Bonjour, bonsoir,

cela fait un moment que je n'ai rien posté en français. Je reprends doucement avec cette nouvelle. Je ne pensais pas la poster si tard, l'ayant commencée début juillet. En théorie, j'aurais déjà dû commencer à écrire une nouvelle idée d'histoire qui attend depuis des mois (bon, d'accord, peut-être une bonne année).

Tout ça pour dire à ceux qui me lisent depuis un moment que je n'ai pas fini de poster ici. On m'a demandé ces derniers mois si j'allais continuer à écrire en français, et la réponse est oui. Je vais aussi continuer de poster en anglais, mais je ne peux promettre avoir le temps de traduire tout en écrivant mes autres idées en français...

...aller, trêve de bavardages ! Cette nouvelle est une idée comme ça qui n'a pas été simple à écrire, j'espère au moins qu'elle est assez claire. Je la poste en trois parties pour que ça soit plus agréable à lire.

Bonne lecture, et surtout, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ! :)


La route glissait sous la voiture, les vagues de goudron disparaissaient les unes après les autres alors que les roues avançaient à pleine vitesse. Clarke hésita à appuyer un peu plus fort sur la pédale d'accélérateur. Elle avait besoin de partir, de s'éloigner de la ville qu'elle avait côtoyée pendant quinze ans et qui était déjà loin derrière elle. Elle aurait pu s'arrêter bien avant, se poser quelque part et attendre que le mal qui la rongeait passe, mais elle ne pouvait se résoudre à s'arrêter. Elle avait la sensation amère qu'elle ne se sentirait jamais bien à l'arrêt. Il lui fallait continuer. Rouler le plus loin possible.

Ces derniers mois avaient été longs pour Clarke. À vingt-huit ans, elle était une jeune médecin brillante. Elle avait toujours suivi ses études avec assiduité. Elle était devenue une excellente chirurgienne, la plus jeune du service. Les chirurgiens aussi jeunes se comptaient sur les doigts de la main dans l'état du Maine.

Clarke avait beaucoup voyagé, mais jamais elle n'avait pensé à partir s'installer ailleurs. Elle avait tout ce dont elle avait besoin dans le Maine : sa famille, son époux, son travail. Avait. Il n'y avait plus personne, désormais. Son père était mort pendant son adolescence, sa mère avait lutté contre un cancer jusqu'en deux mille quinze et, il y a quelques mois, son jeune mari avait péri dans un feu.

Elle avait été mariée trois ans à un pompier. Elle avait été inquiète pour lui à chacune de ses interventions. Finalement, ce qu'elle avait redouté était arrivé : le soldat du feu était mort au combat.

Clarke avait toujours repoussé sa vie pour son travail. Son métier lui importait énormément, c'est à cause de son occupation qu'elle avait refusé une grossesse.

À trente ans. Nous aurons un enfant à trente ans. Mais il n'y aura pas d'enfant. Le géniteur n'était plus là. Clarke ne savait plus si elle serait un jour capable d'élever un enfant seule.

Ses mains serrèrent un peu plus le volant. Elle voulait aller plus vite, mais elle n'avait jamais réussi à dépasser les limites. C'est à la mort de son mari qu'elle s'était rendue compte de la monotonie de sa vie. L'action de l'hôpital lui avait longtemps donné l'impression d'avoir une vie incroyable, pleine de rebondissements, mais qu'était-elle en dehors de l'hôpital ? Elle sortait rarement. Elle n'avait pas voyagé depuis au moins quatre ans, car son travail et la maladie de sa mère l'avaient longtemps préoccupée. Puis, à quoi bon ? Elle avait déjà tout : une maison, un époux, un emploi. À quoi bon aller chercher autre chose ailleurs ?

