Chapitre 4

Une semaine s'était écoulée depuis qu'Akaashi avait repris un semblant de vie normale. Étrangement, et pour le plus grand bonheur de Bokuto, il ne fit qu'une seule crise lors de celle-ci, sur le chemin de retour du lycée. Progressivement, il se réhabituait à son ancien rythme de vie. Cela lui faisait du bien, travailler pour oublier ses malheurs était assez efficace. Il se complaisait d'ailleurs dans les exercices de mathématiques. Keiji avait toujours aimé les chiffres, mais il n'aurait jamais imaginé que travailler avec eux depuis son réveil aurait été une telle révélation. Quand il sentait qu'il commençait à déprimer, il s'installait à son bureau et pouvait passer des heures dans des exercices en tous genres. Il était fatigué, certes, mais il arrivait à trouver l'énergie nécessaire pour faire autre chose et cela l'apaisait. Cette idée lui était venue de sa psychologue : se distraire, penser à autre chose, faire une activité qu'on aimait bien. Ça avait été une bonne idée.

Bokuto était toujours aussi présent dans sa vie, à son plus grand soulagement. Les maths seules ne pouvaient pas l'aider, bien sûr. L'argenté venait le voir dès qu'il le pouvait, en particulier aux pauses, au lycée. Ils passaient aussi du temps avec les gars de l'équipe. Plus que des équipiers, ils étaient aussi leurs amis. Keiji n'avait pas assisté à un seul entraînement de volley depuis sa reprise des cours. Il ne s'en sentait pas le courage. Le volley restait sa passion, même cloué dans ce fauteuil, et il ne pouvait pas retourner dans un endroit où il avait passé tant de formidables moments et se dire qu'ils faisaient désormais partis de son passé. Tout cela était encore trop tôt.

Bokuto passa le week-end avec lui. Keiji se demandait comment il faisait pour ne pas en avoir marre. Intérieurement, la culpabilité le rongeait. Cet accident, le fait qu'ils se soient tous les deux trouvés dans ce bus, c'était sa faute. Il n'avait pas encore réussi à en parler à l'argenté. Il voulait s'excuser, mais le courage lui manquait encore, comme pour les entraînements de volley. De plus, il avait aussi du mal à faire face dignement à sa famille, un incident en entraînant un autre, il serait probablement la cause de la ruine de ses proches. Ils lui avaient prévu une superbe prothèse pour remplacer sa jambe. Il n'osait imaginer combien l'objet et son installation avait coûté.

Deux fois par semaine, depuis son réveil, Akaashi voyait Kirigari-san, le kiné qui les avaient grandement aidés pendant l'accident. Lui n'avait eu que quelques côtes cassées et deux-trois blessures superficielles. Comme Bokuto, c'était un miracle qu'il s'en soit aussi bien sortit. Le brun s'était un peu renseigné, avec son capitaine, sur le déroulement de l'accident qui avait été reconstitué par les enquêteurs. Les personnes qui s'en étaient sorties se trouvaient toutes plus ou moins dans la même zone du car et, dans sa chute, l'angle et les tonneaux que le car avait effectués ont fait que certains aient survécus et d'autres non.

Le travail de Kirigari-san était de s'assurer que les muscles de ses jambes ne s'atrophient pas totalement même pendant son coma, il était venu lui masser les jambes, une façon aussi pour lui de continuer à le soutenir même après l'accident. Bokuto et lui avait d'ailleurs beaucoup parlé, lors de leurs rencontres et des liens s'étaient créés. Keiji aussi s'entendait bien avec cet homme, il était très doux et avenant et le fait d'avoir partagé un cauchemar commun les rapprochaient encore plus. Il rassurait beaucoup Keiji lorsqu'ils se voyaient. Il n'était pas le premier grand blessé qu'il soignait et d'autres personnes dans des conditions pires que la sienne avaient réussi à marcher de nouveau. Ses jambes étaient peut-être paralysées pour le moment, mais viendrait un temps où, progressivement, la paralysie s'en irait et il pourrait retrouver l'usage de ses membres inférieurs.

