquer ses sentiments. Irait-elle jusqu'à lui faire du mal par frustration de ne pas l'avoir ? Le canard n'en savait rien. Il y'avait aussi Olaf, qui –

Olaf. Et si c'était lui ? Après tout, une explosion au beau milieu d'une nuit glaciale, cela faisait partie de son champ lexical. Il eut dû profiter du mauvais état de la gardienne à fin de mettre à terme ses plans de domination fourbes, en commençant par l'ennemi qui l'agaçait le plus. Oui, c'était peut-être ça…

Mais… d'un autre côté, Coin-Coin était quasiment certain qu'Olaf ne se permettrait pas tel sadisme. Certes, il aurait tenté pareil coup dès son arrivée au Pays-Trop-Mignon, mais au fil des jours, il était presque devenu leur ami. II ne manifestait plus autant de haine à leur égard, il participait à certains de leurs jeux, et il avait même sollicité leur aide durant plusieurs instances. Ses discours de maître du monde n'étaient plus aussi impérieux qu'avant, et semblaient même inclure une potentielle protection des habitants du Pays-Trop-Mignon (s'ils acceptaient de collaborer). Et puis, dans l'extrême figure des choses, le manchot n'était pas du genre à attaquer dans le dos de ses ennemis. Si guerre voulait-il déclencher, il le ferait devant eux.

Non… le responsable de tout cela avait un désir bien plus malsain… si Olaf aurait voulu tuer Monsieur Chat, il l'aurait fait d'un coup. Mais là, le coupable semblait avant tout poussé par le désir de torturer. Coin-Coin irait même jusqu'à parier que ce meurtrier avait prévu, en cas d'échec de sa tentative d'homicide, d'infliger tout de même des séquelles profondes et un traumatisme invivable au félin.

Coin-Coin soupira tristement. Rien que de penser à ce que son ami endurera après son réveil…

S'il se réveille.

La réalité l'électrocuta violemment lorsqu'il sentit le poids d'une tête sur son épaule. Kaeloo avait renoncé à aller sur le fauteuil, encore moins à essayer de jeter un coup d'œil sur l'état dans lequel était son ami, qui était toujours inconscient sur le canapé. Elle avait ramené ses jambes contre sa poitrine, puis enveloppé ses bras tout autour de son corps frêle. Son visage n'était plus qu'un tableau triste, bafouillé de couleurs blêmes, faute de toutes les émotions qu'il avait exprimées jusqu'à épuisement. Ses yeux fixaient le mur en face, sans expression, sans éclat, aussi fatigués qu'impuissants d'exprimer quoique ce soit. Coin-Coin ne fit rien pour tenter de la relever. Le sol était froid, peut-être sale, elle était malade, terriblement épuisée, mais rien n'importait. Il se contenta de la soutenir silencieusement, mettant une main sur son bras.

– … Comment dire à Moignon ?

Coin-Coin lui jeta un regard circonspect à l'entente de son ton morne. Jamais n'avait-elle eu la voix aussi éteinte; même dans ses pires états, ses paroles étaient toujours teintées d'émotion. Mais là, plus rien. Son indifférence lui montait tristement au nez, tandis qu'il hocha négativement la tête, causant une légère friction contre son front brûlant.

– Coin… (On lui expliquera quand on le croisera).

– Ze sais, mais… comment vais-ze lui expliquer ce qu'il s'est passé. Le pauvre va être effrayé en découvrant l'endroit… ze ne sais pas même pas quels mots employer pour lui dire que Monsieur Sat n'est pas –

Le bruit de plusieurs pas pressés attisa leur faible attention réciproque. Une horde de moutons munis d'un brancard se rua sur Monsieur Chat. Certains essayèrent de le mettre tant bien que mal sur le brancard avec leurs petites pattes et leurs têtes, tandis que d'autres s'activaient déjà à lui placer un masque respiratoire relié à une poche transparente. Kaeloo, qui n'avait aucune vision sur le corps de son ami caché par la laine de tous ces moutons, voulut se mettre sur pieds à fin de tenter de suivre le brancard, mais Coin-Coin la retint par les épaules. Elle n'était pas en état de faire le moindre effort. Tout ce qu'ils pouvaient faire, c'est espérer.

Et entre l'arrivée imminente de Moignon et le résultat de l'opération, aucune attente ne semblait plus réconfortante que l'autre.

TO BE CONTINUED ….