Il était assis dans un coin, quand elle est rentrée, l'arme au poing.

Un Glock, 9mm, parabellum...

Pas vraiment une arme de fillette. C'était pourtant bien ce à quoi elle ressemblait dans la pénombre : Jean bootcut, converse, tee shirt de baseball et casquette.

Il n'a pas bougé, il semblait effondré et se foutait bien de mourir à cet instant précis, tant la souffrance accumulée à la fatigue avait eu raison de lui.

Elle a baissé son arme et lancé un « clear », à l'américaine.

Puis tout est redevenu silencieux, les autres flics derrière elle attendant qu'elle s'exprime, presque respectueusement.

Elle a posé ses yeux partout, sur chaque détail, comme pour se les incruster, puis est revenu sur Thomas.

Elle s'est approchée doucement, il tenait toujours son arme, et s'est accroupie devant lui.

« Commandant ?

Sa voix chaude et calme, presque un souffle, avec cet accent indéfinissable.

« Regardez-moi Commandant... S'il-vous-plait...

Ses yeux demeuraient clos, son corps refusait d'obéir, son mental ne souhaitait qu'une chose : disparaitre, ne serait-ce qu'un instant. Elle savait d'ailleurs ce qu'il ressentait, le ressentait tout autant, tant elle s'était immédiatement connectée à lui. Il avait l'impression de tomber dans le vide, sans espoir d'être rattrapé, cette sensation atroce d'être happé et de tomber d'une hauteur vertigineuse.

« Commandant Rocher, je veux que vous écoutiez ma voix. Je suis Maxine Laveau-Duprés. Je suis une amie de Chloé, Chloé Saint-Laurent, je suis là pour vous aider. Je vais poser mes mains sur les vôtres. Je veux que vous m'agrippiez, que vous serriez mes doigts, que vous me laissiez vous aider.

Et elle s'est exécutée, très calmement, prenant d'abord son arme, la posant à terre, puis le laissant s'habituer au contact, elle a resserré son étreinte petit à petit.

« Commandant ?

Thomas ?

...

Thomas, ça va aller, je vous le promets je vous tiens, accrochez-vous à moi et ça va aller.

Il faut que vous ouvriez les yeux, Thomas. Regardez-moi. S'il vous plait.

J'ai besoin de vous pour la retrouver. On n'a pas le temps là ! Il faut que vous ouvriez les yeux.

MAINTENANT !

Et comme s'il s'éveillait d'un cauchemar, il les a ouvert, dans un presque sursaut, a serré ses mains qui n'avaient pas lâché les siennes.

Ses larmes l'empêchaient de voir clairement qui elle était, mais il savait qu'elle était son ancrage à ce moment, qu'il fallait qu'il se ressaisisse, pour Adèle.

Sa respiration était rapide, il tentait de retrouver la maîtrise de lui-même.

« Respirez calmement, avec le ventre, en même temps que moi...

Voilà, c'est bien... Je vais vous lâcher, vous continuez à respirer, Ok ?

Il a fait oui de la tête.

Elle a replacé son oreillette, et s'est mise à parler dans le micro, relativement calmement vu l'urgence dans sa voix.

« Je veux des barrages en cercles concentriques à tous les carrefours sur 30 km. Je veux que vous me traquiez tous les téléphones qui se sont connectés à un relais à moins de 3 km d'ici depuis 30 minutes et je veux toutes les images possibles de la circulation sur la même zone. Pour avant hier.

Et trouvez-moi n'importe quel endroit qui ressemble à une clinique, avec un vrai bloc opératoire. Les centres équestres avec centre d'insémination, les vétos, ça marche aussi

«Je suis dessus Madame, pas de cliniques, rien avec un bloc...

« Madame, c'est ma mère Lieutenant.

Pas de clinique... Pas de véto... Pas de clinique... Pas de véto... Pas de clinique... Pas de véto...

Elle marchait dans la petite pièce exigüe, ses yeux s'accrochant au moindre détail.

Thomas s'était levé et la regardait.

Elle avait parlé de Chloé. Qu'est-ce qu'elle foutait là ? Et surtout c'était qui ?

Elle lui ressemblait. Pas physiquement, non… Elle était brune, cheveux longs, très mince… Mais son regard, sa façon de regarder les choses.

Elle savait ce qu'elle faisait. Elle était en charge. Elle fini par croiser son regard.

« Il arrive par là, il la voit, inconsciente dans une mare de sang... A quoi il pense ?

Thomas semble hanté par le sang au sol…

« Parlez-moi d'elle, d'Adèle.

« Elle est forte. Très forte. Elle a... Elle a une volonté impressionnante, elle est... Il ferme les yeux, prend une inspiration. Elle est peut être consciente, surement, elle lui parle, elle sait qu'on arrive.

« Oui, oui bien sur, elle pense que c'est vous... Il la contourne, du coup, il ne veut pas croiser son regard...

« Vous pensez qu'il la connait ?

« Peut être... Elle, elle le connait, elle a confiance, d'instinct, elle ne bouge pas...

Elle lui montre la tache de sang

« Pas d'agitation, pas d'instinct de survie, elle se laisse aller, parce qu'elle est en confiance

« Il la contourne, mais pour aller où, pour quoi faire ?

Elle se lève et regarde autour d'elle...

« ... La cuisine...

Elle se dirige vers l'évier, le placard au dessous est ouvert, pareil celui du dessus, et le plan de travail est un bordel sans nom de poudres, de légumes, où gisent les reste d'un torchon déchiré, un rouleau de scotch.

« Piment de Cayenne, sucre, oignon, ... Elle lève brutalement la tête

« Lieutenant, on cherche un militaire, ou un pompier, un gars qui s'y connait en 1er secours, un gars qui a travaillé en dehors des frontière, de préférence qui a des relations avec la maison. Heu... Cherchez-moi... Cherchez-moi... Un centre de la croix rouge… Un camp militaire...

« A moins de 10 km, j'ai bien un centre d'entrainement du GIGN, mais...

« C'est là ! Envoyez-moi l'adresse et du monde, prévenez qu'on arrive, et confirmez-moi.

Et levant les yeux vers Rocher

« On bouge !

Il ramasse son arme et la suit sans répliquer, et ils courent de concert vers la voiture.

Elle part à fond de balle, elle ne conduit pas, elle pilote.

« Vous m'expliquez ?

« C'est un homme, parce que transporter une personne blessée gravement, qui se vide de son sang, et sans laisser de traces autre que celles où le corps est tombé, requiert un minimum de force... On n'a pas de trainée, elle a été portée.

Avant ça, il a tenté de freiner l'hémorragie. Il a fait des bandes avec les torchons, il les a noué, en insérant un morceau d'oignon écrasé dans le nœud. Il a versé un mélange de sucre et de piment dans les plaies, avant d'y placer un ou plusieurs nœuds, qu'il a maintenu avec du tape. C'est une technique utilisée dans la guérilla urbaine, pour faire face aux blessures par balle. Les 3 produits sont des hémostatiques.

« Pas vraiment courant comme méthode ici

« Non, Détroit, Chicago... Miami...

« C'est pour ça que vous avez pensé à un gars avec ce genre d'expérience ?

« Oui. Je ne pense pas que ce soit pour lui faire du mal, ou pour venger ou continuer ce qu'Argos avait initié. Encore une fois, elle est blessée assez gravement, il l'emmène, c'est pour la soigner et lui sauver la vie, sinon il ramasse le flingue et il l'achève. Elle a vraiment une valeur importante pour prendre autant de risques avec sa vie. C'est peut-être lié à un syndrome du sauveur, du héro, je ne sais pas...

Ensuite, la trouver n'a pas été simple, donc je ne vois que deux solutions, soit c'est quelqu'un proche de la maison, qui a les mêmes infos que nous, soit c'est quelqu'un proche d'Argos effectivement...

Le truc qui me gène c'est l'alarme... Déjà, déclencher l'alarme... C'est un risque à faire prendre aux otages, et en plus il se passe un temps infini entre cette sonnerie et l'entrée du type d'après la petite... Si ça avait été un gars d'Argos, il aurait su pour le système de sécurité, et Argos n'aurait pas été surpris. Ce n'est pas quelqu'un qu'il connait. Je ne pense pas que ce soit un disciple non plus... ça ne colle pas vraiment avec la psychologie d'Argos... Je l'imagine voulant être le seul coq de la basse cours.

