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Un adieu taille XL. Snif.


Si Remus possédait bien un talent — hormis collectionner les rejets — c'était celui de feindre la normalité en période de crise. Oh, ce qu'il excellait dans ce domaine. Des années et des années de pratique assidue lui avaient permis d'élever cette faculté au rang d'art.

Ainsi, lorsqu'il descendit le lendemain dans la cuisine et tomba sur un James anormalement joyeux pour la vaisselle astronomique qui l'attendait, Remus eut la parfaite remarque sarcastique que l'on pouvait attendre de lui. Et ni ses cernes, ni ses yeux rouges n'accaparèrent une seule fois l'attention.

Plus tard, en fin d'après-midi, Nymphadora émergea des limbes de sa gueule de bois et Remus fut à son chevet. Il lui fit avaler un ibuprofen, lui trouva rapidement de quoi grignoter, rit avec elle devant deux épisodes de The Good Place puis l'accompagna prendre son bus. Et les trois longues minutes de sanglots incontrôlables qu'il s'accorda une fois seul sous l'abri ; personne n'en fut témoin.

Puis il fallut rentrer et respecter le script. Garder un semblant de cordialité lorsque Peter entamait un énième sujet de conversation sordide. Rouler des yeux lorsque James agitait le numéro de Lily sous son nez. Manger en feignant d'être intéressé par le blockbuster qu'ils visionnaient tous au salon. Trouver une excuse inoffensive pour quitter la pièce. Gérer une nouvelle crise lacrymale sous le jet brûlant de la douche. Rejoindre sa couette émotionnellement lessivé.

Rincer.

Répéter.

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Surjouer.

Quelques fois, la tristesse était un haut-le-coeur impossible à réprimer. Elle prenait aux tripes et obstruait la gorge, menaçant d'être vomie au monde dans toute sa laideur. Et plutôt mourir que de laisser éclater son désarroi devant qui que ce soit.

Alors Remus surjouait.

Lorsqu'il était en cours et que cette nausée familière le prenait d'assaut, il levait la main en urgence et fuyait ses pensées en explosant son record de participation pour le semestre entier. Jamais n'avait-il autant entendu sa propre voix. S'il se trouvait derrière le comptoir de Honeydukes et qu'un souvenir récent venait l'assaillir, il se mettait à travailler comme un forcené, enchaînant les clients avec une telle efficacité que Greg ne pouvait pour une fois rien trouver à redire. Sur sa figure restait en tout temps figé un sourire que ses yeux cernés ne reflétaient pas. Constamment dans le mouvement, ses mains prenaient, déposaient, nettoyaient, écrivaient, servaient, confectionnaient, fermaient, ouvraient, fuyaient, fuyaient.

« Hey. »

Remus sursauta, pétrifié. En chemin vers la salle de pause, une main venait tout juste d'agripper son épaule. Une main qu'il avait activement évité depuis maintenant trois jours.

« Hey ! Lily ! » s'exclama-t-il, surdosant l'enthousiasme. « Ça fait longtemps ! Comment vas-tu ? »

Lily haussa légèrement des sourcils, surprise par tant d'entrain.

« Pas aussi bien que toi, dis donc. » constata-t-elle. « Tu m'as l'air d'être sous treize différentes vitamines. »

« Quatorze. » blagua-t-il.

« Rien que ça. » s'esclaffa-t-elle. « J'en déduis que mon petit coup de pouce de la soirée a parfaitement fonctionné, alors. »

Remus ne lui adressa qu'un sourire étiré à ses toutes dernières limites, le coeur dynamité. Une poignée de secondes incriminante passa avant que l'éclair de compréhension ne traverse le regard de Lily.

« Oh. Ça n'a pas… »

« Il faut juste que j'aille, hum. » l'interrompit-il en pointant de toute urgence le couloir derrière lui. « Mais on se revoit ? Plus tard ? »

Et sans attendre de réponse, il marcha au trot vers les toilettes et se barricada dans l'un des cabinets pour la totalité de sa pause.

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(Les matins. C'était les matins qui posaient le plus problème. Car dans le brouillard de l'aube, son esprit n'était pas encore endurci. Ses pensées gardaient cette pureté naïve qui avait mené son corps droit à sa perte. Et c'était cette candeur qui dictait son tout premier réflexe : tâter sa table de chevet et vérifier son portable. S'attendre à voir quelque chose de beau y apparaître. S'y attendre avec une telle certitude que la chute n'en devenait que plus abrupte. Et ainsi venait l'endurcissement.)

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« Toc toc toc. » vocalisa James depuis le couloir, trois coups de phalanges accompagnant sa venue. « Sa Majesté est-elle disposée à me recevoir ? »

Remus mit sur pause son second ménage compulsif de l'après-midi pour soupirer.

« Potter : soit tu toques, soit tu le dis. » l'informa-t-il tandis que la porte s'entrebâillait. « Pas les deux. »

« Mille pardon, Maître. » s'excusa James avant de déposer un genou à terre et tendre ses deux bras vers l'avant. « Votre humble et vénéré serviteur est simplement venu récupérer les vêtements royaux qu'il doit s'en aller laver à la rivière. »

« Oh, c'est vrai. »

Remus se leva pour aller attraper le panier à linges. Chaque habit avait déjà été trié par catégories distinctes lors de son premier ménage compulsif mais il ne put s'empêcher de rappeler :

« Ça, ce sont mes laines. Il faut les mettre dans le bac des habits délicats. Pas plus de 30 degrés, attention. Et ne les mélange surtout pas avec les jeans. Eux, tu peux les laver à 90 degrés. N'oublie pas l'adoucissant — celui senteur fraîcheur des pins, pas celui à la framboise que Peter a acheté. Et puis les lingettes anti-décolorations, c'est avant les vêtements qu'on les dépose. Je ne veux pas que mes t-shirts blancs ressortent avec des motifs psychédéliques. D'ailleurs, très important : le blanc avec le blanc. Il ne faut pas que… »

« Relax, Lupita. » bailla James pour se reprendre aussitôt, son second genou à terre, cette fois-ci : « Que Sa Majesté soit assurée du soin impeccable que son dévoué serviteur consacrera à son linge. Que ma tête soit coupée si le résultat trahit ses espérances. »

« Oui, oui, allez. » roula des yeux Remus et il déposa le panier sur ses bras tendus.

James se releva, amorça une ridicule révérence puis se dirigea vers la porte avant de se retourner, les yeux plissés.

« C'était, euh… c'était combien de degrés déjà pour la laine ? »

« Oh mon Dieu, je t'accompagne. »

Trente minutes et six désastres évités plus tard, la première machine était enfin envoyée. James eut même l'audace de se percher au-dessus pour déclarer, tout content :

« Eh ben tu vois ! Ce n'était pas si compliqué que ça. »

« On se demande pour qui. » marmonna Remus. « Est-ce que tu sauras étendre le linge ensuite ou bien dois-je encore une fois tout superviser ? »

« Tu m'insultes, Lulu. » s'offusqua James. « Le but même de ce pari est d'exécuter toutes ces tâches seul. Et j'en ai les pleines capacités. »

« Vu comme les choses avancent, permets-moi d'en douter. »

« Vu comme les choses avancent, permets-moi d'en douter. » le singea James, trois octaves plus haut.

« Bref. » coupa court Remus. « Je suis en haut. En cas d'extrême urgence — et j'insiste sur le mot 'extrême' — hurle en la mineur. »

« En la mineur ! » hurla immédiatement James.

Le brun cligna des yeux, sonné. Il n'était même pas encore sorti de la buanderie.

« J'ai bien dit : en cas d'extrême urgence. »

« J'ai rendez-vous avec Lily, tout à l'heure. » expliqua James, sautant de la machine pour attraper une boule lavante et jongler distraitement avec.

« Et en quoi est-ce mon pro… »

« J'ai besoin d'être briefé. Et guidé. Et conseillé. » Il s'interrompit dans ses jongleries pour confesser, presque timide : « Ça se passe bien pour l'instant et je ne veux vraiment pas tout faire foirer. »

« Corrige-moi si je me trompe mais coach séduction n'était pas inclus dans le deal de départ. »

« …six semaines de lessive ? » l'amadoua James puis, voyant Remus se mettre en chemin vers la sortie : « Un an de lessive ! Lupita ! S'il-te-plaît ! Aide moi ! Ne m'abandonne pas toi aussi ! »

« Tu vois quelqu'un d'autre ici t'abandonner, drama-queen ? »

« Sirius refuse de répondre à mes appels à l'aide. Tu es mon plan B. Et mon plan C. D, aussi. » avoua d'une traite James.

Remus s'immobilisa instantanément, le prénom agissant sur lui comme la foudre.

« Il… refuse de répondre ? »

Masochiste, le fustigea sa propre conscience.

« Crise d'adolescence mensuelle. Ça lui arrive. C'est passager. » éluda impatiemment James. « Mais là, tout de suite, maintenant, j'ai atrocement besoin de ton aide. »

Il lui lança la boule lavante que l'étudiant rattrapa instinctivement, en plein chaos intérieur. Rien ne transparaissait de l'extérieur, cependant, et James prit sa non-réaction comme un feu vert pour dévoiler son plan d'attaque.

« …pensé privatiser un restaurant quatre étoiles mais j'ai peur qu'elle me prenne pour un snob, tu vois ? » pondérait-il lorsque le cerveau de Remus se reconnecta à la réalité. « Et si c'est Planet Sushi, j'ai peur qu'elle m'insulte. Donc je me suis dit qu'il fallait un juste milieu et j'ai pensé à un petit pique-nique improvisé mais là encore : aime-t-elle les rendez-vous en plein air ? Peut-être qu'elle est allergique à l'herbe. A-t-elle d'autres allergies ? Et puis je me suis rappelé que nous vivions de toutes les façons en Angleterre, soit le QG européen du ciel gris. Nouvel échec. Je veux vraiment trouver un endroit qui lui donne une bonne image de moi sans trop lui en mettre plein la vue mais tout en restant suffisamment… »

« Sois honnête. » s'entendit dire Remus.

James s'interrompit, les yeux ronds, puis il hocha furieusement la tête.

« Honnête. Okay. Parfait. C'est bon. Je peux le faire, ça. Je peux carrément le faire, même. »

« Ne lui dis pas de mensonges qu'elle veut entendre. Ne lui dis aucun mensonge, tout simplement. » poursuivit Remus. « Ne lui fais pas croire des choses qui n'arriveront jamais. Ne te présente pas sous ton meilleur jour. Présente-toi comme tu es, ni plus, ni moins. Elle t'appréciera comme tel. »

« Donc on raye Planet Sushi de la liste. » comprit à sa manière James et il prenait de véritables notes sur son portable, à présent. « Okay. Parfait. On progresse, ohlala. Magnifique. Quoi d'autre ? »

Remus haussa des épaules, brutalement abattu.

« Rappelle-la ? Juste après ? Ne la laisse pas… deviner tes sentiments, je dirais. Rappelle-la. Dis-lui que… que tu as passé une bonne soirée et… je sais pas… que tu aimerais la revoir ? Ou… ou quelque chose de ce genre. N'importe quoi. Juste, rappelle-la. Sois aimable avec elle. Sois correct. Sois juste… une bonne personne. Je monte dans ma chambre. » embraya-t-il, sans transition aucune.

« Votre dévoué serviteur polira chacun de vos souliers si vos recommandations fonctionnent, messire ! » lança James dans son dos.

Remus n'eut pas la force de répliquer, juste de garder un masque semi-intact de l'escalier jusqu'à sa porte.

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(Cinq jours. Aucun message. Aucune explication. Remus n'en exigerait pas. Il n'enverrait rien. Dans le passé, il avait toujours été celui qui toquait aux portes fermées pour quémander une affection confisquée trop tôt. Une attention fantôme. Il avait toujours été cet imbécile que l'on essorait jusqu'à la moelle pour mieux piétiner par la suite. Un paillasson qui s'ignore. Plus maintenant. Il refusait de courir après du vide. Alors il n'enverrait rien. Et s'il ne recevait rien en retour ; soit.)

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je viens à peine de me réveiller lol

ça te va si on reporte à demain ?

Remus relut le message quatre fois d'affilée. Puis il le relut sept nouvelles fois. Car, assurément, Rowena ne venait pas de lui poser un plan. Assurément, elle ne l'avait pas fait venir pour neuf-heures trente du matin à la bibliothèque du campus alors qu'il n'avait ni cours, ni boulot, ni devoir autre que ce fichu dossier de groupe. Assurément, elle ne l'avait pas laissé poireauter trente minutes à une table vide, ignorant ses trois textos consécutifs pour finalement lui servir un semblant d'excuse sur fond de 'lol'.