C'est en se levant ce matin que l'idée de partir lui était venue. Elle avait pris son sac à main contenant ses papiers, avait attrapé son trousseau de clés, et était partie. Sans savoir où aller. Sans savoir quand elle rentrerait. Elle avait pensé, pendant un court instant, qu'elle allait simplement aller faire une course. Puis l'autoroute l'avait déportée, et quelques temps après elle s'était retrouvée sur une petite route qu'elle n'avait encore jamais empruntée. Elle ne savait pas où elle allait.

Elle pensait à la mallette tout droit sortie de l'hôpital. Elle l'avait laissée dans sa voiture, sans penser à aller la rendre, sans penser à la retirer de son coffre. Ce n'était qu'une mallette avec quelques produits et ustensiles. Rien d'extravagant. Une simple mallette de secours.

Mais elle se demandait : irait-elle la rendre un jour ? Aurait-elle le courage de rentrer chez elle, dans cette maison bien trop grande pour une personne seule ? Cette maison remplie de souvenirs qui lui paraissaient maintenant fades. Il ne s'était jamais rien passé d'exceptionnel là-bas. Elle s'en rendait compte maintenant.

La voiture devait sentir la tristesse de Clarke puisqu'elle émettait des grondements croissants. Clarke baissa les yeux vers le tableau de bord. Elle n'y connaissait rien en voiture, mais celle-ci ralentissait et Clarke batailla pour la faire tenir jusqu'à la prochaine station service.

Sur cette route, il n'y avait pas grand chose. Des champs. Des terrains vagues. Alors quand la silhouette d'un vieux bâtiment s'esquissa au loin, Clarke n'eut d'autre choix que de s'y arrêter. Par chance, ou simple coïncidence, il s'agissait d'un garage.


Le tiroir du bureau chuta une nouvelle fois. Le bois était vieux et les poulies de métal rouillées. Combien de fois avait-il été réparé ? Le vieux bureau n'avait plus sa place dans l'immense garage à l'air poussiéreux, tout comme beaucoup d'autres choses ici.

Un grondement de moteur attira l'attention de Lexa. Ce bruit ne lui était pas familier, il ne pouvait s'agir de la voiture de Karl. Lexa, à genoux devant le tiroir cassé, se leva et prit soin de fermer son livret de comptes. Elle voulut le remettre à sa place dans le tiroir, et soupira en se rendant compte du fait que celui-ci était inutilisable. Elle se contenta de poser le livret sur le côté du bureau et sortit.

Elle eut à peine le temps de passer la tête par la porte qu'elle vit une figure blonde disparaître sous la vitre de la portière ouverte. Un grognement parvint jusqu'à elle. Lexa contourna la voiture tandis qu'une femme s'accrochait à la portière pour se relever.

« Je crois que ma voiture a un problème, » dit la femme, les joues rougies par la gêne.

La voiture grondait encore, Lexa avait déjà une idée du problème. Elle se glissa entre la portière et la cliente inattendue qui recula maladroitement d'un pas. Elle coupa le moteur et ôta la clé du contact.

Le grondement cessa mais la chaleur excessive qui émanait du véhicule prouva que le problème était loin d'être résolu.

« Vous croyez ? » répondit Lexa sans aucun regard de plus à sa nouvelle cliente.

Elle contourna la portière et rejoignit deux immenses portes adjacentes à la petite porte d'entrée du garage. Elle attrapa deux poignées de fortune en métal et tira dessus avec une force qui surprit Clarke. Les portes commencèrent leur ouverture avec un grincement, mais Lexa dut lâcher l'une des deux portes pour ouvrir les deux entièrement, l'une après l'autre.

Lexa ne pensait pas avoir une cliente aujourd'hui. Les affaires n'étaient pas grandes, et elle se disait qu'elle aurait moins de soucis financiers si elle avait plus de clients. Mais où trouverait-elle le temps ? Elle allait déjà devoir se dépêcher de réparer cette voiture pour pouvoir retourner à ses affaires personnelles. Ses problèmes ne se réparaient pas aussi aisément que ceux des voitures.