Et il a attendu que la petite soit sortie...

Le téléphone sonne. C'est Courtène. Rocher le met sur haut parleur.

« Ils ont bien une blessée, grave, elle est au bloc. J'ai rien pu savoir de plus. Lamarck...

« Connectez-moi. Son ton ne laisse pas voix au chapitre, et elle ne laisse pas la personne qui répond en placer une.

« Allo. Maxine Laveau, NCAVC, badge N°Juliet Tango Tango 047101111. Passez-moi votre commandant. Ce n'est pas mon problème et ce n'était pas une requête. Dites-lui que les gars de la FF peuvent me valider. J'attends.

Devant le regard interloqué de Thomas, elle balance très vite :

« FBI, Analyse des crimes violents. On bosse souvent avec les gars du GIGN, Force Formation.

Elle met un doigt sur sa bouche.

« Mes respects Commandant.

Oui c'est exact. Je suis à 1 minute. Votre blessée est une des nôtres, tout simplement. Je vous demande très respectueusement de nous laisser entrer et de coopérer à cette enquête. Oui Commandant, une traque internationale, d'où ma présence. Je comprends Commandant, mais c'est une priorité. Le temps n'est pas de notre côté et je serais désolée de devoir appeler le Ministère pour...

Je ne me permettrais pas Commandant. J'apprécie. Oui à toute de suite.

Silence.

« Vous sortez d'où en fait ?

« Je vous l'ai dit, je suis une amie de Chloé, mais ça peut attendre. On arrive, il est furieux, vous me laissez faire

« Pas vraiment le choix

« Non

Ils passent les contrôles et se garent devant un grand bâtiment qui tient plus du hangar qu'autre chose. 3 militaires attendent devant la porte.

Ils sortent de la voiture, et alors qu'elle s'attend à un clash, le plus grand des 3 s'avance :

« Mes respects Madame. Commandant.

Je suis le Commandant Roland, permettez-moi de vous accompagner jusqu'au centre médical.

« Ce n'est pas vous que j'ai eu en ligne, n'est-ce pas ?

« Non Madame, mais le Lieutenant-Colonel Thibaud qui a été informé de votre arrivée, m'a demandé de m'occuper de vous et de faciliter votre travail autant que possible. Il m'a aussi demandé de vous présenter ses respects, et il regrette de ne pouvoir vous accueillir lui même.

Elle sourit.

« Je comprend Commandant, je connais la maison. Merci. Que pouvez-vous nous dire ?

« L'équipe bravo revenait du terrain, il l'ont trouvée allongée sur la route. Patchée, mais extrêmement faible. Ils l'ont ramené, elle est passée en top priorité dés qu'on a eu le go.

Elle regarde sa montre.

« A peine plus d'une heure depuis les évènements... Je vais avoir besoin d'avoir une liste des personnes qui connaissaient les détails de la mission de l'équipe bravo, et surtout son timing. Il n'a pas pu planifier, il a improvisé par rapport à la gravité de la blessure, il a du réfléchir vite, et agir encore plus vite pour la mettre sur leur route. Il connaissait le parcours.

« Bien Madame

Et se retournant vers l'homme à sa gauche :

« Caporal, exécution

Ils arrivèrent au centre médical au pas de course. Une infirmière attendait et le commandant les abandonna un instant pour s'entretenir avec elle.

« Elle a été touchée dans le dos et la balle est ressortie. Elle a perdu beaucoup de sang, et elle ne peut pas dire combien de temps va durer l'opération. Elle est entrée au bloc depuis trop peu de temps. Vous pouvez attendre là, elle vous donnera des nouvelles. Je m'occupe de ce que vous avez demandé. Et je tiens au courant vos collègues.

« Merci Commandant.

Thomas semblait perdu de nouveau, désespéré, tiraillé entre le désir d'enfoncer la porte et l'impuissance de ne pas pouvoir faire quoi que ce soit pour l'aider.

« On va s'assoir et attendre. Il n'y a rien d'autre à faire pour le moment. Ce sont des bons. Et on l'a retrouvé, c'est ce qui compte. Elle est en sécurité ici.

On l'a retrouvé, ce n'est pas pour la perdre.

Il passe ses mains sur son visage, et appuie fortement ses paumes sur ses yeux.

Quand il pose enfin son regard sur elle, elle frissonne tant il parait hanté.

« Je pourrais pas continuer sans elle.

Elle garde ses yeux droit dans les siens et prend ses mains à nouveau.

« Ni elle sans vous.

L'attente...

Pesante, épuisante, angoissante.

Assis, debout, assis, les 100 pas de nouveau...

Elle est vraiment son antithèse.

Assise, calme, griffonnant sur un cahier à spirales sorti de son sac, alors qu'il ne sait plus comment tromper son angoisse et semble décidé à creuser une tranchée dans ce couloir.

Et pourtant, elle est encore connectée à lui. Elle ressent ce qu'il ressent comme si chaque fibre de son corps captait ce qui émane de lui.

Elle ne lève pas les yeux, et commence à lui parler, en continuant ses gribouillages.

« Vous avez oublié ce que c'est d'être flic ? Non parce que moi à votre place, je me noierais dans le taff au lieu de culpabiliser, de ressasser le passé, ce que vous auriez pu faire, ou pas, ou différemment... Enfin, je dis ça...

Il s'arrête net. Il réalise qu'elle est là, qu'elle a raison, qu'il s'était de nouveau mué dans son silence et ses pensées, toutes plus négatives les unes que les autres.

« Je ne pars pas, je ne la laisse plus.

« Qui vous le demande ? Vous avez besoin d'être au bureau pour travailler ? Le truc entre vos deux oreilles ? Oui, vous avez compris ça fonctionne de partout, H24. Il faut juste le faire sortir de la bouillasse dans laquelle vous êtes en train de l'engluer.

Il la regarde sans savoir quoi lui répondre. C'est une énigme cette fille ! Si elle n'était pas dans sa tête sans qu'il comprenne pourquoi ou comment, il lui dirait bien d'aller…

« Bon. On va commencer par le début. Je m'appelle Maxine Laveau-Dupré, mes amis m'appelle Max, je suis française, née à Aix-en-Provence, mais ma famille est originaire de la Nouvelle Orléans. Je suis criminologue, entre autre, et je travaille avec plusieurs forces internationales, à établir des profils de vilains garçons afin de pouvoir les mettre hors d'état de nuire. J'ai connu Chloé à la fac, et travaillé avec elle à plusieurs reprises, surtout depuis qu'elle à pris le job à l'ONU. Nous sommes... Complémentaires... On va dire ça comme ça.

« Elle n'a jamais parlé de vous

« Elle vous a beaucoup parlé de ses fréquentations ? De son mari ?

Il fait non de la tête

« Voilà

« Ca ne me dit toujours pas comment vous êtes arrivé là

« Grégoire a appelé Chloé quand ça a commencé à se compliquer. Je venais de boucler une mission en Europe et j'étais à Paris quelques jours, avant de rentrer, elle m'a appelé. Mes... Accréditations me permettent de collaborer avec n'importe quelles forces de polices. Quand j'ai appelé Grégoire, vous veniez de partir, je vous ai rattrapé. Il a arrondi les angles. Surtout quand on a compris…

« Vous êtes complémentaires avec Chloé ? C'est à dire ?

« Dans la théorie, nous savons les mêmes choses, et nous les appliquons de la même manière. Sauf que je pourrais être un de ses sujets d'étude. Certains neurones, que l'on appelle miroir, permettent à l'humain d'imiter. C'est comme cela que l'on apprend à parler, c'est ce qui induit le mimétisme. Chez moi, cela va jusqu'à m'approprier les sentiments d'autrui. Mes facultés cognitives sont exacerbées, et je ressens les gens, les situations, jusqu'à me les approprier. Ce n'est pas toujours simple à gérer pour tout vous dire, mais ça aide dans le job.

Et là, le côté lion en cage qui culpabilise, sans vouloir vous offenser, c'est épuisant et très peu constructif.

« Vous êtes quoi ? Médium ?

