TITRE : Supercut

RESUME : Si Remus est un long-métrage, Sirius en est le plot-twist. UA.

GENRE : Romance / UA (période actuelle/zéro magie)

RATING : T

NOTE : Cette histoire est le résultat d'un harcèlement calibré de mon imagination couplé à mon amour intarissable pour Lorde. Il fallait que j'écrive une chanson sur l'album Melodrama ettadam ! C'est tombé sur Supercut. En espérant que ce premier chapitre vous plaise, très bonne lecture à tous. xo.


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'Happy' de Pharrell Williams était employé comme technique de torture pour pousser les détenus de Guantanamo à l'aveux. Remus en était intimement persuadé.

Il imaginait la chanson être diffusée en boucle et à plein volume dans les haut-parleurs — scénario qui se produisait en ce moment même, juste un étage plus bas — et les prisonniers se couvrir les oreilles puis rouler au sol en implorant jusqu'aux larmes que le supplice cesse, que la musique s'arrête, qu'ils étaient prêts à tout avouer, l'emplacement du cadavre, la localisation du sac de billets, le nom de leur chef de gang, les plans des sous-sols du Buckingham Palace, tout, pourvu que cette fichue chanson prenne fin.

A la bonne heure, aurait souri le surveillant pénitencier — qui partageait une étrange ressemblance physique avec Severus Rogue dans ce scénario — en lui tapotant la tête avant de couper enfin la musique.

La tête de Remus s'écrasa lourdement contre le clavier de son PC et son front pressa par inadvertance la touche N qui remplit presque la moitié de sa page. Rien de transcendant y avait été inscrit, de toutes les façons. Juste la date d'aujourd'hui, l'énoncé de sa dissertation et un glorieux « Il est en effet intéressant de constater » qu'il n'était toujours pas parvenu à continuer en trois heures de temps. Et la dissertation était à renvoyer pour demain matin, huit heures tapantes. Le brun poussa un profond grognement puis secoua la tête, toujours affalé sur son clavier. Une cacophonie générale de majuscules, chiffres et points d'exclamations s'alignèrent aussitôt à l'écran.

Pharrell Williams exhortait la foule à taper dans ses mains pour la vingt-septième fois de la soirée lorsque Remus décida qu'il était grand temps de s'octroyer une pause. Manger quelque chose, se dégourdir les jambes, changer un peu d'air. Trois heures qu'il était assis au même endroit, dans la même position, plongé sur la même problématique. Son cerveau menaçait déjà de s'atrophier.

Dans un étirement de viking, Remus se releva de sa chaise de bureau et tituba quelques secondes en étouffant un bâillement. Il se frotta ensuite les yeux pendant trente longues secondes, ses lunettes menaçant de dégringoler de son nez, Hulk le jugeant silencieusement depuis son terrarium, puis posa un regard vitreux sur le capharnaüm que formaient ses bouquins ouverts, ses stabilos éparpillés et son ordinateur couvert de stickers Marvel.

Panini, décida-t-il soudain, et sur cette intuition divine, l'étudiant glissa hors de ses quartiers.

« Lupin ! » beugla James à la seconde même où il apparut dans les escaliers. Il leva son gobelet en l'air, les cheveux en bataille et l'air un peu fou, pour scander : « Lu-pin ! Lu-pin ! Lu-pin ! »

Et voici que la soixantaine de personnes gravitant tout autour de lui comme s'il était le soleil de la pièce se mettait à reprendre aveuglément son slogan. Remus s'immobilisa sur les marches, mi-affamé, mi-mortifié. Lui qui comptait s'éclipser puis revenir quinze minutes plus tard avec la discrétion d'un fantôme, voilà ses plans ruinés par la délicatesse légendaire de son colocataire.

« Un shot ! » plaida James en capturant son poignet avant qu'il ne puisse atteindre le vestibule. « Allez ! Juste un seul. »

Remus ouvrit la bouche pour protester et paniqua lorsqu'aucune excuse immédiate ne lui vint. James commençait déjà à l'entraîner avec lui dans la foule et Remus n'était pas de nature particulièrement claustrophobe mais entre se retrouver asphyxié au milieu d'une légion de fêtards ivres et rester un quart d'heure sous le froid nocturne hivernal, Remus préférait de très loin se les geler.

« Il faut vraiment que… » bredouilla-t-il en désignant la porte d'un mouvement urgent. « C'est… je dois vraiment y aller. »

« Juuuuste un petit shot. » persévéra James. « Presqu'un mois qu'on cohabite et je ne t'ai jamais vu une seule fois bourré. Ça frôle le sacrilège. »

« Crois-moi, tu ne veux pas me voir bourré. » marmonna dans sa barbe le brun.

« Au contraire, ce serait mon dernier souhait d'homme vivant. » affirma James dont l'alcool semblait affiner l'ouïe — ou alors Remus s'était exprimé un peu plus fort que prévu.

James tirait encore sur son bras, la foule du rez-de-chaussée commençait à se refermer sur eux et, en désespoir de cause, Remus décida de jouer son dernier Joker. Aux grands maux, les grands moyens.

« Potter, j'ai rendez-vous avec Tonks. » mentit-il.

Aussitôt, James pivota sur ses talons pour le dévisager avec — et là, Remus réprima une très forte envie de rouler des yeux — un rictus infiniment lascif. A l'instant même où ils discutaient, la NASA étudiait sans relâche les raisons pour lesquelles Potter semblait si convaincu que Remus et Nymphadora Tonks se tournaient activement autour. Il avait fallu qu'il les croise une seule fois à la cafétéria du campus en train de partager un seul et même latte caramel — dans ces périodes de grande pauvreté estudiantine, il était toujours bon de se trouver un camarade de portefeuille — pour que Potter dresse déjà leur futur plan de table de mariage.

Plutôt que de perdre sa salive à se justifier, Remus se demandait assez souvent s'il n'était pas plus simple d'informer Potter qu'il était plus chromosomes XY que XX, niveau partenaire. Mais le grand jour du coming-out ne serait pas pour aujourd'hui. Aujourd'hui, Remus Lupin crevait littéralement la dalle.

Non sans une chorale de « Cham-pion ! Cham-pion ! Cham-pion ! » initiée par James et reprise par son armée de chérubins, il parvint à s'éclipser hors de la maison. Dehors, la nuit était glaciale et noire d'encre, le lampadaire de leur trottoir décédé depuis la dernière semaine d'août. Remus espéra à moitié que cette faible luminosité noie son doigt d'honneur.

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Quinze minutes, vingt minutes, trente… cent-douze. Bon. Après tout, qu'était le temps, sinon un produit métaphorique et subjectif de la conscience ? Une illusion créée par l'homme, pour l'homme. Une imposture.