La deuxième semaine débuta normalement. La plupart des élèves du lycée avaient cessé de le regarder comme s'il venait d'une autre planète. Il en restait bien quelques-uns, mais ceux-ci le faisaient discrètement et Akaashi arrivait à les ignorer. Bokuto n'y était pas pour rien. Dès qu'il voyait ou entendait qu'on parlait de son ami et de sa condition, il s'arrangeait pour lancer un regard noir aux indiscrets en question, et les faire taire.

Bokuto était heureux de voir Akaashi se remettre progressivement de ses émotions et aller de l'avant. Parfois, l'argenté oubliait même qu'il avait un fauteuil : Akaashi restait Akaashi. Ce n'était pas un stupide accident qui allait le changer.

Cependant, il lui arrivait de s'inquiéter. Sous ses airs revigorés, le brun cachait beaucoup de choses. En une semaine, on ne pouvait pas passer de je vais mal à je vais beaucoup mieux d'un coup. Parfois, il sentait qu'il voulait lui dire quelque chose mais qu'il se ravisait. Bokuto était persuadé que cela avait un rapport avec ses jambes (quoi d'autre ?) mais que s'il en parlait, son moment de bonheur s'en irait. Il savait combien il était difficile pour lui de montrer ce qu'il avait sur le cœur, en plus de se calmer lorsqu'il allait mal.

- Akaashi ?

Il allait lui demander de lui dire ce qu'il le tracassait alors qu'ils étaient sur le chemin du retour, mardi après-midi. En général, Bokuto allait aux entraînements de volley et Akaashi restait dans une salle à faire diverses choses avant qu'ils ne rentrent ensemble.

- Oui ?

- Tu es sûr que ça va ?

Il essaya d'être direct pour ne pas tourner autour du pot trop longtemps et de n'avoir qu'un semblant de réponse qu'une fois qu'ils devraient se séparer.

- Oui, ça va beaucoup mieux. Ça fait du bien de reprendre une vie normale.

- Tu sais que tu peux tout me dire, hein ?

Le brun le regarda un instant. Bokuto perçut de l'hésitation.

- Oui, je le sais bien. Mais tout va bien pour le moment, alors il n'y a aucune raison de t'en faire.

- Pour tes jambes, qu'est-ce que t'as dit Kirigari-san à ton dernier rendez-vous ?

Le regard d'Akaashi se ternit une seconde lorsqu'il entendit le mot « jambes ». Mais ce regard retrouva vite cette étrange neutralité.

- Que ça irait mieux un jour. Au fait, il nous invite toi et moi à prendre un repas avec lui samedi midi, t'es dispo ?

- Sans blague ?! Oui, chouette ! Bien sûr que suis dispo ! Tu viendras aussi ?

Le brun hocha la tête et sourit.

- Ça fait tellement longtemps qu'il nous en parle de ce repas, il était temps qu'il ait lieu !

Ils se séparèrent bientôt quand l'argenté l'eut conduit devant son porche. Bokuto n'était pas serein. Akaashi évitait la conversation quand on lui parlait de ses jambes, ou de son état en général. S'il l'évitait, c'est qu'il n'était pas bien, il en avait la preuve maintenant. Bokuto sentait ce genre de choses. Ils étaient suffisamment proches, avec Akaashi, pour qu'il ne remarque pas ces petits changements. Il n'était pas normal qu'il fasse comme tout si allait bien. Le problème était que si Akaashi ne voulait pas en parler, il ne pouvait pas le forcer. Il lui tendait occasionnellement des perches, libre était à l'ex-passeur de s'en saisir ou non. L'argenté se disait que cela finirait par sortir de toute façon… mais il ne savait pas dans quelles conditions. Malheur ruminé, explosion assurée, lui disait sa grand-mère, et elle avait raison.