Clarke observa la mécanicienne prendre sa voiture en charge. Cette dernière ne lui avait adressé que quelques mots de plus pour lui demander de sortir la carte grise du véhicule et sa carte d'identité. Elle attendit quelques minutes dehors, seule, avant de se décider à aller voir ce qui se passait à l'intérieur du garage. Clarke fut surprise de ne découvrir que la mécanicienne dans l'enceinte du vieux bâtiment. Elle qui pensait voir une petite équipe de mécaniciens... cela confirmait bien que le lieu était pratiquement abandonné. Il en avait l'allure : Clarke craignait de voir la structure de métal fin s'écrouler sous les coups de vent insistants.

Elle attendit un moment en face du petit bureau gris. Quand la mécanicienne revint, Clarke pensa enfin pouvoir partir, étant loin de s'imaginer qu'elle allait passer plus de temps ici que prévu.

« Je vais devoir garder votre voiture pour la nuit, le garage ferme dans une heure et j'ai besoin de plus de temps pour la réparer, » lui indiqua la femme à la tenue grise.

Clarke crut d'abord à une mauvaise blague. Elle fixa la mécano avec insistance, attendant la fin de la blague, en vain. Des yeux verts la fixaient en l'attente d'une réponse.

« Vous... vous ne pouvez pas rester ouvert plus longtemps ? Exceptionnellement ? Ce n'est pas comme si vous aviez beaucoup de clients... » répondit-elle, sans savoir qu'elle venait de tirer la mauvaise corde. Clarke pouvait se montrer maladroite. Ses paroles aiguisées ne lui avaient pas été d'une très grande aide lorsqu'elle commençait à l'hôpital. Mais avec le temps, elle avait appris à tenir sa langue au travail.

« Non, je ne peux pas. Le garage a des horaires d'ouverture pour une raison. Si cela vous déplaît, vous pouvez encore aller voir ailleurs, » répondit froidement la mécanicienne.

Clarke blanchit. Un rire nerveux lui échappa.

« Aller voir ailleurs ? Il n'y a rien ici ! » s'exclama-t-elle, déboussolée.

En prenant la route ce matin, elle ne s'imaginait pas rencontrer de tels obstacles sur son chemin.

« Il y a un hôtel à vingt-sept kilomètres d'ici. Je vous laisse vous débrouiller. En attendant, je dois vous demander de sortir. J'aimerais avancer la réparation au maximum avant la fermeture. »

« Vous êtes toute seule ici ? » osa Clarke, qui n'avait plus rien à perdre.

La mécanicienne la conduit à la porte, et Clarke se retrouva dehors sous le ciel gris. La seule réponse qu'elle eût avant de se retrouver seule fut :

« Vous êtes une cliente, pas une journaliste. Je vous prie de cesser avec vos questions. Votre voiture devrait être prête demain matin. »

Clarke soupira. Elle sortit son téléphone dans l'espoir de contacter un taxi et rejoindre l'hôtel le plus proche. Elle grommela. La barre de réseau était vide. Elle était seule, dehors, sous le ciel gris, dans le coin le plus isolé qu'elle eût eu la malchance de voir dans sa vie.


Clarke fut réveillée par une vive lumière. Elle tenta d'ouvrir les yeux avec précaution, découvrant peu à peu un mince rayon de soleil perçant entre deux nuages. La vue la troubla. Elle n'avait pas pour habitude de se réveiller dehors. Elle n'avait pas ressenti le froid de la nuit, et c'est avec cette pensée qu'elle remarqua l'épais duvet qui la couvrait. Elle le quitta et se leva dans le but d'aller le rendre à sa propriétaire. Ce duvet ne pouvait appartenir qu'à une seule personne, non ?

« Bonjour, » lança-t-elle une fois à l'intérieur du vieux garage.