Remus avait planifié de ne rester dehors que pour un petit quart d'heure — soit. Mais c'était sans compter son estomac affamé qui avait exigé une seconde ration. Puis une troisième. Ses pieds s'étaient ensuite pris soudainement de paresse sur le chemin du retour, le poussant à emprunter de petits détours pittoresques mais inutiles. Sa mauvaise foi avait alors rejoint la danse, lui susurrant de dangereuses petites excuses dans le creux de l'oreille. Et c'était de nouveaux prétextes que Remus recherchaient activement, à présent stationné devant son portail, pour rationaliser sa petite pause impromptue d'une heure et cinquante-deux minutes.

'Le temps n'est que mirage.' écrirait-il sur sa copie à rendre pour demain et rien que pour ces cinq mots emprunts d'intelligence, son professeur le récompenserait d'un dix-sept sur vingt. À coups sûrs.

Tout en tournant la clé dans sa serrure, Remus retint brièvement son souffle pour le relâcher une poignée de secondes plus tard en découvrant la débâcle alcoolisée qui l'attendait. La plupart des lumières étaient à présent éteintes et la foule — qui s'était quasiment démultipliée en l'espace de deux heures — se mouvait au rythme de la musique telle une masse corporelle compacte et effrayante. Potter réussissait malgré tout l'exploit de se démarquer ce qui, à ce stade, relevait presque du talent. Depuis le hall d'entrée Remus, apercevait sa silhouette s'adonner à un crowd-surfing de l'extrême à travers les bras levés des fêtards, balloté du couloir au salon, son gobelet tendu dans les airs. Sauvé, soupira intérieurement l'étudiant en profitant de l'anonymat général pour monter quatre-à-quatre les escaliers et retrouver sa chambre… entrouverte.

Il ne l'avait pas fermée à clé.

Lui qui était quasiment né paranoïaque, il avait réussi l'exploit de quitter la maison commune un vendredi de soirée sans fermer sa chambre à clé.

La crainte au ventre, Remus poussa la porte avec la plus grande lenteur possible et tomba exactement sur la scène qu'il appréhendait : un fêtard semi-mort échoué en étoile de mer sur son lit. Et dire qu'il venait à peine de changer ses draps cet après-midi… fabuleux. Ce à quoi l'étudiant ne s'attendit pas, par contre, fut que ledit fêtard soit secoué de rire et tienne entre ses mains — oh non — Hulk. Ce qui était pire encore que le pire des cas de figure possible.

Sans même réfléchir, Remus se jeta vers l'avant pour ravir le petit animal des mains de l'étranger qui l'esquiva d'une rapide roulade sur le côté, étrangement agile pour son état d'ébriété avancé. Remus se ramassa magistralement au sol, ce qui sembla décupler le fou rire de l'inconnu et émietter légèrement la dignité du brun.

« Rends-le-moi. » siffla-t-il en se redressant, dents serrées et joues rouges — Zeus bénisse le faible éclairage qu'offrait sa seule lampe halogène. « Redonne-moi Hulk tout de suite. »

« Hulk ? » répéta l'inconnu en fronçant très lentement des sourcils. « C'est son prénom ? Hulk ? »

« Rends-moi mon lézard. » exigea une nouvelle fois Remus en marchant prudemment vers lui.

« Tout d'abord, ceci n'est pas un simple lézard mais un gecko. » précisa l'inconnu qui reculait au fur et à mesure que le brun avançait, Hulk toujours confortablement installé dans sa paume — et ce traitre ne cherchait même pas à s'en échapper. « La précision me semble ici primordiale. »

Remus tiqua une micro-seconde. Peu de gens — pour ne pas dire : absolument personne — savaient reconnaître ou même citer la race de reptile exacte à laquelle appartenait Hulk. Tout le monde s'arrêtait au terme 'lézard' et avec le temps, Remus avait fini par emprunter lui aussi ce raccourci. Mais se faire corriger par un Monsieur-Je-Sais-Tout bourré avait en soi quelque chose d'assez humiliant.

« Je sais. C'est le mien. » précisa Remus, un peu piqué. « Pourrais-je le reprendre, à présent ? »

« Il n'a vraiment pas une tête à s'appeler Hulk. » l'ignora royalement l'inconnu avant de rapprocher sa propre figure de celle de l'animal pour frotter son nez au sien — Hulk ne bougea pas d'un millimètre. A ce stade, ce n'était même plus de la simple traitrise mais un coup bas national. « Tu n'as pas une tête à t'appeler Hulk, toi, mmh ? Pas du tout, du tout. »

« Rends. Le. Moi. » perdit son calme Remus en plongeant dans sa direction pour essuyer un nouvel échec — l'inconnu se trouvait déjà à l'autre bout de la chambre par on ne sait quel miracle de téléportation alcoolisée.

« Je le verrais bien avec un prénom ancien… quelque chose d'antique mais d'intemporel. Peut-être bien un prénom grec. Ou latin. » suggérait-il pensivement, comme réfléchissant à voix haute.

« Je déteste le latin. » répliqua Remus, plus par irritation qu'autre chose — il s'était toujours bien débrouillé dans cette matière.

« Et tu étudies la philo ? Un peu paradoxal, si tu veux mon avis. » commenta son interlocuteur avant de hausser négligemment des épaules. « Mais bon, je suis le roi des échecs universitaires donc qui suis-je pour juger ? »

Remus s'immobilisa aussitôt, tiquant une nouvelle fois.

« Comment sais-tu que je… »

« Adrianus. » l'interrompit son voisin.

« Quoi ? » croassa Remus, momentanément perdu, avant d'offrir un très catégorique : « Hors de question. »

« Mmh, pas faux. Le suffixe '-anus' est moyennement flatteur. » acquiesça l'inconnu avec un profond hochement de tête. « Pourquoi pas Amalricus ? Ou non : Silvius ! »

« Est-ce qu'on va passer le restant de la soirée à énumérer les prénoms les plus laids du dictionnaire latin ? »

« Jusqu'à tant que Hulk soit baptisé du nom qu'un gecko de son rang mérite de porter. »

« Ok. » acquiesça Remus d'une voix si calme qu'elle en devenait sanguinaire. « Dans ce cas, j'en ai un à te proposer. »

« Apollonius et moi sommes tout ouïes. » déclama l'inconnu.

« Si tu ne me rends pas Hulk dans les dix secondes qui suivent je te dépècerai de mes propres mains. » articula alors le brun d'un ton polaire. Il attendit trois secondes avant d'ajouter la petite touche finale : « … '-us'. »

Le fou rire saveur vodka qui s'empara aussitôt de l'inconnu fut une dose de déconcentration suffisante pour que Remus parvienne enfin à lui chiper Hulk des mains. Aussitôt attrapé, l'animal remonta le long de son épaule pour se loger dans sa nuque, comme reconnaissant instinctivement son maître. Remus pointa quant à lui la porte de sa chambre d'un index sévère.

