Hey :D Bon, il se pourrait que cette histoire ait légèrement dépassé sa longueur initiale *sweats nervously*

Du coup je vous laisse avec la deuxième partie, qui n'est pas la fin. Ça se terminera certainement en trois parties, mais qui sait 8D

Je tiens aussi à préciser que la très grande majorité du chapitre a été écrite avant que je ne regarde la saison 3, il y aura donc des choses qui se ressemblent mais d'autres assez différentes.

Bonne lecture !


...


Lance serra la mâchoire. Il avait l'air impassible mais il ne pouvait même plus s'entendre penser, son esprit étouffé par les battements erratiques de son cœur. Dans sa poitrine, dans ses oreilles, dans le bout de ses orteils.

Keith crispait ses doigts sur l'encadrement de la porte, les épaules tirées en arrière.

« - Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Lance inspira rapidement. Keith n'avait pas le droit d'être en colère, et il n'avait pas le droit d'utiliser ce ton avec lui, surtout maintenant.

Il haussa un sourcil, les poings si serrés que ses ongles s'enfonçaient douloureusement dans sa paume.

« - Je te retourne la question. »

Il espérait que sa voix n'avait pas sonné aussi vacillante aux oreilles de Keith qu'aux siennes.

Le paladin rouge laissa échapper un bruit étouffé, ses cheveux glissant devant ses yeux lorsqu'il détourna sèchement la tête. Lance ne savait pas s'il s'agissait d'un grognement ou d'un ricanement. Il croisa les bras.

« - Je n'arrivais pas à dormir, admit Keith. »

Il remarqua les grands cercles noirs qui ombraient ses yeux, comme des abysses sans fond rongeant sa peau blanche. Il ne répondit pas, prétendant étudier les rainures de son assiette vide depuis longtemps.

Les pas de Keith résonnèrent dans le silence lorsqu'il s'approcha et tira une chaise à l'autre bout de la table, le plus loin possible de lui. Quelque chose de brûlant et dévastateur s'alluma au fond de son estomac, comme une boule de feu. Sans retenue ni raison. Lance se mordit violemment la lèvre. C'était irrationnel, juste la présence de Keith et un monstre qui implosait à l'intérieur de sa poitrine.

Il enfonça ses dents dans sa lèvre inférieure et ne s'arrêta pas lorsque le goût du sang glissa sur sa langue. Ses yeux fixaient les résidus verts qui stagnaient au bord de son assiette, déterminé à ne pas prêter attention à Keith. S'il le regardait maintenant, il n'était pas certain d'en sortir intact.

Le silence était aussi assourdissant que les respirations mesurées qu'il tentait de prendre.

« - Lance, je-

Oh non.

- Quoi, tu vas t'excuser ? T'en avais marre de passer tes nuits à pourrir par terre alors t'es venu ici à la place ? »

C'était chaud dans ses veines, laid et grisant. Il ne pouvait plus rien contrôler, même si au fond, il savait qu'il s'en voudrait, plus tard. Il n'avait pas l'esprit assez clair pour envisager le futur. Il était le sifflement de la bouilloire, le tonnerre juste après la foudre.

Sa tête tournait, ivre de la violence et de la frustration qui coulait dans ses mots. D'une certaine manière, le choc qu'il lisait sur le visage de Keith lui procurait une satisfaction amère et exaltante, comme une bouffée d'adrénaline.

Keith se ressaisit aussi rapidement qu'il s'était laissé surprendre. Il retroussa les lèvres, les yeux plus incisifs que des lames de couteaux.

« - C'est quoi ton problème ? Va te faire foutre, dit-il d'une voix qui gronda dangereusement dans l'air.

- Tu te fous de moi ? »

Lance se leva brusquement, sa chaise tomba en arrière sous la violence du geste. Il écrasa ses mains contre la table, les joues rouges colère et les yeux bleus orage.

« - Tu crois vraiment que c'est comme ça que ça marche ? Que t'as le droit de t'évanouir dans mes bras et de fuir quand ça t'arranges ? Mais je suppose que c'est juste ton truc, parce qu'il ne faudrait pas briser ton image de grand guerrier intouchable, eructa-t-il.»

Sa voix râpait contre les parois de sa gorge, rauque et à l'image de tout ce qui débordait en lui.

Il avait peut-être besoin de ça, au fond. Parce qu'il connaissait par cœur les effets dévastateurs de ses sentiments qui s'entrechoquaient dans sa poitrine et les nuits sans sommeil qui en résultaient. Le problème c'était que d'habitude, il réussissait à tout bloquer dans un coin de son esprit, jamais une goutte qui débordait.

Keith se leva à son tour, reflétant sa position.

« Je t'ai jamais rien demandé, Lance. »

Et Lance vit rouge.

« - Oh, merci de la précision. »

Ses mots étaient coupants comme des rasoirs, une nuance désespérée dans la voix.

« - Tu préfères essayer de mourir comme un lâche plutôt que de demander quoi que ce soit à personne, parce t'as juste envie d'être un putain de héros et que tu te fiches de tout le reste. J'aurais pu y passer, on aurait tous pu y passer à cause de toi. »

Les mots jaillissaient hors de sa bouche comme un poison mortel.

Leurs voix résonnaient contre les murs de la salle. Un écho qui revenait les frapper en plein visage.

« - C'est toi qui me dit ça ? Je te rappelle que j'étais le meilleur pilote à la garnison, j'aurais très bien pu m'en sortir, personne ne t'as dit de me suivre.

- Ah oui j'oubliais, tu es tellement mieux que tout le monde que tu n'as besoin de personne.

- Parce que tu penses vraiment être mieux ? Au moins j'ai essayé de sauver cette planète. »

Lance n'écoutait plus. Son cœur était un oiseau frénétique qui s'écrasait contre les barreaux de sa cage. Sortir, sortir à tout prix. Et avec lui, des vagues ardentes et destructrices qu'il ne contrôlait pas.

« - Tu crois vraiment que c'est ça que Shiro voulait ? Que tu crèves pour qu'il soit fier de toi ? »

Il savait qu'il avait visé juste.

Sa colère était dirigée contre Keith et contre le monde entier. Contre lui-même et puis aussi l'univers. Il se souvenait de ses cheveux noirs plaqués contre ses tempes et de ses pas vacillants dans la lumière bleutée de la nuit. De son odeur âcre de sueur et du battement de son cœur contre le sien. Tout près, juste à portée de doigt, derrière le tissu de ses vêtements.

Ils n'avaient rien dit ce soir-là, mais il savait que leur silence avait compté pour au moins un millier de mots. Du moins, il en avait eu l'impression.

Puis Keith avait repris son masque de pilote imperturbable et avait érigé des murs autour de son cœur encore plus solides qu'auparavant. Pourtant Lance savait, il savait et ça le rendait malade. Les étincelles qui ne brillaient plus au fond de ses yeux si grands et si sombres qu'il s'y perdait tout entier, il avait vu. La peau craquelée et fine comme du papier, les doigts enfoncés dans son avant-bras pour ne pas perdre pied. Il connaissait la souffrance aussi bien que les craquelures de sa vieille chambre. Le problème, c'était qu'il ne la supportait sur aucun visage sauf le sien.

Mais Keith s'enfermait dans sa forteresse impénétrable et courait vers la mort comme si c'était la seule chose qu'il savait faire. Il fuyait et grondait comme un animal blessé alors que Lance ne demandait que sa confiance. Il avait voulu alléger les épaules de Keith parce qu'il l'avait reconnu le fardeau qui les oppressait. Mais il préférait avancer comme un soldat solitaire, droit et fier jusqu'au bout du monde, parce qu'apparemment, il était trop borné pour le laisser entre ses murs. Et ça le détruisait.