Lorsqu'il rentra chez lui, Keiji souffla. Son cœur battait très vite, il avait du mal à retrouver un rythme normal. Ce n'était pas le fait de pousser le fauteuil qui le fatiguait, mais de voir que Bokuto-san commençait à se douter de quelque chose.

Il ne voulait pas parler de lui. Il se contentait de dire qu'il allait bien. Lui seul savait que ce n'était pas le cas. Et il était hors de question pour lui de se laisser aller à ses larmes. Marre de pleurer, il allait vraiment finir par mourir de déshydratation. Il savait qu'il aurait à faire face à ses problèmes à un moment ou un autre, il n'arrivait juste pas à se décider quand.

Il était loin de se douter que cela arriverait plus vite que prévu.

Jeudi après-midi, la classe d'Akaashi avait cours de sport. Bien sûr, le garçon restait sur le côté du terrain d'athlétisme du lycée qui se trouvait en extérieur. Ils devaient faire des tours de terrain et calculer leur VMA en binômes. Pratique pour qu'Akaashi puisse quand même participer, il s'était donc mis en groupe avec un ami de sa classe. Le problème, dans ce cours de sport, c'était que leur classe travaillait avec une autre. Les classes étaient créées en fonction des niveaux des élèves, c'était partout comme ça au Japon et, pour le plus grand malheur de la classe 6, ils s'étaient retrouvés avec la classe 1. 'De la mixité !' avaient déclarés les professeurs. Dans l'ensemble, les élèves étaient tous très gentils et sociables, la différence de niveau n'était aucunement un mur entre eux. Mais, il y avait aussi dans cette classe un petit groupe de cinq délinquants qui menait la vie dure à tout le monde. Il ne faisait aucun effort au lycée, aucun effort en cours, et tout le monde en avait marre.

Le hasard fit qu'Akaashi se retrouva avec eux lorsque ses camarades couraient. C'était intenable. Leur professeur était à l'autre bout du grand terrain et ne voyait rien de ce qu'il se passait entre les lycéens. Au début, ils restaient dans leur coin, à raconter des bêtises.

Ce fut quand ils encerclèrent soudainement le brun que celui-ci commença à avoir des sueurs froides.

- Akaashi-kuuuun, alors comment te portes-tu ? dit l'un avec un ton plein de dédain.

- Vous me cachez la vue, je ne peux rien voir.

- Hé ! Il t'a posé une question alors tu réponds !

Il donna un coup de pied dans le fauteuil du brun. Son cœur s'accéléra.

- Ça va. Maintenant poussez-vous.

- Parce que tu crois qu'on en a fini avec toi ?

- Ça fait quoi de ne plus pouvoir se servir de ses jambes ? Ça te manque de courir après ton ballon de volley ?

Ils explosèrent de rire. Akaashi en profita pour tenter de s'en aller.

- Tututu ! Où tu vas comme ça ? On n'a pas fini de te causer !

Il poussa violemment son fauteuil avec son pied.

- Laissez-moi.

- J'ai entendu dire que Bokuto était avec toi lors cet accident et même qu'il t'avait sauvé ! Je vous vois souvent ensemble tous les deux : tu dois être un vrai fardeau pour lui, nan ?

Akaashi baissa le regard. La conversation allait sur un terrain qu'il n'appréciait pas.

- J'aurais été lui, je t'aurai laissé crever ! Sérieux, qui serait assez fou pour aller sauver quelqu'un dans cette situation ?

Le brun lui lança le regard le plus noir qu'il avait en réserve.

- Hé ! Tu m'regardes pas comme ça, l'handicapé ! J'suis pas sûr que tu sois en position de force, là !

Il le prit par le col et le souleva légèrement de sa chaise roulante. Akaashi soutint son regard, malgré tout. En temps normal, il avait quasiment une tête de plus que ce garçon. Il ne fallait pas qu'il lui montre qu'assis, il se retrouvait intimidé.

- T'essaie de faire quoi, là ? Tu me manques de respect, où je rêve ?