« Dehors. » siffla-t-il sans ambages.

Sans surprise, son ordre se retrouva complètement ignoré. L'étranger préféra attraper au lieu de ça un cadre photo au hasard sur son bureau pour l'observer méticuleusement, son rire s'estompant petit à petit.

« C'est ta mère ou ta soeur ? » le questionna-t-il.

Dire que Remus commençait tout juste à perdre patience aurait été l'euphémisme de l'année.

« J'ai dit : dehors. »

« Vous avez les mêmes yeux, en tout cas. » Il plissa un peu des paupières. « Ou presque..? »

Remus se dirigea d'un pas de guerrier vers la porte pour l'ouvrir à la volée.

« C'est la dernière fois que je le répète. » prévint-il en désignant le couloir. « Dehors. »

« Sinon quoi ? » répondit distraitement l'étranger qui passait d'un cadre photo à l'autre.

« Sinon qu— tu te fous de ma gueule ? » craqua Remus, hors-de-lui pour de bon. « Tu rentres dans ma chambre, tu touches à mes affaires, tu sors mon animal de compagnie de son terrarium, tu campes dans mon espace contre mon gré ; c'est quoi, la prochaine étape ? Me virer de mon propre appartement ? Changer les serrures ? »

Et on ne sut jamais de quelle nouvelle manière l'inconnu projetait d'empiéter sur son territoire car l'instant d'après, six filles éméchées apparaissaient dans l'entrebâillement, chacune se tenant à l'autre pour ne pas collectivement s'écrouler.

« Si-rius ! » gazouillèrent-elles en choeur.

« On t'a cherché partout ! » se plaignit la blonde.

« Où t'étais-tu caché ? » l'interrogea la brune.

« Viens t'amuser avec nous ! » s'exclama la rousse.

« Allez, viens, James t'attend ! » l'exhorta la blonde aux reflets bruns et roux.

Remus entrevit du coin de l'oeil l'inconnu clore ses paupières trois secondes, comme pour s'insuffler une dose vitale de courage. Et lorsqu'il les rouvrit, une sorte de sourire bancal aux angles et éclatant de fausseté illuminait son visage. Il reposa le cadre-photo qu'il fixait à l'envers pour se diriger droit vers les filles avec un « Heeeeey ! » enthousiaste, les bras grands ouverts, dépassant Remus comme s'il faisait maintenant partie intégrante du papier peint. Et tous les sept disparurent du couloir dans un joyeux cortège titubant.

Remus verrouilla sa porte à double tours, remit Hulk dans sa cage vitrée puis se jeta sur son lit pour bouder.

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Lorsqu'il se réveilla — et merde, il s'était endormi… depuis combien de temps ? Quelle heure était-il ? Bon sang. Il était tellement foutu, à ce stade. — ce fut en sursaut. Les boum boum incessants d'EDM secouant les murs de la maison semblaient avoir été troqués par un silence total et quasi mortuaire, ce qui n'était vraiment pas bon signe. D'un tâtonnement fébrile, Remus attrapa son réveil-matin et planifia de s'assommer avec en découvrant ce que les petits chiffres digitaux affichaient.

05:29.

« Oh mon Dieu. » sanglota-t-il en sautant du matelas pour atterrir sur sa chaise de bureau et parcourir son bazar scolaire dans la panique la plus totale. « Oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Dieu. »

Il rouvrit un peu trop fort le clapet de son ordinateur, s'insulta au passage de tous les noms, recommença trois fois de suite son mot de passe, parcourut d'un oeil angoissé ses polycopiés éparpillés, recommença une quatrième fois son mot de passe et manqua de tomber à la renverse en découvrant la page de dissertation qu'il avait supposément laissée vide juste avant de sortir manger.

Tout était rempli. Des phrases et des phrases et des phrases qui n'avaient jamais été là lorsqu'il avait refermé son ordinateur. Des paragraphes, des titres, des points, des idées et des théories. Le pied de document indiquait huit pages. Huit. Remus cligna des yeux, tout bonnement sonné. Etait-ce une fichue hallucination ? Rêvait-il encore ? Devait-il changer impérativement de lunettes ? Toutes ces phrases ne pouvaient pas être réelles. Il n'y avait pas… ce n'était tout bonnement pas possible. Et pourtant, plus il faisait descendre le curseur, plus la dissertation défilant sous ses yeux paraissait bel et bien concrète. Tangible et intelligible. Quasiment complète.

« Oh mon Dieu. » répéta Remus en litanie, une main plongée dans ses cheveux en pétard.

L'introduction faisait une page et demi, presque deux, et était d'une rédaction si impeccable qu'elle semblait extraite tout droit d'une annale de philosophie. Remus n'y reconnaissait ni son style, ni ses tournures de phrase. Tout semblait avoir été écrit par un professeur agrégé ou une sorte de fantôme littéraire. C'était de l'ordre de l'invraisemblable.

« Mon Dieu. » répéta-t-il encore, son état de choc l'empêchant de prononcer autre chose.

Il fit défiler en toute hâte le fichier, passant le corps de la dissertation en revue. La première sous-partie semblait être écrite parfaitement de bout en bout mais le reste se dissolvait en des énonciations de titres suivies d'une longue liste de tirets comportant les points clés à développer. Les doigts tremblants, Remus ralentit sa course pour ausculter chaque annotation.

Il y avait les observations extrêmement spécifiques — 'le temps englobe passé/présent/futur or le passé a déjà été et le futur va être mais tous deux se tiennent hors de notre portée car le passé ne se déroule jamais au moment même où nous en faisons l'expérience et le futur ne sera futur que dans nos projections mentales fictives, jamais en réalité, car nul ne peut vivre ce qui va être et lorsque ce qui va être est, l'instant appartient déjà au passé'.

Il y avait les commentaires un peu plus compact — 'KANT : temps = permanence/succession/simultanéité permanence = pilier rendant réel succession & simultanéité' aucune durabilité & détermination du temps sans permanence ; permanence = représentation de l'existence des choses'.

Il y avait les petites pointes d'agacement — 'ici citer EINSTEIN théorie de la relativité blablabla cliché à mort comme référence mais les profs en raffolent donc bon'

Il y avait les débuts de paresse — 'machin Sartre sur le temps de la conscience néant totalisateur etc etc'.

Il y avait le moment où les armes avaient clairement été rendues — 'Arist aRisto te Te a-ris-to-te'.

Et puis le magistral mot de la fin — 'geCKo ?'.