Sa voix fit écho dans le bâtiment et des bruits de métaux s'entrechoquant se firent entendre près de la voiture en réparation, de l'autre côté du garage.

La silhouette de la mécanicienne ne tarda pas à apparaître et Clarke aperçut les mains de la jeune femme noircies par la suie.

« Je crois que ça vous appartient, » lui adressa Clarke, le duvet plié dans les bras.

La mécanicienne lui prit le duvet des mains et alla le jeter derrière son bureau. Elle n'avait pas l'air de bonne humeur, mais puisque Clarke ne l'avait jamais vue sourire, celle-ci assuma que c'était son état normal.

« Il ne me semble pas vous avoir autorisée à dormir sur mon perron, » grogna la jeune femme qui s'essuyait les mains avec un chiffon.

Clarke resta bouche bée. La sympathie était-elle aussi absente que la population ici ?

Elle observa la mécanicienne s'affairer, ce qui agaça rapidement cette dernière.

« Je devrais avoir terminé en fin de matinée. Vous pouvez aller vous balader en attendant. »

Clarke fut contrainte de sortir. Cette femme était vraiment étrange. Elle avait l'air... belle, aux premiers abords. Une jeunesse qui, débordante de vie, devait être à couper le souffle. Pourtant, Clarke sentait que quelque chose manquait. Le regard de la mécanicienne semblait vide, lui ôtant son rang de femme pour l'abaisser au rang de machine.

Clarke retourna s'asseoir sur le banc à l'extérieur. Elle ne connaissait même pas le nom de la garagiste. Si elle le demandait, elle se ferait probablement envoyer balader.

Elle se lassa vite du paysage. Elle se leva et se lança dans une promenade autour du bâtiment. Elle remarqua vite une toute petite maison derrière le garage. Quelqu'un y habitait peut-être. Quelqu'un qui aurait l'amabilité de répondre à Clarke.


Lexa soupira. Elle avait presque fini la réparation. Il manquait simplement une pièce que Lexa savait cachée quelque part dans l'une des armoires. C'était une pièce commune, seulement Lexa n'était pas très réputée pour son organisation. Lorsqu'elle avait repris le garage, elle s'était retrouvée avec une montagne de travail, dont une quantité considérable de choses à ranger. Mais ça n'avait pas été le plus lourd, puisque Lexa, à seulement vingt-deux ans, s'était retrouvée avec plus de dettes qu'elle n'aurait jamais pu en accumuler dans sa vie.

Elle se leva. Trouver la pièce allait lui prendre un moment.


La porte s'ouvrit devant Clarke. Elle avait eu besoin de cogner à plusieurs reprises pour que quelqu'un réponde, et c'était seulement lorsqu'elle avait lâché l'affaire qu'une vieille dame se présenta devant elle.

« Bonjour, » la salua Clarke avec un sourire poli, « je m'appelle Clarke Griffin, je suis cliente au garage. Je me demandais si je pouvais vous demander un café,» demanda-t-elle maladroitement,

« je peux le payer, bien sûr. »

La vieille dame la dévisagea un instant, son regard quelque peu évasif, et elle se retourna pour disparaître dans la petite maison, adressant quelques mots bafouillés que Clarke prit comme une invitation à entrer.

La femme s'était assise à une petite table ronde, toute de bois, sur une chaise de la même matière. Clarke avait constaté dès son entrée que la maison était encore plus petite à l'intérieur qu'elle ne le paraissait de l'extérieur.

La vieille dame demanda à Clarke de faire le café. Une petite cuisine se trouvait derrière la table. La pièce était minuscule. Clarke ne mit pas longtemps à trouver le nécessaire.

« Vous... vous avez vu ma... ma petite fille, » s'exclama la vieille dame avec une voix qui se voulait enjouée mais qui ne cessait de monter et descendre.

Clarke nota la manière dont les lèvres de la vieille femme tremblaient et remarqua vite que cela se valait aussi pour ses mains et ses pieds. Elle prit le temps de terminer la préparation du café et vint déposer deux tasses sur la table.

