Un énorme merci à Fleur d'Ange qui, par ses nombreuses reviews, m'a aidée à sortir de ma catatonie et à reprendre l'écriture.
Et merci comme toujours à Dragsou, ma betalectrice, qui a bien voulu reprendre du service après ma longue absence.
Note de vocabulaire : dans le milieu queer, on désigne sous le terme "licorne" les bi/pansexuels qui se retrouvent impliqués dans une relation à trois avec un couple hétérosexuel.
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Fragments estivaux
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Harry arpentait les couloirs du Ministère, l'oeil attentif. Habituellement, la Brigade de police magique assurait seule la surveillance des lieux, mais ce jour-là, Shacklebolt recevait une délégation de la Confédération internationale des sorciers aussi la sécurité avait été renforcée. Seuls les Aurors juniors avaient été affectés aux patrouilles. Comme par hasard, tous les séniors étaient indisponibles : certains avaient posé des jours de congé sur cette date dès que la rencontre avait été annoncée, d'autres étaient malades ou avaient une arrière-grande-tante à enterrer et ceux qui restaient étaient bien trop absorbés par d'importantes affaires irrésolues, opinément ressorties des archives, pour perdre leur temps à faire les plantons.
Il se retrouva dans l'ascenseur avec Ron, comme prévu. Les parcours des Aurors avaient été dessinés de façon à ce qu'ils se croisent à des points et horaires précis. Ainsi, si quelqu'un manquait à l'appel, cela se remarquerait vite. Harry savait que les Moldus avaient des appareils électroniques pour communiquer en permanence et utilisables par n'importe qui. Comme quoi les Moldus, même sans magie, pouvaient être plus perfectionnés dans certains domaines.
Les deux Aurors échangèrent quelques blagues avant de repartir chacun de son côté. Harry était heureux qu'il n'y ait pas de tensions entre eux malgré ce qui s'était passé pendant l'été. Il repensa au mariage de ses deux meilleurs amis qui avait eu lieu mi-août. Oh, ce n'était pas le mariage qui avait posé problème : la cérémonie avait été magnifique, émouvante comme elle se devait, suivie d'une fête peut-être un peu trop arrosée mais il n'y avait eu aucun incident majeur. Non, c'était la préparation du mariage qui avait donnée lieu à une situation quelque peu embarrassante.
Tout avait commencé quand Ron et Hermione avaient invité Harry à boire un verre pour « discuter de quelque chose ».
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— Vas-y, Ron, chuchota la jeune sorcière à son fiancé.
Ron prit une grande inspiration, ouvrit la bouche… puis la referma et se tourna vers elle avec son air de chien battu le plus convainquant :
— J'y arrive pas, vas-y toi. S'il-te-plait.
Hermione leva les yeux au ciel avant de croiser ses mains devant elle d'un air déterminé. Mais Harry la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle ne faisait que se donner contenance et qu'au fond, elle n'en menait pas plus large que son futur époux.
— Voilà. Comme tu le sais, Ron et moi souhaitons que notre mariage soit conforme aux conventions traditionnelles : nous allons nous jurer fidélité, tout ça. Nous ne portons aucun jugement sur votre façon de vivre à Ginny et à toi, précisa-t-elle rapidement, il s'agit simplement de la voie que nous choisissons pour nous deux.
Harry acquiesça, attendant la suite.
— Tu me connais, je ne me plie pas à une tradition simplement parce que c'est comme ça qu'on fait. Dans le cas présent, nous pensons qu'un couple exclusif est ce qui nous correspond le mieux, mais je veux faire mon choix en connaissance de cause et Ron aussi.
Harry commençait à avoir un peu peur mais il fit de son mieux pour conserver un visage compréhensif et encourageant.
— C'est pourquoi, avant de prononcer nos voeux, nous souhaiterions faire… quelques expérimentations.
Hermione semblait avoir terminé son laïus alors, à son corps défendant, Harry se sentit obligé de demander :
— Et qu'est-ce que vous aimeriez expérimenter exactement ?
Cette fois ce fut Hermione qui se tourna d'un air désespéré vers Ron et ce dernier prit le relai :
— Un plan à trois. En fait, j'aimerais bien, au moins une fois dans ma vie, le… faire avec un homme.
Ron rougit.
— C'est que tu m'as rendu curieux, avec toutes tes aventures. Quant à Hermione, et bien elle aimerait le faire avec deux hommes en même temps.