« Gecko. » répéta Remus, sa paire d'yeux ensommeillés se plissant progressivement. « Gecko ? »

Il cligna des paupières très lentement. Extrêmement lentement. Plus lentement encore que le rythme auquel travaillait actuellement ses méninges. Et puis soudain, bam ! Tout lui revint en pleine figure dans un geyser de flashbacks.

Pause. James. Sortie. Retour. Porte. L'inconnu. Gecko. Hulk. Dispute. Latin.

'Et tu étudies la philo ?' résonna en écho vibrant dans la boîte crânienne de Remus. Il pouvait encore entendre la touche de moquerie teintée d'intrigue dans la voix de l'inconnu. Il pouvait également le revoir étalé de tout son long sur le lit, manier Hulk comme s'il avait été dresseur de lézard dans une vie parallèle, toucher à ses affaires comme s'il les avait lui-même achetées, le pousser tout doucement à bout puis être emporté par un déluge d'admiratrices en talons hauts et mascara coulant.

Et comment… comment ?

Comment.

Quand ?

« Mon Dieu. » murmura à nouveau Remus, plongé dans l'incrédulité la plus totale — le déni, même.

Et pourtant, aussi incroyablement absurde que cela puisse paraître, toutes les preuves se trouvaient juste là, alignées sous ses yeux. Quelque part entre l'instant où Remus avait quitté la maison pour aller se trouver de quoi manger et celui où il était revenu trouver Hulk à deux doigts seulement du kidnapping, l'inconnu avait rédigé les trois-quarts de sa dissertation.

Mais ce n'était pas le plus fou — non. Le plus dingue, dans cette histoire, était qu'il l'avait rédigée. Complètement. Ivre.

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Remus renvoya son devoir à 7h59.

Non pas qu'il ait peiné jusqu'à la dernière seconde pour le finaliser ; bien au contraire. Dès 6h30, texte et mise en page étaient déjà entièrement bouclés. Datés, signés, scellés et prêts à l'envoi. Remus avait ensuite passé les quelques une heure et trente minutes restantes à se ronger nerveusement les ongles et tirer sur ses petits cheveux, le cerveau envahi d'angoissants 'et si ?'.

Et si le professeur ne reconnaissait pas son écriture ?

Et s'il découvrait la supercherie du premier coup d'oeil ?

Et s'il faisait remonter sa copie jusqu'au conseil disciplinaire de l'université ?

Et si l'introduction était réellement extraite d'une annale de philosophie ?

Et si l'inconnu avait été expressément payé par la fac pour tester son niveau d'honnêteté ?

Et si tout ceci n'était en fait qu'un vaste coup monté commandité par la CIA ?

« Urgh. » agonisa éloquemment le brun en enfonçant sa tête dans son oreiller.

Il lui fallait rapidement stopper ce train de pensées interminables avant qu'il ne décide de prendre une décision extrêmement stupide — comme, par exemple, taper un très long mail explicatif à son professeur et risquer ensuite, oh, juste une petite radiation universitaire. Rien de bien méchant. Réfléchi, Remus décida de faire ce qu'il pouvait y avoir de mieux dans ce type de situations : boire pour oublier.

Et en tout britannique pur jus qu'il était, cela se traduisit par descendre suffisamment de tasses de thé à la suite pour qu'on lui cède une place de femme enceinte dans le bus.

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Comme à son habitude, Greg débarqua dans un théâtral entrebâillement de porte suivi d'un « Allez, allez, allez ! » général, chacun ponctué de vigoureux claquements de main. Et de fesses aussi, comme purent en attester formellement celles de Remus. Le brun accusa l'assaut les dents serrées puis termina de ranger les quatre derniers gobelets en papier du comptoir d'une gestuelle saccadée, limite meurtrière.

« Bonjour. Qu'est-ce que je vous sers ? » accueillit-il glacialement la nouvelle cliente debout derrière la vitrine.

« Hum. » hésita cette-dernière, vaguement apeurée.

« Woh, tout doux fiston ! Baisse les crocs. » intervint alors Greg avant de se coller juste derrière Remus, l'odeur de son déodorant Axe lui agressant les narines, ses deux poignes broyant ses épaules. « Pardonnez-le, hein, il a ses règles. » expliqua-t-il à la cliente avec un ricanement de collégien.

Sur une échelle de un à dix, le dégoût que ressentait quotidiennement Remus envers Gregory Kranz, manager de son état, culminait à six-cent quinze dans les bons jours et cinq mille huit-cent dix-huit dans les plus mauvais. Les yeux rivés sur le front de sa cliente, l'étudiant arbora le sourire le plus dépourvu de vie qui soit.

« Veuillez m'excuser. » se rattrapa-t-il mécaniquement. « Bienvenue chez Honeydukes Café, Mademoiselle. Que désireriez-vous consommer ? »

Et ainsi s'articulèrent ses deux dernières heures de service : les pieds enracinés derrière le comptoir, l'esprit totalement déconnecté, sa casquette rouge Honeydukes trop enfoncée sur sa tête et le spectre de Greg respirant dans son cou six minutes sur sept.

« On fait une petite cagnotte. »

Remus redescendit de son septième niveau de dissociation mentale pour reprendre contact avec la réalité. Le dernier client de la file d'attente venait d'être servi et le brun se tenait comme toujours à la caisse, bras ballants et regard vitreux. Une de ses collègues rangeait le stand de cartes cadeaux juste à côté de lui tout en le fixant du coin de l'oeil, un début de rictus espiègle aux lèvres.

« Pour quelle occasion ? » réagit trois secondes en retard Remus.

« Pour engager secrètement un clown et l'envoyer sonner à l'adresse personnelle de Greg très tard dans la nuit. » expliqua-t-elle avant de se pencher brièvement vers son voisin pour ajouter d'un ton conspirateur : « Il a horreur des clowns. »

Remus hocha la tête, un très lent sourire se formant à présent sur ses lèvres.

« J'aime beaucoup cette idée. » approuva-t-il. « Combien vous manque-t-il pour la mettre à exécution ? »

« Quarante Gallions, à tout casser. » répondit la jeune fille — 'Lily' indiquait la petite étiquette épinglée à son t-shirt. « Peut-être quarante-cinq, si on paie également les transports en commun du clown pour qu'il puisse s'y rendre. Soyons vengeurs mais civilisés. »

« J'aime cet esprit. » acquiesça une nouvelle fois Remus.

« Tu aimes beaucoup de choses, tout compte fait. » commenta Lily. « Qui l'eut cru. »

Remus cligna des yeux, ne sachant pas bien quoi répondre.

« Parce qu'à chaque fois que je te vois, soit tu es silencieux, soit tu tires la gueule, soit tu fais les deux. » continua-t-elle en ramenant quelques unes de ses très, très longues boucles rousses derrière son dos.