« Oui, votre petite-fille s'occupe de ma voiture, » répondit-elle une fois installée elle aussi à la table.

Car qui cette jeune femme pouvait-elle être d'autre ? Il n'y avait que deux personnes dans le coin, cette vieille dame et la jeune mécanicienne. Alors la garagiste n'était pas seule ici...

La femme âgée se remit à bafouiller, ramenant l'attention de Clarke sur elle.

« Elle est belle... Le-xa, mais... elle veut pas... partir. » Elle attrapa sa tasse de café - que Clarke avait pris soin de ne remplir qu'à moitié - et la porta à sa bouche à l'aide de ses deux mains. Après quelques gorgées difficilement avalées, elle reposa la tasse et reprit : « Vous êtes jolie, Le-xa, elle aime... bien les... jolies femmes... comme vous. »

Clarke ne sut que répondre. Elle venait d'apprendre deux informations sur sa garagiste du jour : tout d'abord, elle s'appelait Lexa. Ensuite, elle était gay. Du moins, c'est ce que laissait entendre la vieille dame. Clarke évalua cette dernière comme elle diagnostiquait ses patients. Il apparaissait clairement que cette femme était atteinte de dégénérescence mentale, comme beaucoup de personnes âgées. Les tremblements incessants indiquaient Parkinson, mais Clarke ne s'étala pas plus sur le sujet. Ce n'était pas ce qu'elle voulait retenir de sa rencontre avec cette femme.

« Votre petite-fille est aussi très jolie, vous pouvez être fière. » Clarke hésita. Avait-elle le droit de lui poser des questions ? Elle voulait en savoir plus sur Lexa, pour, peut-être, l'aider ? C'était ambitieux de sa part, voire déplacé, mais elle avait constaté, dès sa première rencontre avec la mécanicienne, que celle-ci n'était pas heureuse. Qu'elle soit douée dans son métier ou non, elle n'était peut-être pas faite pour ça. Lexa n'avait pas le même air que Raven, amie d'enfance de Clarke, perdue de vue depuis longtemps, qui, au lycée, retapait gaiement de vieilles voitures avec Jake Griffin. Raven avait toujours voulu devenir ingénieure en mécanique, ça se voyait dans ses yeux, dans son comportement, dans la façon dont elle parlait de ce métier. Mais Lexa... il n'y avait aucune lueur dans ses yeux.

Nul besoin d'être médecin pour voir que cette jeune femme était malheureuse.

Un bruit lourd sortit Clarke de ses pensées. Elle n'avait pas eu le temps de poser une simple question que la vieille dame s'était écroulée sur le sol, secouée de petits spasmes. Clarke réagit vite, elle s'agenouilla et mit la vieille dame sur le côté, lui maintenant la tête pour éviter qu'elle cogne contre le sol.

Elle examina rapidement la femme et comprit qu'elle avait commis une lourde erreur en lui donnant une tasse de café : la boisson chaude ne collait probablement pas avec le traitement de la vieille dame.

Elle constata la présence d'un petit bracelet électronique au poignet de la femme et s'attendit à voir Lexa débarquer. Celle-ci ne tarda pas : elle ouvrit la porte en furie, jeta un regard à la table et aux tasses de café, puis tomba au chevet de sa grand-mère qu'elle retira des bras de Clarke.

« Vous ne pouvez pas vous mêlez de vos affaires ! » hurla-t-elle à la femme blonde qui fouillait déjà les placards à la recherche de médicaments. « Partez donc au lieu de fouiller ! Vous n'avez aucun respect ! »

La voix de Lexa était rude, mais Clarke ressentait la détresse qui s'en dégageait. Elle ferma le placard qu'elle venait de fouiller et s'agenouilla au sol encore une fois.

