Note de l'auteur : Attention, ce chapitre contient peut-être peu d'action au vu du fait que Severus y est alité du début à la fin, mais comprend de lourdes discussions qui peuvent être sensibles aux lecteurs, comme par exemple le génocide des premières nations, ou l'abus émotionnel et physique de Tobias sur le personnage principal. Prenez soin de vous si ces sujets vous touchent avec trop d'intensité.
Chapitre onze
Severus sût qu'il aurait de la difficulté à respecter la demande de Jocelyn dès l'instant où il vit le foutu visage de Sirius apparaître dans l'entrebâillement de la porte, Harry attaché au torse et plateau entre les mains. C'est en grognant que l'homme renversa la tête vers l'arrière, fermant les yeux pour mieux maudire mentalement sa situation. Black ne fit aucun commentaire, s'asseyant en silence au pied du lit, et après plusieurs longues secondes à rester là immobile, Severus finit par perdre patience et relever la tête. Sitôt que leurs regards se croisèrent, Black dévia le sien, et à voir le blanchiment de ses jointures serrant le plateau, il se retenait visiblement d'exploser de colère.
- Quoi encore ?
- Oh, je ne sais pas ! Peut-être que si un certain imbécile n'avait pas décidé de bousiller ses deux mains plutôt que de me demander de lancer les sorts à sa place, tout ce serait bien passé !
Sirius sifflait entre ses dents, se retenant de monter le ton pour ne pas alerter Harry, qui était heureusement trop occupé à mâchonner sa peluche pour remarquer quoi que ce soit. Peu impressionné par l'accusation de Black, Severus leva les yeux au ciel, mais quelque chose de sombre grouilla en lui malgré tout. La perte de ses mains retardait leur plan de trois jours, vu qu'il était celui cherchant du travail, et ce fait le frustrait déjà assez pour que Sirius n'ait pas besoin d'ajouter une maudite couche de culpabilité en plus.
- Comme si je pouvais deviner que tu arrêterais soudain de bouder dans ta fichue forme de chien et déciderais de coopérer pour une fois dans ta vie.
- Oh, parce que tu crois que ça me faisait plaisir, peut-être, de rester en chien en ta présence plutôt que de prendre mon neveu dans mes bras ? Je l'ai fait parce que c'est Jocelyn qui me l'a demandé !
- … Quoi ?
Soudain, Sirius semblait… mal à l'aise. Encore en colère, mais quelque chose troublait son regard gris, le faisant relâcher le plateau sur ses genoux pour ouvrir et refermer nerveusement ses poings, comme s'assurant qu'il n'avait pas cassé un tendon en serrant trop fort. Enfin, il soupira avant de détacher Harry se ton torse, le déposant contre la forme des jambes de Severus sous les draps, soutenant son dos en position assise.
- Le soir où tu as… Lorsqu'on est restés chez eux, Jocelyn m'a demandé de garder ma forme de chien en ta présence pour limiter les dégâts, vu que l'on se chicane constamment dès que l'un de nous ouvre la bouche, et que… si je ne voulais pas le faire pour ta stabilité, alors au moins le faire pour Harry.
Il n'osait plus le regarder en face, préférant plutôt caresser le duvet sur la tête du gamin. Le grouillement sombre dans les entrailles de Severus se transforma en quelque chose d'autre, quelque chose de plus pinçant et douloureux, le sentiment d'avoir été trahi quelque part par Jocelyn pour avoir révélé à Black qu'il était faible, et pourtant il n'arrivait pas à être en colère contre l'homme. Peut-être qu'au final, c'était la vérité depuis le début, celle qu'il avait cherchée à cacher depuis tout ce temps derrière ses grands airs et son besoin de tout contrôler.
- Il m'a dit aussi de… de garder un oeil sur ton comportement lorsque je serais sous forme de chien. Pas nécessairement parce qu'il pensait que je devais te venir en aide, mais plus pour… je ne sais pas, t'observer et réaliser que ma vision de toi était fausse. Alors c'est ce que j'ai fait, mais juste pour lui prouver qu'il avait tort et que dès que l'on aurait quitté leur maison, tu redeviendrais l'enculé de merde de d'habitude. Mais je… j'ai réalisé que ce n'était pas… vraiment le cas.
Par Merlin, et maintenant Sirius rougissait de honte, de sincère honte, et Severus en était si mortifié qu'il n'arrivait pas à prononcer le moindre mot, fixant Black avec la bouche entrouverte comme un imbécile. Encore heureux que Sirius faisait tout pour ne pas se tourner vers lui.
- Tu as juste agit comme… comme si je continuais de t'irriter, mais que tu n'étais pas dégoûté par ma présence même, tu vois ? Comme si on continuait d'être une équipe, même après tout ce que j'ai dit et… Je veux dire, y'a tellement de fois où tu aurais pu te venger, mais tu as juste continué avec les mêmes petits commentaires sarcastiques, et même à… Merde, je savais que tu avais un côté autodestructeur, et j'ai juste… refusé de le voir quand tu as commencé à te priver pour t'assurer que je mange, même si ton mensonge était putain d'évident, essaye pas de me faire croire l'inverse. Bordel, même quand tu avais la main couverte de brûlures, tu étais plus occupé à t'assurer que Harry aille bien plutôt que de… !
Les mains de Sirius tremblaient contre le plateau maintenant, faisant cliqueter la cuillère dans le bol de soupe. Black était en colère parce qu'il s'inquiétait pour lui ? C'était ridicule, complètement ridicule, et pourtant tellement sincère que Severus avait envi de vomir tellement son ventre était serré. Quand allaient-ils tous comprendre qu'il ne méritait pas leurs foutus sentiments ?