C'était drôle, ce qui pouvait arriver en à peine trois jours. La solitude étouffante et juste assez d'espoir pour les détruire tous les deux. Qu'est-ce qu'il racontait ? Cela faisait des mois qu'il essayait d'attirer l'attention de Keith.

Le visage de Keith se tordit et il écarquilla les yeux, figé comme une statue de cire. Soudain, il laissa échapper un son viscéral, entre le cri et le grognement. Il se précipita sur Lance et l'empoigna par le col de son T-shirt. Keith le pressa de toutes ses forces contre la table et le paladin bleu sentit les bords métalliques pénétrer douloureusement dans le haut de ses cuisses. Il n'eut pas le temps d'avoir peur.

« - Qu'est-ce t'en sais, de ce que Shiro voulait ? Cria-t-il. Ce n'est pas à toi qu'il a demandé de reprendre Voltron, tu sais rien. Tu sais rien, putain, alors ferme-là. »

Le souffle de Keith s'échouait contre son menton, chaque expiration plus chancelante que la précédente. Ses yeux étaient comme deux billes, rondes et brillantes et justes assez proches pour qu'il puisse en distinguer chaque reflet.

L'air était bloqué quelque part entre ses poumons et sa gorge. Keith resserra sa poigne et le tissu de son T-shirt comprima ses épaules, cisaillant l'arrière de son cou.

« - T'attendais quoi, au juste ? Que je te sois éternellement reconnaissant parce que tu m'as ramené dans ma chambre ? Tu n'aurais pas dû t'en occuper, c'est pas comme si c'était la première fois que ça arrivait. Je n'ai pas besoin de toi pour me sauver. »

Lance décela dans le tremblement de ses mots, quelque chose qui n'était pas tout à fait de la fureur.

Il ne dit rien, parce que sa respiration était volée à la fois par la main qui le retenait prisonnier et par les ombres qui dansaient au fond du regard qui le transperçait.

Son silence détonna comme une bombe dans l'air électrique.

Keith contracta la mâchoire, ses traits tirés. Il ne bougea pas, crispant les doigts si fort que Lance sentait ses ongles griffer sa peau au travers du tissu. Il était à bout de souffle.

Juste comme ça, ses lèvres étaient à quelques centimètres des siennes. Chaudes et à peine humides. Gercées et retroussées sur des dents aussi agressives que celles d'un loup. Il n'y pensa pas.

Soudainement, Keith se recula, comme percuté par un poing invisible. Il le regarda, une, deux secondes, avant de détourner la tête. Ses yeux étaient cachés derrière des mèches de cheveux aussi sombres que la nuit, mais Lance les devinait tournés vers le sol. Sa bouche n'était plus qu'une ligne qui barrait son visage. Il laissa échapper une expiration qui sonnait étrangement comme un rire fantôme.

Lance baissa les yeux et remarqua qu'il tenait la main qui l'avait empoigné en retrait. Assez loin de son corps pour qu'elle ne le touche pas. Comme si le membre n'était plus qu'un objet étranger qui ne faisait pas entièrement partie de lui.

« - T'es vraiment une ordure, Lance. »

En tout cas, il faisait bien semblant.

« - Ouais, toi aussi. »

Un rictus usé trouva le coin de ses lèvres. Le ton y était, mais l'intention plus vraiment. Il était fatigué, tout à coup. Les déferlantes dans son corps s'étaient changées en quelque chose de plus sourd et mélancolique. Il n'avait plus que les cendres du feu qui l'avait dévoré. La solitude et la peine, en plus grande partie. Un tiraillement familier brûlait au creux de ses côtes. Un peu comme la pluie qui venait avec la tempête. Le tonnerre de grondait plus, mais l'air grésillait toujours et la nature était dévastée.

Keith lui lança un dernier regard acéré et tourna les talons. La porte claqua contre les grands murs blancs.

Lance remarqua l'assiette toujours pleine qui trônait sur la table, intacte, comme pour le narguer. Une cuillère propre reposait à côté, tordue d'un angle singulier.


Ce n'était pas la première fois qu'ils se disputaient. Keith et Lance, ils se battaient tout le temps, pour n'importe quoi. Le nom des fleurs qu'ils avaient découverts au détour d'une planète ou encore le meilleur personnage du Seigneur des anneaux, parce que Legolas était clairement le meilleur et qu'Aragorn ne faisait pas le poids avec sa barbe de trois jours ses faux airs torturés. D'ailleurs, c'était tellement cliché et tellement Keith d'aimer Aragorn que ça en devenait ridicule. Lance se détestait un peu de penser ça, parce que ça voulait dire que Keith occupait assez son esprit pour qu'il en tire des conclusions.

Ce n'était même plus une nouvelle digne d'intérêt, quand ils se querellaient. Au mieux, Pidge levait les yeux au ciel et Allura poussait un faux soupir de désespoir. L'air était tendu et il prenait un malin plaisir à fusiller Keith du regard pendant quelque minutes, puis Hunk décidait que « ils avaient dix-sept ans, quand même, et qu'il serait temps d'arrêter les enfantillages ». Et juste comme ça, la vie reprenait son cours et étalait devant lui son infinité de possibilités. Toujours un lendemain, toujours une prochaine fois.

Pourtant, depuis deux jours, Keith refusait de croiser son regard, et Lance ne pouvait pas dire qu'il essayait d'arranger les choses. Il attendait beaucoup, des excuses, en plus grande partie. Il était persuadé que Keith était en tort et refusait de lui courir après. Il ne semblait pas avoir besoin de lui, après tout.

Pour la première fois, Lance n'était pas certain qu'il y aurait une prochaine fois.

Il lâcha un juron et crispa les doigts sur les manettes de son lion, arraché à ses pensées par Vert qui fusa juste devant lui. La sueur coulait le long de sa nuque, désagréable contre le col de son armure.

« - Pourquoi est-ce que ça ne marche pas ? Demanda Allura, la voix un peu plus aigüe et tranchante que d'habitude. »

Cela faisait au moins trois heures qu'ils s'entraînaient, et Lance commençait à en sentir les effets. Ils ne pouvaient pas former Voltron, ce n'était pas nouveau, mais les sessions d'entraînement traînaient en longueur et la frustration ne faisaient de merveilles sur aucun d'eux.

« - Je ne sais pas … On réessaie encore une fois, répondit Keith. »

Lance poussa un long grondement d'agonie. Peut-être parce que c'était Keith, peut-être parce que ses nerfs commençaient à céder. Sûrement un mélange des deux. Il laissa tomber son front contre le tableau de bord et espéra que les autres n'avaient rien entendu.

Ils n'avaient pas reparlé depuis l'incident de la cuisine, tous les deux trop fiers pour demander pardon. Seulement deux jours, mais il avait l'impression d'avoir attendu l'éternité. Ils n'avaient pas eu besoin d'interagir, et le château était assez grand pour qu'ils puissent errer durant des heures sans se croiser. Immense et froid, comme les lumières éblouissantes et les longs couloirs éclairés par la nuit.

« - Ca fait deux heures qu'on essaie, on ne peut pas prendre une pause ? Je meurs de faim, se lamenta Hunk. »

C'était dans les moments comme ça, que Lance se souvenait pourquoi il aimait tant Hunk. Voix de la sagesse. Ou voix de son estomac, mais peu importait, les résultats étaient les mêmes.