Au vu de leur air gêné à tous les deux, il était très peu probable que la « chose » qu'ils voulaient faire ait grand chose à voir avec une partie de bridge, qui de toute façon nécessitait quatre joueurs, or ils n'étaient que trois autour de la table. Une question taraudait cependant l'esprit de Harry et il ne put la retenir :
— Au fait, Hermione, tu n'as pas du tout envie d'essayer avec une autre femme ?
Le teint déjà un peu rose de la sorcière vira à l'écrevisse.
— Déjà fait, marmonna-t-elle.
Et, alors que les deux garçons ouvraient la bouche pour l'assaillir d'autres questions, elle trancha net :
— Je ne vous dirai rien. Cela ne vous regarde pas. Pas même toi Ron, nous ne sommes pas encore mariés.
— Cela veut dire qu'après, tu m'en parleras ? demanda l'interpellé d'un ton plein d'espoir.
— Non.
Après quelques secondes de flottement qui permirent aux deux hommes d'encaisser l'idée que leur amie avait bien plus de secrets qu'ils ne l'auraient cru, cette dernière reprit la parole :
— Comme tu t'en doutes, Harry, on n'a pas envie de faire ça avec n'importe qui. Tu es le seul en qui nous ayons tous les deux suffisamment confiance. Alors, est-ce que cela te dirait ?
Tous les réflexes de survie du jeune homme avaient viré au rouge. Il sentait que c'était un plan foireux qu'il allait regretter, mais en même temps il ne pouvait nier être lui aussi curieux de tenter une telle expérience, sans compter qu'il n'avait pas envie de refuser à ses deux meilleurs amis d'exaucer leur souhait. Alors il accepta.
Le soir même, ils se retrouvèrent dans la chambre de Harry au square Grimmaurd : Ron et Hermione n'auraient leur propre maison qu'après le mariage et ils logeaient actuellement dans la maison familiale des Weasley, laquelle n'était pas vraiment le lieu approprié pour leur petite expérience.
Avec un malaise palpable, les trois jeunes gens se déshabillèrent en silence. Hésitants, ils s'approchèrent du grand lit ouvragé de Harry et s'assirent chacun à un bord. Hermione, qui avait toujours été la plus courageuse des trois quand il s'agissait de choses plus difficiles qu'abattre un monstre, comme par exemple affronter la vie réelle, fut la première à aller s'allonger. Les deux hommes vinrent s'étendre à sa droite et à sa gauche.
— Alors, qu'est-ce qu'on est censés faire ? demanda la jeune femme. Harry, c'est toi le spécialiste.
— Spécialiste, c'est un bien grand mot. Les rares fois où j'ai participé à des plans à trois, il n'y avait que des hommes et le contexte était assez différent.
Il ne pouvait pas lui préciser que ces plans impliquaient, en vrac, Lucius Malfoy, des cordes et des fouets.
— Cela ne devrait pas être si différent de quand on est à deux, commenta pragmatiquement Ron. On n'a qu'à commencer par des caresses, déjà.
C'est ce qu'ils firent, avec des gestes gauches, comme s'il s'agissait de leur première relation sexuelle. Ron se pencha sur les lèvres de sa dulcinée, point de repère fixe dans cette aventure déroutante, pendant que Harry lui caressait le ventre et les seins. La jeune femme, quant à elle, chercha à taton les sexes de ses deux amis.
Mais elle se rendit compte rapidement qu'il était très compliqué de masturber deux personnes en même temps, surtout quand on n'était pas ambidextre. Elle était désemparée, ne sachant pas lequel des deux abandonner : elle ne voulait pas que Harry ait l'impression d'être juste là pour tenir la chandelle, mais elle craignait de rendre Ron jaloux si elle s'occupait plus de son ami que de lui. En désespoir de cause, elle les lâcha tous les deux.
Les deux hommes arrêtèrent à leur tour leurs activités. Les trois amis se regardaient sans trop savoir quoi faire. Sous la tente, pendant la guerre, les choses s'étaient passées de façon si naturelle, mais là ils n'arrivaient pas à se détendre suffisamment pour se mettre dans l'ambiance.
— Bon, intervint Harry. Je vous propose de dire de quoi vous avez envie exactement, peut-être qu'ainsi ça viendra plus facilement. Hermione ?
La jeune femme rassembla toute sa détermination pour répondre d'une voix presque assurée :
— J'aimerais que vous me pénétriez les deux en même temps, un de chaque côté. Je vous laisse choisir qui va où, ajouta-t-elle après un instant de réflexion.
— Ok. Et toi, Ron ? Tu as dit que tu voulais le faire avec un homme, mais il y a plein de façons de le faire qui n'impliquent pas forcément de pénétration…
Ron marmonna quelque chose d'incompréhensible.