Semi-hystérique, Remus pianota l'un des seuls numéros que ses doigts connaissaient par coeur.

« Hel… »

« Mets-toi avec moi en éthique. » implora-t-il à voix basse, ignorant les têtes tournées vers lui en périphérie. « Je sais que tu sèches ce cours depuis ta mauvaise note en début d'année mais s'il-te-plaît, s'il-te-plaît, mets toi avec moi pour le dossier final. Tu n'es même pas obligée de te pointer ou même de bosser, je peux faire le taf pour deux, ça ne me dérange vraiment pas, mais je t'en supplie. Mets-toi avec moi en éthique. »

« …d'accord ? » répondit lentement Nymphadora, prise de court. « Enfin, non pour travailler tout seul mais oui pour le reste. » précisa-t-elle. « Tout va bien, sinon ? »

« Tout va à merveille ! Absolument à merveille ! Pas de quoi s'inquiéter ! »

Et il tint quatre secondes avant de recracher l'histoire d'un coup, de l'instant maudit où Rowena avait jeté son dévolu scolaire sur lui jusque maintenant, assis comme un con dans une bibliothèque semi-vide. Ce fut thérapeutique, dans un sens, et Remus se sentit libéré au fil de sa narration. À l'inverse, sa meilleure amie fulminait en crescendo à l'autre bout du fil.

« Mais quelle connasse. » rugit-elle.

« Yup. » confirma Remus.

« Tu l'as rappelée ? Tu le lui as fait savoir ? »

« Nope. »

« Pour quelles raisons ? » siffla aussitôt Nymphadora. « Tu sais que tu as le droit d'être énervé ? De montrer ce que tu ressens ? »

« Je suis littéralement aux antipodes de la joie, là, si ce n'était pas déjà clair. »

« Mais est-ce que tu le lui as dit ? Non, tu ne le lui as pas dit. »

Et c'était reparti. Remus souffla, lassé d'avance. C'était toujours la même conversation qu'ils avaient, chaque fois dans un différent contexte.

« Pourquoi devrais-je même le faire ? »

« Hum, je sais pas… peut-être parce que son attitude est un manque de respect délibéré et assumé envers ta personne ? Mais je peux me tromper. » supposa-t-elle. « Tu dois le lui faire savoir. »

« Et après ? » soupira Remus, agacé. « Au pire, on se dispute. Au mieux, elle ignore mon message. Dans les deux cas, elle se mettra avec quelqu'un d'autre et finira quand même son dossier. De même pour moi. Donc qu'est-ce que ça change ? »

« Ça change que tu ne te seras pas laissé marcher sur les pieds ! » s'insurgea Nymphadora. « Tu pourrais être dans ton lit à profiter de ta matinée de liberté en ce moment même mais au lieu de ça, tu te retrouves dehors pour une réunion de cours qu'elle n'a même pas eu la décence d'annuler à temps ! »

« Je pourrais aussi être en couple si on ne m'avait pas rejeté comme une merde mais tu ne me vois pas me plaindre. » cingla Remus d'un venin qu'il ne vit sincèrement pas arriver. « Parce que se plaindre n'a jamais arrangé les choses. »

Magnifique, se gifla-t-il intérieurement par-dessus le silence mémorable qui s'ensuivit. Absolument magistral.

« Remus… » commença Nymphadora.

« Non. »

« Écoute… »

« Non. »

« Est-ce que tu veux en parler ? »

« Non. »

« C'est… est-ce que c'est ce à quoi je pense ? »

Elle avait la voix douce des jours délicats, ceux où Remus devait être reconstruit morceau par morceau.

« Oui. »

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(Une semaine. Aucun message. Aucune explication. Remus n'en exigerait pas. Il n'exigerait plus rien de qui que ce soit, désormais.)

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Rincer.

Répéter.

Surjouer.

Tituber.

Car feindre la normalité ne pouvait jamais se pratiquer sur le long terme. Inévitablement, la surface finissait par craqueler, révélant une foule monstrueuse de sentiments réprimés.

Deux adolescents aux joues roses et mains entrelacées venaient commander des frapuccinos vanille à sa caisse, leurs sourires jumeaux aveuglants, et les mains de Remus commençaient à trembler puis il oubliait la première commande tandis que la seconde lui échappait des doigts et Greg aboyait sur lui devant les clients, des postillons accompagnant ses paroles crues, parce que qu'est-ce qu'il t'arrive ces derniers jours, bon sang et parce que tu sais très bien qu'il faut lever la foutue protection avant d'attraper le gobelet et puis comment tu peux encore faire cette erreur ? Hein ? Hein ? !

« Je vais prendre sa place. » se proposa Lily à sa droite.

Elle tenait son poignet, non pas comme une entrave mais un point d'ancrage, et par ce simple toucher, Remus réalisa que sa vision s'était embuée.

Comment pouvait-il encore faire cette erreur ?

Après tant d'année d'ostracisme et de banc de touche. Après tant d'amour à sens unique et d'abandons répétitifs. Sa propre mère n'avait pas voulu de lui. Aucune de ses relations amoureuses n'avait été saine ou légitime. Il était celui dont on se rappelait du numéro la nuit pour l'effacer à l'aube. Il était l'autre, jamais le bon, jamais la priorité. Toujours le secret.

Se croire aimé, après tout cela. Se penser enfin apprécié. Vu. Compris.

Comment pouvait-il encore faire cette erreur ?

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Il prit le bus, le train, puis le bus encore et Nana l'accueillit à vingt-trois heures trente sans poser de questions. Assis devant la télévision, Gus ne se contenta que de tapoter la place libre à côté de lui pour le ramener ensuite fermement contre son épaule d'un repli de bras. Nana les rejoignit quelques instants plus tard, une tasse de thé en mains. Et tous se concentrèrent sur le feuilleton diffusé à l'écran, les reniflements occasionnels de leur fils en arrière-plan.

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Le lendemain matin, Remus se réveilla extrêmement tôt. Il descendit les escaliers, enfila sa veste, tapota la tête endormie de Nausica et ferma silencieusement la porte d'entrée derrière lui. L'herbe des champs était trempée par la rosée, mouillant ses chevilles pas après pas. Chaque inspiration givrait ses poumons d'un oxygène glacé et revigorant. Dans l'écurie, tout était silencieux et obscur mais Storm reconnut sa silhouette depuis son enclos.

« Tout doux, tout doux. » ne put s'empêcher de rire Remus en la voyant gambader sur place.

Il lui caressa circulairement l'encolure, comme pour atténuer son impatience, mais l'adrénaline semblait déjà en pleine montée. La jument butait son museau contre sa joue, tapait du pied, secouait sa crinière, et Remus pouvait difficilement lui en vouloir. Il avait tout aussi hâte qu'elle.

« On y est presque. » lui promit-il en terminant d'attacher la selle. « Juste un cran, un tout petit cran… on y arrive, ma grande… et… c'est… tout bon. Prête ? »

Question rhétorique.

Dans le bleu concentré de l'aube, Storm fonça droit vers l'inconnu sans un regard en arrière. Elle gravit des montées, amorça des descentes et il n'y eut ni répit, ni pitié pour Remus qui, dans tous les cas, n'en demandait pas. De la vitesse et du silence ; telle était la recette parfaite pour enfin cesser sa torture mentale. Storm s'enfonça dans l'obscurité des bois pour émerger avec lui au sommet et face au spectacle du soleil levant, Remus céda à de nouveaux sanglots.

Le violet des cieux se diluait en un rose délavé et le brun suffoqua. S'autorisa à prononcer le prénom — Sirius — et nommer les émotions rattachées. Amour. Honte. Fureur. Regret. Trahison. Confusion. Déception. Amour.

Amour.

D'un brusque revers de manche, il tua ses dernières larmes et Storm fit demi-tour, le ramenant sur ses pas.

Il ne pleurerait plus à ce sujet.

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À peine fut-il de retour en ville, quatre jours plus tard, que les tentations du capitalisme l'assaillirent.

Il avait mangé avant de partir — Nana ne l'aurait jamais laissé enfiler son blouson, sinon — mais allez savoir cette nourriture s'était volatilisée car Remus descendit du train l'estomac affreusement creux. Son bus ne passant que dans vingt bonnes minutes, il se dirigea vers l'épicerie de la gare à la recherche d'une bricole à grignoter. Et la seule chose qui retint son attention fut une peluche Hulk à huit euros.

Dans une autre vie, il aurait pris la peluche en photo. Puis il aurait envoyé cette photo par texto. Ce texto aurait été accompagné d'une petite phrase symbolique, du style 'prendre ou ne pas prendre, telle est la question'. Une phrase vraiment naze. Et peut-être aurait-il reçu une réponse toute aussi naze dans les secondes suivantes. Une réponse suffisamment drôle et déculpabilisante pour excuser cet achat compulsif.

Dans cette vie, Remus ne se contenta que de fixer la peluche longtemps, très longtemps, gravant son souvenir au détail près dans sa mémoire visuelle. Puis il se rendit en caisse, s'offrit une barre chocolatée et ressortit.

« Je croyais que tu étais parti en vacances. » l'accueillit avec de grands yeux surpris Peter en l'apercevant dans l'encadrement de la cuisine.

Remus n'eut même pas le temps de s'émerveiller devant l'absurdité d'une telle remarque car sous ses yeux se trouvait la vision la plus belle, la plus appétissante qu'il lui ait été donné d'observer. Une barquette Planet Sushi à moitié entamée.

« C'est à qui ? » demanda-t-il, l'eau à la bouche.

« James. » répondit Peter avant d'engloutir un sashimi entier.

Remus l'observa faire, stupéfait.

« Tu n'as vraiment pas peur de mourir, toi. »

« 'ein ? » croassa Peter, la bouche pleine.

« James déteste que l'on touche à sa nourriture. »

« Oui mais on est pote, maintenant. » claironna Peter. « Il l'a déclaré hier. »

« Vraiment ? À la bonne heure. » répondit Remus, positivement surpris, et il fêta cela en se servant lui-même un sashimi. « Tu lui as offert des gaufres, alors ? »

« Mmh, non. Je lui ai simplement donné des conseils en kamasutra. »

Remus frôla la mort.

Il la vit s'approcher de lui avec sa cape noire et sa faux tranchante, profitant du temps que lui offrait le sashimi bloqué dans son oesophage pour l'achever. Il vit sa silhouette ténébreuse prendre son élan, élever sa lame dans les airs mais rater sa tête, le petit bloc de riz parvenant à descendre au tout dernier moment. La seconde qui suivit, l'étudiant courut s'abreuver à même le robinet de l'évier et lorsqu'il put enfin se redresser, Peter le fusillait du regard.

« C'est le fait que je puisse donner des conseils dans l'art de l'intimité qui te pousse à t'étouffer ? » pesta-t-il.

« Du tout, du tout, du tout. » mentit Remus en essuyant ses larmes d'asphyxie. « J'étais juste. Hum. Pris au dépourvu par le sujet. »

« Hun-hun. » douta Peter, toujours vexé. « Parce que je te ferai dire que je suis un professionnel de l'anatomie féminine. »

« Fabuleux. » répondit instinctivement Remus, un second sashimi pioché dans l'urgence.

« Mon savoir est précieux. »

« Je n'en doute pas une seule seconde. »

« James m'a remercié trois fois en l'espace de 48 heures. »

« C'est... bon à savoir. »

« Si tu réserves une consultation, je pourrais te prodiguer aussi quelques conseils sur les secrets d'Ève. »

« Pas nécessaire. » refusa aussitôt Remus. « Mais merci quand même. »

« Ceux d'Adam, alors ? »

Remus mâcha lentement. Très lentement. Puis il s'arrêta. Fixa son voisin.

« Adam ? » répéta-t-il précautionneusement.

« Tu es gay, non ? » lâcha Peter, roi du tact.

Remus resta bêtement figé sur place, privé de toute parole. Ni James, ni Peter ne connaissait son orientation. À l'exception de ses tuteurs, sa meilleure amie et Lily, personne ne l'était. Certains secrets se devaient d'être gardés tout près du corps.

« Donc je peux t'aider aussi. » continua Peter. « J'ai un powerpoint à ce sujet. Il contient 47 diapositives mais elles sont imagées donc le cours restera assez dynamique. »

Remus essaya de trouver quelque chose à dire. Une blague. Une remarque. Une réaction. N'importe quoi.