- Et ça aurait pu être un autre acte, ou une manière de me manipuler pour avoir une faveur plus tard en faisant "oui, mais je t'ai donné ma part alors tu dois faire ça pour moi" et je m'attendais à ce que ça arrive d'un moment à l'autre, mais non. Tu me dis que tu as déjà mangé, tu fais comme si de rien étais quand tu manques de t'écrouler au sol à cause de l'épuisement, et tu réutilise ma putain de baguette moins d'une heure après qu'elle t'ai déjà brûlé une main au deuxième degré, bordel ! Comme si tu comptais porter toutes ces pierres en silence sur ton dos plutôt que de… que de… merde !
Severus se sentit devenir livide lorsque Sirius, putain de bordel de Sirius, s'essuya soudain le visage d'un revers de manche parce qu'il venait d'échapper une larme de frustration. Il devait être entré dans un univers parallèle, ce n'était pas possible. Peut-être qu'il rêvait, voilà, ou bien il délirait à cause de la douleur, même s'il ne ressentait presque plus rien grâce au baume de Johanne. Ça ne pouvait pas arriver, c'était tout simplement impossible.
- J'avais tort, ok ? C'est moi qui avait tort, c'est moi qui ait agit comme un enfoiré, de la même manière que c'est moi qui ai été l'enculé de l'histoire à Poudlard, et toi qui répondait par les armes parce qu'évidemment que tu n'allais pas te laisser faire sans te battre. Je… Bordel, tu ne peux pas dire quelque chose plutôt que de me regarder comme ça ?!
Sirius leva enfin son regard vers le sien, les yeux rouges et le corps toujours tremblant de colère, mais Severus comprenait mieux maintenant. Black n'était pas furieux contre lui. Bon, si, un peu, il lui en voulait d'avoir agit de manière irresponsable avec sa baguette, mais en vérité, il était en colère contre lui-même, et la redirigeait partiellement contre lui pour ne pas être envahi par la culpabilité. Exactement comme Severus faisait envers lui-même. C'était dérangeant, de réaliser de plus en plus à quel point Sirius était un miroir de sa personne, à quelque part, révélant tous les foutus points qu'ils avaient en commun, à quel point ils étaient tous les deux totalement dysfonctionnels, et pourtant, essayant si fort de rassembler leur vie pour survivre un jour de plus comme si de rien était, que tout était sous contrôle à leur façon diamétralement opposée. S'il avait été face à ce miroir il y a une semaine, Severus aurait probablement frappé Sirius de toute la force de ses poings, que ceux-ci soient brûlés ou pas, parce que cette vérité l'aurait terrifié. Mais qu'il l'ait désiré ou pas, beaucoup de choses avaient changé depuis qu'ils étaient atterri à l'autre bout de l'océan.
- Qu'est-ce que tu veux que je dise ?
- Je ne sais pas, n'importe quoi, une de tes foutues remarques sarcastiques, ou une de tes insultes, Merlin sait que je le mériterais en ce moment.
- Tu es un imbécile, Sirius.
Black allait pour riposter, peut-être pour lui dire que sa réponse manquait cruellement d'originalité, mais s'arrêta soudain. Balbutia. Prit une magnifique couleur rouge. Voilà, il était peut-être temps que Severus se l'avoue à lui-même : Sirius était mignon lorsqu'il était embêté comme ça. Ce n'était pas pour rien qu'il avait fait exprès de l'appeler par son prénom pour la toute première fois. Il se doutait bien que Black réagirait de cette façon en réalisant que c'était sa manière de lui dire qu'il le pardonnait, vu que ni l'un ni l'autre n'étaient capable d'énoncer à voix haute les mots importants. Mais ils se comprennaient de cette façon. Parce qu'ils étaient autant opposés que bien trop similaires. Et merde, Severus voulait lui donner une autre chance. Leur étrange complicité avant l'incident de l'aéroport lui manquait, même si cela allait à l'encontre de toutes les règles personnelles qu'il avait créé pour se protéger, mais au diable. Black faisait réellement des efforts, de sincères efforts, pour avouer ses erreurs et dévoiler sa vulnérabilité, ce qui était pas mal aux antithèses d'un comportement Gryffondor. Même lui était capable de le remarquer, aussi borné était-il.
Maintenant c'était au tour de Sirius de le regarder d'un air ahuri sans savoir quoi dire, pendant que Severus attendait une réponse avec un sourire en coin espiègle et un sourcil haussé pour faire bonne mesure. Puis enfin, voyant que Black n'était pas prêt à se remettre du choc, un ricanement bas finit par lui échapper.
- Tu comptes rester figé jusqu'à ce que la soupe devienne froide ?
Se faire nourrir à la cuillère comme un bambin fut une expérience particulièrement humiliante pour Severus, et particulièrement gênante pour Sirius, et tous deux acceptèrent d'un commun accord de ne jamais en parler à qui que ce soit une fois de retour au Royaume-Uni sous peine de mourir de honte. Rendu à la moitié du bol, Severus voulait disparaître sous son oreiller et avait l'estomac tellement retourné qu'il en avait la nausée. Alors bien sûr, lui et Black commencèrent à se chicaner à voix basse parce que Sirius était inquiet (même s'il n'oserait jamais le dire à voix haute) de ne pas le voir finir son plat, ce à quoi Severus donnait comme excuse que la soupe était maintenant tiède et immangeable (ce qui n'était pas totalement un mensonge) jusqu'à ce que Black finisse par abandonner en pestant contre lui et son stupide entêtement à jouer les victimes. Ce qui, bien sûr, n'avait pas du tout plu à Severus, lui avait fait monter le ton pour dire à Black qu'il pouvait se mettre cette remarque bien profondément dans le cul, et avait poussé Sirius à sortir hors de la chambre avec le plateau en faisant entendre un semi-cri d'exaspération. Pendant tout ce temps, Harry était resté… étrangement calme, et Severus se demanda si c'était parce qu'ils étaient parvenus à garder leur ton de voix relativement civile, ou si l'enfant devenait juste habitué à leurs prises de bec. Le deuxième scénario n'était pas vraiment pour lui plaire.