Le lion noir arrêta sa course et se tourna sèchement vers eux, un sifflement métallique dans son sillage.

« - Si on prend des pauses toutes les cinq minutes, on n'avancera jamais à rien ! S'énerva Keith.

- C'est simple, si je reste dans ce siège une seconde de plus, je vais fusionner avec. Je ne sens même plus mes jambes, dit laconiquement Pidge. »

Lance releva légèrement la tête, son menton appuyé contre le clavier digital. Il n'avait pas peur de faire une fausse manipulation, le Lion répondait plus aux poussées d'adrénaline et aux instincts qu'à ses commandes manuelles. Tout était physique, indomptable, et parfois il avait l'impression de n'être qu'une marionnette pendue à la volonté de Rouge, comme un étranger à peine toléré. Il n'avait pas encore réussi à l'apprivoiser, et ce serait mentir de dire que ça ne l'affectait pas.

Il jeta un coup d'œil à l'espace devant lui et chercha Bleu du regard. Il se tenait en retrait, à peine quelques dizaines de centimètres plus loin que les autres, mais c'était assez pour qu'il le remarque.

« - Ecoutez, je sais que vous êtes fatigués, mais les Galras deviennent plus fort chaque jour qui passe, on ne sait pas ce qui peut arriver, Zarkon pourrait même revenir. Et ce n'est pas en se reposant qu'on retrouvera Shiro ! »

Keith cria les derniers mots.

Lance se redressa, comme électrifié. Ses mains étaient pressées douloureusement contre le tableau de bord.

« - Ce n'est pas parce que toi, tu as décidé de te tuer à la tâche que c'est le cas de tout le monde ! »

Les tous premiers mots qu'il lui adressait depuis ce jour-là. Il ne réalisa qu'après coup le double sens de ses paroles, mais il n'était pas certain de s'en vouloir.

« - Qui a parlé de se tuer à la tâche ? Je dis juste que si on veut avoir une chance dans cette guerre, il faut qu'on commence à agir comme des soldats au lieu de reculer à la première difficulté.

- Mais ça fait des heures qu'on s'entraîne, ça n'avance à rien ! Tu veux quoi, qu'on soit tellement crevés qu'on ait plus la force de combattre les vraies batailles ? Shiro ne nous aurait jamais obligés à faire ça. »

Il jeta violemment les mains en l'air.

Il entendit vaguement un membre de l'équipe retenir sa respiration.

« - Shiro n'est plus là, Lance. »

Sa voix était basse, sourde dans ses oreilles, comme un grondement.

« - Tu ferais bien de l'accepter et de commencer à te bouger si tu veux le revoir un jour, on a besoin de tout le monde pour mener à bien notre mission.

- Parce que t'as besoin de nous, maintenant ? Ricana-t-il. »

Ce n'était pas le genre de sarcasme que Pidge utilisait pour se moquer affectueusement d'eux. C'était quelque chose de plus profond, tranchant. Quelque chose qui visait les faiblesses, une lame chauffée à blanc.

« - Tu-

- Paladins ! Hurla Allura. »

Le lion bleu rugit, ses yeux jaunes clignotant furieusement. Il s'était avancé et flottait à présent au milieu du cercle qu'ils avaient formé.

« - Ce n'est pas se disputer maintenant qui va arranger les choses. Vous êtes fatigués, mais ce n'est pas une raison ! On n'arrivera plus à rien, retournons au château. »

Elle prit une inspiration semblable à un soupir, comme si elle hésitait à ajouter quelque chose.

« - Je … Je suis désolée, je suis consciente que c'est de ma faute si on ne peut pas encore former Voltron. Je vais m'entraîner, je ne laisserai pas ma présence vous ralentir. »

Sa voix se brisait un peu plus à chacun de ses mots, mais Lance pouvait parfaitement imaginer son regard déterminé.

« - S'il vous plaît, ne laissez pas la situation vous diviser encore plus, termina-t-elle. »

Lance baissa les yeux. Il ne put réfréner le geste, caché derrière le visage de son Lion. Le bleu de sa combinaison contrastait avec le rouge de l'habitacle, et ça lui donnait la nausée. Cette fois-ci, personne n'avait eu vent de ses problèmes avec Keith, comme un secret honteux qu'ils gardaient farouchement. Parce que c'était important, et douloureux. Il était assez intelligent pour savoir qu'Allura n'était pas le seul obstacle qui les empêchait de former Voltron. Il se mordit la lèvre, hésitant.

Il garda le silence.


Lorsqu'il posa le pied sur le sol du garage, ses cheveux pointaient dans tous les sens, comme un nid d'oiseau, maintenus par la sueur. Ses yeux le picotaient, mais il avait encore de longues heures devant lui avant de retrouver ses draps. Sa peau se tendit désagréablement lorsqu'il étouffa un bâillement. Il n'avait pas fait son soin du visage, la nuit dernière. Trop épuisé pour quitter son lit et trop épuisé pour s'endormir.

Il ne manqua pas le regard en biais que lui lança Hunk. Il lui sourit en retour, tout en coins et en malice. Hunk ne lui répondit pas immédiatement, les sourcils à peine froncés, comme s'il cherchait des réponses cachées entre les lignes de son visage. Lance combattit le tremblement de sa lèvre et ne le laissa pas ébranler son sourire. Le poids dans son estomac commençait étrangement à ressembler à de la culpabilité, mais il ne savait pas la nature de ses crimes.

Il s'approcha de son ami et enfonça doucement son poing dans son épaule, comme avant.

« - Tu nous a tous sauvé la vie, j'aurais pas pu rester une minute de plus, Keith n'a qu'à bien se tenir. »

Il avait essayé d'avoir un ton léger. Par certain qu'il ait réussi, mais la présence de Hunk était une étreinte apaisante. C'était familier, comme la maison.

Il remarqua du coin de l'œil que le hangar s'était vidé, il ne restait plus qu'eux deux.

Hunk ricana doucement, enfonçant les mains dans ses poches. Il leva la tête vers le plafond et ne baissa pas les yeux lorsqu'il répondit.

« - De rien. Je l'ai pas fait pour toi, mais content d'avoir été utile. »

Ses traits étaient relaxés, et lorsqu'il regarda Lance, c'était tendre et inquiet, comme s'il savait quelque chose que lui-même ignorait et qu'il attendait sagement qu'il s'en rende compte.

Lance poussa un gémissement indigné, la main sur le cœur. Il se recula, comme s'il avait été frappé, le visage tordu d'une grimace.

« - Mec, je suis dévasté. Je croyais qu'on partageait quelque chose, que-

- On va devoir partager les restes de bouffe si tu ne te dépêches pas, et je crève la dalle. »

Une étincelle dans le regard d'Hunk s'était allumée. Douce comme du miel mais pleine des moqueries et des secrets qui caractérisaient leur amitié.

Lance émit quelques plaintes outrées pour faire bonne mesure mais suivit docilement Hunk, le cœur un peu plus léger. Et il se dit que, peut-être, c'était facile, finalement. Qu'il n'avait pas besoin de Keith et de ses humeurs qui changeaient constamment. Keith qui glissait comme de l'eau à travers ses doigts mais qui brûlait aussi fort du feu. Lance aimait bien prétendre, parce qu'il faisait toujours jour et qu'il n'était pas encore seul.

Il laissa Hunk avoir la plus grosse part.


Un jour passa.