« Je suis gay. » s'entendit-il simplement répéter, la voix blanche.

C'était la toute première fois qu'il le prononçait à voix haute dans cette maison. La toute première fois qu'il laissait quelqu'un d'extérieur à son cercle proche l'entendre.

« Euh, oui..? » acquiesça Peter, confus. « Et j'ai exactement ce qu'il f… »

« Et tu le sais. » poursuivit Remus, incrédule. « Tu l'as toujours su. »

Peter se gratta la tête.

« C'était évident, non ? » haussa-t-il des épaules avant d'attraper son portable. « Pour en revenir à ta consultation, j'ai un créneau horaire demain, entre onze heures et midi. Est-ce que ça te convient ? Parce que sinon, il faudra attendre août 2022. »

C'était évident, non ?

Dix minutes plus tard, Remus remplissait sa casserole d'eau, la plaçait sur la plaque thermique, préparait sa portion de riz, partait en quête des épices et cette phrase tournait encore en boucle.

C'était évident, non ?

C'était évident. Okay. Évident. Allongé à présent dans son lit, Remus avait presque envie de rire. Quelle absurdité. Evident pourquoi ? Evident comment ? Était-ce dans son choix de t-shirts ? Dans la façon de nouer ses lacets ? Dans la couleur de ses yeux ? Était-ce dans son timbre de voix ? Dans sa manière de raisonner ? Était-ce griffonné sur son front au marqueur ? GAY ! Était-ce criant dans sa gestuelle ? Était-ce une sorte d'aura qui le précédait, catégorisant sa personne avant même qu'il n'ouvre la bouche ? Rien de tout cela n'avait de sens.

C'était évident, non ?

Non.

« Toc toc toc. »

Remus se redressa, extirpé de ses introspections. Et sur le pas de sa porte se trouvait James, une pile de vêtements dans les bras.

« Vous voici enfin de retour, Mon Seigneur ! » déclama-t-il en entrant à pas chassés dans la chambre.

« Tout ça, ce sont mes fringues ? » le questionna Remus, intrigué.

« Séchées, pliées et repassées, Messire. » récita James avant de déposer les habits sur la couette.

Remus inspecta la première chemise de la pile, puis le pull, puis le jean, puis l'autre pull, et il écarquilla des yeux.

« Wow. » reconnut-il. « C'est hyper bien plié et repassé. Chapeau. »

« Sa Majesté me flatte. » murmura James, les deux paumes contre le coeur. « Un humble serviteur comme moi ! Un moucheron. Une poussière. »

« Non, vraiment. » insista Remus en tâtant l'un de ses gilets redevenu miraculeusement doux. « Je suis impressionné. »

« Vous servir est toujours un très grand honneur, Votre Altesse. » le remercia James avec une profonde révérence. « J'ai également poli chacun de vos souliers. »

Il ouvrit la porte du placard et attrapa une Converse qu'il présenta telle une offrande à Remus.

« Mais… que… » ne fut capable que de dire le brun en attrapant la chaussure propre comme neuve pour l'examiner de plus près. « Potter, elles étaient complètement noires de crasse avant. Comment est-ce… juste, comment ? Et pourquoi ? »

« Ma dévotion pour vous, Maître. »

« Okay. Pause. » souffla Remus, un poil affolé. « Restons-en aux termes du deal, d'accord ? Je ne veux pas non plus t'exploiter. Donc juste le linge et la vaisselle. Pas mes chaussures. Et encore moins mon lit. »

« Quel lit ? » dit James. « Je n'ai pas fait ton lit. »

Remus plissa du front.

« Je ne l'ai pas fait non plus en partant. Et il était impeccable lorsque je suis rentré. C'est donc forcément toi. »

« Lupita, je sais à peine tirer mes propres draps avant d'aller en cours alors faire ton lit tout entier ? Avec tes huit doudous, treize plaids et soixante-quinze coussins ? Ça ira. » maintint James avant de hausser des sourcils, frappé par la sainte connaissance : « Ooh, c'est peut-être Sirius. »

Remus crut mourir de nouveau.

« C-comment ça ? »

« Tu l'as raté de peu. Il est venu dormir dans ton lit d'avant-hier à hier soir. » annonça James.

« …quoi ? »

« Encore ses insomnies. » déplora son voisin. « On va finir par établir un roulement, à ce rythme. »

« Quoi ? » cracha Remus, à présent hors de lui.

Et Nymphadora aurait été fière car il la ressentait enfin pleinement, cette colère divine. Elle bouillonnait en lui, un noeud de rage le faisant trembler de tous ses membres. Et à la source de cette colère, une simple question :

Est-ce que Sirius se foutait de sa gueule ?

Se jouer ouvertement de lui, traiter son coeur comme une attraction, un déchet, et revenir ensuite transgresser son espace personnel comme si de rien était ! Lui faire subir un abject traitement du silence et toujours croire que sa porte lui resterait ouverte en tout temps ! Mais pour qui le prenait-on ? Quelle était cette… cette chose chez Remus qui poussait tous ceux qu'il rencontrait à se jouer continuellement de lui ?

« Hum. » reprit James, décontenancé. « Je sais que tu détestes qu'on rentre dans ta chambre quand tu n'es pas là… ou, hum, quand tu es là aussi… mais vu que… enfin, vu que tu avais dit oui la dernière fois… et comme il n'arrive à dormir nulle part ailleurs qu'ici, je me suis dit que tu serais toujours d'accord ? Comme la fois dernière ? Je ne pouvais pas le laisser comme ça. » tenta d'expliquer James. « C'est mon meilleur pote. Tu sais que je ne pourrais jamais le laisser comme ça. »

« Potter. » commença Remus et derrière sa voix calme grondait un ouragan. « Si je te dis quelque chose, est-ce que tu pourras le transmettre à Sirius sans poser de questions ? »

« Euh, oui ? Si tu veux ? Mais tu peux le lui dire t… »

« On ne se parle plus. » asséna Remus. « Est-ce que tu pourras le faire ? »

James accusa le coup avec bien plus de gravité que son colocataire ne l'aurait prédit, ses yeux de biche soudainement exorbités. Une poignée de secondes passa avant qu'il ne se résigne à hocher la tête, permettant à Remus de poursuivre.

« Demande-lui si ça en valait le coup. Juste ça. Tant qu'il ne m'aura pas répondu, il pourra oublier cette chambre, insomnie ou non. »

Il fixa James en l'attente d'une réponse mais ce-dernier semblait encore secoué par la nouvelle.

« Est-ce que tu lui diras ? » le pressa alors Remus.

« Qu'est-ce qui s'est pa… »

« Est-ce que, oui ou non, tu lui diras ce que je viens de te dire ? » martela Remus. « Tu as dit que tu ne poserais pas de questions. »

James creusa ses joues, pinça brièvement des lèvres puis relâcha un long souffle.

« Okay. » finit-il par consentir. « Je lui dirai. »

« Parfait. » clôtura Remus avant d'attraper la pile d'habits à ranger, classant l'affaire. « Merci encore pour les vêtements. Vraiment. Tu m'évites quinze bonnes minutes de pliage. »

James opina en silence et se leva, marchant lentement vers la sortie.

« Est-ce que… » s'interrompit-il soudain. « Est-ce que c'est… est-ce qu'il a, genre, cassé quelque chose à toi ? »

Remus se mordit méchamment la joue.

« En quelques sortes. »

« Et c'est remboursable ? Parce que si ça l'est, je peux m'en charger. Dis-moi juste le prix. »

Et malgré sa colère, Remus vit réellement James Potter pour ce qu'il était. Une personne chaotique mais foncièrement bonne. Sirius ne méritait pas tant de loyauté.

« Non, Potter. Rien de remboursable. » répondit-il, un sourire amer aux lèvres. « Mais ça ira. Ça passera. »

.

.

.

Car tout finissait par passer.

Le bon, le mauvais et l'espace situé entre. Ce n'était pas un signe de guérison totale mais ce n'était pas non plus la même souffrance. Et au milieu de tout cela, la conscience de Remus ne cessait de chuchoter :

Respire.

Et passe à autre chose.

.

.

.

La nouvelle tomba un lundi, alors que Remus choisissait son poison caféiné devant le distributeur de salle de pause, sa pièce en main. Il hésitait entre cappuccino et macchiato, sachant pertinemment que le rendu ne serait que de trois grains moulus noyés dans six litres d'eau. Fort heureusement, l'effet placebo fonctionnait encore très bien pour lui.

« …ouais et puis comme Greg a été viré ce week-end… »

Remus se retourna avec une telle vitesse qu'il manqua de tituber sur place. Son mouvement soudain attira l'attention du petit groupe attablé juste derrière et tous levèrent les yeux vers lui. L'une des filles, une brune aux cheveux frisés, lui adressa un sourire un peu piteux.

« Tu n'étais pas au courant ? » lui demanda-t-elle.

« Non. » répondit Remus, le coeur battant la chamade, sa pièce de cinquante centimes enfermée dans son poing moite. « Il est… Il a été viré ? Définitivement ? »

« Définitivement, ciao, bye, arrivederci. » confirma un autre garçon en ouvrant bruyamment sa canette de Coca. « Et bon putain de débarras. »

« Vraiment pas trop tôt. » soupira son voisin.

« Honnêtement, ce n'était qu'une question de temps. » ajouta une seconde fille aux longs cheveux blond vénitien. « J'étais à peine étonnée lorsqu'on me l'a dit. »

« Et c'est, hum. » commença Remus avant de se racler la gorge maladroitement, six mille pensées par seconde.

« Il y a une place juste ici, si tu veux. » lui indiqua le garçon à la canette.

Et aussitôt le brun fut-il assis qu'il se retrouva cerné par quatre paires d'yeux attendant patiemment la fin de sa phrase.

« Je… je voulais juste savoir comment, hum. Enfin, les raisons. » se dépatouilla-t-il.

« Il piquait dans les caisses et un supérieur l'a choppé la main dans le sac. » expliqua sa voisine d'en face.

Remus cligna des yeux, abasourdi.

« …juste ça ? »

« Tu pensais qu'il se ferait coincer pour quoi ? »

« Oh. » haussa-t-il des épaules, incapable de filtrer son ton désabusé. « Harcèlements moral et sexuel. Trois fois rien. »

Remus les observa anxieusement tandis qu'il s'entreregardaient tous en silence, exclu d'une conversation mentale dont il semblait être le sujet principal.

« J'en étais sûre, mais j'en étais sûre. » craqua la blonde.

« Ouais, c'est… ouais. » confirma la brune en tripotant la boucle qui ornait son cartilage gauche. « C'est moche. »

« Je ne vous l'avais pas dit ? » continuait sa voisine, presque fière.

« Non mais en même temps, c'était évident. » admit le garçon à la cannette.

C'était évident, non ?

« Qu'est-ce qui était évident ? » demanda Remus, alerte.

« Greg était un pervers total avec toi. » cracha son voisin.

Remus resta bouche bée. C'était une chose de l'avoir subi mais entendre la confirmation extérieure d'un comportement qu'il avait fini par relativiser et intérioriser en était complètement une autre.

« Donc vous le voyiez ? Le… ces… tout ce qu'il me faisait ? Vous le voyiez ? »

« Bien sûr. Qui ne le voyait pas ? » répondit la blonde.

« Au départ, on pensait qu'il était juste, genre… un peu bizarre mais inoffensif. Le genre de gars tactile avec tout le monde, disons. » ajouta son voisin. « Sauf qu'il ne l'était qu'avec toi. C'était totalement bizarre. »

« Du coup on a vraiment pensé que vous étiez… tu vois ? » dit le garçon à la cannette et Remus voyait, hélas, et il était à un seul doigt de gerber. « Mais Lily l'a rapidement démenti. Donc à partir de là, on a vraiment commencé à se dire qu'il n'était pas net. »

« Enfin je vous l'ai dit. » revendiqua à nouveau la blonde — voulait-elle un trophée, à ce stade ? « Vous ne vouliez même pas me croire, au début. »

« Oui mais bon, on a rapidement constaté le truc de nos propres yeux. »

« Si vous l'aviez vu, pourquoi n'avoir rien dit ? » ne put s'empêcher de demander Remus.

Le silence qui s'abattit sur le groupe fut immédiat mais il garda la face. La fille au piercing lui adressait à présent le même sourire avec lequel elle l'avait invité dans la conversation et Remus le déchiffra pour ce qu'il était : un sourire de culpabilité.