Jocelyn vint les visiter en après-midi, ou plutôt, il vint déposer à Sirius de quoi remplir le frigo pour la semaine avant de s'installer au pied du lit de Severus pour discuter, pendant que de l'autre côté de la porte, il était possible d'entendre les rires étouffés de Harry en train de s'amuser avec son parrain (Severus fit tout son possible pour ignorer le pincement de jalousie qui venait lui tirailler le coeur à chacun de ces rires). Au début, leur discussion fut plutôt innocente, Severus prenant des nouvelles de la famille et Jocelyn lui parlant de différentes anecdotes sur sa femme et ses enfants. Puis tranquillement, le sujet finit par s'épuiser, et Severus se retrouva à nouveau avec au bord des lèvres la question sur le génocide entendu auprès des deux Aurors canadiens. Ses doigts tressautèrent contre le drap pour se retenir de le tortiller nerveusement, hésitant à briser l'idéalisation qu'il s'était fait du pays et de son peuple.
- J'ai, heum… Entendu quelque chose dans un restaurant hier soir, alors que je cherchais à manger…
Jocelyn l'écouta, son air détendu devenant de plus en plus grave pour finir en soupir douloureux de regret. Ses yeux se fixèrent quelque part sur le plancher en bois, ses doigts se liant sur ses genoux comme pour trouver ses mots.
- Les Béothuks. C'étaient ceux qui vivaient sur cette île avant nous.
- … Qu'est-ce qu'ils sont devenus ?
- Y'en reste plus un seul depuis 1829.
- Oh, alors… Ce n'est pas… Je pensais que c'était plus récent.
- Est-ce qu'une tragédie en est moins une selon si elle s'est passé y'a dix ans ou y'a plus d'un siècle ?
Severus n'osa répondre, le regard fixé sur ses mains meurtries. Il avait été sous les ordres du Seigneur des Ténèbres. Il savait intimement à quoi ressemblait les horreurs d'un massacre sur ceux considérés comme "les autres". Ce qu'il avait vécu de son vivant n'était peut-être pas si différent de ce qu'il s'était passé en ces lieux en 1829, sauf que dans son cas, le Seigneur des Ténèbres avait été vaincu bien avant que ses idées ne mènent à un génocide moldu. La réalisation que dans peut-être cent ans, voir même moins, une génération de nouveaux sorciers verraient la guerre contre Voldemort avec indifférence comme un "acte d'une autre temps" lui retourna encore plus durement l'estomac qu'il en eut une sueur froide.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- … La même chose que sur tout l'reste du continent, à des degrés plus ou moins variés. Des premiers explorateurs qui arrivent en bien piteux états. Des amérindiens qui acceptent de donner un coup d'main avec des remèdes contre le scorbut, avec des guides montrant la région, avec des échanges pour l'commerce. Des colons qui débarquent en p'tits groupes peu menaçants, et qui réussissent à survivre leurs premiers hivers en s'mêlant aux campements amérindiens près des côtes, en imitant leur style de vie, en tombant en amour avec leurs femmes…
- C'est à ce moment-là qu'ils vous ont appris leur magie, c'est ça ?
- Hm. Le problème avec les Européens, c'est qu'ils ont une vision assez centriste d'eux-même. La magie, par exemple, d'où est-ce qu'on vous dit qu'elle vient, hein ?
- … Du sang.
- C'est là tout l'problème, n'est-ce po ? Se dire qu'la magie vient d'nous même, et qu'il faut apprendre à la contrôler, la canaliser, avec une baguette. Les créatures magiques le sont parce qu'ils ont cette énergie dans leur veine, et les plantes dans leur sève, et quelque part cette énergie serait influencée par les astres dans le ciel. Dans ce cas-là, c'est facile de s'croire au-dessus des autres, non ? Se dire qu'on a quelque chose de plus en-dedans d'nous, quelque chose qui nous rend plus fort. Mais s'que les Amérindiens ont compris, c'est qu'la magie est po à l'intérieur, mais autour de nous. Et qu'notre corps, celui des créatures, celui des plantes, ce sont eux les catalyseurs. Même les objets inanimés comme les pierres, ou l'eau, ou l'vent, peuvent être catalyseurs d'la magie. Qu'cette magie est juste en dormance, et qu'il faut la réveiller avec sa volonté. Bien sûr, y'a des catalyseurs plus aptes que d'autres à maîtriser la magie, et c'est pour ça qu'les Nomages peuvent po lancer d'sorts même s'ils essayent vraiment fort. Ou bin y faut attendre l'moment propice, comme quand certaines plantes ont po d'potentiels magiques sauf sous la lumière d'la pleine lune. Mais ça empêche po qu'la magie est là, invisible, mais présente, et po mal plus à portée de tous qu'on peut l'croire. Bien sûr, tout s'que j'te dis là est une grande simplification de ce qu'on apprend en classe, qui est elle-même une simplification de s'que les Amérindiens nous ont appris. Quand les Béothuks ont été éradiqués, s'po comme s'ils ont pu laisser derrière eux des écrits, et s'po comme si les sorciers européens avaient été réceptifs à tout comprendre…
- Alors quoi, il y a eut une sorte de conflit magique entre les deux idéologies ?