- Lâche-le tout de suite, Takihara-kun !

Les membres du « gang » se retournèrent en direction de la voix. C'était Rikuya, une camarade de classe d'Akaashi. Il s'entendait bien tous les deux. Le brun aurait même dit qu'il pouvait l'appeler son amie. C'était elle qui avait passé les cours à Bokuto pour qu'il les lui apporte. Quand Akaashi était revenu en cours, elle l'avait beaucoup aidé en lui expliquant exactement ce qu'ils avaient vu dans chaque leçon. C'était quelqu'un de très gentil et de bienveillant. Preuve en était qu'elle tenait tête à ces abrutis alors que tout le monde tremblait dans son coin.

- J'ai pas d'ordres à recevoir de toi, pauvre tache. T'as intérêt à t'en aller si tu veux pas que je te mette la misère.

Semblant n'écouter que son courage, Rikuya fit un pas en direction du groupe.

- J'ai dit : lâche-le.

Un des garçons la poussa violemment et elle se retrouva sur le sol.

- C'est avec moi que vous un avez un problème, alors laissez-là en dehors de ça, s'énerva le brun.

Un rictus fit se déformer les lèvres de Takihara.

- Très bien…

La jeune fille essaya de se rediriger vers le groupe, mais les quatre autres délinquants l'empêchèrent de passer.

- Revenons à nos moutons, dit l'autre en relâchant Akaashi dans son fauteuil. Il y a une rumeur qui dit que tu aurais perdu une jambe… Elle est vraie ?

Akaashi devint tout pâle. Qu'est-ce que ces gars prévoyaient de lui faire ? Il fut laissé sans voix. Il ne pouvait déjà pas en parler à son meilleur ami, alors à ces types…

Son sang se glaça progressivement, à mesure que Takihara s'approchait de lui. Il avait l'impression d'être tout petit dans sa chaise. Petit et tellement vulnérable.

- Est-ce que c'est… cette jambe ?

Il balança son pied violemment dans sa jambe droite, la paralysée. Akaashi ne sentit rien, aucune douleur, mais la violence du coup le figea. Il était tétanisé de peur. S'il pouvait lui faire ça aux jambes, où il ne sentait plus rien, il n'osait imaginer l'effet que ça aurait sur une autre partie de son corps. Il commença à trembler. Il oublia tout le monde qui se trouvait autour de lui.

Il était sans défense.

- Non… ? Alors ça doit être celle-LÀ ?

Il donna un nouveau coup de pied dans son autre jambe cette fois-ci et il sentit le plastique de sa jambe artificielle. Le brun n'osait plus le regarder. Il ne devinait que trop bien la suite.

- Parfait. Tenez-le, les mecs.

Des bras puissants le forcèrent à rester dans le fond de sa chaise et à ne faire aucun mouvement avec ses bras. Takihara souleva sa jambe gauche.

- Ça aurait été tellement plus facile si t'avais été tétraplégique.

- Non ! L-Laissez-moi ! A-Arrêtez !

Avec une facilité presque déconcertante, Takihara décrocha la jambe de confort du brun, comme on enlève le bouchon d'une bouteille. Akaashi écarquilla les yeux. Il voulut parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Une boule d'angoisse se forma dans son ventre.

- Wow ! Vraiment comme une vraie ! s'émerveilla l'autre.

- Rends… Rends-la moi…, souffla le brun.

- Oh ? Tu la veux ? La voilà !

Il la tendit dans sa direction. On le lâcha et Akaashi essaya de l'attraper, mais Takihara la retira aussitôt vers lui et recommença le processus plusieurs fois. Les cinq garçons se moquaient à gorge déployée du pauvre Akaashi. Sa respiration se fit plus courte. Il commença à trembler sérieusement.

- Bah alors ? On n'y arrive pas ? Aidez-le un peu les gars !