« Et pourquoi pas un vampire tant que vous y êtes ? Je sais qu'on approche d'halloween et que j'ai le nom d'une prêtresse vaudou, mais il ne faut pas pousser... Ma condition physique entraine un fonctionnement différent de mon cerveau et de mes capacités cognitives. Ce n'est pas de la sorcellerie de supermarché, c'est de la science. Une forme d'empathie « plus plus ».

Bref si vous en savez assez pour comprendre on pourrait peut être se remettre au travail ?

Il arrête de lutter, il n'est pas en état.

« Je vous écoute

« Donc, je reviens à mon bonhomme... Un gars plutôt costaud, la quarantaine, lié d'une manière ou d'une autre aux forces de police et/ou de gendarmerie, peut être même l'armée, qui nous récupère votre équipière à priori pour lui sauver la vie.

« Qu'est-ce qui vous chagrine ?

« Qu'il nous l'ai rendu aussi vite

« Vous l'avez dit, il lui a sauvé la vie, je ne vais pas lui en vouloir pour le coup.

« Vous devriez. Il a pris un risque énorme. Il aurait pu nous attendre, on était tout proche, on l'aurait prise en charge, il contrôlait la perte de sang. Il l'a emmené au risque qu'elle succombe à une hémorragie massive et l'a laissée au milieu d'une route où ils auraient pu l'écraser.

« Sauf que ces gars ont sont super entrainés et tout ce qu'il faut pour s'occuper d'elle très vite.

« Certes. Mais quel est le but de la manœuvre ?

A part risquer que vous vous met...

Elle se lève et le regarde

« Quoi ?

« C'est vous la cible. Il vous l'a prise. A vous. Pour vous rendre dingue et vous faire du mal. Il l'a mise dans une position où il lui fait courir de gros risques mais en même temps, il lui sauve la vie. Vous devriez le haïr pour avoir joué avec elle, avec sa vie, vous lui êtes reconnaissant de l'avoir sauvé. Double effet kiss cool : Il se délecte de votre souffrance, souffrance qu'il induit et pour laquelle vous le remerciez. Une version bien perverse du complexe de Dieu.

« Attendez, je ne vous suit pas. Vous pensez qu'il s'est servi de tout ça contre moi ! C'est du délire. C'est Adèle qui a été enlevée, par Argos. Elle était en train de s'enfuir quand il lui a tiré dessus. Argos, pas votre gars là.

« Oui je conçois que ce soit bizarre. Essayer de me suivre. On a un homme mûr, patient, sûr de lui. A tel point, qu'il prend des risques ahurissants avec la vie des autres. D'abord déclencher l'alarme, pour faire monter la pression et voir ce qui se passe ensuite, rester en observation, encore, pour s'insérer dans l'action au moment qu'il juge opportun. Pas avant qu'elle ne soit blessée, alors que l'arme est à porté d'Argos et qu'il y a encore danger pour les otages, pas quand elle est blessée, non, il attend d'être seul avec elle. Il veut être le seul maître du jeu. Il juge de son état, la stabilise, il prend le temps de le faire, et il l'emmène, sous votre nez. Il s'éclate à vous imaginer arrivant une seconde trop tard, vous étant fait coiffer sur le poteau…

C'est l'attitude de quelqu'un qui maîtrise parfaitement les protagonistes, et surtout vous. Il vous connaît, vous a observé, il sait que vous allez arriver et la chercher, que vous ne renoncerez pas, et il vous prend l'une des deux choses qui ont le plus de valeur pour vous.

« Nom de Dieu !

Thomas compose le numéro de Lucas, et se fige en entendant les sonneries. La voix endormie de son fils lui répond. Il se remet à respirer.

« Lucas, pardon, je voulais te dire qu'on l'a retrouvé. Je n'ai pas réalisé l'heure. Je te rappelle demain. Je t'aime, Lucas.

Max avait appelé Grégoire de son côté pour lui exposer sa théorie, et demandé à ce que tout le monde soit mis en sécurité.

Ils étaient l'un en face de l'autre, presqu'essoufflés du rush d'adrénaline, quand le médecin est arrivé. Il avait l'air épuisé, et bien trop sérieux.

« J'ai réparé les dégâts causés par la balle, et stoppé l'hémorragie. Elle a eu de la chance, la personne qui nous l'a déposé, savait ce qu'elle faisait.

Thomas allait parler, mais le médecin l'a interrompu.

« Cependant, si aucun organe vital n'a été endommagé gravement, la perte de sang a été importante, et cela a affaibli son cœur. Ca et l'opération, cela fait beaucoup à encaisser pour son corps. J'ai du la mettre dans le coma artificiellement, pour le moment. Avec une assistance respiratoire.

« Pour combien de temps ?

Sa voix n'est qu'un murmure

« Je ne peut pas le dire à ce stade. Cela va dépendre de sa réaction durant les prochaines 24 heures.

« Je peux la voir ?

« Le temps qu'on l'installe

Le médecin est parti et Thomas s'est écroulé sur une chaise. Et encore une fois, Max s'est accroupie devant lui et a pris ses mains dans les siennes.

« Elle est en vie Thomas. Et vous me l'avez dit, elle est forte, c'est une battante. Elle ne va pas renoncer, pas maintenant qu'Argos es mort et que vous faite parti de ce qui lui reste à vivre. Laissez-lui le temps, et elle va se remettre. Elle va se réveiller, faites-moi confiance. Vous allez rester là, avec elle, je vais arranger ça avec le Colonel. Je vais vous faire apporter des affaires, et des choses à elle aussi, de la musique son parfum, le votre. Un des doudous du petit. Je veux que vous lui parliez, que vous la touchiez. Stimulez son cerveau, parce que lui, il continue à travailler. Et même inconsciente, elle saura que vous êtes là, et ça va l'aider. Et quand elle ouvrira les yeux, elle ne sera pas inquiète.

Il a levé les yeux et l'a regardé intrigué.

« Vous ne dites pas ça pour me rassurer n'est-ce pas ? Vous…

Son regard s'est voilé un instant, sa voix s'est cassée.

« Disons que je parle d'expérience…

Elle s'est reprise très vite lorsque l'infirmière est arrivée.

« Allez-y, je vous tiens au courant.

Elle est restée un instant immobile au milieu de ce couloir, transportée des années en arrière, et plus récemment encore, les larmes ont perlées au bord de ses cils, et la panique a commencée à l'envahir. C'est la douleur de ses ongles faisant saigner sa paume, qui l'a ramené à la réalité.

Elle s'est remise en mode travail, son esprit étant déjà passé à sa conversation avec le Colonel, et ensuite au brief à la DPJ…

Lorsque Thomas est entrée dans la chambre, ce qui l'a le plus surpris, c'est la taille de la machine à laquelle elle était reliée. Elle si petite, si frêle, et cette énorme chose, ce bip…

« Je peux vous apporter quelque chose Commandant ?

« Non merci, je… Je ne sais pas en fait… Je…

« Ne vous inquiétez pas. Prenez le temps. Je suis juste dehors s'il vous fallait quoi que ce soit.

« Oui, merci.

Il s'est approché. Il n'osait pas la toucher, et en même temps, c'était presque vital. Il a posé sa main sur la sienne, et il s'est remis à respirer. Le contact de sa peau, sa chaleur, elle était là. Et bientôt, il y aurait aussi son sourire, sa voix, son regard…

Il s'est approché encore et a touché sa joue, replaçant cette mèche de cheveux qui ne voulait décidemment pas rester derrière son oreille. Il avait l'impression qu'une vie s'était déroulée depuis la dernière fois qu'il avait caressé sa joue, à la DPJ, pourtant à peine plus de 72 heures.

« Je suis là. C'est bien moi tu vois, et je vais rester là. Je ne te quitte plus.

Je sais que tu vas avoir besoin de temps, et ce n'est pas grave, parce que tu en sécurité maintenant, et puis moi, j'ai des tas de choses à te dire.

Il a déposé un baiser sur son front, a tiré la chaise qui était là près du lit, repris sa petite main dans la sienne, et dans sa tête il n'y avait qu'une seule prière : « ouvre les yeux ».

Elle s'était garée devant la DPJ, mais n'était pas entrée.

Elle s'était assise sur le quai, à même le sol, et regardait la cathédrale changer de couleur au fur et à mesure que le gris de l'aube, cédait la place au feu du ciel.