« Je travaille chez Honeydukes Café. » fut la seule justification plausible que le brun put offrir.

Le rire que laissa échapper Lily fut surprenant en énergie, porteur d'une intensité que sa petite taille ne laissait pas présager. Non pas que les gens de petites tailles ne puissent pas être intenses. Du tout. Ce n'était pas… arf, et puis mince. L'épuisement. Remus était physiquement, mentalement, socialement, intersidéralement éreinté. Son cerveau ne fonctionnait plus qu'au quart. Et rien que de penser aux deux heures et demi de cours qu'il lui restait à rattraper à la fac alimentait sa migraine.

« Tu peux aller dépointer et remettre tes talons hauts, fiston. » apparut soudain Greg en le frappant cette fois-ci à la hanche — Remus avait bien pris soin de se coller dos au comptoir pour éviter tout type de contact inopiné — avant de claquer négligemment des doigts à l'attention de Lily. « Evans, tu prends sa place. Allez, allez, allez ! »

« Si je fais une donation de trois-cent Gallions et qu'au lieu de rechercher un simple clown de fête foraine, vous engagez un clown tueur à gage sur le dark net, est-ce que le projet tient toujours ? » suggéra très rapidement Remus tandis que Greg se volatilisait dans une série de beuglements.

Lily pencha lentement sa tête de côté, observant Remus comme si elle venait de déceler en lui un potentiel totalement insoupçonné.

« J'aime beaucoup cette idée. » approuva-t-elle à son tour.

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Et deux heures et demi plus tard, lorsque son chargé de TD redistribua les dissertations ramassées deux semaines plus tôt, un victorieux '17/20 ! Impressionnant !' trônait sur le haut de la copie de Remus.

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« Remus John Lupin, je veux tout savoir. » exigea Nymphadora à la seconde même où le professeur leur souhaita un très bon week-end et sans abus d'alcool, si possible.

Remus haussa des épaules, un peu embarrassé, ses mains toujours occupées à rassembler ses stylos dans sa trousse.

« Il n'y a rien à savoir. » dit-il. « C'était juste… une sorte de coup de chance. »

« Dix sept sur vingt ? Un coup de chance ? Vraiment, Lupin ? » ricana sa voisine. « Je suis blonde, mais pas bête. »

« Tu n'es pas blonde. » répondit Remus, un coup d'oeil sceptique jeté sur sa chevelure violette hirsute.

« Je serai blonde la semaine prochaine. »

« Tu dis toujours ça mais dès qu'il est temps de déballer le kit de coloration, tu te dégonfles. »

« Bref. » coupa court Nymphadora. « Comment est-ce que tu t'y es pris ? Et ne me dis pas que ce n'est que de la chance parce qu'à ce stade, même les miracles ne sont plus permis. »

« Je… n'en ai absolument aucune idée. » mentit Remus en enfilant la bandoulière de son sac.

« Habituellement, tu n'as que des onze ou des douze dans cette matière. Nous sommes des camarades de onze et de douze. Notre amitié depuis la Terminale est fondée sur une continuité de onze et de douze sur vingt en cours de philosophie, Remus. » persista Nymphadora. « Tu m'as trahis. »

« Je t'ai trahie. » acquiesça le brun, la main posée sur le coeur.

« Tu m'as jetée aux loups, Remus. »

« Je t'ai plantée un couteau dans le dos. »

« Oui ! Oui, tu l'as fait ! » s'échauffa Nymphadora et rien qu'à sa gestuelle dramatique, n'importe qui dans ce couloir pouvait deviner qu'elle était en majeure arts du spectacle. « Tu as bafoué les bases même de notre relation ! Tu y as foutu le feu ! Tu les as transformée en de vulgaires petits tas de cendre. Es-tu fier de toi, Remus ? »

« Du tout, Nymphadora. »

« Tu as ruiné l'ordre établi. »

« Je suis impardonnable. »

« Semi-pardonnable. » le corrigea-t-elle, son index au verni bleu corail pointé en l'air. « Si tu me livres ta super méthode de triche sur-le-champs et sans attendre. Je t'écoute. »

Remus déglutit extrêmement lentement.

« Hum. »

« Arf, ignore-moi, je raconte des conneries. » craqua Nymphadora en lui donnant un petit coup de coude. « Bien sûr que tu n'as pas triché. Je suis juste jalouse. »

« Hum. » répéta Remus.

« Quand je pense que tu peux à présent te payer le luxe d'avoir en-dessous de la moyenne pour le partiel final et toujours valider cette matière, alors que chez moi, l'échec est un mode de vie. » gémit-elle.

« Mais non. » la rassura malgré tout Remus, une main sur l'épaule. « Rien n'est perdu. La prochaine dissert', on la fera ensemble, ok ? Comme ça, notre amitié ne se basera plus sur de simples douze mais sur de glorieux dix-sept sur vingt. »

« Ce serait une jolie évolution. Un peu trop belle pour être vraie… mais vraiment jolie à imaginer. » acquiesça Nymphadora d'un ton rêveur. L'heure affichée sur la pendule du hall coupa rapidement court à son imagination. « Et merde, je suis déjà en retard pour mon cours d'esthétique du théâtre. »

« Va, cours, vole ! » l'encouragea Remus tandis qu'elle galopait déjà dans la direction opposée.

« On s'appelle et — oh mince, je suis vraiment désolée. » s'excusa-t-elle en bousculant par inadvertance un groupe d'étudiants sur sa route. Ce qui ne l'empêcha pas de continuer à courir à reculons, son index pointé vers Remus. « Et n'oublie surtout pas de remercier ta bonne fée scolaire ! »

« …hum. » ne trouva rien de mieux à répondre le brun bien qu'au loin, sa meilleure amie soit déjà hors de vue.

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Remus était une bonne personne. Ou, du moins, il essayait toujours de l'être. Avoir été copieusement malmené par ses petits camarades de la seconde section de maternelle jusqu'à la fin de son année de quatrième l'avait laissé avec une profonde révulsion envers toutes formes de méchanceté gratuite. Alors il essayait d'être gentil et bon, tout le temps et avec tout le monde. Gentil ne voulant cependant pas dire naïf, il savait être aboyer lorsqu'il sentait qu'on lui marchait un peu trop sur les pieds. Mais ça ne lui arrivait pas souvent. Juste quelques fois. Lorsqu'il s'en sentait réellement le courage.