« Tu restais souvent dans ton coin, on pensait vraiment que tu nous détestais. » admit son voisin.

Quel est même le rapport, répliqua mentalement Remus.

« On ne savait pas très bien à qui exactement s'adresser. » avança la blonde.

À moi, peut-être ? Juste pour commencer ?

« Il nous fallait des preuves solides. » s'expliqua le second garçon.

Et celles des caméras de surveillance ? Et celles littéralement sous vos yeux ?

« On aurait dû agir dès le départ et ne pas cautionner tout cela silencieusement. » s'excusa la fille au piercing. « Désolée. »

Remus la regarda, une seconde, deux secondes, puis hocha la tête, reconnaissant ces mots comme la seule excuse décente qu'il recevrait. Il prit ensuite une inspiration lente et laissa la nouvelle prendre son sens dans son esprit pour une toute première fois. Plus de Greg. Plus de proximité douteuse. Plus d'humiliations publiques. Plus de noeud dans la ventre. Plus de mains baladeuses. Plus de fureur refoulée. Son sourire ne put être retenu plus longtemps.

« Viré. » savoura-t-il le mot. « Si j'avais acheté mon café, j'aurais pu trinquer à cet évènement. »

« Justement ! » embraya la blonde vénitienne. « On sort tous jeudi soir pour fêter ça chez l'ennemi. »

« Le Trois Balais. » traduisit pour elle sa voisine.

« Ça te dit ? »

Respire, lui dicta sa conscience à l'instant où le souvenir de Sirius et lui attablés au dernier étage dudit pub rejaillit en surface. Et passe à autre chose.

« Parfait. »

.

.

.

En l'espace de trois jours, Remus comprit trois choses :

Premièrement, Rowena était rancunière. Ils ne s'étaient plus reparlés depuis le coup du texto et Remus n'avait relancé aucune de ses nouvelles tentatives bancales, laissant le retour de Nymphadora à ses côtés parler à sa place. Depuis, son ex-coéquipière le fusillait du regard et Remus n'en perdait pas une seule seconde de sommeil pour autant.

Deuxièmement, un James Potter en couple était un James Potter insupportable. Insupportable. Pas une seule de ses phrases n'était prononcée sans que « Lily » n'en soit la ponctuation. Lily a fait ci, Lily a dit ça, Lily a aimé, Lily déteste, Lily, Lily, Lily. Remus frôlait l'implosion. Dieu merci, la Lily en question était un joyau au boulot et piller les sodas entreposés dans la réserve était devenu leur petit rituel du mardi.

Troisièmement, aller à Honeydukes — et là, wow, qui l'aurait cru — n'était plus un fardeau. Mieux encore : Remus avait hâte d'y être. Hâte de discuter, rire, travailler en harmonie collective et sans anxiété supplémentaire. Le départ de Greg semblait avoir brisé une glace opaque ; tout le monde lui parlait et il parlait à tout le monde. Il n'était plus cet oiseau en cage que ses collègues n'observaient que de loin.

En l'espace de trois jours, Remus apprit dix-huit nouveaux noms mais deux en particulier retinrent son attention :

Noor, la fille au piercing. Infiniment drôle et facile à vivre. Une semaine n'était pas encore passée que Remus et elle comptabilisaient déjà quatre fous rires à leur actif. Entre eux, le déclic s'était fait de façon instantanée. Si instantanée que Remus déplorait tous ces mois gâchés dans l'indifférence mutuelle.

Felix, le garçon à la canette. Un Apollon qui se sait, une grande gueule qui s'impose. Pile le type de caïd qui aurait gratuitement renversé le contenu de sa trousse sur le sol au collège. Mais plus Remus l'observait, moins il sentait chez lui une méchanceté réelle. Juste le besoin d'être en tout temps vu et admiré. Désiré. Il y avait ces regards un peu trop longs que Remus interceptait en se disant, oh.

Oh.

Assis devant sa choppe de bièraubeurre, Noor et Olivia — la blonde vénitienne — en chamaillerie ivre autour de lui, il sentait ce même regard le brûler de loin. Quelque chose de viscéral et haletant. Remus porta sa boisson à ses lèvres pour en descendre trois longues gorgées et reposa sa choppe. Puis, sans préavis, il planta ses yeux droit dans ceux de Felix, le prenant parfaitement au dépourvu.

La panique fut instantanée. Felix regarda rapidement autre part, une seconde, deux secondes, revint vers Remus, et Remus était toujours là, Remus ne bougeait pas, alors Felix porta son regard sur son collègue d'en face, celui qui parlait dans le vide, puis sur son collègue de gauche, celui à deux doigts du verre de trop, et il hocha la tête d'un air concentré, but quelques gouttes de vodka, tripota son bracelet de montre, s'autorisa un regard en biais, et Remus était toujours là. Remus ne bougeait pas.

Fréquemment, on le pensait prude. Grave erreur. Remus était discret, certes, réservé, assurément, sur ses gardes, très souvent, mais lorsqu'il était sûr de ses chances, rien ne l'arrêtait. Il pouvait descendre de ce tabouret, attraper Felix par la main et le conduire vers les toilettes les plus proches. Et Felix allait aussitôt le suivre.

Mais cela en valait-il réellement la peine ? Telle était la question à se poser.

Remus connaissait les garçons comme Felix. Il les connaissait si bien qu'il pouvait rédiger une thèse sur eux. Le regard fuyant du lâche et la fougue de l'homme désespéré. Ceux qui ignorent en public mais à la seconde où Remus verrouillait la porte, il était plaqué contre. Puis la chemise était reboutonnée à la hâte et c'était : je sors en premier, tu attends trois-quatre minutes, puis tu sors aussi, et on ne se reparle pas de la soirée mais on s'appelle, hein ?

Remus connaissait les garçons comme Felix car il n'avait connu qu'eux. Et la tentation n'en valait plus la peine.

.

.

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« Wow. » constata James en lui ouvrant la porte, quelques heures plus tard. « Tu es complètement beurré. »

« N-non. » nia Remus avant de trébucher sur de l'air et se retenir au tout dernier moment à l'encadrement. « Juste. Juste un verre ou deux. »

« Ou huit. » ajouta James avec un grand sourire émerveillé et il sortit son portable de sa poche de peignoir pour le braquer droit sur lui. « Ne bouge surtout pas. »

« Qu'est-ce que… Potter — argh. » grimaça Remus, soudainement assailli par une série de flashs.

« Lupita bourré. Depuis le temps que mon Snapchat l'attend. » jubila-t-il, paparazzi d'une nuit.

Remus se retrouva donc à tituber dans le vestibule d'entrée sous l'objectif professionnel de James, son colocataire déterminé à monter un documentaire entier sur lui.

« …observez la hargne avec laquelle le sujet tente de défaire ses lacets. Hélas, sans succès. » narrait-il derrière son portable. « Jetons-y un coup d'oeil de plus près, si vous le voulez bien. »

« Potter, non, bouge, bouge. » gémit Remus avant de secouer piteusement son pied en l'air, le noeud de sa chaussure toujours intact. « Attends, non, reviens, aide-moi. »

« Le voici au pied du mur, sans mauvais jeu de mots. » poursuivait James.

« Potter. Stop. » souffla Remus, à bout. « Aide-moi. C'est juste… juste… ce fichu lacet. Potter. James Potter. »

« Tu es une réelle calamité, James. » intervint alors une voix féminine.

Cinq secondes plus tard, la tête angélique de Lily apparaissait dans le champs de vision de Remus. Il y eut… des bruits. Des voix. James qui répondait, Lily qui répliquait, la première basket de Remus qui était ôtée. L'étudiant ne se concentrait plus tellement. Un détail crucial lui fit cependant rejoindre le monde des vivants et il pointa consécutivement du doigt les deux tourtereaux.

« Ce sont les mêmes. Les deux mêmes. Vos peignoirs. Ce sont les mêmes. » articula-t-il difficilement.

Lily et James baissèrent les yeux sur leurs habits respectifs comme s'ils venaient de les découvrir.

« Oh, euh… oui. » admit James, les joues un peu roses.

« C'était un acheté, un offert. » relativisa Lily et elle lui enleva sa seconde basket.

« Mignon. » dit Remus, son sourire prenant des accents mélancoliques. « Vraiment mignon. Très mignon. »

« Hey, le roi des adjectifs. » dit alors Lily en lui tapotant gentiment la joue. « Viens regarder Rupaul's Drag Race avec nous le temps que l'alcool redescende. On se fait un marathon au salon. »

Remus se retrouva donc confortablement allongé sur le canapé dix minutes plus tard, la tête sur les cuisses de Lily, les pieds sur celles de James et ses yeux vitreux rivés sur la silhouette lointaine de Violet Chachki. Entre les railleries entrecoupées de rires de ses deux voisins et le bruit de popcorns croqués, Remus se sentit bercé, ses paupières tombantes, sa respiration de plus en plus lente…

« James ! »

« Désolé ! Désolé. Ohlala. »

« Non mais incroyable. »

« Je le suis, effectivement. Merci de le reconnaître. »

…jusqu'à ce que James s'asseye accidentellement sur la télécommande, basculant de Netflix à une chaîne d'information en continu. Le changement de bruit soudain sortit Remus de sa torpeur et il cligna plusieurs fois des yeux, désorienté. Avant de les écarquiller.

« Attends, attends, attends. » arrêta-t-il James à temps.

Remus se redressa, perdit momentanément équilibre mais ne lâcha pas l'écran du regard. Un homme y était interviewé — costard cravate, figure austère, cinquantaine grisonnante ; assurément un politicien — mais ce n'était pas ce qui avait instantanément captivé l'attention du brun.

« Regardez ! » cria-t-il presque en tapotant la coupe argentée qui ornait l'imposante bibliothèque en arrière-fond.

« On regarde. » confirma patiemment James.

« Juste ici ! Regardez juste ici ! »

« Et… qu'est-ce qu'on est censé voir ? » demanda Lily extrêmement lentement, comme s'il perdait la tête.

Mais Remus ne perdait pas la tête ! Il savait ce que ses yeux voyaient ! La sobriété n'était pas complètement au rendez-vous, certes, mais il ne pouvait être plus certain de sa découverte.

« C'est la coupe ! » insista-t-il, tabassant presque l'écran de la pointe de son index.

« La coupe. Hun-hun. » dit James de ce même ton perplexe.

« Mais… mais… la coupe ! Celle de Cal ! Callum ! Le dealer ! »

Lily se mordait à présent la joue pour ne pas rire.

« Tu connais un dealer qui s'appelle Callum, Remus ? »

« Oui ! » répondit le brun en hochant vigoureusement la tête. « Mais ce n'est pas un vrai dealer. »

« Mmmh. » réagit pensivement Lily. « Parce qu'il deale… des coupes ? »

« Oui, mais pas que. Il a… il a beaucoup de choses dans sa cave, partout, partout, des tas de… de trucs et objets vintage et quand on y est allé, on avait juste à se servir. »

« Vraiment ? » l'encouragea Lily avec un sourire diverti. « Quelle générosité de sa part. »

« Et la coupe était dans ce tas de… de choses éparpillées par terre puis elle a été ramassée par… »

« Sirius. » termina pour lui James.

Remus opina avec un grand sourire — ah, enfin ils se comprenaient ! — jusqu'à ce qu'il tourne la tête vers James et. Oh. Merde. Aussi alcoolisé qu'il était, le brun comprit à son expression de stupéfaction totale qu'il en avait un peu trop dit.

« Comment est-ce que tu connais Callum ? » l'interrogea James, atterré.

Un peu beaucoup, même. Remus rentra ses lèvres, coupable.

« Sirius. » laissa-t-il échapper malgré lui.

« Sirius. » répéta James d'un ton éberlué. « Sirius te l'a présenté. »

Tel un petit garçon réprimandé, Remus hocha misérablement la tête.

« Sirius Black. Mon pote, Sirius Black. Il t'a présenté Callum. » insista James qui semblait de plus en plus tomber des nues. « Mais pour quelles raisons ? »

Ne sachant sincèrement quoi répondre, Remus opta pour le silence.

« J'ai l'impression de louper quelque chose. » avoua alors Lily.

« Ouais. » répondit James, son attention toujours concentrée sur Remus mais sa voix lointaine. « Moi aussi. »

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.

.