Elle avait envie d'un café, elle avait faim et aurait tué pour une cigarette, elle qui n'avait jamais fumé…

Et c'est ce qui l'empêchait de rentrer et de prendre en charge ces gens, cette équipe, leurs angoisses. Il fallait qu'elle le sorte de sa tête d'abord.

Paris n'était pas bon pour elle, parce qu'il était partout où elle posait le regard. Pas qu'elle l'ait oublié, non, elle ne pourrait jamais l'oublier, il faisait parti d'elle, il avait toujours fait parti d'elle, et cela ne changerait jamais. Mais ici, il n'était pas sa force. Ici, il n'y avait que la peine.

Son téléphone a sonné. C'était Chloé

« Hello Red.

« Comment ça va ?

« Elle va s'en sortir. Ca risque d'être long, mais ça va aller. Thomas est avec elle, il va gérer je pense. Il faut juste que je fasse attention à sa culpabilité. J'imagine que Grégoire t'a parlé de mes théories, du coup…

« Je parlais de toi…

Un silence, l'angoisse qui monte

« Tant que j'ai du travail dans lequel me noyer, ça va aller.

« Je ne sais pas si ça me rassure vraiment…

« Il faut que j'y aille ma belle. Embrasse les enfants pour moi. Je te tiens au courant.

Elle a coupé, s'est relevé. Le travail. Voilà. La santé parait-il… Tu parles d'une connerie !

Quand elle est entrée, elle a trouvé l'endroit plutôt silencieux eu égard à l'activité. Ils n'avaient pas plus dormi qu'elle, étaient angoissés pour leurs amis, mais fonctionnels. Elle allait pouvoir en faire quelque chose.

« Grégoire

Il s'est retourné et l'a prise dans ses bras.

« Silence tout le monde, venez par là.

Je vous présente Maxine Laveau-Dupré. Elle fait partie d'une force internationale qui traque les criminels violents afin de les traduire en justice. Elle travaille notamment avec Chloé à New York, et vient nous prêter main forte. C'est elle qui nous a permis de retrouver Adèle hier soir.

Applaudissements. Elle lève les mains pour demander le silence.

« Je vous remercie, mais c'est un vrai travail d'équipe. Vous êtes bons, vous pouvez être fiers de vous, mais je veux que vous soyez meilleurs encore. On n'a pas fini. Ce gars, il faut le trouver, et vite.

« En l'absence du commandant Rocher, Max va prendre la tête de cette enquête, sous ma responsabilité. Avec son expertise et ses ressources, et votre travail, Je n'ai aucun doute sur l'issue de cette affaire.

« Je pense qu'on a besoin d'un brief. Equipe réduire. Si vous avez une salle de réunion ? Et du café, beaucoup de café…

Grégoire montra le chemin à Max, suivi d'Hyppo et d'Emma, et Jess parti chercher du café. Ce n'est que quand ils furent tous dans la pièce, que Max ferma la porte et commença.

« A part pour les personnes qui sont dans cette pièces, je veux une classification absolue de cette affaire. On ne fait confiance à personne, je veux un niveau élevé de paranoïa. Ce type est de la maison, d'une manière ou d'une autre, on part du principe qu'il est partout.

L'équipe qui garde les enfants est une équipe privée, avec laquelle j'ai travaillé, même moi je ne connais que leur boss. Et je ne sais pas où ils sont. Je sais que ça va être difficile pour vous, mais pour leur sécurité, pas de communications, pas de technologies.

Ça va être pareil pour nous. Tout ce qui est sensible ne passe pas par un réseau. Je veux que vous ayez des carnets et des crayons, sur vous, et l'info passe oralement, de préférence dans des lieux où l'on est surs de ne pas être écoutés.

Si l'on doit ajouter des membres à ce groupe, je veux qu'ils aient été passés à l'autoclave avant.

« Et pour Adèle et le Commandant ?

« Ils ne peuvent pas être plus en sécurité. Il y a une différence entre avoir des infos sur les gars du GIGN et jouer dans leurs camps. Et je pense qu'ils l'ont pris assez personnellement cette histoire…

J'ai besoin de lire tous les rapports des affaires que vous avez bouclé depuis 6 mois, en dehors du cas Argos. De voir les pièces à convictions, les personnes impliquées. On va commencer par celles où le méchant est décédé, ensuite celles où il va prendre perpète, et ainsi de suite.

Avant ça je veux voir la sœur d'Adèle, et après je l'envoi rejoindre les enfants.

Vous voyez autre chose ? Des questions.

« Oui. Pourquoi juste 6 mois ?

« Parce qu'il s'en est pris à Adèle en premier, pas à Lucas. Elle n'est pas qu'un moyen d'atteindre Rocher, je pense… Elle est impliquée dans l'histoire. Après Courtène, si un truc vous chatouille c'est que ça mérite d'être creusé. Faites confiance à vos trippes.

«Alors je pense qu'il faut que vous voyiez la belle sœur de Rocher. Jess, tendue.

« Développez Kancel.

« Elle s'est jetée au cou de Thomas, et a tout fait pour faire du mal à Adèle. Jusqu'à un faux témoignage dans le meurtre de l'avocat. Elle sait peut être quelque chose.

« Qu'on l'amène. Avec les bracelets. Et oubliez-là en salle d'interrogatoire. Je la veux mal à l'aise.

Autre chose ?

« Je crois qu'il faut que tu parles à Lucie Camus, et au Commissaire en charge de l'équipe Marceau. C'est un gros morceau, mais, vu les retombées, il y a des chances pour que ce que tu cherches soit enterré la dedans.

« C'est l'histoire de la juge ? C'est pour ça que tu as mis la petite Fournier sous protection avec les enfants ?

« Oui

« Ok… Faites-là venir Kancel, mais sous un faux prétexte. Je ne veux pas impliquer une autre équipe. Pas de pression.

Tomasi, on ne vous a pas entendu. Qu'est-ce que vous avez dans la tête ? Feu !

« Je... J'étais pas là… Je… Je reviens juste… Non, rien, vraiment

« Il va falloir qu'on discute vous et moi, mais pas maintenant.

Allez, au travail !

Oh et personne ne parle de Rocher et Adèle. Personne. Et je veux savoir si quelqu'un pose des questions.

La messe ayant été dite, chacun est parti, et Max s'est retrouvée seule. Elle s'est resservi un café, et s'est mise à respirer lentement, pour se purger de tout ce qu'elle venait de se prendre en plaine figure.

« Tu parles d'un don…

On a tapé à la porte, c'était Sarah.

« Bonjour Sarah, entrez je vous en prie. Asseyez-vous. Je vous sers un café ? Quelque chose ?

« Un thé, je veux bien.

Tout en le lui préparant, le dos tourné, elle remarqua tout de suite le calme de la jeune fille. Et ça, ce n'était pas bon, pas bon du tout.

« Je vois que vous avez pu vous changer. Désolée pour les fringues, pas vraiment tendance.

Son sourire et le contact de la tasse chaude ont immédiatement mis la jeune fille en confiance, et elle a souri.

« Je dois vous dire Sarah, que vous m'avez épaté. Vous avez fait preuve d'un sang froid impressionnant, et grâce à vous, on a retrouvé votre sœur en un temps record.

Elle aurait du réagir positivement au compliment, elle tique sur le mot sœur. Elle mort sa lèvre inférieure, ses pupilles se dilatent, son regard devient fuyant, quelques dixièmes de secondes.

La peur.

« Sarah. Mon métier est de lire les gens. Je ne vais pas vous balader, ce que je lis de vous ne me plait pas.

Surprise, peur à nouveau. Plus intense.

« Je sais à quel point tout cela est déstabilisant. Apprendre qu'on a une sœur, se faire enlever, utiliser par un psychopathe qui a poursuivi cette même sœur pendant des années, voir des gens mourir… Bref… C'est normal d'avoir peur, et d'être en colère. Et de vouloir à nouveau se sentir en sécurité.

Mais cette sécurité, ce n'est pas à vous de l'assurer, c'est à nous. C'est notre boulot de vous expliquer, de vous rassurer et de vous protéger.