- Po vraiment, non. La vérité, c'est qu'y a eut un conflit de ressources. De plus en plus d'colons sont arrivés et se sont installés sur les régions côtières, en apportant avec eux des religieux parce que bin sûr c'était la manière des gouvernements de l'époque pour assurer l'contrôle d'leur population. Et bin sûr, ces religieux ont mis des règles comme quoi les Amérindiens devaient s'convertir pour avoir l'droit d'participer à la "civilisation" et rester dans les nouveaux villages européens. Donc les Béothuks qui voulaient garder leur culture et leurs traditions se sont retrouvés à être chassés de plus en plus à l'intérieur des terres, loins des zones de pêches qui constituaient po mal une bonne base d'leur alimentation. Ça les a rendu en colère, évidemment. On leur volait leurs terres et ils voulaient les ravoir. À l'époque, les sorciers européens servaient un peu d'intermédiaires entre les deux peuples, parce qu'évidemment la présence d'la religion était po pour nous faire bin plaisir non plus. Mais les conflits ont fini par escalader, encore et encore, et c'était soit renier nos origines et prendre des mesures drastiques en dévoilant notre potentiel magique à la face du monde… ou se taire et ignorer nos confrères européens massacrer petit à petit les Beothuks jusqu'à ce qu'ils en reste plus un seul.
- Je croyais… Comment les deux en parlaient au restaurant, c'était comme si vous étiez les responsables du massacre, mais en fait c'était les Nomages, non ?
- Oh, c'est po nous qui avons tirés les fusils, mais peut-on vraiment s'laver d'toute responsabilité en sachant très bien que l'on aurait pu faire quelque chose, mais décidé sciemment de n'rien faire par couardise ?
- Ce… Ce n'était pas votre combat…
- Ils nous ont confié un savoir d'la magie inestimable. Ils nous ont appris à survivre en des terres étrangères. La majorité d'entre nous avaient maintenant un ancêtre Béothuk quelque part dans leur lignée, un sang métissé dans les veines. C'était parfaitement notre combat, et même si ça ne l'avait po été, personne n'devrait hériter à s'dresser contre l'extermination d'un peuple.
Il y avait cette colère en Jocelyn alors qu'il serrait ses mains sur ses genoux pour en calmer le tremblement, mais il ne pouvait cacher l'éraillement de sa voix. Comme s'il avait vu cette injustice de ses propres yeux, l'avait vécu intimement, et hurlait silencieusement de rage de ne rien pouvoir faire pour l'en empêcher. Comme si son empathie pour ces hommes et femmes d'un passé centenaire débordait de chacune de ses pores, au point que Severus dut détourner le regard pour ne pas sentir une nouvelle vague de nausée l'envahir. Si Jocelyn se mettait dans un tel état parce que ses ancêtres avaient commis le crime d'être indifférents, il ne voulait même pas savoir ce que cela signifiait pour lui, le monstre abjecte qui s'était impliqué du mauvais côté de l'histoire et en avait les mains couvertes de sang. Mais soit Jocelyn était incroyablement doué en tant que psychomage à lire l'ambiance d'une salle, soit il avait quelques pouvoirs de legilimencie au travers de sa naturelle perspicacité, car presque aussitôt il se força à desserrer ses mains et à calmer sa respiration, fermant les yeux d'un air douloureux.
- Désolé. C'était po quelque chose à dire, connaissant s'que t'as vécu.
- Non, je comprends. On a tous une honte à porter, quelque part. Parfois sur des générations.
Severus pensait à son père, évidemment. Tout revenait sans cesse à cet enfoiré et ce qu'il lui avait légué : un paquet de haine, de violence et d'alcoolisme. Une tare qu'il ne parviendrait jamais complètement à effacer, malgré tous les efforts de sa jeune enfance à se gratter les avants-bras jusqu'au sang comme si ce fait pouvait arracher la génétique de son père incrustée dans sa chair. Puis il avait reçu la Marque des Ténèbres, et il se rappelait comment à l'époque, il avait été convaincu que l'encre magique pouvait quelque part purger son corps de Tobias, parce qu'il s'était prouvé être un vrai sorcier auprès du puissant Seigneur des Ténèbres, lui qui ne cessait de glorifier la pureté du sang et avait accepté de le prendre dans ses rangs comme l'un des leurs. Ce qu'il avait été naïf et désespéré…
- Y'a des hontes qu'on n'peut po réparer, c'est vrai. Mais apprendre d'ces hontes et faire d'son mieux après, ça vaut au moins pour quelque chose plutôt que d'continuer à rien changer.
- … Alors vous avez fait quoi, après le massacre ?
- Ce qu'on a pu. Po grand chose, et bien trop en retard, mais ce qu'on a pu. Obliger l'sujet dans l'étude d'notre histoire dès l'plus jeune âge. Essayer d'intégrer l'plus possible leurs valeurs et leurs coutumes dans notre vie, du peu qu'on est parvenu à récupérer après leur disparition.
- C'est pour ça que vous jurez sur les Ancêtres et les Grands Esprits plutôt que sur Merlin ?
- Entre autre. Selon les Amérindiens, à notre mort, notre corps vient nourrir la terre, et notre âme vient nourrir la magie. Manquer de respect aux Ancêtres c'est manquer de respect à la magie qu'ils nous transmettent, et invoquer les Ancêtres c'est leur demander la permission pour puiser dans leur énergie. Les Grands Esprits sont plus… C'est assez difficile à expliquer, sachant qu'tu n'as po été plongé dans la culture dès l'plus jeune âge, mais… Ce sont un peu les gardiens d'la magie des Ancêtres, et chaque Grand Esprit protège la magie liée à un lieu, ou à un objet, ou un animal, ou une plante, ou même un concepte intangible.