Puis deux, tic-tac sur la grande horloge digitale.

Avant qu'il ne s'en rende compte, toute une semaine s'était écoulée.

Les minutes s'éternisaient, mais les jours défilait à la vitesse de la lumière.

C'était presque facile de faire semblant lorsqu'ils étaient confinés au château. Les attaques étaient imprévisibles et ils ne recevaient pas constamment d'appels à l'aide. Parfois, ils prenaient des congés forcés. Pas aussi reposant que des vraies vacances, plus un entre deux, un moment de flottement parfois aliénant, parfois juste ennuyeux. Ils continuaient de s'entraîner. Ils n'avaient d'ailleurs toujours pas fait de progrès, et la princesse partait s'isoler dans sa chambre alors qu'ils venaient à peine de poser le pied sur le sol du château. Lance ne savait pas ce qu'elle faisait. Peut-être qu'elle méditait, peut-être qu'elle lançait ses oreiller contre les murs en hurlant.

Toujours pas de signes de Shiro, malgré les soirées entière qu'ils passaient à essayer de localiser son signal sur la carte de la salle de commandes. Un signe, un espoir, n'importe quoi, par pitié.

L'atmosphère devenait électrique, leur frustration amplifiée par l'inactivité. Elle se réverbérait contre les murs du château.

Lance se noyait sous les tâches, mais il n'accomplissait jamais grand-chose. Il aidait Coran à faire la poussière, il jouait aux cartes avec Hunk, embêtait Pidge lorsqu'elle travaillait sur un projet trop compliqué pour lui. Et quand personne ne voulait s'embarrasser de lui, il partait en mission secrète dans les salles cachées du château. Parfois, il allait s'occuper de Bleu.

Il lui parlait toujours, lorsqu'il était seul. Il entrait silencieusement dans le hangar sur la pointe des pieds, le pas léger comme une plume. Puis il attendait quelques minutes pour être certain d'être seul et prêtait l'oreille au moindre bruit, comme s'il se rendait coupable d'un méfait qui ne devait surtout pas être découvert. Il déposait son front contre les pattes immenses du vaisseau et laissait ses doigts caresser le métal. Il murmurait des berceuses en espagnol et accueillait l'énergie familière avec soulagement, comme un baume qui panserait ses muscles fatigués et apaiserait tous ses tourments.

La dernière fois, il avait vu Keith s'envoler avec Rouge et ne revenir que tard dans la nuit. Il n'avait rien dit, parce que Keith et Rouge avaient la même affection l'un pour l'autre que lui et Bleu. Et il doutait fortement qu'il apprécie ses commentaires. Du moins c'est ce qu'il essayait de se faire croire. En vérité, la situation ne s'était toujours pas arrangée et il ne voulait rien avoir à faire avec son co-équipier. Affaire de fierté, affaire de douleur.

Il voulait toujours des excuses, même s'il savait au fond de lui qu'il se berçait d'illusions. C'était comme se cramponner au bord de la falaise pour ne pas plonger dans le vide. Plus facile de rester enfermé dans ses convictions en attendant que les choses s'arrangent d'elles-mêmes plutôt que de poser des actions et d'aller de l'avant.

Lance lâcha un soupir qui vida ses poumons tout entiers.

Ses membres étaient étendus autour de son corps, comme une étoile de mer. Son bras et sa jambe droite pendaient dans le vide parce que son lit n'était pas assez large, et son regard était paresseusement fixé sur le plafond. Il regardait les particules de poussière danser au-dessus de lui, stagnantes dans l'air immobile du château. Il aurait tout donné pour sentir les vents marins caresser son visage. S'il se concentrait, il pouvait presque sentir les odeurs d'algue et de sels pénétrer ses narines.

Il fronça les sourcils et leva les bras avant de les laisser retomber mollement contre les draps.

Il pouvait seulement tenter de déchiffrer les idéogrammes altéens qui ornaient le bas des murs un certain nombre de fois avant que ça ne devienne ennuyeux à mourir. Pidge était occupée et Hunk avait « besoin d'être seul », c'est-à-dire qu'il s'était enfermé dans la cuisine depuis plusieurs heures. Lance savait qu'il ne fallait pas le déranger, dans ces moments-là. Allura n'était nulle part à portée de vue et il en avait plus qu'assez de nettoyer des objets dont il ne connaissait pas l'utilité.

Il ne regrettait pas l'horreur des batailles, mais il commençait sérieusement à tourner en rond.

Et il savait mieux que quiconque ce qui arrivait lorsqu'il restait seul en compagnie de ses pensées, ces derniers temps.

Il jeta un coup d'œil apathique à sa combinaison appuyée contre le mur et l'idée qui traversa sa tête lui donna envie d'enfouir la tête au plus profond de son oreiller. Ses membres étaient engourdis, il avait l'impression d'être un mollusque. Il grogna longuement lorsqu'il réussit enfin à s'extirper de son lit.

Parfois, on ne pouvait combattre le mal que par le mal, et il avait grand besoin d'améliorer ses aptitudes au corps à corps. Il attrapa sa combinaison avec réticence et l'observa un moment, comme si elle pouvait lui donner les réponses aux questions qui tourbillonnaient dans sa tête. Il prit une grande inspiration pour insuffler un peu d'énergie dans son corps fatigué par la paresse et prit la direction de la salle d'entraînement. Il se sentirait mieux, après, il le savait. Ce n'était pas pour autant que ça allait rendre l'effort facile.


Evidemment, que Keith serait là.

C'était si évident que Lance se demanda ce qui avait bien pu lui passer par la tête pour qu'il oublie ce détail. C'était même si évident que Lance ne savait plus ce qu'il faisait là, dans l'encadrement de la porte avec sa combinaison, son casque glissé sous le bras, et l'incrédulité qui peignait son visage. En tout cas, c'était une excellente raison pour qu'il retourne somnoler sur son lit la conscience tranquille.

Keith ne l'avait pas encore vu, obnubilé par le robot qui ne lui laissait pas une seconde de répit. Clac, les épées qui s'entrechoquaient. Il ne combattait pas avec son bayard, mais avec la lame Galra qui luisait d'une lueur violette. Il était vif, concentré, dangereux. Trempé de sueur, aussi.

Lance ne voulait pas regarder, mais il était captivé par les pas mortels qui s'enchaînaient comme une danse connue seulement de lui. Ses cheveux étaient fermement retenus en haut de son crâne, ses yeux plissés de concentration. Il avait l'air d'un samouraï.

Il ferma prestement la bouche quand il sentit ses lèvres s'entrouvrir, il lui restait au moins ça de dignité.

Une, peut-être deux minutes d'écoulèrent, et il tourna doucement les talons, prêt à aller s'écraser sur son matelas.

Les portes automatiques se fermèrent soudainement. Il bondit en arrière dans un glapissement de surprise. Il aurait pu dire adieu à son bras s'il n'avait pas réagi à temps. Le son résonna dans l'air. Silence.

Lance se mordit la lèvre, les yeux fermés si fort que des points colorés commençaient à danser derrière ses paupières. Son corps était figé dans un mouvement de pas avorté. Il garda sa position quelques secondes, espérant que peut-être il finirait par disparaitre. Malheureusement, lorsqu'il ouvrit les yeux à contre cœur, la porte traîtresse se dressait toujours devant lui. Fermée. Il poussa un soupir de défaite. Le regard de Keith brûlait des trous à l'arrière de sa nuque.

Il se retourna lentement, comme un condamné redoutant l'heure de sa sentence. Le temps était suspendu autour de lui.