Et là, ce calme apparent, ce sang froid, ce n'est pas normal. Cela s'appelle de la dissociation. Vous faite complètement abstraction de tout ce que vous avez vécu de traumatisant, comme si c'était juste un film que vous auriez vu. Et pour moi c'est la pire des choses, parce que j'ai besoin de vous. J'ai besoin de savoir ce que vous avez perçu, pour trouver le type qui a emmené Adèle cette nuit là.

Les mains de Sarah se mettent à trembler. Elle refuse de tout son être de revivre ça, mais elle sait qu'elle doit. Elle est en panique.

« Ecoutez-moi. Voilà ce que l'on va faire. Je vais retourner là-bas avec vous, virtuellement, et ensemble nous allons trouver ce dont j'ai besoin pour arrêter ce type, puis je vais vous mettre à l'abri, avec votre neveu, le fils du commandant Rocher… Avec la meilleure protection qui soit. Celle des rock stars et des Présidents. Promis. Et vous prendrez le temps de vous remettre, vous pourrez poser toutes les questions qui vous travaillent. Ok ?

Elle pleure à chaudes larmes, mais en silence, elle fait oui de la tête.

Max dispose leurs fauteuils face à face, elle prend ses mains dans les siennes, ses pouces posés sur les poignets de la jeune fille.

« Je veux que vous fermiez les yeux et que vous respiriez calmement. Inspirez avec le nez, et soufflez avec la bouche. Lorsque vous inspirez, vous gonflez le ventre, en expirant, vous le rentrez, voilà, avec moi, calmement. Inspirez, expirez.

On va revenir au moment où nous sommes arrivés. Vous courriez au milieu de la rue, Thomas vous a pris dans ses bras. Vous étiez sauve, en sécurité. Vous nous avez dit qu'Adèle était blessée, conduit à la maison et Thomas s'est précipité. On est restée toutes les deux et on a parlé, vous m'avez raconté ce qui s'est passé. Vous étiez en sécurité, vous vous souvenez ?

Elle fait oui de la tête.

Maintenant je veux que vous vous concentriez sur vos sensations physiques : Chaud, froid, douleur, parfums…

« J'ai froid, et mal aux pieds… Je… Je suis pieds-nus et j'ai couru, je suis écorchée.

« C'est bien. Quoi d'autre. Vous entendez quelque chose ? Vous sentez un parfum ?

« Ça sent la fumée je crois, la campagne, les feuilles mouillées. Il y a les sirènes…

« Ok, c'est bien. Revenons avant ça. Avant que vous sautiez par-dessus le portail de la maison. Vous avez traversé le jardin. Décrivez-le-moi.

« Il est à l'arrière de la maison, un carré de pelouse entouré d'arbres. Il y a une allée contre le mur au fond, a droite, et une autre maison sur la gauche.

« Parlez-moi de ce jardin, il est carré, avec des arbres. C'est grand ? Qu'est-ce que vous ressentez dans ce jardin ? La liberté d'être dehors, le froid de la nuit ?

« Oui c'est grand, avec de la végétation. Il fait nuit mais je vois où je vais, je dois trouver de l'aide pour Adèle.

Elle s'agite, elle panique à nouveau

« Calmez-vous Sarah, je suis là, avec vous. Adèle est saine et sauve. Vous faite du très bon travail. Parlez-moi encore du jardin. Vous vous êtes retournée, pour regarder la maison ?

« Non, non je cours vers le portail au fond de l'allée, je glisse, c'est mouillé, et j'ai peur, je… Je…

« De quoi avez-vous peur ?

« L'alarme. L'alarme a sonné, mais ce n'est pas vous. Il y a forcément quelqu'un mais je ne vois personne. J'ai peur qu'on me reprenne.

« On ne vous a pas repris. Vous êtes avec moi. Quand vous avez glissé. Revenez à ce moment. Vous glissez, et vous vous relevez. Faite pause. Qu'est-ce que vous voyez ?

« Rien… Je ne vois rien… Mais je sens… Je sens… Une odeur… De cigarette

Elle serre fort les yeux.

« Il est là, il est là et il me regarde en fumant.

« Calmez-vous Sarah. Vous avez été top. Je veux que vous emmeniez votre esprit en dehors de cette maison, de ce jardin, que vous respiriez calmement. Vous êtes en sécurité maintenant. Et grâce à vous, je vais l'attraper.

Ouvrez les yeux.

Max avait tenu parole, elle lui avait fait apporter un sac avec des affaires pour Adèle.

Sa brosse à cheveux, un grand tee shirt et un short, une bouteille d'eau de rose, des cotons, un flacon d'eau de Cologne… Mais aussi de quoi la rassurer : une des peluches d'Ulysse et sa boîte à musique, son Ipod et une paire d'écouteurs, Le petit prince de Saint Exupéry, avec un marque page en forme de squelette de dessin animé…

Quelques affaires pour lui aussi, et un mot.

Dans un premier temps ça devrait faire l'affaire. Le plus important est qu'elle entende votre voix, et celle de ceux qu'elle aime. J'ai ajouté une vidéo d'Ulysse avec Jess sur l'Ipod, je vous en amènerai d'autres.

Il avait commencé par lui expliquer que sa sœur et Ulysse allaient bien, qu'ils étaient en sécurité. Que si elle n'ouvrait pas les yeux pour lui, il fallait qu'elle le fasse pour cet enfant, parce qu'il n'avait plus qu'elle. Il lui avait dit où ils se trouvaient, que ce n'était pas vraiment un hôpital normal et pourquoi, et avait tenté de la rassurer, de lui expliqué tout ce qui s'était passé, dans le moindre détail. Et tout cela sans lâcher sa main.

Il avait fini par s'endormir, et c'est l'infirmière venue prendre ses constantes qui l'avait réveillé. Elle avait insistée pour qu'il se rafraichisse et qu'il mange, et visiblement, elle n'était pas habituée à ce que l'on contredise ses ordres. Il se sentait mieux au demeurant.

Il avait placé la peluche contre son cou, et mis la boite à musique en marche. Brahms bien entendu. Il avait eu la même pour Lucas. Il s'était assit dans le fauteuil plus confortable qu'on lui avait amené un peu plus tôt, et avait commencé à feuilleter le livre. Des passages étaient souligné au crayon gris : Connaître ce n'estpasdémontrer, ni expliquer. C'estaccéder à la vision […] Dans le désert au crépuscule, on s'assoit sur une dune, on ne voit rien, on n'entend rien et cependant quelque chose rayonne en vous […]Tu es responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé.

Il avait levé les yeux sur elle… Est-ce qu'il l'avait apprivoisé ? Ou était-ce l'inverse ? Qui était responsable de l'autre ? Il avait l'impression d'avoir faillit à son devoir.

Il avait reposé le livre, et pris l'Ipod. Il était arrêté sur Amy Winehouse, Our day will come… Ca l'a fait sourire. Il a mis un écouteur dans son oreille, et a gardé l'autre. Ils ont partagé ce moment…

Il s'est demandé si elle le connaissait aussi peu que ce que lui la connaissait mal, alors même qu'ils passaient presque toutes leurs heures ensemble… Et c'est ce qui l'a incité à parler.

« Laveau a dit que je devais te faire la conversation, mais je t'avoue que je ne sais pas bien par où commencer… Max déjà… Une amie de Chloé… Je me demande si toi tu la connais. Elle a pris les choses en main. Toute l'équipe est sur le pont et on va trouver ce type.

Elle m'a fait porter des affaires pour toi. Et du coup je réalise que je ne sais pas grand-chose de ce que tu aimes. Ce que tu lis, ce que tu écoutes… On n'a pas vraiment les même gouts musicaux, à part peut être pour le classique….

Et de lui parler de ce que lui aimait, Les vannes étaient ouvertes, le temps semblait s'être arrêté. Lui parler de son fils qu'il aimait par-dessus tout, de sport en général, des sports de combats en particulier, de son goût pour la vitesse. Mais aussi pour la mer, l'océan. Il connaissait un endroit magnifique à 2 heures de Paris…

« Je suis sûr que tu adorerais.

Du coup, ça m'effraie un peu tout ça, tu sais…

Il pose de nouveau sa main sur la sienne.

« Je pense que tu en sais bien plus sur moi que je n'imagine, parce que c'est toi ça, tu observes, tu recoupes. Qu'est-ce que tu pourrais ignorer ? Et qu'est-ce que tu détestes ?