- Je… pense que je comprend un peu, mais Sirius serait peut-être plus à même d'en saisir toutes les subtilités. Il a été élevé dans les traditions sang-pures des sorciers britanniques, avec tout le paganisme qui s'y rattache.
- Il y a certains points similaires ici et là entre les deux cultures, en effet. Bien que j'ai cru comprendre qu'en Europe, les anciennes pratiques sont de plus en plus remplacées par les fêtes chrétiennes.
- Le problème de vouloir adapter notre culture aux sorciers de naissance moldu pour ne pas trop les "dépayser".
- Ou plutôt, le problème d'avoir séparé les deux mondes de manière si drastique, qu'il faut mettre en place des façons de ne pas "dépayser" ceux qui passent brusquement de l'un à l'autre, non ?
Severus voulut riposter, mais en fut incapable et se retrouva plutôt à refermer ses lèvres d'un air pensif. Jocelyn et Johanne étaient deux sorciers, de lignées sorcières, avec des enfants sorciers. Une famille sang-pure, et pourtant leur style de vie les rendaient presque indissociables d'une famille moldue, outre quelques sortilèges cachés ici et là. Même les Wesleys, qui se targuaient tant d'être pro-moldus, seraient incapables d'avoir une maison aussi normale, avec une télévision fonctionnelle et un enfant aux murs de chambre couverts de posters affichant des groupes de rock moldus. Le monde moldu n'était pas considéré comme un quotidien chez eux, mais comme une fascination pour un monde étranger au leur. Cette soudain réalisation rendit Severus d'autant plus mal à l'aise alors que l'insinuation de Jocelyn lui rappelait plus terriblement encore les paroles de l'Aurore canadien du restaurant : " Nous sommes habitués depuis longtemps à côtoyer les Nomages, alors pourquoi forcer une ségrégation inutile ? " Qu'arrivait-il, d'ailleurs, aux sorciers britannique nés moldus ? Les seuls que l'on acceptait à briser cette ségrégation ? Étrangement, il n'avait que Lily comme exemple en tête, et pourtant elle était loin d'être la seule dans son cas à Poudlard. Et Lily… avait marié un sang-pur, avait totalement changé son style de vie pour celui d'une sorcière, à l'exception des fêtes traditionnelles moldus que James avait vite accepté grâce à Poudlard. Un sacrifice culturel chacun. Mais les autres ? Ceux qui avaient des parents comme Tobias, qui se retrouvaient rejetés par leur famille entière pour être différents ? Ceux qui avaient une famille qui les acceptait, mais devaient se plier à la culture sorcière pour espérer atteindre des postes plus hauts dans la hiérarchie, tous occupés par des sang-purs depuis des générations ? Pouvaient-ils seulement espérer atteindre cette position avec la méfiance des sangs-purs pour ces "autres" qui n'ont pas la même religion païenne et ne peuvent donc pas comprendre les subtilités de leurs valeurs ? Et les moldus avec des enfants sorciers, pouvaient-ils seulement être rassurés de voir leurs enfants être emportés loin d'eux et changés par ces "autres" si différents qu'ils ne sont même pas capable de porter les mêmes habits, la même architecture, la même technologie ?
Et à côté… il y avait les sorciers canadiens. Presque identiques aux moldus, mais juste avec quelques sortilèges, potions et autres petites fantaisies en plus, et une culture plus proche de celle des amérindiens que la majorité moldue chrétienne, mais qui paraissent soudain bien moins menaçants parce qu'ils sont "comme nous, juste différents" et pas ce concepte nébuleux d'opposition, ou de mystère, ou de curiosité exotique. L'aînée de Jocelyn était sorcière, mais pouvait aller à un concert de musique moldu et se fondre dans la foule comme n'importe quelle autre de son âge. Dakota et Kara faisaient de la peinture et de la sculpture sans utiliser de magie. Abe était fasciné par les oiseaux, certes pour se transformer en l'un d'eux, mais fasciné par un animal tout à fait commun pour les moldus plutôt que d'avoir une fixation sur les dragons, ou les licornes, ou quel que soit les créatures magiques de ce continent que Severus n'avait pas encore rencontré. Ils passaient leur journée à l'école, mais rentraient à la maison pour souper et dormir, comme les autres moldus, ce qui voulait dire qu'il y avait un système de plusieurs écoles par région, ou un système équivalent au Magicobus réservé aux étudiants. Ils étaient presque normaux, et pouvaient donc s'identifier autant à un monde qu'à l'autre, parce qu'il n'y avait qu'une mince barrière invisible pour les séparer. Et dans cette situation… pouvait-il vraiment y avoir une peur, une "haine" de l'autre ? Les sang-purs britanniques auraient-ils acceptés plus facilement les sorciers de moldus s'ils avaient été approchés par la technologie et le mode de vie de ceux-ci, plutôt que de voir leurs fêtes identitaires être remplacées par celles des "autres" ?