Lorsque Remus se réveilla, il s'accorda quinze minutes de contemplation silencieuse du plafond. À cela s'ajoutèrent quinze autres minutes d'observation statique de son terrarium. Hulk y menait une vie paisible et sans histoires. Il grimpait de branches en branches, mangeait, buvait puis bronzait sous la lumière artificielle. Remus jalousait cette insouciance.

Il voulait rentrer dans ce bloc vitré, se lover à l'ombre d'une feuille et fuir les retombées du fiasco de la veille. Il voulait hiberner et que tout le monde l'oublie. Qu'un trait soit tiré sur sa misérable existence.

Le cadran du réveil indiquait onze heures trente et James avait la fibre matinale des sportifs. Il devait certainement occuper le rez-de-chaussée depuis l'aube et une fois que Remus descendrait, qu'allaient-ils bien pouvoir se dire ? Après la récente révélation et toutes les évidences que l'on pouvait en déduire, que restait-il même à admettre ? Si James était intelligent (et, contrairement aux croyances populaires, il l'était), il pouvait déjà imbriquer toutes les pièces phares du puzzle. Remus se sentait déjà à nu.

Alors il s'accorda quinze minutes de contemplation supplémentaire du dehors, posté devant la fenêtre. Le ciel était gris, l'orage à l'horizon. Tout au bout de la rue, le facteur terminait sa tournée. Le chat du quartier espionnait les allers et venues, lové aux pieds d'un poteau. Un groupe d'écoliers en uniforme remontait le trottoir en rigolant. La voisine venait de sortir en robe de chambre pour récupérer son courrier. Remus s'immergeait dans tout ce que ses yeux pouvaient voir jusqu'à la dissociation mentale, espérant que son enveloppe corporelle suive.

Toc toc toc, frappa-t-on à sa porte.

L'étudiant ferma les yeux. Deux choix s'offraient à lui : prétendre de dormir encore et retarder ainsi l'échéance ou tout affronter d'un seul coup et en finir.

« Entre. »

James ouvrit la porte avec hésitation, ne s'étant manifestement pas attendu à être convié. Remus lui indiqua sa chaise de bureau pour qu'il puisse s'y installer. Il s'assit lui-même en bordure de son lit défait, le dos parfaitement droit, et fixa le sol en l'attente anxieuse d'un verdict.

Lorsque rien ne vint, le brun releva petit à petit la tête. Et tout comme hier, James ne se contentait que de le dévisager. La confusion n'était plus présente sur sa figure, cependant. Là où son regard de la veille avait posé une foule de questions, celui d'aujourd'hui ne cherchait qu'une seule confirmation.

« Potter. » dit alors Remus, haïssant le tremblement dans sa voix. « Je sais que tu as des choses à dire. Dis-les d'un seul coup. Qu'importe la manière. »

James prit une grande inspiration mais haussa ensuite des épaules.

« Je ne sais pas quoi dire, en fait. »

Remus déglutit.

« Sirius est… » s'interrompit James, à la recherche du mot parfait. « Secret. »

Il fixa sa paume un instant, son pouce en traçant les nervures, avant de continuer.

« J'ai tendance à le surprotéger, ce qu'il déteste, mais c'est comme ça et je ne me vois pas changer. À cause de cela, il ne me dit jamais tout en temps réel. Les choses insignifiantes, oui. Les petites emmerdes du quotidien, d'accord. Les questionnements existentiels à trois heures du matin, aucun souci. Mais dès que ça le touche personnellement, soit je suis obligé de lui tirer les vers du nez, soit il ne m'en informe que bien plus tard et selon ses termes. » Il observa Remus une poignée de secondes encore pour ensuite ajouter : « Il ne m'a jamais parlé de toi. »

Remus se prit la phrase de plein fouet, raté cardiaque à l'appui.

« Il m'a parlé de Remus Lupin, mon coloc', l'étudiant en philosophie, le brun de la chambre de gauche, le propriétaire du gecko. Mais il ne m'a jamais parlé de toi. »

« Qu'est-ce que c'est censé signifier ? »

« Je ne sais pas. » dit encore James tout en ayant l'air de parfaitement savoir. « Mais je sais qu'il t'a fait rencontrer Callum. Je sais que tu apaises ses insomnies plus efficacement encore que les médicaments qu'il prend depuis des années. Je sais qu'il m'a toujours parlé de ses coups de coeur, coups d'un soir, aventures, relations sérieuses, ruptures amoureuses, succès, déceptions — tout. Et il ne m'a jamais parlé de toi. »

C'était drôle, cruellement drôle, comme tout dans cette vie n'était qu'une question de timing. Quelques semaines plus tôt, Remus aurait accueilli cette révélation avec un soupir extatique. Aujourd'hui, elle lui faisait l'effet d'une lame.

« Il m'a abandonné. » murmura-t-il car un ton plus haut aurait donné une couleur plus vive à sa peine. « Il m'a embrassé durant la fête, celle où tu m'as supplié de ramener Lily. Puis il m'a abandonné. Et je ne reviens plus vers ceux qui m'abandonnent. »

Et comme il fut surprenant de voir James sourire.

« Il ne t'a pas rappelé depuis la fête, hein ? » devina-t-il. « Pas un appel ni un texto. Pas même une seule visite. Rien. Nada. Niet. Silence radio. »

Remus opina lentement, intrigué malgré lui.

« Typique. » pouffa James. « Vous êtes tous les deux strictement pareils, en fait, à y repenser. Phobie de l'abandon, peur panique du rejet, tout le bazar. Alors à ses premiers signes, vous coupez tout contact. »

« Ce n'est pas moi qui l'ai abandonné. » se défendit aussitôt Remus.

« Et je te crois. » lui assura tout aussi rapidement son voisin. « Mais quelques fois, et à cause justement de ce mécanisme, Sirius se convainc de choses qui n'ont absolument jamais existé. Et tant que tu ne viens pas le secouer physiquement pour l'extraire de cette pensée, il continuera d'y croire. »

« Ce n'est pas moi qui l'ai abandonné. » maintint fermement Remus. « Donc ce n'est certainement pas à moi de revenir vers lui. »

« Il ne reviendra pas de lui-même. » expliqua James avec un simple haussement d'épaules. « Même lorsqu'on se dispute, il ne revient pas de lui-même. Même lorsqu'il a affreusement tord et qu'il le sait. C'est toujours à moi de faire le premier pas et à lui de faire le reste. Et il fait toujours le reste, pas de doute à avoir là-dessus. Mais tout comme toi, il ne reviendra jamais en premier vers ceux dont il croit avoir été abandonné. »

Remus secoua la tête, confus.

« Je ne l'ai pas abandonné en premier. » persévéra-t-il mais la phrase sonnait maintenant comme une tentative d'auto-persuasion. « Je n'ai absolument aucune raison de l'abandonner. Je n'y ai même jamais pensé une seule seconde. C'est… c'est ce qu'il pense ? »

« Peut-être, le connaissant. »

« Mais… mais comment..? Alors que je n'y ai jamais pensé ? »

« Dis-lui. » suggéra James, distrait par la vibration de son téléphone dans sa poche. « Prends sur toi, recontacte-le et dis-le-lui. S'il ne l'entend pas, il ne le saura pas. Crois-moi. »

Pourquoi ne le saurait-il pas, voulut encore protester Remus mais le voici perdu, à présent. Les fondations de son amertume commençaient à fondre, leur validité questionnée par ce soudain changement de perspective. Face à lui, James pianotait une série de textos en souriant, déjà lointain. Dehors, la pluie s'abattait à grosses gouttes.

Et Remus restait perdu.

.

.

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Il se donna un jour.

Puis il s'en accorda un deuxième.

Durant le troisième, il accompagna Nymphadora chez le coiffeur pour une coloration bleu électrique. Noor les rejoignit ensuite autour d'un bubble tea et le courant passa tant et si bien entre elles que Remus crut perdre sa meilleure amie. Lorsqu'il revint en début de soirée, la maison était vide et le silence l'oppressa instantanément.

Alors il rangea la cuisine de fond en comble ; sol, table, évier, frigo, placards. En ordonnant son côté de l'étagère, il repêcha une tisane offerte par Nana, quelques mois plus tôt. Une seule tasse de cette infusion était parvenue à le faire instantanément dormir tel un nouveau-né. Agenouillé à même le carrelage, le brun fixa la boîte entrouverte, ses méninges en marche.

Puis il appela James.

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L'immeuble de briques rouges se situait en plein centre-ville, coincé entre une banque et une bijouterie. L'édifice ne dépassait pas les quatre étages et était gardé par une porte noire à vitre floutée. Remus compta de un jusqu'à cinq, prit une grande respiration puis traversa la chaussée au trot, évitant un bus de peu. Arrivé devant la porte, il tapa le code à quatre chiffres transmis par James et attendit le déclic. Et lorsque la porte se referma derrière lui, l'agitation extérieure fut emportée dans son claquement.

Tu traverses le hall, lui avait indiqué James mais Remus s'accorda un petit temps pour absorber ce que ses yeux découvraient. Tout était blanc, vitré et lustré, une haute plante verte décorant l'endroit. Le bout du couloir se terminait en un petit jardin intérieur semi-couvert et extrêmement bien entretenu. De l'extérieur, personne n'aurait pu deviner son existence.

Tu montes jusqu'au premier étage. Remus grimpa l'escalier, chaque pas amorti par l'épais tapis couleur rubis recouvrant les marches. Et arrivé au premier palier, aucun doute à avoir ; il n'y avait qu'une seule porte. Un porte-parapluie vide se trouvait près du paillasson et, de l'autre côté, une seconde plante verte fleurissait dans son pot.

Et puis tu sonnes. Alors Remus sonna, l'estomac en vrac. Dans le silence qui s'ensuivit, fuir fut une idée tentante. Dévaler les escaliers, remonter le hall en courant, ouvrir la porte d'entrée à la volée et se fondre dans la masse anonyme et rassurante des passants. Rien ne fut honnêtement plus tentant.

Et puis la porte s'entrouvrit.

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Sirius vivait dans une seule grande pièce de quatre-vingt mètres carré.

Il y avait le coin salon avec fauteuil d'angle, table basse et écran plat. Il y avait le coin cuisine aménagé à l'américaine. Il y avait un escalier en métal menant à une mezzanine ouverte. De ce que pouvait apercevoir Remus, son lit s'y trouvait. Il y avait également une vue imprenable sur toute l'avenue marchande offerte par le grand mur vitré. Il était coiffé de rideaux mousseline, permettant ainsi d'observer sans être scruté en retour.

« Combien de sucres, pour le thé ? »

Remus sursauta, s'extirpant de sa contemplation pour se tourner vers Regulus. Il lui avait ouvert la porte, quelques minutes plus tôt, et face à ce sosie en smokey-eyes de Sirius, Remus avait sincèrement cru voir double.

« Oh, ça ira. » refusa le brun. « Merci beaucoup. »

Regulus posa la petite soucoupe en porcelaine sur la table basse, juste devant Remus. Il désigna ensuite le reste du salon d'un geste vague de la main, chacun de ses ongles verni en noir.

« Il y a la télé, la PS4, la Switch et tu peux trouver des magazines juste en-dessous du buffet. Ah, et les toilettes sont à côté de la porte d'entrée. » énuméra-t-il. « Fais comme chez toi. »

Remus hocha lentement la tête, décontenancé. Ils ne s'étaient jamais rencontrés auparavant et pourtant, Regulus le traitait avec une familiarité que l'on réservait aux proches. Un seul regard sur le pas de la porte avait suffit pour qu'il soit convié à l'intérieur, nourri et accommodé, aucune question posée.

« J'ai envoyé un texto à Sirius pour le prévenir. » continua-t-il en tapotant le portable glissé dans sa poche de jean trouée. « Il est juste sorti faire une course, ce ne sera pas long. »

Remus opina à nouveau et attrapa sa tasse d'une main légèrement tremblante. Il y trempa ses lèvres, but une petite gorgée, puis, se sentant épié, releva la tête. Et même surpris en flagrant délit scrutateur, Regulus ne détourna pas des yeux.

« Je trouve vraiment ta cicatrice mortelle. » déclara-t-il, fasciné.

Telle était l'ultime preuve qu'il s'agissait bien du petit-frère de Sirius. Même chair et même sang.