Soudain, Akaashi fut projeté en avant et s'écrasa douloureusement sur le sol. Le souffle lui manquait. Il ne pouvait pas se relever, il essaya bien, mais il n'avait pas encore retrouvé assez de forces pour s'appuyer sur ses bras et se redresser. Et avec ses jambes qui ne bougeaient plus… Toutes ses tentatives furent des échecs, ce qui ne manqua pas de faire rire de plus belle les autres garçons. Rikuya criait qu'on le laissât tranquille et voulait allez l'aider, mais les autres l'en empêchaient.

Takihara vint s'accroupir un peu plus loin devant le brun.

- Allez, viens la chercher si t'en es capable !

Akaashi se sentait mal, il avait mal partout et mourait de honte. Il voulait renoncer, abandonner, il ne faisait pas le poids contre ces types… pas dans cette condition. Mais il fallait qu'il récupère sa prothèse. Ses parents avaient déjà dépensé une petite fortune dedans, il ne fallait pas que ces idiots l'abîment.

Dans un effort surhumain, il essaya de ramper en direction de sa jambe. Les cris des autres étaient assourdissants, sa tête tournait et ses oreilles bourdonnaient. Il se rapprochait toujours un peu plus et toujours un peu plus, Takihara reculait. Il avait beau faire tout ce qu'il pouvait, donner tout ce qu'il avait, ça n'était pas suffisant. Il n'était pas de taille, il n'était plus de taille et ne le serait sans doute plus jamais. S'il n'arrivait pas à prendre soin d'une fausse jambe, comment pourrait-il espérer remarcher un jour ? Sa vue se brouilla de plus en plus, jusqu'à ce qu'il sente des larmes de frustration courir sur ses joues. Il serra les dents et regarda sa prothèse comme s'il lui en voulait de s'éloigner de lui à chaque fois. Il ne pouvait plus rien faire. Il baissa la tête en posant son front contre son avant-bras, vaincu, essayant de retenir encore un peu ses sanglots. Il n'y parvint pas et les autres le remarquèrent rapidement.

- Oh ? Tu pleures ? Pardon ! Je voulais pas ! Aha ! Mec sérieusement ? T'es vraiment pitoyable ! T'aurais mieux fait d'y rester ! On n'a pas besoin de faibles comme toi, ici ! Venez les gars, on va lui faire comprendre à quel point il est inutile !

Bokuto était en cours de mathématiques. Contrairement à son passeur, il n'y comprenait rien. Ça n'avait jamais été son truc de toute façon… Ce qu'il pouvait s'ennuyer. Il aurait tout donné pour aller jouer au volley plutôt que de rester assis sur cette chaise !

Il tourna la tête pour regarder dehors. L'avantage, c'est qu'il était toujours assis près de la fenêtre, merci la source de distraction. Il y avait des personnes en cours de sport. S'il ne se trompait pas, c'était la classe d'Akaashi. Il le cherchait du regard quand il remarqua un petit attroupement. Rikuya-chan criait et essayait de bouger, mais un garçon la retenait. Que pouvait-il bien se passer ?

Bokuto écarquilla les yeux.

Le fauteuil d'Akaashi était là… mais vide ! Akaashi ne quittait jamais son fauteuil ! Bokuto plissa les yeux pour mieux essayer de discerner ce qu'il se passait, un muret lui obstruait la vue… Des gars avaient l'air de se défouler… sur… quelqu'un…

À l'instant où les mots ralentirent dans sa tête, le sang de l'argenté ne fit qu'un tour. Presque instinctivement, il se leva et se précipita hors de la salle. Il n'entendit pas son enseignant l'appeler pour lui demander ce qu'il se passait. Bokuto ne le sut pas, mais peu après son départ, tous les élèves de sa classe se précipitèrent aux fenêtres pour savoir ce qui avait pu obliger Bokuto à partir si pressamment.

Le capitaine courait à toute vitesse, aussi rapidement que ses muscles lui permettaient. En deux minutes, il aperçut les lieux. Il vit Akaashi à terre, quatre mecs étaient en train de le tabasser, et sa prothèse était sur le sol, un peu plus loin d'eux.

