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Chapitre 7

A son chevet

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Pinnoe resta immobile devant la porte un long moment. Elle contemplait les dorures sans les voir. Elle hésitait. Vingt ans, c'était si long… Elle avait beaucoup changé, est-ce qu'il aurait changé aussi ? Elle savait que les Nains vivaient plus vieux que les Hommes, elle savait que Thorin était vieux, mais elle ne savait pas à quel point. Dishera l'avait qualifié de "malade", se pourrait-il que cela signifie "si vieux qu'il en est arrivé aux portes de la mort" ?

Et s'il ne l'aimait plus ? Après tout, il n'était jamais venu la voir… mais elle non plus, elle n'était pas venue le voir. Il s'était peut-être résigné parce qu'il avait pensé qu'elle ne voulait plus de lui. La femme gémit en secouant la tête. C'était à se frapper la tête contre les murs !

Tant pis pour ses hésitations. S'il la détestait à présent, autant en être sûre, n'est-ce pas ? Elle toqua trois coups avec détermination et poussa la porte, sa volonté déjà étiolée.

Il faisait sombre à l'intérieur. La chambre aux murs de pierre n'était éclairée que par un feu ronflant dans la cheminée. Mais au moins il y régnait une confortable chaleur. Un énorme lit était la pièce maîtresse du mobilier, recouvert de coussins et de couvertures épaisses au point qu'il était impossible de discerner si quelqu'un s'y trouvait.

Pinnoe avança lentement. Elle appréhendait grandement ce qu'elle allait y trouver. Ce qu'elle vit fut pire que ce qu'elle avait imaginé. Thorin, car c'était lui sans aucun doute, était endormi. Ses cheveux épars étaient blancs, tout comme sa longue barbe à peine parsemée de quelques mèches grises. Sa peau était parcheminée et, par sa bouche entrouverte, il respirait par sifflements difficiles. Il avait l'air si vieux…

Soudain, il fut pris d'une quinte de toux si violente que son corps entier en fut agité de convulsions. La fille resta en arrière, terrorisée. Il finit enfin par retomber au creux de ses couvertures, haletant, des gouttes de sang tombées en pluie sur son menton.

Pinnoe jura pour elle-même. Elle n'était qu'une misérable, pas plus vaillante qu'une enfant ! Elle se saisit d'un carré de tissu sur la pile posée là, et alla s'asseoir sur le bord du lit. Avec délicatesse, elle essuya les lèvres souillées de Thorin. Celui-ci ouvrit des yeux laiteux et s'agita à nouveau.

- Qui est-là ?

Le son de sa voix éteinte brisa le coeur de la pauvre fille. Il était vieux, épuisé et brisé. Elle aurait souhaité ne jamais avoir eu à voir ça. Elle aurait souhaité être là bien plus tôt. Peut-être aurait-elle pu faire quelque chose…

- Qui…?

Pinnoe fit de son mieux pour le calmer, lui caressant le visage et lui chuchotant des mots doux. Elle ne les avait plus prononcés depuis des années, mais ils lui revenaient avec un naturel surprenant. Thorin roulait ses yeux aveugles avec une confusion déchirante. Il leva une main tremblante que Pinnoe guida jusqu'à son propre visage.

Elle ne sut dire s'il la reconnut vraiment. Elle fondit en larmes avant cela. Elle se recroquevilla contre lui, le visage niché contre son torse brûlant. Les bras de Thorin se refermèrent sur elle et ses sanglots enflèrent davantage.

Lorsque la Reine Dishera entra dans la chambre quelques heures plus tard, elle savait déjà que la fille n'avait pas quitté la Montagne. Elle avait ruminé ce fait et avait donc dû digérer par avance le fait que la maîtresse était donc à présent au chevet de son époux. Elle l'imaginait éplorée, pleurant son amant mourant, en une scène qui révulsait la Naine par avance.

Mais ce qu'elle vit lui retourna l'estomac avec encore plus de violence. Elle ne vit pas la fille penché sur un Thorin endormi, mais l'exact opposé : le Roi nain était assis sur le lit, sa maîtresse endormie sur ses genoux. Le dos appuyé contre le bois du lit, la tête haute, il n'avait plus du tout l'air d'un nain sur le point de mourir. Il avait retrouvé l'apparence de ses cinquante ans.

Dishera serra les poings. Qu'est-ce que cette sorcière avait fait ?

Thorin s'aperçut enfin de la présence de sa femme. Il lui jeta un regard serein que Dishera reçut comme une hallebarde en pleine poitrine. Un sourire bienheureux ornait son visage. Ses doigts peignaient machinalement la chevelure libérer de sa maîtresse. La Naine se sentit mourir à son tour alors qu'une douleur poignante lui saisissait les entrailles.

Impuissante, elle vit Thorin détourner le regard d'elle pour le poser sur la silhouette endormie contre lui. Les mots de ce magicien de malheur revinrent à sa mémoire, comme un écho de malédiction : "Si vous ne l'en empêchez pas, Dishera Cheveu-d'Or, Ecu-de-Chêne ne vivra pas longtemps. Il se consumera pour cet amour enflammé !" Ce vieillard n'en savait rien, alors. Ce n'était pas sa maîtresse qui l'avait tué, mais l'absence de sa maîtresse.

Lorsque la porte se referma sur ses larmes de rage et de jalousie, Thorin ne broncha même pas. Ses doigts continuaient de courir dans les mèches brunes.


Voilà, c'est tout pour cette mini-fic des fonds de tiroir !

Si vous avez lu jusque là, j'espère que ça vous aura plu et que vous ne m'en voulez pas de la courtesse de l'ensemble. Pour moi, ça a été une belle (re)découverte et le traduire vers le français m'a fait du bien.

Si vous aviez une minute de plus pour laisser une review, même très courte, ce serait formidable, car sur ce site la review est vraiment le seul moyen d'avoir votre avis et, de là, de pouvoir m'améliorer.

Merci à vous ! :)