Tobias aurait-il battu sa femme et son fils en découvrant qu'ils étaient sorciers, s'ils avaient été Canadiens et n'avaient eu presque rien pour les différencier que quelques tours de passe-passe facilitant la vie, plutôt qu'un gap culturel immense à peine rafistolé par l'intégration de quelques fêtes chrétiennes durant les études à Poudlard ? Non, il aurait sûrement été un enfoiré malgré tout, traînant avec lui tout un bagage de violence et d'alcoolisme lié à une pauvre économie et éducation. Mais Severus ne se rappelait que trop bien toutes les fois où sa mère avait été "corrigée" pour avoir osé utiliser la magie, parce qu'elle peinait à s'adapter à la technologie moldue et était terrifiée d'être frappée pour avoir encore une fois brûlé le souper, ou n'avait pas nettoyé la maison assez vite, et toutes ces autres choses qu'elle n'avait pas pu pratiquer dans une maison de sangs-purs où les repas étaient cuits sur une flamme magique qui s'éteignait après un temps donné, et où les balais et serpillères étaient enchantés pour s'animer d'eux même, quand ce n'était pas littéralement un elfe de maison qui faisait tout à la place.
- Pensif ?
- Je… Par rapport à mon père, oui.
Le regard de Jocelyn changea presque imperceptiblement, passant de plus sensible et délicat à quelque chose de plus solide et grave, mais toujours en gardant cette sorte d'aura de calme patience que Severus avait fini par lui associer. Le genre d'aura qui encourageait un sentiment de sécurité, assez pour qu'il parvienne à mentionner Tobias à voix haute sans avoir l'impression que quelque chose de terrible allait arriver dans les minutes suivantes. Jocelyn savait de toute manière, ou plutôt il se doutait des grandes lignes avec ce qu'il avait observé chez Severus et ce qu'il avait sûrement soutiré à Sirius le même soir. Peut-être était-ce pour cette raison que cela faisait moins mal, parce qu'il savait déjà que l'homme n'utiliserait pas cette faiblesse contre lui.
Le reste sortit… beaucoup plus facilement qu'il n'aurait pu le croire. Même en restant foncièrement lui-même, Jocelyn devenait un tout autre homme lorsqu'il entrait sérieusement dans son rôle de psychomage. En règle général, il dirigeait subtilement la conversation pour remettre en question les croyances de ses interlocuteurs et pousser les gens à réfléchir, en particulier lors de discussions politiques. Mais alors que Severus lui confiait le lourd bagage de son passé, il fit totalement l'opposé, lui laissant le champ libre pour prendre la direction et le rythme de la discussion, communiquer ses ressentis et ses interprétations sans jamais être remis en doute ou redirigé vers un autre mode de pensé. En fait, Jocelyn resta presque exclusivement silencieux tout du long, ne prenant rarement parole que pour poser de courtes questions neutres afin d'avoir un peu plus de détails, mais sans jamais devenir trop intrusifs sur ce qui risquait d'entraîner un état de panique. Le début fut plus… difficile, alors que Severus cherchait à trouver ses mots, ou se plongeait soudain dans de longs silences douloureux alors qu'il était submergé par les émotions et cherchait à les maintenir pour ne pas se sentir encore plus vulnérable qu'il ne l'était déjà. Jocelyn respectait ces moments, lui laissant le temps dont il avait besoin, ne pressant jamais lorsqu'il lui avouait qu'il n'avait pas envi de parler de certaines scènes ou de certains sujets encore trop douloureux. Puis lentement, à mesure qu'il parlait, à mesure les choses devenaient plus… faciles.
- Le pire, je dirais, la culmination de toute cette merde… Plusieurs diraient lorsque j'ai été assez stupide pour me faire marquer par le Seigneur des Ténèbres, mais la vérité c'est qu'en joignant les Mangemort, je me suis sentit plus… fort, plus puissant, comme si j'avais enfin un but, un contrôle sur ma vie. Mais maintenant je me demande si… Si j'aurais réellement pris la marque n'eut été de tout ce qui s'est passé à mes seize ans. Perdre l'amitié de Lili par ma faute, ce fut comme… comme si je n'avais plus rien de précieux à perdre. Comme si je recevais la dernière confirmation d'être un monstre, et que je ne pourrais jamais changer ce fait, alors autant embrasser pleinement cette réalité, pas vrai ?
- Vous l'aimiez beaucoup.
- Oui. Mais pas… pas dans le sens où… Elle était plus qu'une amie, mais je n'étais pas… amoureux d'elle. Je… Pour être franc, j'aurais voulu l'être. Merlin, s'aurait été tellement plus facile, au lieu d'être…
Severus s'arrêta. Renversa la tête contre l'oreiller. Soupira. À l'angle de la lumière passant par la fenêtre, il pouvait deviner qu'ils discutaient depuis un bon trois heures maintenant. Il avait la bouche pâteuse à force de trop parler, un noeud dans la gorge à cause de l'émotion. Mais pour la première fois de sa vie… il voulait le dire. À voix haute. Avouer ce qu'il était et qu'il n'avait jamais osé dire à personne, ce qu'il était même parvenu à taire au plus profond de lui-même jusqu'à l'ignorer, du moins jusqu'à ce que Sirius lui fasse son maudit aveux sur sa sexualité et ramené de l'avant tout le sujet. Voilà, il voulait en finir une bonne fois pour toute, arrêter de se voiler la face ne serait-ce que devant une seule personne. Le problème étant, il ne savait pas comment en parler. Et pire que tout, il y avait cette petite voix en lui qu'il ne pouvait totalement taire, celle qui lui disait que peut-être même Jocelyn, patient et compatissant Jocelyn, réagirait mal à une telle confession. Après tout, n'y avait-il pas plus dépravé et plus aberrant qu'une personne attiré par le même sexe que lui-même ?