Remus était drôle. Peu de gens le savaient car peu de gens s'y intéressaient, mais il était réellement drôle. C'était souvent un humour qu'on n'attendait pas de lui, quelque chose de rapide, glacial et extrêmement pertinent pour la situation donnée. Il glissait souvent ses remarques d'un ton calme et avec une figure impassible, ce qui le faisait toujours passer pour un sociopathe confirmé. « Tu es… tu es vraiment bizarre. » lui avait un jour confié l'un de ses ex après que Remus lui ait demandé si les poulets KFC pouvaient toujours être sacrifiés lors des pleines lunes ou si le fait qu'ils soient déjà fris et imbibés d'huiles était susceptible de contrarier satan.

Remus était loyal. Lorsqu'il prenait un engagement, que ce soit auprès d'une personne ou de lui-même, il le menait jusqu'au bout. Il n'y avait ni à peu près, ni demi-tours dans ses démarches ; tout, chez lui, était inconditionnel et entier. C'est pourquoi il ne livrait pas sa confiance rapidement. Amitié et amour devaient passer une série de tests implicites, un parcours du combattant dont lui seul connaissait les règles. Et le prix d'arrivée était sa dévotion complète. Cette dévotion ne s'altérait jamais, quand bien même les années passaient, quand bien même la personne envers qui s'exerçait ce dévouement finissait par lui tourner le dos puis se volatiliser. Peut-être était-ce même ce qu'il l'y avait de plus triste, dans l'affaire. Remus était très souvent loyal envers des personnes qui n'en valaient finalement pas la peine.

Remus était honnête. Un mensonge ne durait jamais plus de vingt-quatre heures dans sa bouche. Il fallait que l'information fuite, qu'un tic de langage le démasque, qu'un toc gestuel le mette en difficulté ou que sa conscience le tiraille sans relâche. Il pouvait garder sans problème les secrets des autres, aussi lourds et délicats soient-ils, mais il ne parvenait jamais à cadenasser complètement les siens, surtout si la personne en faute n'était autre que lui. C'est pourquoi, assis devant son bureau, Hulk perché sur son épaule, son dix-sept sur vingt sous les yeux, Remus prit une décision cruciale. Une décision capitale.

Mais avant, il décida de s'enfiler en entier la deuxième saison de Black Mirror jusqu'à ce que le sommeil l'emporte. C'était une seconde façon pour lui de boire pour oublier.

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« Déjà debout, mon pote ? »

Remus s'immobilisa à l'entrée de la cuisine, son début de bâillement interrompu, le mantra 'allez, vas manger, ça te donnera du courage' passant à travers la fenêtre ouverte de l'évier. Il était sept heures douze et James se trouvait déjà dans la cuisine en jogging défait et débardeur trempé, ses cheveux bruns humides de sueurs. Les épaules de Remus s'affaissèrent d'elles-mêmes et il se frotta les yeux du talons de la main, ses lunettes de vue à deux doigts du suicide sur le bout de son nez.

« Oui. » finit-il par répondre. « Toi aussi ? »

« Apparemment. » pouffa James en secouant la brique de jus d'orange qu'il buvait au goulot. Il se hissa à moitié sur le plan de travail, ses lacets de baskets défaits pendillant dans le vide, et dégaina son portable pour y pianoter un long roman. « Je suis allé courir, comme d'hab'. »

« Aussi tôt ? »

« Le monde appartient à ceux qui se lèvent à six heures trente du matin, Lupita. »

« Lupin. » le corrigea instinctivement Remus.

« Lupita. » maintint James avant de s'octroyer une bonne gorgée de vitamine C. « C'est plus sexy. »

« Si tu le dis. » capitula Remus — l'une des premières choses qu'il avait appris avec James était qu'il était quasiment inutile de le combattre de front ; il fallait plutôt attaquer par les côtés. « Tu n'aurais pas oublié d'éteindre ton lecteur radio hier soir, au fait ? »

« …non ? »

« Oh. Les petits bruits que j'entendais continuellement durant toute la nuit devaient venir du dehors, alors. »

James eut cette fois-ci la décence d'esquisser une ébauche de sourire coupable, comme un semblant d'excuses, ses yeux toujours rivés sur son téléphone.

« Elle est partie pendant mon jogging, t'inquiète. » Il releva brusquement la tête, les sourcils froncés. « Enfin, je crois ? Est-ce que tu as entendu quelqu'un partir ? Est-ce que tu l'as vue sortir ? »

« Aucune idée. »

« Si je te paie, est-ce que tu pourrais monter vérifier ? »

Remus cligna des yeux.

« Est-ce que tu es sérieux ? »

James se rongea le coin du pouce, l'air assez anxieux.

« Non. » répondit-il avec un peu de retard.

« Tant pis parce que je n'aurais vraiment pas dit non à vingt Gallions. » haussa des épaules Remus.

« Dix. » parlementa James.

« Quinze. »

« Douze. »

Seize. »

« Va pour quinze. » trancha James en sortant son portemonnaie pour en extirper deux billets.

Remus les glissa sereinement dans sa poche puis reporta son attention sur la machine à café qui s'exécutait avec une lenteur inexplicable, goutte par goutte. L'impression insistante de se faire épier le poussa cependant à tourner la tête de côté et il croisa presqu'aussitôt le regard impatient de James.

« Oh, tu veux que je monte vérifier maintenant ? » réalisa Remus.

« Si possible. » confirma James. « Je meurs d'envie de prendre une douche, en fait. »

« Ok. »

Remus revint alors sur ses pas pour se diriger vers la porte mais effectua une petite pause au tout dernier moment pour pivoter ensuite lentement sur ses talons. Prendre le temps de bien avaler sa salive.

« J'ai, hum. » commença-t-il et il eut beau bouger ses mains dans le vide, le reste de la phrase ne lui vint pas plus rapidement pour autant.

« Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as peur de monter ? » essaya de deviner James. « Elle ne va vraiment pas t'agresser, je t'assure. Enfin, elle est agressive. Mais pas dans ce contexte. » ajouta-t-il avec supplément rictus graveleux.

« Merci pour la précision mais il ne s'agissait pas de ça. » dit Remus en réprimant un roulement d'yeux. « J'aurais… il y a… c'est… »

« Accouche, mon pote. »

« Sirius. » accoucha donc Remus, les joues un peu roses. « Est-ce que tu le connais ? Il était à ta fête. Celle d'il y a deux semaines. » précisa-t-il car les fêtes chez Potter se succédait comme les jours de l'année.

Et si les joues de Remus prirent de la couleur, celles de son voisin en perdirent brusquement.

« Oh, putain. Qu'est-ce qu'il a encore fait ? » articula James d'une voix blanche.