Regulus Black, apprit Remus dans les minutes qui suivirent, étudiait en biologie marine le jour et tenait un groupe de néo-metal la nuit. Il détestait les épinards, adulait les bélugas et était allé voir La Favorite cinq fois au cinéma. Ils étudiaient dans la même fac, ironie du sort, et Regulus soutint mordicus l'avoir déjà aperçu par deux fois à la bibliothèque — ce dont Remus doutait fortement, invisible partout et à toute heure. Regulus vivait officiellement sur le campus mais squattait officieusement le loft de son grand-frère car il soupçonnait son colocataire d'être nazi. Aussi : les douches communes étaient affreusement sales.

« Ça a vraiment été le facteur déterminant. » expliqua-t-il.

« Pas le nazisme, alors. » se retint de rire Remus.

« Ça aussi. » ajouta une seconde plus tard Regulus.

Il avait l'exact même sourire que Sirius, cette petite pointe moqueuse dont l'étudiant ignorait si elle était auto-dérisoire ou dirigée contre lui. C'est dingue, la génétique, s'extasia bêtement son esprit puis la porte d'entrée claqua et Sirius-version-originale apparut.

Ses cernes. Voilà ce qui frappa Remus de premier abord. Sans doute avaient-elles déjà été là auparavant mais sur le canevas pâle qu'était devenu sa peau, les sillons violacés lui sautèrent brutalement aux yeux. Il avait attaché ses cheveux en une demi queue-de-cheval et arborait le pull blanc en mailles qu'il avait porté durant leur excursion chez IKEA. Était-il juste sorti comme ça ? Avec ce froid ? Et ce vent ? Remus se mordit la langue, retenant une réprimande maternelle instinctive.

« Salut. » finit par dire Sirius, l'air fatigué.

« Hey. » répondit tout aussi doucement Remus.

Tel un ressort, Regulus se leva d'un bond.

« Je vous laisse tranquilles ! » annonça-t-il énergiquement. « Siri, il y a des lasagnes dans le four. Si je ne t'ai pas envoyé de texto avant minuit, c'est que mon coloc' m'aura disséqué. »

« 'kay. » répondit mollement Sirius, se laissant embrasser la joue.

« Au plaisir, Remus ! » lança Regulus depuis l'entrée puis, trois secondes plus tard, la porte claquait.

Et le silence qui s'ensuivit, Remus ne le supporta pas longtemps. Bientôt, il s'entendit hasarder :

« …Siri ? »

Ce qui eut le mérite de décrocher l'ombre d'un sourire chez le concerné.

« Surnom stupide. » marmonna-t-il. « On les collectionne, ici. »

« Oh ? Et quel est le sien ? » voulut savoir Remus.

« Equerre. Parce que Règle. Parce que Regulus. » Sirius secoua la tête, l'air vaguement embarrassé, mais ajouta tout de même : « Ma création. »

« Ingénieux. »

« Débile, surtout. » souffla Sirius.

« Regulus est très gentil. » embraya Remus. « Très drôle, aussi. »

« Il l'est. » acquiesça Sirius et Remus vit la tension diminuer en lui d'un petit cran. « Bien plus que moi. »

« Mmh, ça reste à confirmer. »

Et le regard qu'il lui adressa, Remus ne sut comment le déchiffrer. Il n'en eut même pas le temps, Sirius se dirigeant déjà vers la cuisine pour déposer son sac de course et ranger chaque affaire à sa place.

« Qu'est-ce que tu veux ? » lui demanda-t-il, cash.

Remus écarquilla des yeux.

« Hum. » se ressaisit-il à temps.

« On a du Lipton, du Earl Grey, du jus de fruits, peut-être du Coca. Et des lasagnes, apparemment. » poursuivit-il avant de se retourner brièvement vers lui. « Tu aimes les lasagnes, non ? »

Remus hocha juste la tête, en prise du plus violent des ascenseurs émotionnels.

« Okay. » répondit Sirius.

Et il ouvrit le four. Et Remus le regarda ouvrir le four. Et il le regarda sortir le plat en verre, chercher un couteau, couper une part, attraper une assiette puis transvaser la part dans l'assiette. Il observa la lenteur avec laquelle ses mouvements s'enchaînaient. La lourdeur de ses pas tandis qu'il se déplaçait d'un point rapproché à un autre. L'affaissement de ses épaules. La mèche qui chatouillait ses cils pour plonger dans ses cernes. La fatigue si présente, si palpable et transparente. Un tel spectacle ne put que faire retomber Remus dans un gouffre d'émotions vives — détresse, attendrissement, révolte, culpabilité, possessivité, tristesse, amour.

Amour.

Amour.

« Laisse. » dit-il.

Et de l'autre bout de la pièce, Sirius l'entendit.

« Tu n'en veux plus ? » lui demanda-t-il, l'assiette toujours en main.

« Après. » indiqua simplement Remus en se levant. « Tu m'as l'air épuisé. Depuis combien de temps n'as-tu pas dormi ? »

Le regard que Sirius posa sur lui fut si vide, si étranger au personnage plein de vie et d'audace que connaissait Remus qu'il y avait de quoi être effrayé.

« Donc ça t'intéresse ? »

Première pique. Remus déglutit mais choisit de l'enjamber. Il quitta le salon puis contourna l'îlot de cuisine pour se tenir droit devant lui.

« Je t'ai apporté ça. » dit-il en lui tendant le petit paquet rectangulaire avec lequel il était venu. « C'est une tisane aux herbes que Nana m'a donné. Elle m'a fait dormir dix longues heures la toute première fois que je l'ai prise donc j'ai pensé qu'elle pourrait t'aider. »

Sirius contempla la boîte avant de la prendre pour l'examiner, s'attardant brièvement sur la liste des ingrédients.

« Déjà essayée. » fut son verdict, huit secondes plus tard.

« Oh. » dit Remus, les yeux baissés au sol. « Désolé. »

« Pas de ta faute. »

« Je pensais vraiment que… »

Et il haussa des épaules, une boule dans la gorge.

« Que ? » le relança Sirius après un petit temps de silence.

« Je sais pas. » admit Remus à demi-voix.

Il entendit Sirius prendre une inspiration longue, très longue, puis sentit son front se déposer contre son épaule.

« Qu'est-ce que tu veux ? » demanda-t-il à nouveau, si las, plus las qu'une personne de son âge n'avait le droit d'être.

Remus s'agrippa aux mailles de son pull, son étreinte timide.

« Je veux… je voudrais que tu te reposes. »

« Sois honnête, Remus. » réfuta platement Sirius. « Sois honnête. Tu as toujours été honnête avec moi. Alors sois-le. »

Il nicha sa tête dans sa nuque, y noyant un soupir.

« Qu'est-ce que tu veux ? » répéta-t-il contre sa peau.

« Toi. » admit alors Remus, plus honnête qu'il ne l'avait jamais été. « Je te veux. Toi. »

Sirius bougea la tête de droite à gauche, tout d'abord lentement puis avec de plus en plus de détermination.

« Ce n'est pas moi que tu veux. » infirma-t-il encore, fataliste.

Remus cligna des yeux.

« Comment ça ? »

« Ce n'est pas moi que tu veux. » soutint Sirius en se redressant pour terminer : « Tu veux quelqu'un, mais je ne suis pas cette personne. »

Et c'était son regard qui déstabilisait le plus. Il n'y avait ni colère, ni rancune ou déception. Il n'y avait aucune tristesse, aucune émotion combattive, rien. Juste cette infinie passivité qui ne lui ressemblait pas et face à laquelle Remus se sentait désarmé.

« Comment peux-tu même le savoir ? »

« Arrête. » dit simplement Sirius et il s'en remit à ses courses.

« Non, non, réponds. » soutint le brun, le coeur dans la gorge. « Qui voudrais-je d'autre ? »

« Remus. » répéta Sirius, les yeux brièvement fermés. « Arrête. »

Il plia le sac en plastique vide pour le ranger dans un petit bac et Remus resta planté là, enraciné sur place, les bras le long du corps. Paralysé par l'impuissance.

« Est-ce que tu as toujours faim ? » l'interrogea Sirius en désignant son assiette. « C'est encore tiède mais je peux te le réchauffer. »

Un mur. Voilà ce qu'il était devenu pour Remus. Lisse, blindé, impersonnel. Froid. Aucune porte pour entrer, aucune fissure pour se faufiler, toute émotion humaine dissimulée derrière une couche épaisse de peinture fraîche. Et ces dernières semaines de distance en avait perfectionné le séchage complet.

« Est-ce que tu en veux ? » réitéra Sirius, apathique.

Remus parcourut quatre pas, prit son visage entre ses mains et l'embrassa. Désemparé, désespéré, à bout de souffle, il l'embrassa. Dis-lui, avait suggéré James et c'est ce qu'il tentait de faire, à présent. Il le lui disait d'une langue universelle et d'une bouche avide à laquelle Sirius répondait progressivement, encore méfiant. S'il ne l'entend pas, il ne le saura pas. Remus agrippait son col, attrapait sa lèvre inférieure, redoublait de force, collait leurs deux torses, coeur contre coeur, et espérait qu'il en comprenne le battement erratique. Il espérait désespérément être entendu.

Lorsqu'il fallut retrouver une respiration, les yeux de Sirius étaient clos mais sa figure demeurait inclinée vers lui, comme en attente. Ses lèvres brillaient d'un rouge humide. Incapable de s'en restreindre, Remus les embrassa encore.

« Qui voudrais-je d'autre ? » murmura-t-il tout contre.

Il déposa un baiser sur une commissure puis l'autre et Sirius resta immobile.

« Dis-moi. »

Il descendit vers sa mâchoire pour en parcourir la longueur, partant de la gauche et finissant tout à droite.

« Qui ? »

Il remonta jusqu'au niveau de sa tempe gauche, embrassa les plis de son oeil et redressa doucement la position de sa figure d'une phalange sous son menton. Sirius se laissait à présent complètement faire.

« Qui pourrais-je même vouloir d'autre ? »

Il lui mordilla le haut de l'oreille, juste un peu, gentiment, puis sa langue passa sur le semblant de morsure et Sirius en frissonna. Remus le sentit s'accrocher à ses hanches et avouer dans un chuchotement de torpeur :

« C'est… ça… ça m'endort. Continue. »

S'interrompant partiellement pour l'observer, le brun constata le changement par lui-même. D'impassibles et fermés, ses traits étaient à présent plus détendus, plus ouverts et vulnérables.

« Continue, continue, continue… » le pressa Sirius, son impatience presqu'enfantine.

Remus noya un sourire dans ses cheveux et continua. Il lui embrassa le front, ses baisers plus légers, moins languissants. Son toucher tenait plus de l'effleurement furtif que de l'acte fougueux, à présent. Il traça l'arc de ses sourcils du bout des doigts, un à un, apposa ses lèvres sur ses paupières fermées, descendit le long de l'arête de son nez, un baiser par centimètre de peau, doucement, délicatement, et Sirius s'effondra presque contre lui, ses dernières armes rendues.

« Ce ne serait pas meilleur de continuer dans ton lit ? » proposa Remus avant de vite clarifier : « Comme ça, si tu t'endors, ce sera plus confortable. Tu n'auras pas à te déplacer. »

Sirius amorça un hochement de tête et pointa faiblement du doigt l'échelle de la mezzanine, dénué d'énergie. Pas par pas, marche après marche, Remus l'aida jusqu'à ce qu'ils arrivent au sommet. Sirius s'effondra sur le lit en premier mais tapota la place à côté de lui avec un début de gémissement plaintif, comme si les mots étaient à présent bannis de son vocabulaire. Remus monta donc sur le matelas, ce même matelas qu'ils avaient testé ensemble, choisi ensemble, acheté ensemble, et Sirius vint aussitôt se lover contre lui, sa figure dans le creux de sa nuque. Le brun glissa ses doigts dans ses cheveux pour les caresser, les coiffer, les enrouler puis les éparpiller, masser son cuir chevelu, bercer Sirius sans même réaliser que ses propres yeux tombaient.

Il sentit à peine le sommeil l'emporter.

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La mezzanine était grande. Remus n'avait pas pu bien y faire attention la veille mais il pouvait à présent observer l'endroit plus à sa guise, l'appartement baigné dans la lumière claire du jour. Sirius dormait à poings fermés sur sa droite, la tête enfoncée dans l'oreiller, sa respiration profonde et silencieuse. Un épis vagabond entravait son visage assoupi et Remus vint le ranger derrière son oreille puis laissa sa main reposer contre sa joue. Sous sa paume, sa figure était chaude et sa peau, laiteuse.