Tu vas m'en vouloir, forcément, parce que tu avais confiance en moi, et que j'ai laissé ça arriver. Pour te sortir de cette histoire, il a presque fallut que tu meures, et c'est insupportable ! Comment tu vas pouvoir me pardonner ça ? Après Camille, Aurélie, je…

Sa main qui bouge. Il a rêvé, c'est la fatigue. Non. Encore une fois, son doigt.

Il sonne précipitamment l'infirmière, qui arrive dans la seconde.

« Elle a bougée

« Sortez Commandant.

Il sort à reculons, l'inquiétude chevillée au ventre alors que le médecin et d'autres entrent dans la petite chambre.

Après ce qui lui semble une éternité, le médecin le rejoint dans le couloir.

« Comment va-t-elle ?

« Rassurez-vous, ces mouvements que vous avez vu ne sont pas des signes négatifs, ou de douleur. Ce sont des signes très positifs d'une amélioration de son état. Nous l'avons donc sortie du coma artificiel et enlevé l'assistance respiratoire.

Cependant, n'imaginez pas qu'elle va se réveiller tout de suite. Son corps est encore faible, et il va lui falloir encore du temps pour se réparer. Et je ne peux pas vous dire combien de temps. La stimulation est une excellente chose. Continuez et ne perdez pas courage.

« Merci

L'infirmière lui fait signe de rentrer, lorsqu'on l'interpelle.

« Commandant

« Courtène ? Qu'est-ce que vous faites là ? Tout va bien ?

« Oui, oui rassurez-vous. Max voulait que je vous donne des infos, et pas au téléphone.

Comment elle va ?

« Ils l'ont sorti du coma artificiel. Maintenant c'est à elle de jouer…

Courtène pose sa main sur son épaule, et après un échange de regards, ils retournent dans la chambre. Rocher reprend sa place dans le fauteuil, et Hypo prend la chaise.

« Parlez-moi

« On a avancé Commandant. Max a pu tirer plus d'informations de Sarah avant de la faire mettre en sécurité. Elle a envoyé Jess jouer les nounous du coup, ça commençais à faire beaucoup de gosses. Mais c'est une bonne chose, vu son état, qu'elle soit là-bas.

Donc, on sait que le kidnappeur était dans le jardin quand la petite s'est enfuit, et qu'il fumait. On y est retourné, mais on n'a trouvé que des cendres et une marque de brulure sur un arbre, il a emporté le mégot.

« Pour l'ADN ?

« Oui. Ca confirme l'idée selon laquelle il connaît parfaitement nos procédures. Il a probablement utilisé un talkie sur une fréquence UHF, pour nous écouter, parce qu'aucun portable ne s'est connecté à un relais dans la zone. Même remarque avec les images, il a évité toutes les caméras possible, sans parlé d'ici… Ils ne savent toujours pas comment le mec connaissait la mission… Par contre pour le coup, avec l'histoire de la cigarette, on sait qu'il mesure dans les 1m 75 pour 70 kg et qu'il est gaucher.

La doc a examiné le corps d'Argos, rien de plus, pareil avec l'IJ. Il avait des gants notre bonhomme… Quant à la femme d'Argos, c'est un légume, on ne peut rien en tirer…

« Et il le savait. Il l'a considéré comme un meuble de plus dans la pièce dès le début.

« Oui… On a ré examiné tous les dossiers depuis 6 mois, enfin on est en cours, mais plus on avance, plus Max pense que c'est lié à l'affaire Marceau.

« Oui, ça collerait à sa théorie… Et c'est moi qui l'ai tué la juge…

« Oui… Elle est étrange la copine de Chloé non ? J'ai l'impression qu'elle est dans ma tête tout le temps…

« Oui c'est un peu ça. Mais c'est elle qui l'a retrouvé. Je pense que ça mérite notre confiance.

« Oui. Bien sur…

Alors… Heu… Elle s'est aussi payé votre belle sœur… Et pas tendrement… C'était effrayant pour tout dire, elle l'a dépecée avant de la passer à la moulinette…

Thomas s'était tendu

« Elle a tout balancé, comment Baranski l'a approché, l'a manipulée sous prétexte de vengeance, les coups, le faux témoignage, tout. Mais pour elle c'était une flic ripoux des bœuf carottes, elle n'était même pas au courant pour Argos, encore moins de l'enlèvement d'Adèle. Et croyez-moi, elle n'a pas menti, elle avait pas envie…

Max l'a faite déférer chez le juge pour être mise sous contrôle judiciaire. Une copine la juge à priori. Elle a demandé une faveur au parquet et à la Présidente du tribunal, rien que ça… Adèle est hors de cause, du coup… Enfin…

Elle est aussi partie voir Baranski. Et là je dois vous dire, ça me fait plutôt plaisir…

Ah oui, elle m'a demandé de vous donner ça. C'est un message de chacun de nous. Elle dit qu'entendre notre voix lui fera du bien. Il y en a un de Chloé aussi.

Thomas pris le dictaphone en souriant.

« Elle pense à tout

« Ouaaaai effrayant hein ? Elle a quelque chose de pas humain, je vous dis… Vous saviez qu'elle est de la nouvelle Orléans et qu'elle a un nom de prêtresse vaudou ?

Bon j'y retourne. Elle a dit qu'elle passerait plus tard. Si elle a des plumes dans les cheveux, fuyez !

« Courtène ?

« Oui ?

« Merci…

Hippo parti, il se cala dans le fauteuil, et se mit à réfléchir… Il fini par mettre le dictaphone en marche. Il était un peu gêné d'entendre ces messages, les gazouillis du petit Ulysse, la voix de son fils, même si c'était réconfortant pour lui aussi, il avait l'impression de ne pas être vraiment à sa place à ce moment là.

Jusqu'au message de Chloé…

« Coucou. Et coucou Thomas, parce que j'imagine que vous êtes là. Vous m'en aurez fait voir tous les deux… Enfin, bref, on ne va pas commencer à ressasser, on va finir par tous pleurer… Enfin, moi surtout. Bon Adèle, il faut que tu sois compréhensive, Thomas, ce n'est pas un grand communiquant alors, dis-toi bien qu'il fait ce qu'il peut. Par contre, toi tu n'es pas du genre à rester endormie pendant que les autres travaillent. Et ne me dis pas que ton cerveau lui travaille, parce que je le sais bien mais ce n'est pas le sujet. On a tous besoin de toi ici, alors même si c'est confortable ce coma, même si tu as gagné le droit de te reposer, il faut faire encore un petit effort. Et vous Thomas, au lieu de vous demander par quel bout commencer la conversation, parlez-lui de vous, tout simplement.

« Elle vous manque pas vrai ?

Max, dans la porte, attendant que la bande se termine, un énorme sac à ses pieds.

« Oui. 4 ans à partager le quotidien de quelqu'un ce n'est pas rien.

« Surtout de quelqu'un comme elle…

Ils sourient.

« Vous avez du nouveau ?

« Oui. Tout plein.

Mais avant ça comment vous allez ?

J'ai vu le toubib pour Adèle. Mais, sans vous vexer, vous avez vraiment une sale tête.

« Je vous remercie… Il lui jette un sourire las

C'est pas simple en fait… J'ai un peu perdu la notion du temps, de ce que je raconte, mais je fais comme vous avez dit. C'est juste un peu décourageant de ne pas savoir si elle m'entend…

« Elle vous entend. Croyez-moi. Elle ressent votre présence, son cerveau enregistre les mots, quand vous la touchez, les parfums…

« Vous… Vous êtes ?

« Non, encore une fois je ne suis ni medium, ni télépathe. Mais…

Un de mes amis est resté très longtemps dans le coma avant de se réveiller. Pendant que j'étais étudiante. Du coup, j'ai un peu planché sur le sujet. Je crois même que c'est pour parti ce qui m'a fait opter pour mon choix de carrière. Alors vous pouvez me croire quand je vous dis que c'est important et que ça marche.

Vous êtes toujours aussi sceptique quand il s'agit de vous ?

Son téléphone sonne.

« Excusez-moi une seconde.

Et elle sort.

Il s'approche du bord du fauteuil, prend la main d'Adèle, et embrasse ses doigts.