« Je suis médecin, je peux vous aider, » expliqua-t-elle, « mais il faut que vous me laissiez la prendre en charge. J'ai une trousse de secours dans le coffre de ma voiture. »

Le corps de la vieille dame s'immobilisait lentement. Clarke prit le poignet de celle-ci et compta à voix basse.

« Dans quelques secondes son cœur va s'arrêter. Laissez-moi m'occuper d'elle. Allez récupérer la trousse. »

Clarke dut se montrer convaincante puisque Lexa déposa le corps de sa grand-mère au sol et disparut à la hâte. Clarke entama un massage cardiaque. C'était tout ce qu'elle pouvait faire tant qu'elle n'avait pas sa trousse, et ce serait insuffisant sans les produits appropriés.

Lexa revint avec la lourde trousse de secours et Clarke parvint à stabiliser sa nouvelle patiente.

Elle dut sortir sur ordre de Lexa. Cette dernière lui en voulait clairement. Clarke rejoignit le banc sur lequel elle avait passé la dernière nuit. Elle ne tarda pas à entendre du bruit à l'intérieur du garage et elle entendit bientôt le grondement d'un moteur. Sa voiture apparut par les grandes portes ouvertes du garage et s'arrêta dans l'allée devant elle.

Lexa sortit en claquant la portière, ses yeux assassinèrent Clarke.

« Vous allez venir avec moi à l'intérieur, » lui indiqua Lexa, « vous allez payer ce que vous me devez pour la réparation de votre voiture, récupérer vos clés et papiers, et disparaître pour toujours. Vous m'avez bien compris ? »

Clarke la suivit à l'intérieur du garage. Lexa rassemblait les éléments à lui rendre sur son bureau.

« Lexa - » tenta de l'interpeller Clarke avant d'être coupée.

« Ne m'appelez pas ainsi ! » Elle se retourna pour lui faire face, une lueur de rage ayant empli son regard. « Vous n'avez aucun droit de me nommer ainsi, tout comme vous n'aviez pas le droit d'aller rendre visite à ma grand-mère. »

« Il ne lui reste pas longtemps, » lança aussitôt Clarke, d'un ton calme qui surprit Lexa. « Café ou non, elle aurait eu cette violente crise, elle serait tombée, et vous n'auriez pu la réanimer, car vous avez probablement utilisé toutes les doses prescrites pour cela. Votre médecin a dû vous le dire : vous ne pouvez plus rien pour votre grand-mère. A part peut-être la laisser passer le temps qu'il lui reste dans un endroit prévu à cet effet, comme un hôpital, mais il est trop tard pour cela maintenant. Elle ne survivrait pas le transport. Son cœur - »

« Fermez-là, » la coupa brusquement Lexa. Elle lui tendit les papiers et la clé du véhicule. « Réglez et partez. Ce qui se passe ici ne vous concerne pas. »

Clarke récupéra calmement les papiers. Elle alla chercher son sac à main dans sa voiture, suivie par Lexa qui la surveillait. Cette dernière ne pouvait se permettre de voir un rare client partir sans payer.

Clarke inscrivit sur un chèque le montant demandé. Une fois l'argent remis à Lexa, elle resta un instant à la fixer. Clarke ne pouvait s'empêcher d'imaginer un sourire apparaître sur ce visage. Lexa était déjà belle, mais elle serait magnifique si son visage n'était pas marqué par la suie et la fatigue.

« Vous souffrez, Lexa, laissez-moi au moins vous aider à assister votre grand-mère dans sa mort. »

Les pommettes saillantes de Lexa semblèrent retomber un instant alors que ses yeux retrouvaient leur tristesse transparente. Elle baissa le regard, incapable de soutenir les yeux bleus qui la fixaient.

« Je veux juste que vous partiez, » déclara-t-elle en tournant les talons.

Elle disparut dans le garage.