Et la mezzanine était grande. Remus laissa son regard vagabonder aux alentours, explorer, déduire. Le mobilier était assez minimaliste ; un bureau en verre, une chaise en cuir tournante, une penderie en acajou, une lampe halogène, un tapis et puis le lit. Seule véritable décoration de l'espace : ce magnifique tableau accroché au mur d'en face. Une femme nue y était représentée devant son miroir, ses longs cheveux noirs balayant ses hanches, et son reflet ricochait à l'infini, chaque version plus petite que celle précédente.

Sirius eut une respiration plus forte qu'une autre puis décida qu'il était temps de changer de côté, tournant le dos à Remus. Le brun en profita alors pour quitter le lit le plus silencieusement possible, jeter un dernier coup d'oeil à la silhouette endormie de son voisin puis continuer son exploration.

Silencieux, aéré et moderne ; telle pouvait être la description de l'appartement. Il était plus beau encore que ce qu'il en avait vu la veille. Les décorations du rez-de-chaussée se faisaient plus nombreuses qu'à l'étage et Remus se retrouva en contemplation devant tout ce sur quoi ses yeux se posaient — petites poupées en porcelaine peinte, masques en bois vernis, photos de paysages abstraits, vases en verre soufflé, cendrier en mosaïques…

Il n'y avait aucune photo. Aucune carte postale. Aucune tête autre que celles peintes en flou ou photographiées anonymement.

Le grand mur vitré se précédait d'une estrade sur laquelle trônait un fauteuil. Remus vint s'y installer pour observer la rue. C'était comme regarder un film muet. Il voyait la foule déambuler, les voitures rouler, les enfants crier, mais il n'entendait rien. Depuis son perchoir, seule la version visuelle lui était accessible. Remus ramena ses cuisses contre son torse pour les encercler de ses bras et hissa son menton dans le creux séparant ses deux rotules. Il ne prédit pas de se laisser hypnotiser par les mouvements du dehors mais lorsqu'un bruit interrompit son silence, trois quarts d'heure venaient facilement de s'écouler.

« …déjà réveillé ? » s'étonna-t-il tandis que Sirius terminait sa descente des escaliers en jogging et t-shirt.

Il n'eut pas de réponse immédiate de sa part, juste un bâillement étouffé suivi d'un long étirement. Sirius se frotta les paupières du talon de la main et observa Remus d'un oeil vitreux, encore un peu dans les vapes.

« Est-ce qu'on peut être ensemble ? » fut sa réponse tardive.

Remus resta bouche bée. Lorsqu'il parvint enfin à la refermer, sa langue avait presque séché.

« Ensemble, c'est… c'est-à-dire ? » bégaya-t-il.

« Ensemble. » répéta-t-il sur le ton de l'évidence. « On peut ? Officiellement ? »

« T-tous les d-deux ? »

Sirius opina, patient, et Remus en oublia l'usage de la parole trois longues secondes. Puis il hocha la tête à s'en déboîter une vertèbre.

« Oui. Bien sûr. Oui. Oui. Bien sûr. »

« Okay. » dit Sirius. « Je vais me brosser les dents. »

Remus le regarda s'éloigner dans un état second. Tierce, même. Que venait-il même de se passer ? Il se tapota les joues, ré-insufflant de la vie dans son corps pétrifié. Qu'est-ce que… comment… par quels moyens…

« Viens avec moi. » décréta Sirius et la main de Remus se retrouva prise en otage tandis que son corps se levait par lui-même.

« De… où..? »

« Il faut qu'on se brosse les dents. »

« Oh ? »

« Oui. Maintenant. » acquiesça Sirius et le voici qui marchait de plus en plus vite, les menant vers la salle-de-bain. « Viens. »

Remus n'eut ni le temps de s'extasier devant la baignoire d'époque, ni de décortiquer la décoration marine qu'une brosse lui était présentée sous le nez, Sirius étalant déjà la pâte mentholée pour lui. Côte à côte, ils prirent quatre minutes pour se débarbouiller, commençant par la bouche et terminant par le visage entier. Remus s'éclaboussa la figure d'un dernier jet d'eau fraîche puis referma à l'aveuglette le robinet. Et lorsqu'il releva la tête en quête d'une serviette, Sirius lui vola son souffle.

.

.

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Il y avait un t-shirt à la porte de la salle d'eau.

Et un autre t-shirt abandonné tout près du vestibule d'entrée.

Deux pas plus loin, une ceinture en cuir.

Et près de la table basse, le jean qui allait avec.

Sur le tapis, un boxer noir gisait.

Puis un jogging à moitié retourné, quelques centimètres plus loin.

Et assis sur le sofa, Remus retrouvait son oxygène pour l'expirer à nouveau dans un soupir saccadé.

Sirius était partout, partout, partout à la fois. Une main le stabilisait au-dessus de lui, une autre gardait sa nuque en place, sa langue remontait le long de son cou et sa bouche colorait d'écarlate l'épiderme sensible présentée à elle. Son lobe capturé entre ses dents, l'aspira de ses lèvres pour suivre ensuite la courbe de son oreille. Et arrivé en son creux, il y chuchota douceurs et indécences jusqu'à ce que Remus fonde. Jusqu'à ce que leurs deux bouches se retrouvent, haletantes, affamées. Jusqu'à ce que Remus le pousse contre le sofa pour surplomber son corps allongé, ce royaume qu'il pouvait maintenant appeler sien.

Il le réalisait pleinement, à présent : Sirius l'avait toujours dévisagé avec une lueur particulière. Une sorte d'adoration silencieuse sous son habituelle désinvolture. Il l'avait toujours fixé ainsi. Et c'était ce même regard qui ne le lâchait pas tandis que Remus embrassait chaque parcelle de peau disponible, de sa pomme d'Adam à la vallée de son torse pour continuer le long de son ventre, et poursuivre plus bas encore, chaque baiser plus humide que le précédent.

Sirius le regardait et ne cessait de le regarder, ses paupières lourdes, sa respiration hachée. Sa figure était crispée, en proie à une exquise douleur, et le pouvoir que ressentait de seconde en seconde Remus frôlait l'enivrement. Jamais personne ne l'avait encore regardé ainsi.

Jamais personne ne l'avait embrassé avec autant d'abandon. Sirius tenait sa figure entre ses deux mains, lui laissant croire qu'il était la seule personne au monde. Et quel dangereux fantasme était-ce mais Remus ne pouvait s'empêcher d'y croire en se disant que peut-être, peut-être…

Soudain, il était celui allongé. Contre son cou, Sirius recommençait son oeuvre d'art buccale, plus carnassier que jamais. Puis il posa une paume contre son torse et chuchota 'Attends, ne bouge pas, reste ici, ne bouge surtout pas' d'une voix urgente, comme si Remus n'avait pas déjà prévu de vivre et mourir sur ce canapé. Lorsque Sirius s'éclipsa juste après, il ne put que l'attendre. Et lorsqu'il réapparut avec un flacon Durex à l'effigie de Maître Yoda, il ne put qu'éclater de rire. 'Où est le préservatif Princesse Leia ?', demanda-t-il, des larmes d'hilarité aux yeux, et Sirius se pencha vers lui avec le plus beau des sourires. Puis il dévissa la bouteille et le fit réellement pleurer.

Car jamais personne ne l'avait encore touché comme Sirius le touchait. Entre ses mains, il était une créature précieuse mais solide. Il n'était pas fragile et Sirius ne l'avait jamais traité comme tel. Il n'était pas un objet cassable et depuis qu'ils se connaissaient, Sirius n'avait cessé de tester ses limites. Constamment, progressivement, affectueusement, sans jamais se rétracter ni s'excuser.

Ils se fixaient droit dans les yeux, leurs bouches si proches qu'elles en partageaient la même respiration, et l'écart les séparant était minime mais Remus ne trouva pas la force de joindre les deux bouts. Il ne put que dévisager Sirius et se laisser contempler éperdument en retour. Quelle vision chaotique devait-il incarner. Ses cheveux collaient à son front, à ses tempes. Ses joues humides viraient au rose concentré. Son corps sous lui était docile, malléable. Et Sirius le regardait, accélérant le rythme, lui rendant silencieusement tout ce que son regard fiévreux épelait.

Jamais Remus n'avait aimé quelqu'un comme lui.

.

.

.

« J'ai une question. »

L'eau était du violet des galaxies, tantôt mauve, tantôt bleutée, des spirales blanches encerclant leurs jambes entremêlées. Du bout des doigts, Sirius traçait des motifs sur la surface colorée, son dos reposé contre le torse de Remus qui caressait doucement ses cheveux. Quelques part à leurs pieds, la bombe de bain terminait de se dissoudre.

« Dis-moi. » l'incita le brun.

« J'ai peur de te la poser. » ajouta Sirius.

Remus détacha son regard du plafond de la salle de bain pour observer le profil de Sirius. Mouillés, ses longs cheveux paraissaient noir corbeau et l'étudiant les ramena tout doucement vers l'arrière. Les paupières de Sirius vacillèrent, aux prises d'une relaxation instantanée.

« Je ne vais pas m'énerver, qu'importe le sujet. » murmura Remus.

« Ce n'est pas ça qui me freine. »

Il resta silencieux et Remus pressa ses lèvres tout près de ses tempes, comme pour l'encourager.

« C'est ce que pourra être ta réponse. » finit Sirius.

Oh. Remus haussa des sourcils puis hocha la tête pensivement.

« Faisons un jeu. » suggéra-t-il alors. « Tu poses une question à laquelle je dois répondre puis je pose une question à laquelle tu dois répondre, et ainsi de suite. »

« Tu commences. » décréta aussitôt Sirius.

Remus fit mine de réfléchir. Il avait déjà une question en tête depuis un petit moment.

« Que deviennent les objets que te donne Callum ? »

« Je les reconditionne pour les vendre cinquante-huit fois leur prix initial sur le marché noir à de riches connards qui pensent faire une bonne affaire. » répondit immédiatement Sirius.

« Wow. » réagit Remus, absolument sonné. « Wow. » répéta-t-il, arrachant un petit rire à son voisin. « Et James t'aide ? Vous ne vous êtes jamais faits attraper ? Comment en as-tu même eu l'idée ? »

« Ça fait trois questions différentes. À moi. » décida Sirius et il attrapa la main de Remus pour la reposer sur le haut de sa tête, l'incitant à continuer ses administrations. « Quel est le nom de la dernière personne dont tu as été amoureux ? »

Remus prit réellement le temps de réfléchir, cette fois-ci. Il rembobina la cassette : Alex, Lonnie, Mark. Sirius.

« Avec le recul, je ne crois pas avoir déjà été véritablement amoureux dans le passé. » réalisa-t-il. « Quelques personnes s'en sont rapprochées mais… non. Aucune ne m'a captivé comme maintenant. »

Et la révélation involontaire sembla être assimilée par les deux garçons au même moment. Le corps de Remus se liquéfia dans l'eau tiède. Il n'y avait que lui pour accidentellement se dévoiler jusqu'à l'âme. Lorsqu'il sentit Sirius reprendre sa main, ce fut pour lui en embrasser le dos, une fois, deux fois. Puis la reposer sur le haut de sa tête.

« À toi. » lui rappela-t-il.

« Comment est venue l'idée de ton… ton trafic d'objet ? » demanda Remus d'une voix étranglée.

« Très organiquement. » commença Sirius. « Lorsque j'étais ado, mes insomnies s'accompagnaient de troubles hyperactifs. Plus j'étais fatigué, plus je devenais chaotique, un peu comme si mon corps appelait à l'aide. Au lieu de m'accompagner chez le médecin pour recevoir un traitement adéquat, mon beau-père a jeté toutes mes affaires par la fenêtre à quatre heures vingt-trois du matin en me disant de ne plus revenir. Donc naturellement, j'ai cherché à me venger. Cette vengeance devait cependant être très ciblée car ma mère et mon frère vivaient encore sous son toit et je ne voulais pas qu'ils soient touchés par de quelconques dégâts collatéraux. Alors un soir, James et moi sommes rentrés par la porte du garage pour voler le tableau hideux qui était dans son bureau. Il n'arrêtait pas de se vanter à qui voulait l'entendre qu'il s'agissait d'un Monet mais ce n'était qu'une pauvre réplique illégale. Donc lorsqu'il a disparu, il n'a pas pu en déclarer le vol. Regulus m'a raconté sa crise de colère en détails par téléphone et ça a été une victoire satisfaisante pendant, quoi, un ou deux jours ? Puis tu te rends compte que tu as un machin d'un mètre dans les bras dont tu ne peux pas te débarrasser rapidement. Au départ, je voulais le brûler et envoyer un morceau par la poste à mon beau-père mais il fallait trouver un terrain vague pour le faire. Puis c'était le week-end d'anniversaire de la copine de James, celle de l'époque, donc il m'a dit : beuverie d'abord, pyromanie après. Et heureusement. Cal était à cette soirée et James et lui ont sympathisé puis Cal nous a présenté à des gens louches qui connaissaient d'autres gens plus louches qui, eux, côtoyaient des ministres plus louches encore et — bref. Sept jours plus tard, nous avions l'équivalent de quatre-vingt quinze mille Livres en mains propres. »

« Tu. Déconnes. » hallucina Remus, totalement captivé.