Keith était droit, le robot désarticulé à ses pieds. Ses yeux aussi acérés que la lame qui pendait au bout de ses doigts. Il ne parla pas, et lorsqu'il releva le menton, des gouttes de sueur roulèrent le long de son cou. Il était intense, comme si une fournaise brûlait au fond de lui, tellement puissante que la chaleur irradiait dans l'air tout autour.

Lance luttait contre lui-même. Il voulait crisper les mains contre son casque et enrouler ses bras autour de son torse. Reculer, vite et loin. Il soutint le regard pénétrant de Keith et seuls les mouvements de sa respiration perturbèrent l'immobilité de son corps. Il était comme mis à nu, jaugé de la tête aux pieds. Il fronça légèrement les sourcils, ce qui n'échappa pas à Keith.

Le paladin rouge brandit son épée dans sa direction, un poing levé devant sa poitrine. Il était en garde. Lance ne demandait que ça.

Il empoigna un long sabre parmi les armes qui reposaient contre les murs. Son bayard était conçu pour la distance, il lui serait inutile dans un combat rapproché.

Il ne lâcha jamais Keith des yeux. Pas lorsqu'il laissa son casque rouler sur le côté, ni lorsqu'il s'avança vers le centre de la pièce, chaque pas plus lourd que le précédent.

Ils se firent face, et Lance chargea. Keith était meilleur que lui au corps à corps, mais ça ne l'empêcha pas de se jeter corps et âme dans le combat. Il ne compta pas le nombre de coups portés, ni la fréquence à laquelle ils étaient parés. Il était un aveugle ébloui par la lumière. Il entendait tous les sons, voyait tous les mouvements, mais ne pouvait rien faire d'autre que d'agiter frénétiquement son épée en espérant qu'elle atteigne sa cible. Il avait oublié toutes les leçons avec Shiro et les heures d'entraînement.

Avec chaque coup, une bulle dans sa poitrine explosait. Il ne savait pas ce que c'était, juste que c'était étrangement libérateur et que s'il arrêtait maintenant, il en mourrait. Tous les sentiments réfrénés jaillissaient hors de son corps comme un torrent. La frustration et la colère et puis tout le reste.

Si Keith ne lui donnait que le silence, alors il s'exprimerait avec ses poings. Un millier de mots à la pointe de son épée.

Il était à bout de souffle, sa gorge brûlante et sèche. Il n'était pas certain de pouvoir parler, même s'il le voulait, sa voix aspirée par l'effort qu'il fournissait. Il n'y avait plus que le crissement des épées dans ses oreilles et les prunelles violettes dans ses yeux. Ses membres ne répondaient plus aussi bien qu'avant, et il se surprenait à faire de trop nombreuses erreurs. Ses mouvements étaient lourds et maladroits, mais l'énergie qui fourmillait au bout de ses doigts lui ordonnait de continuer.

Le souffle de Keith était plus aigu et rapide qu'auparavant.

Une parade particulièrement violente le fit reculer, et il manqua de perdre l'équilibre. Des mèches de cheveux noirs s'étaient échappées du chignon de Keith et collaient à son front comme une seconde peau. Lance serra la mâchoire et, puisant dans ses dernières forces, s'élança en avant. Sa bouche s'ouvrit dans un cri rauque qui racla contre sa gorge.

Le tranchant de son sabre rencontra l'épée de Keith dans un chuintement qui écorcha ses oreilles. Lame contre lame, force contre force.

La puissance de son coup ébranla l'équilibre de Keith, et soudainement, il n'y avait plus que le vide devant lui, plus aucune résistance pour l'empêcher de tomber. Il bascula en avant, voyant le sol se rapprocher, comme dans un rêve. Il avait conscience de l'impact imminent, mais il flottait entre deux réalités qui n'avaient plus de sens. Il écarquilla les yeux, rien que le rouge et le blanc de la combinaison de Keith dans son champ de vision. Il plaça ses mains devant son visage et rentra le menton vers sa poitrine.

Le sol était aussi dur et froid que la réalité. La douleur qui se propagea dans ses avants bras n'était définitivement pas celle d'un rêve, mais les cloches qui bourdonnaient dans ses oreilles portaient avec elle un écho de fin du monde. Les battements de son cœur se réverbéraient contre le métal, assourdissants. Il pouvait entendre la respiration hachée de Keith à quelques centimètres de lui. Ou peut-être était-ce la sienne ? Ses poumons n'étaient que soubresauts qui secouaient ses épaules.

Lance ouvrit doucement les yeux, il ne voyait rien. Ses paupières étaient presque pressées contre le sol, mais la fraîcheur était agréable contre son front. La sueur coulait le long de ses joues, de sa nuque, dans le creux de son menton. Il n'était pas certain d'avoir la force de se relever.

Il entendit remuer à côté de lui, alors il tourna la tête juste assez pour voir par-dessus de son bras. Sa joue rencontra le sol, douloureux contre sa pommette, mais il s'en fichait.

Keith le regardait, il semblait tout aussi vidé que lui. Son visage encore plus rouge que le sien, la couleur accentuée par la blancheur de sa peau. Ce n'était pas uniforme, plus comme des tâches cramoisies qui s'éparpillaient aléatoirement. Même ses cils étaient plus épais que d'habitude, humidifiés par la transpiration qui recouvrait chaque parcelle de sa peau. Ses à demi fermés brillaient aussi intensément que l'épée violette toujours serrée entre ses doigts.

Lance était comme anesthésié. Il ne ressentait rien et tout à la fois. Ses sens exacerbé par la douleur qui courait dans ses muscles, son esprit qui ne fonctionnait plus.

Il plongea son regard dans celui de Keith, puis roula difficilement sur le dos. Le cliquetis du métal contre le métal lui indiqua que l'autre garçon avait fait de même. Le plafond semblait si lointain. Il prit quelques inspirations, l'air brûlant sa gorge à vif.

Il ne sut pas exactement combien de temps il resta là. Peut-être dix minutes, peut-être trois heures. Il revint à lui lorsque le dos de Keith apparut dans son champ de vision, son chignon tombant sur sa nuque.

Il ne se retourna pas vers lui et se traîna vers le mur, quelques mètres plus loin. Il s'adossa, le regard tourné vers le plafond, le visage indéchiffrable.

Lance se hissa sur son coude et écouta les battements de son cœur, bien plus calmes qu'auparavant, comme un tambour.

Il était aussi épuisé mentalement que physiquement, mais il se sentait mieux. Mieux, même avec Keith et tous les mystères qui l'entouraient à cinq mètres de lui. Même avec les échecs qui pulsaient comme un parasite dans un coin de son esprit, et l'ombre de Shiro qui pesait sur Voltron. Il ne pouvait plus distinguer le chaud du froid, son corps brûlant mais frigorifié par la sueur et la ventilation de la salle.

Il gémit faiblement lorsqu'il se leva enfin, le sol mouvant sous ses pieds. Il jeta un coup d'œil à Keith, qui avait fermé les yeux et tenait son épée contre son cœur, le menton posé sur les genoux. Il s'avança d'une démarche vacillante et se laissa tomber à côté de lui, gauche quand il s'écrasa dans un crissement d'armure et de métal.

Il n'avait pas abandonné sa quête d'excuses, mais il pouvait se mentir autant qu'il le voulait, il était attiré par Keith comme un papillon par la lumière. Irrésistible et dangereux, mais Lance s'était déjà brûlé les ailes, et il n'avait plus qu'un cœur brisé et en ego en miettes. Ironique pour le garçon soleil, d'être englouti par les ombres de la personne la plus hermétique aux émotions du château.