- C'est assez drôle, en fait, dans le sens le plus pathétique du terme. Mon père l'a deviné avant même que je m'en rende compte moi-même. Le fait que je sois un sorcier était déjà pour lui la marque du diable, mais quand en plus il a réalisé que j'étais… que j'étais pire encore, il est devenu… Avant, sa violence était plus en… réaction à quelque chose. Parce que je faisais du bruit, ou étais dans ses jambes, ou ne réagissais pas assez vite, ou le regardais de travers, ou étais surpris à faire quelque chose de sorcier. Puis il a compris qu'il y avait… quelque chose de plus, quelque chose que même les sorciers et Moldus s'entendent pour dire que c'est… anormal. Mauvais. Et quand il l'a compris, il a commencé à… à aller hors de son chemin pour m'attaquer. Alors quand j'ai perdu Lili, j'ai réalisé que… que je n'avais nul part où m'enfuir, et je…
Il ne voulait pas se rappeler cet été. L'été de ses seize ans avait été le pire, parce qu'il avait commencé à avoir peur. Avant, il avait un endroit où se réfugier et oublier, juste un peu. Avant, il pouvait prédire quand son père allait frapper. L'été de ses seize ans, il avait tout perdu, autant ses instants de paix que le peu de moyens qu'il avait rassemblés pour garder un semblant de contrôle chez lui. Pour être franc, il n'arrivait même pas à avoir des souvenirs précis de cet été, outre des éclats confus de pleurs, de désespoir, de panique, de douleur. D'une pièce vide qui avait été autrefois sa chambre, et où tous les meubles avaient été vidés pour ne laisser qu'un plancher froid et dur. D'une porte toujours fermée à clef qui ne s'ouvrait que pour laisser entrer un père furieux qui frappait, hurlait, même alors que Severus n'avait pas bougé le moindre muscle de la journée, pas fait le moindre bruit, même alors qu'il avait pleuré, oui, pleuré et supplié et demandé pardon parce qu'il voulait juste que cela arrête, priait même qu'on l'achève afin qu'il ne puisse pas subir encore plus. Parfois, Severus se demandait comment il était parvenu à prendre le Poudlard Express pour sa sixième année et faire comme si tout allait bien, alors qu'il avait encore le corps en feu par toutes les plaies ouvertes cachées par son uniforme. Plus souvent, Severus se demandait comment il avait seulement survécu, et pourquoi il n'était pas mort dans cette pièce vide durant l'été de ses seize ans.
- Severus ?
- Hm ?
- T'es toujours avec moi ?
- Non, je… je suis parti un peu, désolé.
- Po d'quoi s'excuser. Du moment qu'tu sois capable d'revenir, c'est l'plus important.
- Hm.
Il n'arrivait plus à le dire. Il n'arriverait pas à le dire. Et cette frustration face à son impuissance le fit stupidement larmoyer alors qu'il continuait de regarder le plafond. Ses larmes étaient brûlantes sur sa peau, et il les détestait. Puis peut-être en devinant qu'il avait atteint sa limite, en devinant qu'il n'avait plus la force de dire quoi que ce soit pour aujourd'hui, Jocelyn brisa soudain le silence lourd de la chambre en chantant. C'était un chant bas, presque murmuré, dans une langue que Severus ne connaissait pas et était sûrement celle des Béothuks. Quelque chose d'étrangement calme et réconfortant. Severus ferma les yeux. Quand il les rouvrit, il faisait déjà sombre dehors et Jocelyn était parti. Sirius venait de frapper à la porte, entrant timidement dans une image familière d'un Harry attaché à son torse et d'un plateau entre les mains. Aucun d'eux n'osa parler ou croiser le regard de l'autre durant le repas, et juste ainsi, Severus sût que Black n'avait pu se retenir d'écouter à la porte pendant la visite de Jocelyn. Un fait que Sirius, probablement dévoré par la culpabilité, finit par lui avouer après avoir posé le plateau vide au sol.
- Je… Je pense que je te dois beaucoup de vérités, maintenant.
- Hm. Je m'en moque.
- … Hein ?
- Je m'en moque. Tu peux garder tes secrets.
- Mais… !
- Tu n'as pas d'obligations envers moi. Tout ce que j'ai dit à Jocelyn, j'avais besoin de le faire sortir. Je me doutais que tu l'entendrais tôt ou tard, de toute manière.
- … Par Merlin, tu es vraiment un meilleur homme que je suis.
- Ridicule. Va dire ça à toutes mes dernières victimes.
- …
Sirius fit un étrangement mouvement à ces mots, levant une main comme pour lui tapoter maladroitement le genoux, mais se retenant à la dernière minute pour finalement rembarquer Harry et le plateau hors de la chambre. Comme il ne revint pas avec la tombée de la nuit, Severus devina qu'il devait avoir métamorphose un autre lit dans le salon, et ferma à nouveau les yeux pour faire ses exercices d'Occlumens. Avec soulagement, sa nuit fut sans rêves, le laissant un peu plus solide et reposé pour le lendemain.
Les avant-midis de sa convalescence furent… étranges. Bien souvent, Harry se rendormait juste après le petit-déjeuner, ne se réveillant pas avant le prochain repas, et comme Sirius et Severus s'ennuyaient fermement entre-temps car ils ne pouvaient pas sortir… une sorte rituel avait finir par s'établir entre eux. Black reprenait sa forme de chien après avoir bordé le gamin. Peut-être parce qu'il avait trop peur de déclencher une nouvelle chicane en parlant, peut-être parce qu'il ne savait plus trop quoi dire et essayait de masquer sa gêne. Peut-être parce que Severus tolérait un peu plus les contacts physiques sous cette forme, alors que Sniffle venait grimper sur le lit pour se coucher contre ses jambes. Bon, d'accord, à chaque fois Severus rouspétait en le traitant de débile et en lui disant qu'il savait parfaitement à quoi il jouait… mais il n'avait jamais totalement la force de le repousser, même alors qu'il aurait pu facilement lui donner un coup de pied sous les draps pour le chasser. Alors à la place, il grommelait une série de jurons, renversait la tête sur son oreiller en soupirant… puis inévitablement, se mettait à monologuer pour combler le silence.