« Et encore, nous aurions pu nous faire beaucoup plus, même avec un faux. » assura Sirius avec un rictus fier. « Mais pour un début, ça allait. Surtout qu'il fallait ensuite diviser la somme entre chaque maillon de la chaîne donc fractionner le tout en seize parts plus ou moins égales. Mais encore une fois, ça allait. Six-mille balles tombées du ciel pour un adolescent qui vient tout juste de se faire jeter de chez lui pour un vase renversé, c'est presque miraculeux. »

« Et qu'est-ce que tu as fait avec cet argent ? Est-ce que tu l'as gardé ? Dépensé ? Est-ce que ton frère est au courant de tout cela ? Il vous aide, lui aussi ? C'est... c'est un genre de mafia que vous avez monté ? James est ton numéro deux ? » le bombarda aussitôt après Remus.

« C'est fou comme tu as créé ce jeu juste pour déroger à sa seule et unique règle. » constata Sirius.

« Arf, okay. » se résigna Remus. « À ton tour. »

« Est-ce que tu as déjà essayé de retrouver ta mère biologique ? »

Remus prit une longue inspiration et enroula une mèche mouillée autour de sa phalange, la laissant tomber en spirale sur le front de Sirius.

« Une fois. Au collège. » dit-il. « Personne ne m'aimait à l'école et à la maison, j'étais en plein dans ma crise d'ado. Un jour, lors d'une énième dispute avec Nana, je lui ai dit… de très mauvaises choses. Des mots que je regrette encore. » déglutit-il, la culpabilité obstruant toujours sa gorge. « L'un d'eux était : 'Je veux retourner chez ma mère'. Nana et Gus — mon tuteur — ont aussitôt accepté mon choix. Aussi dévastés qu'ils étaient, ils m'ont vraiment aidé dans mes recherches. Et lorsque nous avons retrouvé l'adresse de ma mère biologique, je lui ai écrit une très longue lettre. Trois pages, je crois. Puis j'ai attendu sa réponse pendant un mois et demi. Comme je ne recevais toujours rien, je me suis dit : peut-être qu'elle n'habite pas à cette adresse. Alors je me suis déplacé directement sur place et… et j'ai vu son nom sur la boîte postale. J'y ai glissé ma lettre avant de me mettre un peu en retrait et attendre une heure, deux heures, trois heures pour voir sa silhouette revenir. Et… et finalement la voir comme ça, pour une toute première fois, même de loin, c'était… » s'arrêta-t-il pour inspirer, expirer. « Elle a ouvert sa boîte aux lettres, feuilleté son contenu, contemplé mon courrier puis elle est montée avec. Et jusqu'à ce jour, je n'ai toujours pas reçu de réponse. »

Sirius ne dit rien. Sous l'eau, sa main avait encerclé sa cheville d'une étreinte possessive.

« J'ai fait la paix avec. » poursuivit Remus. « Ça m'a pris du temps et j'ai des rechutes, par moments. Mais j'ai fait la paix avec. On ne peut pas… forcer l'amour de quelqu'un. Ni son intérêt. Et la famille que j'ai à présent, avec Nana pour mère, Gus pour père, et Nymphadora pour soeur, me suffit amplement. »

Cette fois-ci, Sirius opina. Puis il renversa sa tête en arrière et s'appuya complètement contre Remus pour déclarer, les yeux fermés :

« Je n'ai pas fait la paix avec, personnellement. »

Remus l'observa de haut et vit comme sa mâchoire se serrait progressivement, une aigreur nouvelle durcissant ses traits.

« Ma mère vit encore avec mon beau-père. Ce n'est que Regulus qui maintient un contact simultané avec eux et avec moi. Il me dit souvent qu'elle s'en veut, qu'elle demande toujours après moi, qu'elle aurait aimé que les choses se passent autrement, qu'elle voudrait que l'on se reparle, et j'en passe. Mais depuis le soir où son mari m'a jeté dehors, depuis six années, jamais elle ne m'a recontacté une seule fois. » cracha-t-il, amer. « Et elle connaît mon numéro. Regulus le lui a donné. Pas un seul appel de sa part. »

Remus encercla ses épaules de ses bras, sa joue contre le haut de sa tête.

« Tu as James. » lui remémora-t-il. « Et c'est une personne qui tient vraiment à toi et ne t'abandonnera jamais. »

« J'ai James. » répéta Sirius en hochant la tête. « Je l'ai toujours eu, mon Dieu, que serais-je même devenu sans. »

« Et tu as Regulus. » continua Remus.

« J'ai Regulus. » affirma Sirius et déjà, sa voix se faisait plus calme. « Je me plierais en huit pour lui. »

Remus ferma les yeux.

« Et tu m'as. Moi. » murmura-t-il dans ses cheveux.

Sirius fit remonter sa main de son coude jusqu'au creux de son biceps et embrassa la forteresse que formaient ses bras tout autour de lui.

« Je t'ai. » confirma-t-il, tout aussi bas. « Et tu m'as. »

Remus relâcha un long soupir saccadé, libéré d'un poids invisible.

« Est-ce que tu as pu poser ta question ? »

Il sentit Sirius hocher la tête à la négative, ses lèvres toujours sur sa peau mouillée.

« Est-ce que tu veux toujours me la poser ? »

« Plus besoin. » répondit-il.

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Il Tocco Italiano était un petit restaurant pittoresque situé à cinq minutes de l'appartement. Les meilleures pizzas du Royaume-Uni y étaient servies, d'après l'avis d'expert de Sirius, et vers vingt-deux heures trente, il tira Remus dehors sous huit degrés pour que ses papilles en aient la preuve concrète. Et le verbe « tirer » n'était pas à prendre au sens figuré ; Sirius l'avait pris par la main, sorti de la baignoire, traîné jusque dans sa chambre, habillé de ses vêtements, jeté sur lui un regard avide, déshabillé dans les secondes suivantes et quarante minutes plus tard, les voici qui marchaient dans la rue en manteaux, bonnets et gants.

Et il n'avait toujours pas lâché sa main.

Remus était terrifié. Jamais personne n'avait couché avec lui et accepté de retranscrire cette affection en public. Il était habitué à ne pas en demander trop et s'attendre toujours à peu. Il savait se faire petit, se montrer accommodant et souple pour épouser toutes les formes que l'on désirait qu'il prenne. Mais Sirius le tenait par la main comme s'il le voulait tout entier.

Et il ne pouvait s'empêcher d'être terrifié.

Avec ce syndrome de l'imposteur vint son premier réflexe : filtrer les réactions de chaque passant. Est-ce que leurs yeux s'attardaient sur eux ? Est-ce que leurs bouches se tordaient de dégoût ? Est-ce que leurs pas s'accéléraient ? Est-ce qu'ils chuchotaient entre eux ? Est-ce qu'ils se demandaient, eux aussi, ce qu'une personne comme Sirius pouvait faire avec lui ? Car il n'était pas suffisamment beau. Ou talentueux. Ou remarquable. Ou charismatique. Ou…

« Tout va bien ? »

Remus sursauta. À sa gauche, Sirius s'était interrompu dans sa virulente tirade anti-Airpods pour le fixer d'un oeil perplexe. Il avait enfilé un bonnet jaune fluo à l'effigie de Snoopy et ses cheveux, encore un peu humides, partaient en de légères ondulations. Remus était si amoureux que cela en frôlait le pathétique.

« Oui ! Oui. Tout va très bien. » mentit-il avec un rapide sourire.

« Est-ce que tu veux qu'on rentre ? » persévéra Sirius.

« N-non ! Pourquoi ? »

« Tu m'as l'air stressé. » ajouta-t-il et déjà, son pas ralentissait. « Le restau est tout proche mais on peut rentrer à la maison et commander à emporter, si tu veux. »

À la maison. Remus baissa les yeux sur leurs deux mains entrelacées puis, incapable de s'en empêcher, vérifia encore les alentours — passants, visages, réactions, grimaces, rejet.

« Tu n'as pas honte. » prononça-t-il d'une traite, ratant sa forme interrogative.

« Je n'ai pas honte… de ? »

« D'être vu en public, comme ça, avec moi. »

Face à lui, Sirius affichait une expression de pure incrédulité.

« Honte pourquoi ? » s'étonna-t-il. « Parce que tu ne sais pas terminer seul une simple dissert' de philo ? »

Remus le punit d'une tape instinctive à l'épaule.

« Ce n'est pas de ça dont je voulais parler, espèce de… »

« Je sais. »

Et il lâcha sa main pour encercler son visage puis se rapprocher, laissant leurs deux nez glacés communiquer en premier. Dans l'espace minime qui séparait leurs bouches, Remus reconnut la permission silencieuse que son copain demandait. Et lorsqu'il parvint miraculeusement à hocher la tête, son corps tout tremblant, Sirius l'embrassa à pleine bouche au milieu de la rue marchande. Il prit son temps, taquinant ses lèvres froides, invitant sa langue à la danse, caressant ses joues roses de ses deux douces gantés et malgré la température hivernale, Remus se sentit fondre sur le trottoir.

Quelqu'un les dépassa en sifflant et Sirius s'éloigna pour rire, leurs deux fronts collés. Il embrassa le bas de sa cicatrice, suivit la ligne jusqu'à son nez et annonça :

« On est arrivé, au fait. »

« Okay. » murmura simplement Remus, à bout de souffle. « Je te suis. »

Et Sirius l'attrapa de nouveau par la main pour l'entraîner à l'intérieur.

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the end.

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What a fun, fun ride that was !

Merci infiniment pour votre patience de saints et vos jolis mots encourageants tout au long de la publication de ces huit chapitres. Je vous suis vraiment reconnaissante. J'espère que cette histoire a pu être pour vous aussi agréable, thérapeutique et douce qu'elle l'a été pour moi. J'espère que, lorsque vous vous sentirez mal, la relire vous apportera un petit rayon de soleil temporaire.

J'ai fait une playlist Spotify avec quelques chansons qui pourraient vous accompagner tout au long de votre lecture (le lien se trouve sur mon profil mais s'il ne fonctionne pas, cherchez juste le pseudo "Nina Hazel" sur Spotify). Vous pouvez également jeter un coup d'oeil à mon Tumblr car j'y poste ici et là des photos qui vous aideront peut-être à mieux visualiser les personnages ainsi que l'ambiance générale de Supercut. Cette histoire étant la seule fic plus ou moins joyeuse que j'ai écrit à ce jour, je ne sais pas quelle autre histoire vous proposer, haha. Mais sachez en tout cas que j'écris un peu de tout (moins régulièrement qu'avant, certes, mais ça commence à revenir) et que si l'envie vous prend, mon profil sera toujours là.

Remus et Sirius vont me manquer. James (fun fact : c'était mon personnage préféré), Lily, Peter et Nymphadora aussi. Je ne sais pas si je ferai un épilogue. Je ne sais pas également si je réécrirai un jour sur l'univers des Maraudeurs mais je le quitte en tout cas avec un très bon souvenir.

Quel a été votre passage préféré dans toute cette histoire, d'ailleurs ? J'ai vraiment hâte de lire vos impressions.

En attendant, je vous souhaite de très belles fêtes de fin d'année et vous remercie encore une fois d'avoir fait partie de cette belle aventure !

xo.

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Rar :

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Ekho : Yay, Lily et Nympha ! Ecrire sur elle me manquera :( Merci pour ta review et je suis heureuse que l'attente ait pu être supportable !

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Guest : Merci infiniment ! J'espère que ce dernier chapitre t'a plu tout autant ! Quant à écrire une autre histoire sur les Maraudeurs après celle-ci... pourquoi pas ? ;)

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Eejils : Ton commentaire m'a fait très plaisir, merci beaucoup ! Je suis très heureuse que tu aies autant apprécié la caractérisation des personnages principaux. J'espère que cette fin te plaît également ! :)

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À la prochaine !

xo.