Clarke attendit pendant deux heures, assise sur le banc, que Lexa revienne. Il était évident qu'elle n'était pas partie puisque sa voiture n'avait jamais quitté l'allée, alors pourquoi Lexa ne venait-elle pas auprès d'elle ? Il avait pourtant semblé évident à Clarke que Lexa reviendrait lui hurler de déguerpir sur le champ... mais rien, le silence.

Aucun mouvement à l'intérieur du garage. Clarke décida de s'y faufiler discrètement. Lexa n'y était pas, elle devait être avec sa grand-mère dans la minuscule maison. Elle remarqua la pièce sans porte derrière le bureau et s'autorisa à y jeter un œil.

C'était une toute petite pièce avec une longue étagère sur le mur de gauche et un matelas au fond, à même le sol. Clarke aperçut le duvet qui l'avait maintenue au chaud la nuit précédente. Il gisait sur la couche de fortune et Clarke comprit que le duvet était la couverture de Lexa.

La mécanicienne aurait laissé sa seule couverture à une inconnue ? Elle ne serait donc pas si méchante...

Clarke décrivit l'étagère du regard et tomba rapidement sur un calendrier. La semaine en cours était entourée, la seule marque de feutre sur le calendrier entier. À côté de l'objet se trouvait une pile d'ordonnance. Clarke ne prit pas longtemps à deviner ce que la marque sur le calendrier signifiait.

« Qu'est-ce que vous faites ici ?! » tonna la voix de Lexa à l'entrée de la pièce.

Clarke, le cœur battant à pleine vitesse, fut jetée hors de la pièce.

« Je vous ai dit de partir ! Vous n'avez rien à faire là, vous ne le comprenez pas ?! »

La voix de Lexa était forte mais aussi tremblante. Clarke remarqua vite les lueurs vives dans les yeux de Lexa. La lumière s'y reflétait. Dans les yeux verts de la mécanicienne brillaient des larmes.

« Elle est morte, n'est-ce pas ? » demanda Clarke. « J'ai vu votre calendrier, c'était prévu pour cette semaine... »

Lexa ne répondit pas. Elle saisit le poignet de Clarke et la tira jusqu'à l'extérieur.

« Je ne vous ai demandé qu'une chose, c'était de partir, » lui dit-elle sèchement.

« Lexa... »

« Fichez-moi la paix bon sang ! »

« On peut en parler, je peux même rester avec vous le temps de régler tous les détails pour elle, vous n'avez pas à traverser cette épreuve seule... »

« Vous n'en savez rien ! Vous fouinez et jugez ! Je ne veux pas de votre aide, encore moins de votre présence ici, » termina-t-elle, fatiguée.

Clarke baissa la tête, touchée. Cette fois, Lexa se trompait lourdement.

« Je le sais, » répondit-elle, « je le sais, car je n'ai plus personne. Comment croyez-vous que je me suis retrouvée ici ? » Elle ne prêta pas attention à l'air de Lexa. Elle ne voulait pas connaître la réaction de celle-ci. Elle se trouvait idiote elle-même d'avoir évoqué son passé face à quelqu'un qui traversait une lourde épreuve aujourd'hui. Elle jeta un regard à sa voiture et hocha la tête, comme si elle affirmait 'Oui, oui, je vais partir.'

Elle rejoignit la portière et l'ouvrit. Elle hésita un instant avant de se tourner une dernière fois vers Lexa.

« Je vous trouve très belle Lexa, j'aurais aimé vous voir sourire au moins une fois. »

Elle baissa la tête, se trouvant terriblement bête, et entra dans sa voiture. Elle quitta les lieux, laissant Lexa bouche bée à la porte de son garage.

La mort de sa grand-mère. L'ouragan de vie qu'était cette fille. Le cœur de Lexa venait de prendre un sacré coup. Elle marcha jusqu'à son bureau et se laissa tomber sur sa chaise. Elle était seule désormais. Elle n'avait même pas pu parler une dernière fois à sa grand-mère, celle-ci ne lui ayant plus adressé un seul mot depuis trois mois. La maladie, sûrement... oui, la maladie... la maladie qui avait emporté la mère de Lexa, puis sa grand-mère aujourd'hui.