« Je suis si mauvais que ça ? Non parce que là, deux psychologues qui me rembarrent en moins de 10 minutes… Ce serait si simple si tu ouvrais les yeux…

Et comme une prière, il s'est penché vers sa main, posant son front sur le bout de ses doigts, et a murmuré :

« S'il-te-plait… Ouvre les yeux…

Elle a pris une grande inspiration, qui a traversé tout son corps.

Il s'est redressé, regardant ses yeux bouger sous ses paupières. Elle gémie.

« Quelqu'un vite !

Il s'est levé, s'est approché de son visage, caressant sa joue.

« Je suis là Adèle. Ouvre les yeux. Je sais que tu m'entends. Je t'en prie, ouvre les yeux

Et tout doucement ses paupières se sont levées, péniblement. Elle les a fermées de nouveau.

« Ouvre les yeux

Et elle a fini par les ouvrir…

Le réveil d'Adèle avait permis à tout le monde de mieux respirer.

Même si elle était très faible, et incapable de parler pour le moment, ça avait redonné un coup de fouet à l'équipe.

Max les avait envoyé prendre un peu de repos, et fait prévenir Jess.

Lamarck n'avait pas eu plus de choix.

Il allait maintenant falloir convaincre Thomas de bouger, et ça, c'était le plus compliqué.

Il la rejoint dans le couloir alors qu'elle raccroche son portable.

« Je croyais qu'il ne fallait pas utiliser de portables ?

« C'est un jetable, j'en change toutes les six heures. Pas de GPS, quasiment intraçable si on reste sous les 3 minutes.

« Vous me faites peur, vous savez ça ?

Son soulagement faisait du bien à voir. Elle sourit en réponse à son sourire.

« Vous réalisez que ce n'est qu'un premier pas n'est-ce pas ?

Ca risque d'être long Thomas. Et elle va avoir besoin de parler à quelqu'un parce qu'elle va se sentir impuissante et angoissée, qu'elle n'est pas encore transportable, et ici, impossible de faire venir son fils. Et même si j'ai été l'élément perturbateur dans la stratégie du kidnappeur, c'est fini pour l'effet de surprise, il m'a prise en compte et il peaufine son plan pour vous atteindre.

Parce que la cible c'est définitivement vous. Vous en êtes conscient ?

« Faite une pause deux secondes. S'il vous plait.

J'ai besoin de recharger un minimum les batteries.

Et vous aussi j'imagine? C'est quand la dernière fois que vous avez dormi ?

« Je sais pas. On est quel jour ?

Sourires à nouveau.

« Ok. Mais c'est pas en dormant dans un fauteuil que vous allez récupérer.

« Vous avez fait quoi vous, quand votre ami s'est réveillé ?

Une grande gifle, pleine figure, KO technique.

« Je… C'était différent. Je n'étais pas là…

L'infirmière est arrivée, la sauvant d'une conversation qu'elle ne voulait pas avoir.

« Commandant, nous allons la transférer dans une chambre plus confortable. Vous pouvez la voir avant, pour lui expliquer. Mais ensuite je vais vous mettre à la porte. Je vous conseille d'en profiter pour rentrer chez vous.

« Merci. C'est une excellente idée.

« Quoi ? Non.

« Je vous le rend dans 2 minutes

Thomas, je vous embarque, on passe chez vous récupérer des affaires, on fait un point en même temps et je vous ramène.

« Je ne la laisse pas seule ici

« Elle ne sera pas seule

Ils se retournent en même temps. C'est Lamarck accompagné de Jess.

« Avant que vous fassiez une quelconque remarque, je vous rappelle que c'est encore moi qui commande. Elle a besoin d'avoir des nouvelles de son fils, et vous de couper un peu. Nous allons assurer l'intérim. C'est un ordre.

Il n'y a rien à dire. Jess serre Thomas dans ses bras, quand l'infirmière lui fait signe qu'il peut venir.

« Je reviens

Elle semble encore groggy, mais elle est consciente. Son cœur se serre, mais il se force à sourire. Il s'approche et s'assied au bord du lit, caressant sa joue.

« Hello… C'est bon de te revoir parmi nous.

Les médecins disent que tu vas bien et que tu vas être transférée dans une chambre plus… Enfin moins… Militaire. Je ne vais pas pouvoir rester mais, Jess est là, et dès que ce sera possible elle viendra, comme ça tu auras des nouvelles d'Ulysse de première main.

« Tu…

« Shhhh… N'essais pas de parler, laisse toi le temps, d'accord.

Mais elle est têtue, elle s'entête

« Tu… pars

« Pas longtemps, je te le promet. Juste prendre quelques affaires, tu ne vas même pas t'en rendre compte.

Elle ferme les yeux, semble soulagée.

Il embrasse son front.

« Je ne te laisse plus seule. Et je reviens le plus vite possible. Repose-toi.

Il a l'impression de peser une tonne lorsqu'il sort de la chambre quand l'équipe médicale y entre. Il lève la tête vers Max.

« Je vous accorde 1 heure

« Vous m'avez vu conduire ? Ce sera largement suffisant.

Ils sortaient du camp comme s'ils étaient poursuivis, toutes sirènes dehors, et il était en train de penser qu'il aurait du lui accorder 1 heure de plus, quand elle entra directement dans le vif du sujet.

« Alors, Baranski… Un morceau la dame… Une vraie psychopathe, un cas d'école, de type plutôt perverse mais avec une faculté d'adaptation impressionnante. Elevée par papa et maman pour devenir le pion parfait dans le jeu de maniaque de papounet, dès le berceau, « tu seras haut gradé de la police ma fille ! » Ou juge… Bref, comme lui est un pur exemple de pervers narcissique, comment vous expliquer… Un mélange entre Gilles de Rais et Charles Manson ?

« Je vous crois sur parole

« Ok… Disons que l'on se retrouve avec quelqu'un qui est hautement manipulable, voire même qui voue une obéissance aveugle à son père, et qui, comme elle a été élevée en pensant que même trucider quelqu'un, si papa le demande, c'est bien, pourrait tomber dans la sociopathie si elle n'avait pas un gros défaut : elle ressent !

Du coup je n'ai pas trop eu de mal à la faire parler comme un moulin

« Oui Courtène m'a parlé de vos méthodes…

« Vous faites référence à votre belle-sœur ? Ecore un bel exemple de troubles mentaux… Elle est bien perturbée elle aussi…

Enfin, à part les plans géniaux de papounet, rien. Pas de disciples, pas de frères, pas de fils, rien qui vienne lui faire de l'ombre. Pas de satisfaction à l'annonce de la mort de son père, plus de la peur, pas de signe que quelqu'un allait prendre la relève et la petite phrase qui tue, à vous transmettre : « Vous leur passerez tous mes vœux de bonheur ».

Heureusement, et que Dieu bénisse, ils ne se sont pas reproduits comme des lapins dans la famille…

« J'ai pas tout suivi, mais vous l'avez éliminé et elle ne sait rien du nouveau type

« C'est ça. Et comme j'ai relu vos dossiers des derniers 6 mois, avec l'équipe, j'ai aussi éliminé le reste, et je pense vraiment que c'est lié à l'affaire Marceau.

« Mais qui, et pourquoi ? Et surtout pourquoi s'en prendre à Adèle ? Elle a essayé de la sauver, je ne comprends pas.

« Oui mais vous, vous l'avez tué. Et Adèle n'est probablement qu'un moyen de vous atteindre, ce que je ne pensais pas au départ… A moins que, durant votre enquête, elle se soit confrontée directement au type, et qu'il ait fait d'une pierre, deux coups. C'est aussi une forte possibilité.

« C'était compliqué cette histoire. Elle était mal, et en grande partie à cause de moi, et elle est rentrée dans le lard de pas mal de monde. Et encore, elle s'est calmée… Je vous raconterai un jour ce qu'elle a fait à Tardieu…

« Oui, je sais… J'ai fait mes devoirs sur elle aussi… Et vous…

Un ange passe…

« Du coup ça voudrait dire qu'elle aussi que la juge a placé ses pions un peu partout ? Y compris chez nous, ou au parquet, dans l'armée… Parce comme vous l'avez dit, il avait un coup d'avance sur nous. C'est plus que nous coiffer au poteau ça.

C'est donc quelqu'un qui la connaît bien, avec qui elle a travaillé, en confiance, jusqu'à en faire son associé ?