Il ne s'arrêta pas dans sa course. Il poussa violemment le premier garçon, et décocha des coups de poings aux autres. Les autres élèves avaient eu trop peur pour faire la moindre chose. Il frappa aussi le garçon de première qui retenait Rikuya. Celle-ci se précipita hors du groupe pour alerter leur professeur.

Bokuto ne suivait plus que ses instincts. Il était dans une colère noire. Il attrapa avec une facilité incroyable – que ses muscles ne lui auraient peut-être pas permis en temps normal – les garçons se tordant de douleur près de son ami et les balança loin de ce dernier.

Finalement, avec une délicatesse extrême, il prit Akaashi dans ses bras et partit l'installer sur sa chaise. « Il n'y a plus rien à voir » furent ses premiers et derniers mots à l'attention du petit public qui avait vu toute la scène. Il parla si froidement que cela les dissuada de rester à regarder. Le pauvre Akaashi était en pleurs et se tenait les côtes avec les bras. Il était couvert d'un mélange de terre et de poussière et diverses écorchures lui parsemaient le visage et les bras. Bokuto lui ramena sa jambe, la lui remit et emmena son ami en dehors du stade.

Il rentra dans le lycée. Les pleurs pourtant discrets d'Akaashi résonnèrent dans le couloir qui menait à l'infirmerie. Bokuto n'avait pas dit un seul mot depuis qu'il avait été le sauver. L'infirmière paniqua lorsqu'elle découvrit l'état du jeune homme.

- Que lui est-il arrivé ?

- Il s'est fait ruer de coups. Je pense que vous devriez appeler une ambulance. Je vais l'allonger sur le lit.

Il l'amena près d'un des lits et, toujours aussi délicatement, il le porta et le posa dessus. Akaashi était si contracté et la douleur était telle qu'il ne pouvait pas s'allonger bien droit.

- J'ai besoin de l'ausculter avant, commença l'infirmière.

Dans son état, Bokuto sut que cela n'allait pas être possible. L'infirmière lui demanda d'essayer de le calmer et s'en alla dans la pièce d'à côté chercher de quoi le désinfecter et le bander. Akaashi continuait de déverser toutes les larmes de son corps et était secoué de spasmes. L'argenté s'assit sur le lit, en tailleur, et prit le brun sur ses genoux, tout contre lui. Il l'enlaça comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Il lui caressait les cheveux et le dos et lui disant que tout était fini et qu'il allait aller mieux. Il lui dit aussi qu'il était là et que plus personne ne lui ferait de mal. Akaashi avait du mal à se calmer, mais il se détendit suffisamment pour que Bokuto puisse l'allonger. Ce dernier descendit du lit et mit le brun sur le dos. Il lui ouvrit sa chemise pour que l'infirmière puisse regarder l'étendue des dégâts. Bokuto partit mouiller un chiffon pour lui nettoyer le visage. Quand il revint, il ne put constater avec effroi les marques que ces brutes lui avaient laissés. Il essaya de ne rien montrer et entreprit de nettoyer son ami.

- Chhh, ça va aller, Akaashi, je suis là, tu n'as plus à t'en faire… chhh…

Le brun n'arrivait pas à répondre tellement les sanglots obstruaient sa gorge. Sur son visage se dépeignait un mélange de larmes et de poussière. L'argenté avait du mal à rester de marbre.

- En effet, je vais appeler une ambulance. Reste avec lui, Bokuto-kun.

Bokuto reporta son attention sur son ami.

- J'ai-… J'ai mal…, dit le blessé en chuchotant.

- Tout va bien, une ambulance va bientôt arriver, le rassura-t-il de la même voix.

- Est-ce que… Est-ce que je vais… mourir ?

- …Non ! Bien sûr que non, Akaashi.

- Bokuto-san… tout-… tout ça… c'est de ma faute…

- Absolument pas ! Ce sont ces mecs à qui il faut en vouloir !