— Qu'est-ce que tu as dit ? lui demanda Harry.
— J'aimerais essayer la pénétration.
— D'accord. Est-ce que tu préfères pénétrer, ou être pénétré ?
— Euh, les deux mon capitaine ?
Nul ne fut capable de dire ensuite qui avait commencé. Il y eut tout d'abord un léger tremblement, suivit de quelques gloussement. Puis, très vite, ils s'étaient retrouvés tous les trois morts de rire. A plusieurs reprises, les choses avaient semblé se calmer, mais à chaque fois l'un d'entre eux se remettait à pouffer et entraînait les autres pour un nouveau tour. Quand ils réussirent enfin à reprendre leur maîtrise d'eux-mêmes, ils avaient mal aux côtes d'avoir tant ri.
— On ne va pas y arriver, n'est-ce pas ? demanda Hermione.
— J'ai bien peur que non, répondit Harry.
Ron acquiesça d'un air navré, avant de dire d'un ton joyeux :
— Mais on a bien rigolé. Bon, puisqu'on se retrouve avec la soirée libre devant nous, ça vous dit de jouer aux cartes ?
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Pour éviter que la gêne s'installe entre eux, ils avaient immédiatement discuté de ce qui s'était passé et ils avaient convenu qu'il valait mieux en rester là. Cette aventure rejoindrait bientôt la collection des souvenirs un peu honteux qu'on se remémore avec amusement pendant des années.
Harry avait tout de même donné à ses amis le numéro de cheminette d'un homme pansexuel qu'il avait rencontré pendant la période où il couchait à droite à gauche et qui lui avait dit apprécier jouer les licornes avec les couples aventureux. Il ne savait pas si Ron et Hermione l'avait contacté ni s'ils avaient finalement trouvé un moyen d'explorer leurs fantasmes pré-mariage, mais ce n'était pas ses affaires alors il n'avait pas posé de questions.
Alors qu'il repensait à tout cela, Harry aperçut une silhouette disparaître en coup de vent dans un couloir transversal. Ses réflexes l'entrainèrent à sa suite et il interpella la suspecte. Il s'agissait juste d'une employée qui avait couru parce qu'elle était en retard.
L'Auror reprit sa patrouille. Grâce à l'enseignement de son mentor, Harry était désormais parfaitement capable de se concentrer sur plusieurs choses en même temps. Entre deux sorts de détection, il laissa de nouveau une partie de son esprit vagabonder sans pour autant relâcher son attention.
Enfin, maintenant qu'il était un Auror à part entière, Snape n'aurait plus le prétexte de son apprentissage pour lui imposer des exercices sadiques. Mais il lui en avait fait baver jusqu'au bout.
Il se remémora la série d'évaluations qu'il avait passé la semaine précédente, comme tous les juniors, pour valider son année de formation. L'une d'elle avait été particulièrement pénible : le test de combat en milieu hostile organisé par nul autre que Snape, alias Corvus Prince. Il aurait pourtant dû se méfier quand Ron, à la sortie de son propre examen, lui avait parlé.
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— Il a choisi une jungle comme environnement, avec des tas d'araignées partout. Je ne sais pas comment il a appris pour ma phobie mais l'utiliser comme ça, c'est… c'est…
— Conforme à l'intitulé de l'exercice, non ? questionna un Harry dans un style très Hermionesque.
— C'est retors. Ce mec est encore plus redoutable que ma mère.
Ron réfléchit un instant.
— Enfin… disons qu'il arrive juste après elle.
Harry se demanda si Snape ne s'était pas vengé sur Ron pour l'incident avec Ginny mais il n'osa pas en parler à son meilleur ami : celui-ci se plaignait déjà suffisamment de devoir couvrir les aventures du couple, nul doute qu'il n'apprécierait pas d'apprendre qu'il en subissait les dommages collatéraux.
Le jeune homme entra alors à son tour dans la « salle de détente » et il dut admettre que Snape était d'humeur particulièrement sournoise ce jour-là. Pas de jungle pour lui, mais à la place, une forêt de tombes en tout point semblables à celles du cimetière de Little Hangleton. Snape avait poussé sa morbide précision jusqu'à ajouter le corps sans vie de Cedric Diggory entre deux stèles de marbre. Harry maudit ses maigres talents en occlumencie qui n'avaient pu empêcher l'ancien Mangemort de voir de nombreuses fois cette scène dans son esprit.
Sans beaucoup de surprise, la silhouette décharnée de son défunt ennemi apparut bientôt. Harry lança aussitôt un sort de révélation, espérant ainsi dévoiler son mentor. Mais ce ne fut pas Severus Snape qui prit la place de l'ancien Seigneur des Ténèbres, seulement un chat noir.