Ça aurait pu être n'importe qui, et ça aurait pu être facile. Lance savait qu'il avait été condamné le jour où il avait vu la-légende-que-les-profs-couvraient-d'éloges sortir du simulateur avec même pas un regard pour les applaudissements et les acclamations. Comme si rien n'importait, parce qu'il était bien mieux que tout ça.

Lance avait été indigné. Frappé en plein visage. « Pour qui ce gars se prenait » et « Mec, cette coupe de cheveux devrait être interdite, peut-être que c'est ça son secret. »

Il était à dix centimètres de lui, le génie de la garnison, et par-dessus tout, Lance voulait comprendre. Lui enfoncer son poing dans le visage, aussi, mais il ne faisait pas vraiment confiance à son corps.

Il apporta un soin tout particulier à l'étude de sa chaussure, parce qu'il pouvait presque sentir le regard de Keith brûler sa peau. Du moins, il était certain que l'autre avait remarqué sa présence, et Lance avait du mal à se débarrasser de sa fierté. Il fronça les sourcils, la bouche serrée.

Le silence s'étira, et il craignait qu'ils ne restent encore plusieurs heures côte à côte, sans rien dire. L'attente était insupportable.

« - Tu ne viens jamais ici. »

Ce n'était pas une accusation, juste un constat. La voix de Keith était rauque, comme s'il était enroué.

Lance laissa un souffle exaspéré lui échapper. Il avait voulu que ce soit un rire, mais il n'avait pas réussi à le faire quitter sa gorge. Il joua avec la fermeture éclair de sa chaussure.

« - Ouais, j'avais besoin de me vider l'esprit, répondit-il un peu plus durement qu'il ne l'aurait voulu. »

Keith émit un léger grognement pour seule réponse.

Lance lâcha sa chaussure, le bruit dans le silence devenait angoissant. Ses doigts le démangeaient, comme si des fourmis grouillaient partout dans ses mains. Il essuya la sueur de ses paumes contre ses cuisses et commença à taper sur sa jambe le rythme d'une chanson connue seulement de lui.

Il releva la tête et laissa son regard tomber sur le fond de la salle. Il regretta immédiatement, les souvenirs encore à vif dans sa mémoire.

Un raclement de gorge retentit à sa droite, mais il n'y prêta pas vraiment attention.

« - Merci. »

Lance sursauta, comme électrifié. Il se tourna vers Keith, incrédule.

« - Quoi ? »

Il suivit les yeux de son co-équipier jusqu'à l'endroit où son propre regard traînait quelques secondes plus tôt. Lorsqu'il revint à lui, Keith dessinait sur le sol des motifs du bout des doigts.

« - Pour … la dernière fois. Merci. Je- C'était mieux que-. »

Keith tiqua, agacé par son propre manque de mots.

Il désigna le sol d'un vague mouvement de la tête et finit par un sourire hésitant qui n'atteignit pas tout à fait ses yeux.

Oh.

« - De rien. »

Lance sentit son visage s'enflammer, il se mordit l'intérieur de la joue. Il n'avait pas prévu ça. Il avait prévu des non-dits lourds comme des insultes, des mots qui blessaient et des brûlures dans sa gorge. Il ne savait pas comment réagir, soudainement conscient de ses moindres gestes. Il avait un millier de questions, au moins autant de fourmillements sous la peau, et presque zéro réponse.

« - Je peux te poser une question ? »

Les mots glissèrent de ses lèvres avant même qu'il n'ouvre la bouche. Du moins, c'est l'impression qu'il en avait, son esprit trop lent pour suivre le mouvement de ses muscles. Il regretta de ne pas avoir murmuré lorsque sa voix résonna dans la pièce.

Keith lui lança un regard en biais. Sa pomme d'Adam roula ostensiblement lorsqu'il déglutit.

« - Quoi ?

- Le jour de l'attaque … »

La mine de Keith s'assombrit, c'était maintenant ou jamais.

« - Tu avais l'air bien. Enfin crevé, mais tu t'es pas endormi aux commandes de ton lion, ou je ne sais pas quoi. A ta place, je n'aurais jamais pu partir en mission après une nuit comme ça, finit-il rapidement. »

Keith se racla la gorge, la tête tournée et le regard à tout prix éloigné du sien. Il croisa les bras, ses doigts serrés contre les manches de sa veste. Il prenait moins d'espace, tout à coup.

« - Ce n'est pas une question.

- Mec, le coupa Lance, agacé »

Keith renifla dédaigneusement. Quelques secondes passèrent, et il soupira finalement.

« - Je ne sais pas. »

Puis il fronça les sourcils, le nez plissé. Il fixait le bout de ses bottes comme s'il essayait d'y brûler un trou avec l'intensité de son regard.

Silence, alors il reprit la parole.

« - Sérieusement, j'en ai aucune idée. Ca a toujours été comme ça, quand j'étais petit, je me coupais et ça disparaissait quelques heures après. C'était pas la première fois, juste que personne n'était encore allé se promener dans les couloirs aussi tard. »

Ses derniers mots sonnaient comme une accusation, mais Lance préféra l'ignorer. Il prit un air pensif et plaça ses doigts contre son menton, comme une parodie de savant. Un sourire fendit son visage.

L'air était toujours tendu, mais s'il se concentrait assez, il pouvait oublier.

« - Peut-être que c'est ta mère qui t'a filé ses super pouvoirs Galra. »

Keith se renfrogna légèrement, mais sa jambe était à quelques centimètres de celle de Lance. Il ne bougea pas.

« - Je ne sais pas si ma mère était Galra. Ça pourrait être n'importe quel membre de ma famille, bougonna-t-il. »

Lance trouva la force de rire. Un éclat de voix fatigué qui secoua ses épaules.

Les doigts de Keith tapaient en rythme sur le cuir de sa veste. Un, deux, trois, quatre, cinq. Et il recommençait. Il ne semblait pas s'en rendre compte.

« - C'est quand même classe, t'es le premier leader Galra de Voltron après Zarkon. Il vient de crever, sois pas son remplaçant, le taquina-t-il. »

Il ne pouvait pas s'empêcher de rire de tout, c'était Lance, et c'était comme ça. Keith ne riait pas.

L'atmosphère était étrange, comme la rencontre de deux entités opposées qui se battait pour le pouvoir. La tension des jours silence et les confessions murmurées aux grands murs blancs, comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Et puis quelque chose de nouveau, fragile et électrique. Une fleur qui bourgeonnait sur un lit de cendres. Si frêle qu'une simple brise aurait pu la déraciner.

Lorsque Keith ne répondit pas et que le tapement sur sa veste s'arrêta, Lance tourna la tête. Une goutte de sang dévalait sa lèvre là où ses dents s'enfonçaient, et ses mains étaient agrippées à ses bras, le cuir plissé sous la force de ses doigts.

« - Keith ?

- Je ne finirai pas comme Zarkon. »

Sa voix venait de si loin que Lance sentit un frisson remonter le long de son échine.

« - Eh, t'énerves pas, c'était juste une blague ! »

Il se gratta l'arrière de la tête, ne comprenant pas tout à fait l'intensité qu'il lisait dans les yeux de Keith.