« Rien ! Enfin, rien de mauvais. » s'empressa de préciser Remus. « Il a… il était juste dans ma chambre à un moment donné et… »

« Et il a cassé quelque chose ? C'est ça ? Il t'a cassé un objet ? Bon sang, je savais que j'aurais dû garder l'oeil sur lui plutôt que sur le stand d'alcool. Qu'est-ce qu'il a cassé ? Tu veux que je te rembourse à sa place ? »

« Non, non, non. Rien de cela. Je l'ai simplement trouvé avec Hulk dans les mains en… »

« Il a tué Hulk ? ! » rugit James en sautant cette fois-ci de son perchoir.

« Non ! Est-ce que… pourrais-tu simplement me laisser parler une seconde ? Juste une seule ? S'il-te-plaît ? » suggéra Remus, les paumes en l'air. « Merci. Ok. Donc. J'ai juste besoin de son numéro de téléphone, si tu l'as. »

« Pour quoi faire ? » s'enquit immédiatement son voisin.

« Le remercier pour… quelque chose. Et lui demander quelque chose d'autre aussi. »

« Ça fait beaucoup de quelque chose. »

« Est-ce que tu aurais son numéro ? » réitéra Remus en tachant d'atténuer la note d'impatience dans sa voix.

James resta l'air extrêmement sceptique pendant une poignée considérable de secondes puis soupira :

« Pour dix Gallions au lieu de quinze, je te le donne. »

« Ça marche. » acquiesça aussitôt Remus en lui rendant son billet de cinq.

James déverrouilla alors son portable et cliqua sur la page de répertoire correspondante — 'Sirius B.' lut Remus de travers. Il déposa ensuite son portable sur la table, attrapa un stylo et déchira l'un de ces prospectus inutiles qui encombraient continuellement leur boîte aux lettres pour y inscrire le numéro de téléphone.

« Tu es vraiment sûr qu'il ne t'a rien cassé ? Ou brûlé ? Ou subtilisé ? Ou… » s'assura-t-il quand même tout en lui tendant le morceaux de papier.

« Sûr et certain. » confirma Remus avant de glisser rapidement la feuille dans sa poche de pyjama et se diriger vers les escaliers. « Ok, je vais aller vérifier si la voie est libre. »

« Tu me sauves vraiment la vie. » respira James en levant son carton de jus à sa santé.

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Remus était médaillé d'or en procrastination — et peut-être aurait-il fallut commencer par ce point crucial. Il lui fallait toujours se faire violence pour ne pas reporter continuellement ses tâches quotidiennes au lendemain, voire même à l'année suivante. Sa petite voix intérieure, diplômée en mauvaise foi, se chargeait très souvent de relativiser n'importe quelle situation à sa place, étirant le temps jusqu'à ce que la deadline d'un devoir lui paraisse extraordinairement lointaine, dédramatisant la pile grossissante de cours à ficher pour le prochain partiel.

Envoyer un message de remerciement à Sirius se classait actuellement en tête de sa liste de procrastination. Remus tenait pourtant son portable dans sa main gauche et le numéro de téléphone à composer dans celle de droite mais pour une raison ou une autre, le troisième épisode de The Life of Caleb Gallo diffusé sur son ordinateur lui semblait bien plus divertissant.

Pour sa défense, la web-série en question était réellement divertissante. Et hilarante. Ingénieuse. Unique. Mais s'y plonger en cet instant précis ressemblait plus à une énième technique de fuite qu'autre chose. Il ne pouvait s'empêcher de—

« Ha ! » sursauta-t-il lorsque son téléphone tressauta entre ses mains.

Sur l'écran s'afficha l'image d'une femme souriante aux cheveux cendrés, un verre de vin rouge dans la main gauche et un minuscule porcelet coincé sous son bras droit. Les épaules de Remus se décontractèrent instinctivement et il fit glisser le bouton pour accepter l'appel.

« Coucou Nana. » la salua-t-il.

« …et donc figure toi que je viens tout juste de terminer de cuire une délicieuse petite tarte aux pommes — exactement celle que tu aimes, en plus : fondante au milieu, croustillante aux bords, pas trop sucrée et saupoudrée d'un zeste de cannelle. » narrait déjà Nana, sa voix lointaine indiquant que son téléphone avait été mis sur haut-parleur.

« Mmmh. » saliva aussitôt Remus et lorsqu'il ferma les yeux, il put presque la voir naviguer pieds nus dans sa cuisine en chantonnant, noyée dans une de ces larges salopettes éclaboussées de peinture qu'elle collectionnait dans sa penderie fait-main. « Vous m'en avez laissé une part, j'espère. »

« Avec Gus dans les parages ? Impossible, mon cher. A peine aurais-je le dos tourné que… et en parlant du loup ! Ce n'est… non, non, non ! Laissons-en tout de même pour le dessert, merci bien. J'ai dit non ! »

« Mais je n'en ai eu que deux ! » entendit-il Angus geindre en arrière-fond.

« Ce qui est déjà amplement suffisant. Hop, hop, hop ! Bas les pattes. » le sermonna Nana. « Qu'est-ce que je te disais, Remus ? Absolument impossible. »

« C'est Remus ? » réagit aussitôt Gus avant qu'un enchaînement de fritch fritch fritch se fasse entendre et que le tympan de l'étudiant se retrouve pratiquement percé par un : « Remus ?! Est-ce que c'est toi ?! »

« En chair et en os. » répondit le concerné en massant son oreille endolorie. « Quoi de neuf, chef ? »

« Oh, tu sais. Rien de bien spécial. Enfin… mis à part le fait que tu nous aies abandonné comme une vielle paire de Birkenstock sur une aire d'autoroute. »

« Ne commence pas, Gus… » soupira Nana juste derrière lui.

« Tu ne viens jamais nous voir ! »

« Je ne viens jamais vous voir ? » répéta Remus, l'incrédulité lui arrachant un début de rire. « J'étais là le week-end dernier ! Et le week-end d'avant également ! J'ai quasiment passé le mois d'août entier à la ferme ! »

« Mais tu pourrais être là aussi en semaine. » bougonna Gus.

« Vous êtes à deux heures et demi en train de mon université. Et encore faudrait-il que ledit train soit direct. Et qu'il n'y ait pas de grèves. Et qu'il n'y ait aucun risque d'intempéries durant toute la semaine. Et que personne ne choisisse une heure de pointe pour se jeter sur les rails. »

« Et puis il vient le week-end prochain à la maison, de toutes les façons. » ajouta Nana avant de se pencher vers le haut-parleur. « C'est bien ça, Remus ? Tu viens toujours ? »

« Hum… peut-être ? » grimaça d'appréhension le brun, l'anniversaire de Nymphadora le samedi suivant clignotant en lettres de néons dans sa tête.

« Il a dit peut-être ! Tu as entendu ? Tu as bien entendu comme moi, Natalina ! Il a dit : peut-être ! » repartit en crescendo Gus.