Harry comprit une demi-seconde trop tard où se trouvait le véritable subterfuge. Sa roulade ne lui permit d'esquiver que partiellement le sortilège qui arrivait dans son dos et il sentit son bras droit s'engourdir. Qu'à cela ne tienne, il avait appris à utiliser sa baguette de la main gauche.
Il se redressa pour faire face au faux Cedric Diggory qui, malgré son apparence cadavérique, se mouvait parfaitement. Ils échangèrent une série de sorts informulés : la pénombre dissimulait suffisamment les mouvements de baguette pour les empêcher de deviner ce qui allait en sortir mais la moindre syllabe prononcée aurait donné l'avantage à l'adversaire.
Les deux sorciers se déplacèrent à travers le cimetière. Ils projetaient la moindre pierre à portée de baguette pour créer une distraction et ils utilisaient les plus grandes tombes pour se dissimuler tout en gardant un angle d'attaque. C'était une partie de cache-cache très stimulante et Harry trouvait qu'il ne s'en sortait pas si mal jusqu'à ce que Snape révèle ses autres atouts. Ils étaient au nombre de deux : une paire de serpents géants, plus gros encore que Nagini, qui prirent position de part et d'autre du jeune homme, diminuant sensiblement ses possibilités de retraite.
Mais Harry aussi avait de bonnes cartes dans sa manche : il avait passé beaucoup de temps avec Hermione depuis qu'elle avait obtenu son diplôme et il lui avait demandé de l'aider à améliorer ses compétences en Métamorphose dans le dos de son mentor en prévision d'une occasion comme celle-ci. La Métamorphose était l'une des seules matières dans lesquelles Snape n'était pas un maître, presque son point faible.
Le jeune Auror n'avait encore jamais lancé le sort qu'il avait en tête mais il avait déjà vu McGonagall le faire et Hermione lui avait expliqué la théorie. Il pointa sa baguette vers la statue d'ange qui gardait un mausolé et libéra la magie en priant Merlin pour que cela réussisse.
Pendant quelques secondes, il ne se passa rien, à part les attaques qu'il continuait à recevoir et qu'il parrait tant bien que mal en position défensive. Enfin l'ange déploya ses ailes et bondit sur le faux Cedric Diggory.
Harry profita que son adversaire principal fut occupé pour affronter convenablement les deux serpents. Il s'agissait de véritables animaux et non de conjurations qu'il pouvait facilement dissiper, des créatures particulièrement résistantes à la magie qui plus est.
Il avait perdu son don pour le Fourchelang lorsque Voldemort avait détruit l'Horcruxe à l'intérieur de lui, mais il se rappelait vaguement de quelques mots et sons qu'il avait autrefois prononcé. Il les cria en direction des serpents : sans doute ce qu'il disait n'avait ni queue ni tête, mais les entendre perturba suffisamment les deux reptiles pour les rendre vulnérables. Ne souhaitant pas les tuer, le jeune sorcier se contenta d'affaiblir suffisamment leurs défenses magiques pour pouvoir les pétrifier.
Entre temps, Cedric-Snape avait réduit l'ange de pierre en poussière et il revenait à la charge. Harry commençait à fatiguer. Il se désillusionna et trouva refuge derrière une tombe pour reprendre son souffle. Ce fut son erreur : des mains squelettiques surgirent de terre et lui saisirent les jambes, le rendant incapable de se relever. Trois sortilèges plus tard, Snape avait réussi à l'immobiliser complètement.
Le décor funèbre se dissipa et la salle de détente retrouva son éclairage.
— Quatre minutes et vingt-sept secondes, annonça Snape qui avait repris son apparence de Prince. J'avais espéré mieux, même si vous détenez le record parmi vos camarades. Votre entrée était particulièrement désastreuse. Vous n'avez pas lancé le moindre sort de détection sur Diggory ! En terrain hostile, il faut se méfier de tout.
Il fit une pause avant de reprendre :
— Minerva vous féliciterait sans doute pour votre animation de statue, vous avez réussi en particulier à lui donner une vélocité appréciable. Mais vous auriez dû ajouter un renforcement, la pierre n'était guère résistante. Enfin, je suppose que cela vous donne un niveau suffisant pour que Robards vous garde dans son service. Avez-vous des questions ?
— Les mains qui sortaient du sol, cela faisait penser à des Inferi… mais ce n'en était pas, n'est-ce pas ?