Heureusement, trouver un sujet de discussion unilatéral qui ne causerait pas trop l'indignation de Sirius fut assez rapide à trouver : Severus avait une collection complète d'anecdotes sur ses premiers mois en tant qu'enseignant de potions, et n'hésitait pas à utiliser des termes plus que colorés pour décrire la stupidité profonde de ses élèves (Serpentard y compris, même s'il ne le dirait jamais à voix haute dans les couloirs de Poudlard). Sans surprise, Black se révéla un excellent auditoire alors qu'il racontait ses péripéties. Après tout, il avait toujours eu un humour tordu se délectant de la misère des autres, et même si Severus avait été victime de la plupart de ses mauvaises farces… il ne pouvait nier le fait qu'il avait lui-même un certain plaisir sadique à humilier ses élèves les plus exaspérants. Un plaisir que ne partageait malheureusement pas le reste de ses collègues, ce qui lui avait refusé une oreille attentive à toute frustration verbale. Avec Black, cependant, il pouvait se déchaîner autant qu'il le souhaitait, et Sniffle était probablement le meilleur public qu'il aurait pu désirer. Oreilles dressées, queue s'agitant de plus en plus vite en crescendo avec l'histoire, babines étirées et langues pendantes en un sourire niais, yeux brillants d'amusements fixés sur ses lèvres, l'animal était magnifique à voir, encore plus quand il se tortillait soudain sur le dos en faisait entendre d'étranges glapissements censés imiter un rire.
Et Severus riait avec lui. Le même rire sincère et libérateur qui semblait naître quelque part dans son sternum et remontait en bulles légères jusqu'à sa gorge pour y prendre un son plus mordant, le laissant stupidement essoufflé avec des larmes aux coins des yeux quand il parvenait enfin à se calmer. Puis l'euphorie retombait lentement, pour faire inévitablement place à la mélancolie, et aux souvenirs de Lily flottant juste à la surface de sa conscience. Probablement inspiré par Jocelyn, Sirius était étrangement respectueux de ces soudains moments de silence, se recouchant le long de ses jambes en posant sa lourde tête de canidé sur ses genoux. Ce qui devrait profondément déranger Severus, mais… il y avait une différence entre un contact humain et un contact animal, le second étant moins sérieux et menaçant, même en sachant qu'il s'agissait d'un animagus.
- J'aurais dû m'acheter un animal de compagnie après Poudlard, avoir eut les moyens.
Sniffle tourna légèrement la tête en sa direction, son museau venant longer le bas de sa cuisse. Il y avait… quelque chose dans son regard, quelque chose se mélangeant à sa curiosité et son calme paresseux, et Severus ne voulait pas l'identifier. De la même manière qu'il était soulagé, quelque part, d'avoir deux bras meurtries recouvertes de baume pour l'empêcher d'étirer une main traîtresse et mêler ses doigts à la fourrure sombre du cabot. Il y avait une différence entre tolérer la présence d'un animagus contre ses jambes, et venir consciemment le caresser. Quelque chose de beaucoup trop intime.
- Un chat, peut-être ? Beaucoup plus propre qu'un chien en tout cas. Prend moins de place, aussi. Sans parler l'intelligence…
Jouant le jeu, Sniffle fit entendre un faux éternuement outré, et Severus répondit avec un petit ricanement bas pour mieux ignorer le pincement dans ses entrailles. Il s'attachait beaucoup trop vite. Il avait appris pourtant, encore et encore, qu'accorder sa confiance ne menait qu'à des suites de catastrophe : Lily, le Seigneur des Ténèbres… Sirius, il y a une poignée de jours à peine. Mais il était fatigué, bien trop fatigué de se battre encore et encore, et merde, Jocelyn lui donnait espoir. Lui, et Johanne, et toutes les autres personnes qu'ils avaient croisés depuis leur arrivé dans cet étrange pays qui voulait lui faire croire qu'il pouvait vivre en sécurité.
- Non, tu as raison, un chat jetterait tous mes bocaux d'ingrédient au sol.
Sirius répondit d'un coup de museau joueur contre sa jambe avant d'étirer un autre de ces sourires stupides à la langue pendante. Puis soudain, sa tête se relevait, oreilles droites et expression alerte tournée vers le salon, avant de soudain sauter du lit pour quitter la pièce par la porte entrouverte. Harry venait de se réveiller, visiblement.
Retour de l'auteur : Wow, gang, vous avez été incroyable avec vos commentaires du dernier chapitre ! Ça l'a fait tellement chaud au cœur que le onzième chapitre s'est presque écrit tout seul, malgré la difficulté des sujets apportés. Vous êtes les meilleurs lecteurs qu'un auteur peut rêver d'avoir, et je ne pourrai pas remercier tout le monde, mais je tiens particulièrement à souligner le commentaire de AliEkli qui a propulsé mon cerveau dans dix milles directions à la fois. En effet, je comptais transformer cette fanfic en un roman, mais hésitais à m'embarquer dans ce projet à cause d'un terrible syndrome de l'imposteur qui me suit depuis la fin de mon diplôme. Mais suite à la douche d'amour que je viens de recevoir de vous tous, je confirme aujourd'hui que je compte finir "Pins et Érables" pour l'année 2020 afin de commencer au plus vite l'écriture de ce roman. Merci encore pour toutes vos idées, vos critiques constructives, votre intérêt et votre positivisme qui m'encouragent à poursuivre !