« Veux-tu bien te calmer, à la fin ? Il est jeune, il a vingt ans et il est en deuxième année de fac. Laisse-lui un peu la liberté de profiter de sa vie universitaire sans ses tuteurs sur le dos ! »

« Il nous a remplacé. Ça y est. C'est bon. Je te l'avais dit, Natalina. Tu ne voulais pas me croire mais je te l'avais pourtant bien dit. »

« Oh, ne sois pas bête. Avec qui pourrait-il potentiellement nous remplacer ? Mmh ? »

Les trois secondes de silence qui s'ensuivirent furent cruciales. Capitales, même. Chacun sembla avoir la même réponse au même moment et Remus eut à peine le temps de s'écrier :

« Non ! »

« C'est un copain ? C'est ça ? Tu t'es trouvé un copain ? Ouh, notre petit Remus s'est trouvé un co-pain ! » jubilait Gus d'une voix suraiguë et très franchement embarrassante.

« Non. » répéta Remus, la tête plongée dans ses mains. « Argh. »

« Comment est-ce qu'il s'appelle ? » poursuivait Nana, un rictus dans la voix.

« Personne. »

« Personne ? » répéta Gus. « Etrange, comme prénom… est-ce que c'est italien ? Est-ce que le 'e' de la fin se prononce 'é' ? »

« Oh, arrête un peu Angus. » gloussa Nana. « Il nous le dira quand il se sentira prêt. Tu sais bien que notre Remus est un grand timide. »

« Un cachotier, plutôt. »

« Okay ! » s'exclama d'une voix forte le concerné. « Qu'est-ce qui, hum… comment se porte le jardin ? Le potager avance ? Et les chevaux ? Ils vont bien ? Les moutons aussi ? Les vaches ? Vous avancez dans la construction de votre cabane ? Le tracteur a pu être réparé ? » demanda-t-il en vrac pour enterrer le sujet aussi rapidement que possible.

Et comptez sur Gus pour se lancer dans un rapport détaillé de l'état de la ferme depuis la seconde où Remus l'avait quittée jusque maintenant. Le brun prit soin d'entrecouper le récit par une série de « mmh » et de « hun-hun » avant de poser son portable sur haut-parleur juste à côté de sa lampe de chevet. Il appuya ensuite sur le bouton d'accueil et fixa sans ciller l'icône de ses messages pendant une très longue secondes. Puis, pris d'une soudaine pulsion, le brun appuya dessus et tapa :

Bonsoir. Je suis Remus. Je voulais te remercier infiniment de m'avoir aidé à composer ma dissertation de philosophie, deux semaines plus tôt, lors de la fête de James Potter. Tes indications étaient très pertinentes et m'ont permis d'obtenir une très bonne note. Très bon week-end à toi.

Remus tapa le numéro, approcha son pouce du bouton d'envoi et fit l'erreur monumentale de relire son message. Pour l'effacer la seconde suivante. Etait-ce un texto de remerciement ou un message solennel laissé à l'encre chinoise sur le livre d'or d'un ambassadeur ? Avec un soupir, l'étudiant secoua la tête puis réessaya :

Hello, c'est Remus (le mec au gecko) (Hulk). C'était pour te remercier de m'avoir aidé à terminer ma dissertation de philo (celle sur le temps). C'était très gentil de ta part (surtout que tu n'étais pas obligé). Donc vraiment, merci (encore une fois).

Si trop de parenthèses tuait la parenthèse, Remus serait déjà mort et enterré. Il supprima le tout d'une simple pression de l'index.

Hey :) Merci beaucoup pour…, commença-t-il à écrire avant de bloquer sur le smiley, le remplacer, l'effacer puis supprimer une fois encore l'intégralité du texto.

« Toujours là, Remus ? » s'assura soudain Gus en s'interrompant dans son récit extrêmement imagé de l'accouchement d'une de ses juments.

« Hun-hun. » répondit instinctivement le brun et Gus repartit dans son monologue.

Remus contempla quant à lui la bulle vide, agacé de son inaptitude à composer un simple sms du haut de ses vingt ans. Il fallait tout simplement qu'il rédige un message à la fois reconnaissant et décontracté ; quelle difficulté y avait-il à cela ? En désespoir de cause, Remus décida de taper tout l'inverse :

17/20 à ma disserte de philo. Tu en as écrit le 3/4 complètement bourré donc bon, merci. Etant donné que tu voulais kidnapper et renommer mon gecko, je suppose que nous sommes à présent quittes. — Remus.

C'était, et de très loin, le texto le plus imbuvable que Remus ait pu rédiger de sa vie toute entière et rien que se relire le fit rire. Ce qui ne le fit pas du tout rire, en revanche, fut de confondre la touche 'effacer' avec celle 'envoyer'. Fichu tactile.

« Oh non. » murmura-t-il, horrifié, en voyant la bulle d'envoi se former puis s'inscrire pour de bon dans la page de conversation vide. « Oh non, non, non, non, non. »

« …et le sang me giclait partout sur les mains. Tout va bien ? » demanda une nouvelle fois Gus à l'autre bout du fil.

« Oui, oui, c'est, hum… c'est juste… juste… c'est… » bredouilla-t-il, extrêmement fébrile, avant d'enfoncer sa tête dans son oreiller pour y hurler cinq minutes, sans aucune interruption.

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Quatre heures.

Ce fut le temps que Remus passa à appréhender une réponse, la boule au ventre. Son téléphone était crispé dans sa paume moite et il ne pouvait passer une minute entière sans vérifier maladivement l'écran ou frôler la crise d'angoisse dès qu'une notification lui parvenait. Un cauchemar éveillé.

Et la réponse lui parvint, finalement. A deux heures quinze du matin, Remus revenait des toilettes, le pas titubant et les paupières mi-closes, lorsqu'il aperçut son téléphone s'allumer sur sa table de chevet. Le coeur battant soudainement la chamade, le brun grimpa sur son lit pour l'attraper et y lire :

remerciements non-acceptés — sb.

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Ce sont vraiment mes premiers pas de bébé dans l'univers des Maraudeurs : please, be gentle. J'espère que ce premier chapitre vous a plu ! Je sens déjà que ce sera une histoire fluide et plaisante à rédiger donc il est très probable que la suite arrive rapidement (enfin… 'rapidement' selon mon dictionnaire, haha, vous me connaissez).

Pour ceux que cela intéresse : je bosse actuellement sur Trash Po et Qui Vivra Verra (plus sur celle-ci que sur la toute première, à vrai dire). J'avais juste le scénario de Supercut qui me faisait un forcing mental sévère depuis trois semaines donc il fallait au moins que je finalise un premier chapitre. Et le voici !

Joyeux automne à tous & d'ici à une prochaine fois, portez vous bien.

xo.