— Bien sûr que non. Même si j'étais capable de les animer - et ce n'est pas le cas, contrairement à ce que vous avez l'air de croire, la magie noire est un domaine très vaste et l'on peut accepter d'en pratiquer certaines formes tout en considérant que d'autres sont trop néfastes - je ne me serais pas risqué à en introduire au sein du Ministère pour un simple petit exercice.
— Alors c'était un sortilège ? Vous m'aviez repéré ?
— Faites un peu fonctionner vos méninges, Potter. Avez-vous senti une empreinte magique correspondant à l'usage d'un sortilège ?
— Non, répondit piteusement Harry. Et franchement, je suis trop crevé pour jouer aux devinettes. Je vous rappelle que j'ai passé trois autres tests aujourd'hui.
— Petite nature. Il s'agissait d'une variété de Filet du Diable enfouie dans le sol dont les lianes étaient couvertes d'un sort d'illusion pour leur donner l'aspect que vous avez vu. Ce taxon particulier prolifère sous terre et emprisonne tout organisme qui reste immobile au-dessus de lui plus de quelques secondes. Vous avez fait un tel boucan en essayant de vous en débarrasser qu'il ne m'a pas été bien difficile de vous retrouver ensuite.
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En parlant de Snape, Harry l'aperçu lorsqu'il inspecta le parc sous le dôme du Ministère. Le faux Auror était assis au pied du hêtre, un livre à la main, exactement comme lorsqu'il avait commencé à faire sa connaissance en tant que Corvus Prince. Alors qu'il le saluait d'un bref mouvement de tête en passant à côté de lui sans que l'autre daigne montrer qu'il l'avait vu, il se rappela s'être demandé à l'époque quelle était la véritable personnalité de l'ancien espion.
Aujourd'hui encore, il était loin de pouvoir répondre à cette question. L'homme était toujours un maître du mensonge et de la manipulation. Il avait découvert en se rapprochant de lui qu'au lieu d'être aussi stoïque qu'il y paraissait au premier abord, son humeur était plutôt inconstante. Mais était-ce la réalité ou un autre rôle qu'il jouait ?
Il penchait pour la première réponse : il ne voyait vraiment pas quel aurait été son intérêt à simuler une telle chose. De plus, malgré ses années d'expériences, il restait un être humain - enfin, si on oubliait sa condition de serviteur de l'ombre ressuscité - et il avait traversé tant d'épreuves que même pour lui il devait être difficile de masquer tous ses traumatismes. Il lui arrivait parfois d'accepter de s'ouvrir mais uniquement dans des circonstances exceptionnelles et jamais sans résistance. Comme ce jour-là. Le premier jour d'août.
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— Venez, aujourd'hui je vous paye le restaurant, cela vous fera prendre l'air, déclara Snape d'un ton qui s'efforçait d'être enthousiasme. Retrouvez-moi dans un quart d'heure au fond de l'atrium.
La veille, Harry avait fêté ses 19 ans au Terrier. Pour une raison qu'il ignorait, la maison était toujours aussi dangereusement bancale alors qu'elle venait juste d'être reconstruite. Peut-être les Weaslay voulaient-ils retrouver une part de leur passé, malgré les bouleversements et les pertes ? Ou alors ils étaient simplement meilleurs en aménagement d'intérieure qu'en architecture - après tout, ils avaient tout fait eux-mêmes alors qu'aucun d'entre eux n'était spécialiste en la matière.
Contrairement à l'année précédente, seuls quelques proches avaient été invités : M. et Mme Weasley, Ginny, Ron et Hermione, George, Luna et Neville. Même les autres enfants Weasley, Angelina Johnson et Hannah Habbot, qui sortaient respectivement avec George et Neville, n'étaient pas présents. Ainsi l'événement avait été intime, exactement comme Harry le souhaitait.
Le 31 juillet était tombé un samedi, alors tout le monde avait pu se libérer sans problème. Mais, pour sa malchance, Harry était de service ce dimanche et il avait du mal à se concentrer après avoir veillé jusqu'à une heure relativement tardive la veille. Dans ces circonstances, il appréciait particulièrement que Snape lui propose de sortir pour leur pause déjeuner. C'était même assez étonnant : non seulement son mentor ne se moquait pas de son état de fatigue mais en plus il lui offrait quelque chose de normal pour marquer son changement d'âge.
Harry le retrouva au lieu indiqué. L'homme s'était complètement changé, remplaçant sa redingote habituelle contre des habits moldus. Il y avait quelque chose d'autre de différent en lui mais il n'aurait su dire quoi.