« Plutôt son disciple pour le coup… Elle voulait se venger du système qui l'avait faite souffrir, en le vérolant de l'intérieur… Combien de flic n'en rêvent pas chaque nuit ?

« Autant que de ceux qui rêvent qu'ils font justice eux-mêmes (Et il eu un frisson en pensant à Garel)

« J'en ai parlé à une amie juge d'instruction. Elle ne la connaissait pas personnellement, mais elle pense qu'elle travaillait comme elle, avec un OPJ. Et du coup ça nous ferait un bon suspect… Elle va voir de son côté ce qu'elle peut trouver. Je dois passer la voir demain en fin de journée.

« Vous devriez rencontrer Julie Camus aussi, la fille de la juge. Un personnage, je vous préviens. Elle détestait sa mère, mais elle peut vous aider éventuellement. Elle est partie travailler à la Cellule Marceau avec Derco. Lui c'est un sale con arrogant, mais Adèle a confiance en Lucie. Elle est psychologue, vous parlez le même dialecte.

« Oui ça va me changer je dois la voir tôt demain matin, en fait. Grégoire m'en a parlé.

Ils étaient arrivés chez lui, il la précéda dans l'appartement.

« Faites comme chez vous… Le temps de prendre une douche, deux bricoles…

« Prenez le temps, on a encore plus d'une heure trente devant nous si on reste sur votre planning…

Elle se dirigea vers la cuisine et fouilla dans le frigo. Il allait passer plus de temps qu'il ne le pensait sous la douche, sous l'effet de l'eau chaude, et elle allait faire à manger.

Il fallait qu'elle lui parle, qu'elle le voit comme pouvait le voir la juge, et donc son disciple… Il fallait qu'elle le détende…

Des tomates… Des pâtes… Voilà…

Quand il est sorti de la douche, la maison embaumait, et il s'est précipité dans la cuisine, une simple serviette enroulée sur les reins.

« Mais vous faites quoi là ?

« Je sais pas, vous en pensez quoi ? Une autopsie ?

J'ai faim, je n'ai rien mangé depuis ce matin, et on a largement le temps. Et vous m'avez dit de faire comme chez moi.

J'aime bien le tatoo, façon yakusa… Jolis symboliques… Psychologiquement ya de quoi dire… Mais vous devriez vous rhabiller, parce que c'est un coup à me faire rater la cuisson des pâtes…

Cette bonne femme le hérisse au plus haut point, elle a le don de l'énerver…

Mais non de non, ça sent bon… Moi aussi j'ai faim… Elle m'énerve !

Quand il arrive dans la cuisine, un sac léger sur l'épaule, elle a servi et lui tend des couverts.

Il les prend avec une grimace et s'assied en face d'elle.

« Pour vous occuper d'elle et de cette enquête il va vous falloir autre chose que quelques bananes.

« Vous remarquez tout vous hein ?

« C'est un peu mon métier mon bon monsieur. Lire, les gens, les choses… Il faut juste faire attention à comment on regarde.

« Comment on regarde ?

« Oui… Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Et quand tu regardes longtemps au fond de l'abîme, l'abîme, lui aussi, regarde au fond de toi. C'est Nietzsche… Pas mieux…

« Oui, j'imagine que cela ne doit pas être facile tous les jours.

Il avait mordu, c'était parti.

« Ah ça non, je vous confirme. Trop d'affect c'est destructeur. Je vous laisse imaginer quand je fais l'éponge ce que je prends… Et pour contrer, on devient vite sociopathe, à grand coups de pieds dans l'affectif, bing, fini, tracé plat, plus de sentiments… Pas le meilleur de moi non plus. Trouver l'équilibre, et le garder, ça c'est un vrai challenge !

« Mais vous faites comment ? L'observation, je veux bien, mais on dirait que vous êtes dans la tête des gens.

« Le cerveau capte des choses dont nous ne sommes pas conscient. Des attitudes, des micro expressions, la manière dont sont organisées les choses dans une maison, les couleurs, vos tatouages… Mon cerveau analyse tout ça à la manière d'une histoire que je devrais apprendre, un rôle que je devrais jouer, et il me fait vivre ce que vous vivez, au détail près. Jusqu'aux sensations…

La douleur au bas de votre dos… Une vieille blessure qui ressort d'avoir dormi dans un fauteuil. Blessure au corps, mais aussi à l'âme… Et ça vous amène à votre passé, vos démons, à votre colère… Colère que vous êtes passé maître dans l'art d'enfouir, mais qui vous enferme dans ce mutisme salvateur… La Carpe sur votre bras, toujours à contre courant, qui s'en prend plein la tronche, mais qui continue à avancer… La culpabilité, toujours présente, enracinée en vous depuis longtemps, encore une cicatrice, qui se réveille avec une simple pensée à votre fils, tellement qu'elle se voit dans vos rides d'expressions, et aussi parce que vous êtes trop impulsif et que vous ne réfléchissez pas, que vous contenez tout et tout au fond, tout au fond de vous, ce sentiment que vous ne vous autorisiez plus, et qui exacerbe tous les autres, que vous ne savez pas comment gérer, qui est surement une de vos peurs ultimes…

Il avait posé sa fourchette, lui qui dévorait l'instant d'avant. Elle avait ouvert une brèche et s'y engouffrait.

« Arrêtez…

« De quoi avez-vous peur ?

« De quoi j'ai peur ? Non mais j'hallucine ! J'ai manqué perdre ma coéquipière, plusieurs fois et…

« Elle est sauve, et pourtant, vous êtes toujours en panique. C'est quoi ? Ce type dehors que vous avez peur de ne pas attraper ? C'est pour ça que vous me laisser le lead ? Pour éviter qu'elle vous reproche de l'avoir laissé tomber… Encore

Il se lève furieux et attrape le sac

« J'y retourne soyez gentille de mettre de l'ordre et claquez la porte en sortant.

Il refuse le combat, lui le cogneur, il fuit

Elle s'interpose entre lui et la porte, le pousse en arrière, du bout des doigts sur la poitrine

« Je ne crois pas non, pas tant que vous ne m'aurez pas répondu

« Ne m'obligez pas à vous virer de mon chemin

La veine qui bat sur sa tempe

« Vous me brutaliseriez ? Je ne crois pas.

Ses yeux ne quittent pas les siens, son regard le transperce

Parlez-moi. Qu'est-ce que vous me cachez ? Une peur primale, un truc enraciné, un manque…

Il jeta le sac par terre et la colla contre la porte, il était furieux, pire que ça hors de lui. Ce genre de rage que seule la peur provoque

« Et vous hein, vous cachez quoi sous vos grands airs d'experte ? C'est quoi votre honte ? Que vous avez abandonné un type dans le coma et qu'il s'est réveillé tout seul ? Que vous l'aviez pas attendu, que vous l'avez trahi ? Vous faites quoi là ? Vous vous rachetez une conscience parce que vous pouvez pas revenir en arrière pour effacer vos fautes ? Je ne suis pas votre cobaye ! Qu'est-ce que vous voulez savoir, si je suis comme vous ? Si je peux marcher sur mes principes, abandonner les gens que j'aime, les laisser se débrouiller seuls, les oublier, et vivre en égoïste ?

Elle ne bougeait pas, elle le fixait intensément, et il s'est arrêté, brutalement, il a relâché la pression. Il s'est appuyé contre le mur à côté d'elle, et a fermé les yeux.

« Vous ne feriez jamais ça, vous vous sacrifieriez n'est-ce pas ? Vous sacrifieriez tout à leur bonheur… Au bonheur de ce que vous aimez et dont vous pensez que leurs souffrances sont de votre faute… Même si vous deviez abandonner ce que vous avez de plus cher au monde. C'est ça qu'elle a vu en vous. Le protecteur, le héro qui se sacrifie à la fin. Le cœur si tendre, si fragile, que vous l'avez enfoui, caché derrière cette carapace de muscles, ce caractère de merde, pour le protéger. Parce que vous culpabilisez tellement, que vous pensez que vous ne comptez pas…

C'est là-dessus que va jouer le disciple. C'est votre faiblesse.

Je suis désolée Thomas. Il fallait que je comprenne.

C'est vous qui avez un coup d'avance maintenant. Votre faiblesse, c'est une force.

Ouvrez les yeux.