- Je… je ne parle pas de ça… l'ac-… l'accident… le car… si-… si on avait pris celui d'avant c-comme on avait prévu, on-… on-

Sa voix se perdit et les pleurs reprirent le dessus. Bokuto se pencha sur lui pour le prendre dans ses bras. Son corps était tremblant, si tremblant… La détresse d'Akaashi était si grande. Voilà qu'il s'accusait d'être le responsable de ce malheureux accident.

- Ce n'est pas ta faute, Akaashi. On ne pouvait pas savoir… Personne ne le pouvait…

Les pleurs d'Akaashi remplissaient la pièce. Il n'arrivait plus à se contrôler, c'était trop. Il avait tout gardé pour lui trop longtemps, créant ainsi l'effet d'une bombe à retardement. Il sentait que cette-fois, Akaashi ne s'en remettrait pas aussi facilement. Ces garçons l'avaient humilié, enlevé toute dignité et surtout : ils l'avaient fait souffrir. Et ça, c'était impardonnable. Ils n'allaient pas s'en sortir indemnes, Bokuto s'en faisait la promesse. Et si jamais Akaashi en gardait des séquelles, il se promettait de faire de leur vie un enfer.

Il reporta son attention sur Akaashi. Il se cramponnait solidement à sa chemise et avait enfoui sa tête dans son torse. Il allait devoir le ramasser à la petite cuillère. Bokuto lui caressait les cheveux, c'était la seule chose qu'il pouvait faire étant donné son état. Il aurait aimé avoir une baguette magique et annuler tous les malheurs de son ami. Il ne méritait pas ça, il ne méritait pas cet acharnement du destin.

L'ambulance ne tarda pas et Akaashi fut emmené à l'hôpital. Bokuto ne put pas l'accompagner, on lui refusa. Il vit pourtant la détresse dans le regard de son ami quand il reçut la réponse négative. Ses yeux le suppliaient de venir avec lui. Jamais avant il n'aurait imaginé qu'Akaashi puisse autant avoir besoin d'une aide psychologique. En définitive, il avait eu tort : l'accident l'avait changé. L'accident les avait changés.

L'argenté ne pouvait rien faire, sauf le regarder s'éloigner, vaincu et impuissant.

Bokuto ne revit Akaashi que trois jours plus tard. Entre temps, il était allé voir les parents de ce dernier pour avoir des nouvelles. Ce n'était pas bon : la blessure qui était à l'origine de sa paralysie temporaire s'était un peu rouverte et le pauvre passeur était sous morphine tellement la douleur lui était insupportable. Ces brutes de délinquants lui avaient cassé deux côtes en plus de lui avoir rouvert sa blessure et de lui avoir infligé de gros dégâts psychologiques. Les parents de Keiji avaient porté plainte et les cinq garçons avaient été exclus de Fukurodani. Ils allaient devoir non seulement rédiger une lettre de pardon chacun, mais en plus payer la plus grande partie des frais d'hospitalisation du brun. C'était leurs parents qui avaient dû faire une drôle de tête.

Bokuto était inquiet. Il espérait que cette blessure ne le paralyserait pas définitivement. Akaashi ne pourrait pas le supporter. Il se rendit donc à l'hôpital, après les cours, pour aller voir l'état de son ami. Quand il entra dans la chambre, Akaashi dormait. Il s'approcha de lui et s'assit sur la chaise près de son lit. Cela lui rappelait le mois qu'il avait passé à son chevet, espérant qu'il se réveille de son coma. Akaashi avait l'air paisible, ses traits étaient détendus, il ne semblait pas souffrir. Cela contrastait avec la dernière image qu'il avait de lui, trois jours auparavant. Ayant sûrement le sommeil léger, il ne tarda pas à entrouvrir ses yeux cernés de fatigue.

- Hey, lui fit doucement l'argenté.

- Hey, lui répondit Keiji d'une petite voix.