Et son père... c'était à cause de son alcoolisme que sa mère était tombée dans la dépression. Son alcoolisme, et son incapacité à gérer son business. Le garage, un vieux rêve, qui aurait dû s'étendre en une grande entreprise, remplir ces champs vides en un immense entrepôt, oui, ce rêve fou... ce rêve qui était toujours resté un rêve.

Lexa avait tant de projets, à commencer par ses études, tant de projets détruits par le gâchis d'un seul homme. Lexa avait osé commencer des études de sciences politiques. Elle avait obtenu une bourse grâce à ses compétences sportives. Elle avait pris ses valises, la main de sa petite-amie, et était partie loin. Quelques mois plus tard, elle avait été contrainte de revenir. Son père était mort et sa mère avait besoin d'aide pour payer les factures.

Lexa avait commencé son travail ici, apprenant très rapidement comment faire tourner le garage. Quatre ans plus tard, sa mère était morte, un suicide par overdose de médicaments, maladie insupportable, et Lexa se trouva gérante du garage à vingt-deux ans. Gérante du garage... et des dettes.

Lexa n'avait plus jamais revu son université, encore moins sa petite-amie. Il ne lui restait plus qu'à prendre soin de sa grand-mère malade, pour qui elle avait fait construire à crédit une toute petite maison derrière le garage.

Et maintenant, sa grand-mère était morte. Ce n'était pas une vie. Ou alors, c'en était une très mauvaise. Lexa avait énormément de potentiel, mais à vingt-neuf ans, elle n'avait plus d'espoir. Sa grand-mère avait été sa seule raison de s'accrocher à la vie.


Les mains de Clarke étaient crispées sur le volant. Elle n'arrivait pas à se convaincre qu'elle était partie pour de bon, qu'elle avait laissé cette femme seule avec le corps de sa grand-mère défunte.

Alors que la veille, au petit matin, il avait été très simple pour Clarke de tout quitter et de partir loin... pourquoi quitter cette inconnue lui semblait-il si difficile ?

Elle s'en voulait encore d'avoir insisté auprès d'elle, sans vraiment être capable de regretter. Elle pensait vraiment la dernière chose qu'elle lui avait dite. Elle le pensait vraiment, Lexa était une femme magnifique, mais abandonnée à une vie malheureuse. Clarke connaissait la souffrance d'une vie grise couverte de remords. Elle avait perdu les siens, et s'était trouvée seule dans chaque épreuve. À l'époque, elle passait tant de temps à étudier pour son futur métier qu'elle avait abandonné tous ses amis. C'est quand elle eut le plus besoin d'eux qu'elle se rendit compte qu'ils étaient partis. Ils l'avaient oubliée, car elle n'avait rien fait pour les garder auprès d'elle.

Devrait-elle faire comme eux, et abandonner Lexa à son triste sort ? Le regard de Lexa la hantait. La douleur qui s'y était affichée pendant leur dernier échange avait transpercé Clarke plus que le vide qu'elle avait pu contempler auparavant.

Si ça ne tenait qu'à elle, elle ferait demi-tour et y retournerait. Elle insisterait jusqu'à ce que Lexa accepte son aide. Mais elles n'étaient pas amies... Lexa n'avait pas d'amis. Comme elle.

Elles étaient seules toutes les deux et Clarke comprit. Lexa n'avait plus personne, tout comme Clarke, sauf si celle-ci venait lui tendre la main. L'une comme l'autre, elles pourraient encore avoir une chance dans la vie. Mais cela ne tenait qu'à elles.

Sur cette pensée, Clarke freina et fit demi-tour sur la route vide qui l'avait menée au garage de Lexa.