Le jeune homme transfigura rapidement ses propres vêtements puis les deux Aurors sortirent du Ministère par l'ascenseur. Harry suivit son aîné jusqu'à un quartier qu'il ne connaissait pas. Ils sillonnèrent à travers des ruelles du vieux Londres peu engageantes. Où donc est-ce qu'il l'emmenait ?
Finalement, ils arrivèrent dans un petit pub au bout d'une impasse résidentielle. C'était un drôle d'endroit pour un établissement qui servait à boire et à manger mais il était plus propre que ce à quoi Harry s'attendait, bien qu'un peu sombre, et l'odeur de cuisine était alléchante.
— Allez vous asseoir, l'enjoignit Snape en lui indiquant une table tout au fond de la salle. Je vais chercher les menus.
L'homme discuta quelques instants au comptoir et revint avec deux cartes, comme promis. Harry se décida pour un fishcake tandis que son mentor choisit une tourte au boeuf. C'était plutôt inhabituel de sa part : il ne mangeait, pour ainsi dire, jamais de viande et le pub proposait quelques plats végétariens.
Quand le tenancier, un homme âgé plutôt mince et doté d'une spectaculaire moustache issue d'une autre époque vint prendre leur commande, Harry remarqua que ses yeux étaient légèrement hagard. Cela allerta ses sens d'Auror. Dès qu'il fut éloigné, il chuchota :
— Il est bizarre, je crois qu'il est sous Imperium.
— Hmm, je vais vérifier, répondit Snape sur le même ton.
Ce dernier agita plusieurs fois sa baguette de façon discrète en direction du vieil homme qui s'éloignait.
— Non, aucun sort, déclara Snape. En revanche sa santé n'est pas au beau fixe. Il doit être abruti par des médicaments. La médecine moldue est vraiment lamentable, ajouta-t-il d'un ton méprisant.
Harry préféra ne pas relever, il ne voulait pas gâcher le repas avec une dispute sur la soi-disant supériorité des sorciers. Mais au lieu du silence gênant qu'il attendait après cette déclaration, son mentor relança la conversation en lui demandant des nouvelles de ses amis d'un ton presque enjoué. Son amant semblait vraiment vouloir se plier en quatre pour lui faire plaisir car Harry savait pertinemment qu'il n'en avait rien à faire.
Au milieu du repas, le tenancier revint vers eux. Cette fois, il n'avait pas l'air hagard mais confus alors qu'il regardait leurs assiettes.
— Hmm, je reviendrai plus tard pour les desserts, quand vous aurez fini, dit-il d'un ton incertain.
Alors que l'homme était déjà retourné derrière le bar, le jeune Auror regarda sa montre de poche.
— Mince, je ne pense pas que nous aurons le temps pour un dessert, il est déjà 13h30.
— Ce n'est pas un problème, le rassura son aîné. J'ai demandé à ce que nous ayons notre après-midi.
— Eh bien eh bien, vous êtes fort prévenant aujourd'hui ! Et Robards aussi, ce n'est pas son genre de modifier ainsi le planning à la dernière minute.
Snape renifla.
— Allons, tout le monde se doit de se plier en quatre pour le héros du monde sorcier.
Harry leva les yeux au ciel en guise de réponse. Avec Snape, il fallait s'attendre à ce que chaque pas en avant soit suivi de trois pas en arrière.
Une fois qu'ils eurent mangé leurs desserts - des crumbles aux fruits de saison - Snape paya l'addition. Harry s'amusa à le voir empêtré avec les billets d'argent moldus, les sourcils froncés alors qu'il devait être en train de calculer les taux de conversion.
Une fois sorti du pub, l'homme lui dit qu'il avait une course rapide dans l'allée des Embrumes. Harry n'aimait vraiment pas l'idée d'aller là-bas mais il transplana néanmoins à la suite de son mentor. Comme à chaque fois, la rue étroite lui donna la chair de poule, avec ses ombres, sa brume présente même en plein été et sa population douteuse.
Les deux hommes marchèrent sur plusieurs centaines de mètres jusqu'à ce que Snape s'arrête devant une boutique sans devanture que son apprenti ne connaissait pas et entre, invitant ce dernier à le suivre.
Harry s'attendant à une herboristerie, ou éventuellement une librairie, connaissant Snape, mais il s'agissait en fait d'une armurerie. Toutes sortes d'armes à l'aspect médiéval étaient présentées sur des râteliers ou pendues aux murs. Le jeune homme s'approcha d'une vitrine contenant des dagues. Il reconnue sur ces dernières des glyphes de magie noire parfaitement illégaux. Que diable Snape venait-il chercher ici ? Il jeta un coup d'oeil à ce dernier. Il était en train de chuchoter avec la propriétaire des lieux qui lui remit un paquet emballé de papier kraft. Non, vraiment, tout cela ne lui plaisait pas du tout.