Il se força un peu à sourire, mais Bokuto compris qu'il ne le faisait que par politesse… ou pour sauver les apparences. Il lui parla tout doucement, comme si c'était la nuit et qu'il devait parler tout bas pour ne déranger personne.

- Comment tu te sens ?

- La douleur est partie… mais c'est la morphine qui fait que je ne sens plus rien. Si je respire trop fort, mes côtes me font mal…

- Les docteurs ont dit quoi ?

- Que les point de suture avaient sauté… mais que ce n'était pas grave pour mes jambes. Je pourrais quand même remarcher.

- Ravi de l'apprendre. Tu sais, ces mecs ont été virés du lycée.

- Bon débarras…

- Oh ! Et regarde ! Toute l'équipe y est allée de son coup de pinceau pour te faire cette affiche !

Il sortit de son sac une grande feuille format raisin avec toutes sortes de choses marquées dessus, des dessins aussi. Le brun sourit tristement en la regardant.

- Merci… c'est vraiment sympa, dit-il toujours aussi bas.

Soudain, il sembla se souvenir de quelque chose.

- Bokuto-san… je n'ai pas eu l'occasion de te le dire, mais… merci. Merci d'être venu à mon secours…

- C'est normal, Akaashi, je ne pouvais pas laisser passer ça. C'est un miracle que j'ai pu voir ce qu'il se passait par la fenêtre. Oh et remercie aussi Rikuya-chan ! Elle aussi a essayé de t'aider, mais ces mecs la retenaient.

- Oui… c'est vrai… j'espère qu'ils ne lui pas fait de mal…

- Ne t'en fais pas pour elle, elle pète la forme ! Je lui ai aussi proposé de signer l'affiche !

Akaashi sourit faiblement. Il perdit rapidement son sourire.

- Est-ce que… je suis un boulet pour toi ?

- Quoi ? Bien sûr que non !

- Je te prends tout ton temps libre, je n'arrête pas de déprimer, et je te demande d'assister à tout ça sans broncher… Tu dois forcément en avoir marre…

- Akaashi, tout ça m'a changé, tu sais. Cet accident m'a fait comprendre à quel point mes amis étaient précieux, et tu es le plus précieux d'entre eux. J'ai failli te perdre une fois, je peux te jurer que ça ne se reproduira pas. Tu sais, depuis que je viens te voir à l'hôpital, j'ai rencontré plein de personnes du service, Kirigari-san m'a montré plein de choses en rapport avec son métier et j'ai appris un tas de truc sur les gestes de premier secours ! Grâce à tout ça, je pense avoir trouvé ma voie, sincèrement. Je veux aider les gens, je veux les sauver. Et pour l'instant, c'est toi que je vais sauver. Si j'échouais, cela voudrait dire que je ne suis pas prêt ou que ce n'est pas ma voie. Tu vas voir, Akaashi, on va remonter la pente et ensemble !

Le brun l'avait écouté très attentivement. Deux larmes roulèrent sur ses joues, ce qui fit paniquer Bokuto.

- Q-Quoi ? J'ai dit un truc qu'il ne fallait pas ?

- Non… non, c'est juste que… je suis heureux d'avoir quelqu'un comme toi à mes côtés…

L'argenté le regarda tendrement et s'approcha pour le prendre dans ses bras. Le brun y pleura silencieusement. Tout allait changer désormais. Akaashi allait remonter la pente, et ça ce serait grâce à lui. C'est ce que Bokuto pensa en l'espace d'un instant avant de se concentrer sur son embrassade.

Il ne se doutait pas d'à quel point il allait avoir raison.


Je reviens rapidement vers vous avec ce chapitre que j'ai écrit depuis au moins le mois de septembre et travaillé, retravaillé...

Je ne donnerai pas de signes de vie avant un bout de temps, je pense. Les projets s'accumulent. Le stress aussi.

En tout cas, j'espère que ce chapitre vous a plu. Merci à ceux qui ont laissé des reviews, des conseils, blah. J'espère que je continuerai à vous trouver dans mes mails :)

À la revoyure.