« - C'est toi que Noir a choisi, après tout, continua-t-il. »

Il avait voulu dire Shiro, mais il avait du mal à prononcer son nom. Sa voix sonnait brisée même à ses propres oreilles, et il se sentit assailli par tous les regards et les encouragements qui ne lui avaient jamais été adressés. Lance n'était pas jaloux de Keith, mais il avait passé de nombreuses années dans son ombre.

Les remarques constantes de ses professeurs et la certitude, insidieuse et suffocante, que peut-être c'était vrai.

C'était sûrement pour cela qu'il avait fini par briller aussi fort. Un moyen de compenser.

Keith ricana amèrement, et Lance sursauta, s'attendant à tout sauf ça. Son regard était perdu quelque part entre les murs et le plafond, quelque part au fond de son esprit. Sa mâchoire était crispée, des mèches d'encre glissaient le long de sa joue. Un sourire sans joie ourlait ses lèvres. Il n'avait pas l'air du guerrier que Lance connaissait.

« - Noir peut choisir tout le monde, tu sais. »

Lance haussa un sourcil.

« - Quoi ? Ne raconte pas de conneries, je croyais que t'étais, et je cite, le meilleur pilote d'entre nous, marmonna-t-il.

- C'est pas une question de savoir piloter, c'est une question de mener Voltron. »

Il replaça sèchement une mèche de cheveux derrière son oreille. Sa voix vacillait, il avait l'air de fulminer. Lance ne savait pas si c'était ou non dirigé contre lui.

Il attendit quelques secondes avant de répondre, laissant à l'information le temps de se frayer un chemin parmi le désordre de ses pensées. Il avait du mal à y croire.

« - … Qu'est-ce qui te fais dire ça ? »

Keith resserra ses bras croisés. Il fit une moue dédaigneuse, mais Lance pouvait voir à ses jointures blanchies qu'il était loin d'être aussi assuré qu'il en avait l'air.

« - Parce que c'est logique, je ne sais pas comment il choisit ses paladins, mais ça aurait pu être n'importe lequel d'entre nous. C'est pas … c'est pas mon truc, et c'était pas le truc de Shiro, c'est le truc de tout le monde. Shiro es- était juste le mieux placé pour le faire. On peut tous être un leader, je suppose … »

Ses lèvres se tordaient, grimaçantes. Il n'élevait pas la voix, mais il crachait ses mots avec une violence inattendue.

« - Regarde ce que ça a donné avec moi, reprit-il, pas le meilleur choix pour l'équipe … »

Il ne regarda toujours pas Lance, préférant emplir ses poumons d'une grande inspiration, comme s'il venait de se libérer d'un secret trop lourd pour lui.

Lance ne savait pas comment réagir. Il voyait le tressaillement des sourcils de Keith, la raideur de ses doigts. Il voyait ses lèvres tremblotantes, comme une fenêtre sur son esprit agité. Keith avait une étrange manière d'ouvrir son cœur, toujours anguleux et farouche, comme Keith le soldat et Keith qui se cachait du monde derrière une façade d'indifférence.

Toujours lui, au final.

Alors Lance décida qu'il serait Lance.

Il laissa un sourire carnassier ourler ses lèvres.

« - Dans deux mois, Noir est à moi. »

Il dû retenir un fou rire lorsque Keith se tourna vers lui, les yeux exorbités. Il enfonça doucement son poing dans son épaule, les paupières plissées et le regard joueur.

« - Eh ouais, il fallait pas me dire ça, crains mon esprit de génie. »

Keith haussa lentement un sourcil, un coin de sa bouche légèrement relevé.

« - Même pas en rêve.

- Ha ! T'as juste peur que je sois meilleur que toi, et franchement … »

Sa voix traîna légèrement. Keith était suspendu à ses lèvres. La pause donnait toujours cet effet dramatique qu'il adorait.

« - T'as raison. »

Il lui lança un clin d'œil. Son sourire devait être contagieux, parce que Keith tourna la tête pour cacher le sien.


La vie reprit son cours.

Tic-tac, sur la grande horloge. Le temps passait vite, entre les missions qui ne s'arrêtaient jamais, les fouilles de l'espace dans l'espoir de trouver Shiro et le sommeil qu'ils essayaient tous de rattraper.

Rien n'avait vraiment changé, même si Lance se surprenait à regarder Keith un peu plus souvent. Juste un coup d'œil qui s'attardait sur les imperfections de sa peau, les courbes de son visage. Keith semblait s'en rendre compte, mais il ne disait jamais rien, et Lance n'insistait pas. Espoir, quand tu nous tenais.

C'était étrange, cet entre-deux dans lequel ils naviguaient. Plus vraiment des inconnus, mais pas encore d'intimité. Des camarades, comme un pilier sur lequel ils pouvaient s'appuyer s'ils se sentaient sombrer. Une amitié qui n'appartenait qu'à eux. Tout était pareil et différent à la fois.

Il se demandait si c'était le fruit de son imagination, mais il voyait de plus en plus de sourires illuminer le visage de ses co-équipiers.

C'était peut-être le fait qu'ils aient réussi à former Voltron pendant plus d'une dizaine de seconde. Pas encore parfait, mais ils allaient y arriver. Ou les missions couronnées de succès qui s'enchaînaient, ces derniers temps.

Deux semaines passèrent plus vite qu'un battement de cils.


Parfois, ils arrivaient trop tard.

C'était encore plus difficile lorsque c'était inattendu.

« - Lance, remorque leur base jusqu'ici, il faut les évacuer ! Cria Allura.

- J'y vais. »

Il plongea vers la planète en partie dévastée, les poings serrés. Les survivants levaient sur lui des yeux pleins d'espoir et de peur, il ne pouvait pas les décevoir. La carcasse du vaisseau sous laquelle ils s'étaient abrités des tirs Galra était massive, il n'était pas certain de pouvoir la soulever seul.

Les ennemis étaient déjà partis, laissant derrière eux un paysage d'apocalypse. Il y avait de nombreux morts, et la base des habitants menaçait de s'écrouler, les précipitant vers un gouffre sans fond qui s'étendait jusqu'à l'horizon. Une fissure immense dans la surface rocheuse. Lance ne voulait pas savoir ce qui se trouvait en bas.

Il s'approcha d'une des extrémités de la base, Rouge rugissant doucement lorsque quelques extra-terrestres s'approchèrent, des larmes et des étoiles dans le regard. Certains enfants un peu plus téméraire tentèrent de tendre la main vers Rouge, mais furent rapidement repris à l'ordre par leurs parents. Ou du moins les adultes qui s'occupaient d'eux, Lance ne savait pas s'il restait une seule famille intacte. Un enfant réticent essaya de se soustraire à la poigne de l'adulte, boudeur.

Lance esquissa un sourire fantôme, le cœur à la fois plus lourd et plus léger. Parce qu'il avait devant lui une infinité de foyers brisés par la guerre, une poignée de personnes qui représentaient une civilisation décimée. Mais il voyait aussi la vie qui suivait son cours, tant bien que mal. S'accrochant à leurs habitudes, parce qu'ils n'avaient plus que ça. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas vu d'enfants, ça lui manquait.

Ceux-là étaient loin d'être humains, avec leurs longs membres verdâtres et leurs figures rachitiques. Leur peau étaient aussi ridée que celle d'un vieillard, mais ils avaient la même étincelle enjouée que tous les jeunes de l'univers.

Lance voulait voir sa famille.

Il secoua la tête, chassant les pensées parasites de son esprit.

Rouge donna un léger coup de patte dans l'armature, évaluant son poids et sa résistance. Elle émit un grincement inquiétant mais ne bougea que difficilement.