Se sentant soudainement oppressé, Harry préféra sortir. Il inspira un grand coup mais le regretta aussitôt : l'allée des Embrumes exhalait toujours une odeur putride, habituellement assez discrète, mais avec la chaleur estivale, elle était décuplée et lui donna la nausée.
Une main se posa sur son épaule, le faisant sursauter. Le jeune Auror se retourna vivement, la main sur sa baguette, prêt à dégainer. Ce n'était que Snape qu'il n'avait pas senti approcher.
— C'est bon, tout est prêt, déclara celui-ci avec un sourire tordu. J'ai une surprise pour votre anniversaire. Accrochez-vous à mon bras, je vais nous y emmener.
Cette fois, Harry en était sûr, il y avait vraiment quelque chose qui clochait. Il s'efforça de réfléchir à toute vitesse. Dans l'atrium, il avait eu l'impression que Snape était différent par rapport à d'habitude. A l'instant, il ne l'avait pas senti arriver. Certes, lors des entraînements, il le prenait souvent par surprise, mais même s'il ne pouvait précisément le localiser, il se rendit compte qu'il sentait toujours quand il était dans les environs, à travers le lien.
Il recula d'un pas tout en dégainant prestement sa baguette pour la pointer entre les yeux de son interlocuteur.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il froidement.
L'homme en face de lui ricana.
— Eh bien, ce n'est pas trop tôt. Vous avez lamentablement échoué à ce test. Rentrons au Ministère maintenant.
Sur ces mots, l'homme transplana.
Harry fit de même. Dans l'atrium, il retrouva Snape qui abordait un sourire goguenard. Cette fois, il sentait que c'était bien lui à travers leur lien, mais il garda sa baguette en main par sécurité, baissée néanmoins pour ne pas semer la panique dans ce lieu public.
— Expliquez-vous.
— Ceci était le premier test de validation de votre apprentissage d'Auror. Et comme je m'y attendais, j'ai pu exploiter votre plus grande faiblesse : vous n'êtes pas du tout sur vos gardes quand vous êtes avec quelqu'un en qui vous avez confiance. L'expérience avec Maugrey Fol Oeil pendant le tournoi des Trois Sorciers aurait pourtant dû vous apprendre qu'il est facile de remplacer une personne. Maintenant, voyons voir si vous pouvez rattraper quelques points en énonçant tout ce qui aurait dû vous alerter.
Tout en parlant, Snape s'était détaché du mur et il marcha jusqu'à la fontaine qui avait remplacée le monument « La Magie est Puissance ». Au centre du bassin se dressaient des sorciers, des êtres et des créatures magiques, cette fois tous sur un pied d'égalité. Mais même si les statues reflètaient la joie et l'optimisme, il s'agissait aussi d'un monument aux morts. Sur les bords de la fontaine étaient inscrits les noms de toutes les victimes des deux guerres contre Voldemort.
Avec un sens de l'humour morbide, Snape s'assit à l'emplacement de son propre nom puis croisa les jambes avec élégance, attendant que son apprenti réponde. Harry, à sa grande honte, n'eut pas de mal à le faire car son mentor n'avait pas été avare en indices. Il les énuméra puis demanda :
— Est-ce que le tenancier était bien sous Imperium ? Et comment avez-vous fait pour que je ne sente plus le lien ?
— En effet j'ai utilisé un Imperium. Vous auriez dû vérifier vous-même au lieu de vous fier à ce que je vous disais. Pour le lien, j'admets que cela a été plus compliqué. J'avais remarqué depuis quelque temps que vous pouviez sentir ma présence, même si vous-même ne sembliez pas en être tout à fait conscient, de la même manière que je sens la votre.
Snape s'était mis à tapoter les doigts de sa main gauche sur le bord de la fontaine et regardait droit devant lui, les sourcils froncés, sans rien fixer en particulier. Harry cacha un sourire en retrouvant là une attitude typique de l'époque où était professeur.
Ce dernier poursuivit :
— J'ai fait plusieurs recherches. Au départ, j'espérais concocter une potion inspirée de celle qui permet de dissimuler la présence de sortilèges sur une personne. Même si sa durée est limitée, au restaurant j'aurais facilement pu en boire une nouvelle dose. Cependant notre lien relève d'une magie unique dont je n'ai pas réussi à reproduire l'essence. Ce qui est quelque part rassurant tout compte fait. Je dû me résoudre à employer une méthode moins élégante et plus dangereuse : j'ai emprunté au département des Mystères un artefact d'affaiblissement magique. Je l'ai testé la semaine dernière en votre présence de façon concluante. Mais il masque le lien dans les deux sens : je ne vous sentais plus non plus, un inconvénient par rapport à ma mission. Par ailleurs, l'effet originel de cet artefact, la diminution de la puissance magique, était fort désagréable. Il aurait été appréciable que vous réussissiez le test rapidement afin d'écourter cette expérience détestable.
— Allons, il vous restait tout de même assez de puissance pour lancer un Imperium, vous n'étiez pas au niveau d'un cracmol non plus, répliqua Harry, amusé.
— Il est vrai que ma puissance magique divisée par deux reste supérieure à ce que possèdent la plupart des sorciers, déclara Snape avec une arrogance certaine, ce qui fit ricaner son apprenti.
L'homme échangea ses jambes de place sous le regard fasciné de Harry et croisa les mains sur son genou.
— Pour revenir à votre analyse de l'épreuve, vous avez oublié deux éléments. Tout d'abord, vous savez que j'ai vécu dans le monde moldu : vous auriez dû vous étonner de me voir en difficulté avec leur monnaie. Mais surtout, dans l'atrium, je n'avais pas seulement remplacé ma redingote mais tous mes vêtements, y compris les chaussures, alors que celles que je portais ce matin étaient tout à fait convenables pour sortir. A la façon dont vous me dévorez des yeux en ce moment même, j'aurais cru que vous étiez attentif à ce genre de détails.
Harry rougit sans rien dire.
— Retournons au Bureau maintenant. Je crains que Robards n'apprécie pas la façon dont vous vous êtes magistralement planté, Potter. Heureusement pour vous, vous avez su repérer la plupart de vos erreurs après coup, ce qui vous donne le droit à une session de rattrapage avec un autre examinateur.
Le jeune homme bloqua son aîné quand il voulut se relever et il les entoura d'un sort de silence avant de murmurer sombrement :
— Je me suis planté, en effet. Mais votre façon d'agir était cruelle. En faisant semblant d'être attentionné pour mon anniversaire, vous avez utilisé contre moi mes sentiments à votre égard alors que vous savez pertinemment que personne d'autre que vous n'en a connaissance.
Snape ouvrit la bouche, une réplique sarcastique au bord des lèvres, mais Harry l'empêcha de parler en ajoutant d'un ton encore plus bas :
— Tout n'est toujours qu'un jeu de dupe avec vous.
— Mais encore ? répondit son interlocuteur d'un ton ennuyé.
— Est-ce que je ne suis qu'une mission, pour vous ? Ce que nous partageons, les autres leçons, est-ce que vous ne faites cela que par nécessité, ou est-ce que vous en avez réellement envie ?
— L'anatomie masculine est ainsi faite qu'il est difficile de faire semblant, se moqua Snape.
— Vous pourriez prendre des potions pour simuler, répliqua Harry. Mais ce n'est pas ça dont je voulais parler. Est-ce que vous… m'appréciez, ne serait-ce qu'un peu ?
— Arrêtez de poser des questions stupides. Peu importe ce que je pense.
— Moi, cela m'importe ! Je vous en pris, dites-moi, est-ce que vous me détestez toujours, comme autrefois ?
L'urgence dans sa voix ébranla la réserve du serviteur de l'ombre.
— Non. Oui. Je ne sais pas. Vous n'êtes plus le gamin horripilant que vous étiez à Poudlard, mais tout cela reste… complexe.
— Pourquoi ?
— A l'époque, vous m'insupportiez pour les raisons que vous savez et je devais surjouer cette haine pour ma couverture. Quand on interprète un rôle en permanence, pendant des années, celui-ci finit par se confondre avec la réalité. Alors oui, à l'époque, je vous haïssais vraiment. Aujourd'hui je dois continuer à vous protéger et prendre soin de vous. Tel est mon rôle, la raison pour laquelle je suis revenu. Il est inévitable, dans ces circonstances, de développer un certain… attachement. Ce faisant, j'imagine que je commence à vous apprécier un peu, expliqua Snape avec réticence. Mais en même temps, être ainsi prisonnier de la situation est insupportable et bien souvent, comme maintenant, vous ne faites pas grand chose pour me simplifier la tâche.
— En gros, vous développez un syndrome de Stockholm à mon égard, conclut Harry avec fatalisme.
— Un quoi ?
— Un truc psychologique découvert par les moldus. Peu importe. Si je pouvais vous rendre votre liberté, je le ferais, vous le savez, n'est-ce pas ?
— Oui. Je le sais.