« - Hunk ! J'ai besoin de ton aide, je ne pourrais jamais soulever ce truc tout seul.

- Okay, j'arrive dans deux secondes, lui répondit la voix de son ami. »

Les autres survolaient la surface de la planète à la recherche de survivants, mais c'était peine perdue. Ils n'avaient trouvés que des habitations en ruine et de la poussière de roches.

La base tangua dangereusement lorsque Rouge rugit à l'approche de Jaune, et les habitants poussèrent des cris paniqués. Lance jura et tapota le tableau de bord.

« - Eh, du calme, grommela-t-il. »

La machine bourdonna en réponse et les lumières clignotèrent dans l'habitacle.

Hunk se plaça à l'autre bout de l'armature de métal, son Lion bien plus stable et solide que Rouge. Lance vit les griffes de Jaune s'enfoncer dans le socle rouillé du vaisseau, doucement pour ne pas le briser plus qu'il ne l'était déjà. Il fit de même, attentif aux humeurs changeantes de Rouge.

« - A trois ? Demanda Hunk. »

Lance sourit.

« - Quand tu veux ! »

Et il tira sur les manettes, laissant la puissance de son Lion déloger la base de son lit de roches précaires. Un grincement caverneux retentit, mais il ne vit rien d'anormal. Il continua sur sa lancée. Hunk grogna, en phase avec l'effort que produisait son Lion.

L'ascension fut lente et fastidieuse. La base était fragile, et il devait constamment communiquer avec Hunk pour ne pas faire de fausse manoeuvre. Les pattes de son Lion glissaient le long du métal, et si ce n'était pas lui à proprement parler qui travaillait, des gouttes de sueur commençaient à rouler le long de sa nuque. Les hurlements de panique des extra-terrestres à chaque vacillement n'aidaient pas non plus.

Heureusement pour lui, ils arrivèrent dans l'espace sains et saufs, sans aucune mort de plus à déplorer. Ils remorquèrent le vaisseau amoché jusqu'au château pour que Pidge et Hunk y installent un moteur en état de marche et remplacent les pièces défectueuses.

Il était en piteux état, alors le travail de restauration dura plus longtemps que prévu. Lance ne comprenait pas la moitié de ce qu'ils disaient. Des trucs d'ingénieur, pas de son niveau. Les habitants étaient descendus et attendaient dans le plus grand hangar du château, bien plus confiants qu'avant.

Ils les remercièrent plus de fois qu'il ne pourrait s'en souvenir, avec larmes et étreintes à profusion. Lance rendit chaque embrassade avec au moins autant de force. C'était pour ça qu'il était un paladin de Voltron, après tout. Dans ces moments-là, il se sentait un peu plus proche de trouver sa place.

Une mère de famille força une couverture miteuse et colorée dans ses mains. Le tissu était rugueux mais enveloppait ses doigts avec la légèreté d'un nuage. Il n'avait jamais rien touché de tel. Il tenta de refuser, mais la femme secoua vivement la tête, son bébé serré contre son cœur. Elle lui fit un dernier sourire avant de rejoindre les siens.

Lorsque ses deux amis eurent enfin fini de réparer le vaisseau, il fut temps pour les extra-terrestres de les quitter. Lance serra fermement le tissu entre ses doigts. Ils leur dirent adieu, et les regardèrent disparaître derrière une mer d'astéroïdes, quelques kilomètres plus loin.

Allura avait rallié le roi alien à leur cause. Un membre de plus pour la coalition Voltron.

Ils ne les verraient certainement plus jamais.

Lance espérait qu'ils trouveraient une planète hospitalière.

Un raclement de gorge grésilla dans ses oreilles, et Keith, derrière les yeux de noir, prit la parole.

« - Je vais aller faire une dernière vérification de la planète, on pourrait avoir manqué des survivants, je vous rejoins après.

- Je viens avec toi, ajouta immédiatement Lance. »

Les autres approuvèrent.

Ils se dirigèrent tous vers le sol rocailleux de la planète en ruines.

Ils ne trouvèrent rien de plus que la première fois. Une immensité de roches et de gouffres qui s'étendaient à perte de vue.

Au bout d'une heure, Lance décida de faire une pause, ses yeux fatigués par la grisaille environnante. Il posa son Lion à un endroit qui avait l'air à peu près sûr et quitta son siège aussitôt. L'atmosphère n'était pas respirable, mais le soulagement qui l'assaillit lorsqu'il posa le pied à terre était comparable à une grande bouffée d'oxygène.

C'était avant qu'il ne contemple la désolation qui s'étendait devant lui. Il voyait au loin un village dévasté, mais c'était surtout les champs de pierres et de roches qui semblaient ne jamais finir. Pas comme le Balmera qui était vivant, juste une mer immense de vide et de mort. La planète était éteinte.

Il pensa à la Terre et à sa couleur bleue. A des milliers d'années lumières de lui.

Il n'entendit pas le vrombissement du moteur qui s'éteignit à côté de lui.

Des gravillons ricochèrent contre sa botte, et il leva les yeux sur le casque rouge de Keith. Il avait du mal à voir son visage, caché par la visière de verre, mais il avait remarqué le poids invisible qui pesait sur ses épaules.

Lance lui lança un petit sourire.

« - On a eu de la chance de pouvoir sauver les survivants, c'était moins une, dit-il nonchalamment. »

Keith laissa échapper un profond soupir.

« - Des milliers de gens sont morts, on aurait dû faire plus attention aux signaux de détresse, siffla-t-il entre ses dents, les doigts serrées contre sa paume.

- Mec, ce n'est pas ta faute. On ne peut pas sauver tout le monde, l'univers est trop grand, ce n'est pas possible. Crois-moi, j'aimerais bien pourtant. »

Il s'avança doucement vers Keith et posa la main sur son épaule, maladroite à cause des gants qui altéraient la sensibilité de ses doigts. Son bras tremblait légèrement, mais Keith ne le remarqua pas. Il leva des yeux hésitants vers le paladin rouge, comme pour lui poser une question silencieuse. Lorsque Keith se contenta de lui rendre son regard, les sourcils légèrement froncés, il raffermit la pression de ses doigts.

Un moment passa, puis un autre.

« - Ouais, t'as raison. »

Les lèvres de Lance se courbèrent immédiatement d'un sourire enjoué. Brillant, contrastant avec l'endroit sordide. Il se laissa tomber contre Keith et donna un léger coup de coude dans ses côtes.

« - J'ai toujours raison, tu ferais bien de t'y faire, ricana-t-il. »

Keith souffla dédaigneusement et ne répondit rien, mais le coin de ses lèvres pointait définitivement vers le haut.

Lance laissa ses doigts traîner contre l'armure de l'autre garçon un peu trop longtemps, juste parce qu'il le pouvait. Des étincelles pétillaient au fond de son estomac.

Lorsqu'il se recula, il remarqua que Keith se tenait droit, fier, comme prêt à combattre tous les malheurs de l'univers.

Bats-toi, il disait.

Lance allait se battre. De toutes ses forces.

Un instant plus tard, il vit Hunk et Pidge planer droit sur eux. Il commença à lever le bras pour les saluer, le sourire aux lèvres.

Un hurlement retentit, si puissant qu'il résonna dans son corps tout entier. Il agrippa son casque au niveau des oreilles.

Le son s'attarda dans l'air, suivi par un silence de mort.

« - C'était quoi, ça ? Demanda Keith, un sourcil haussé, étudiant suspicieusement les environs.

- Putain, j'en sais rien, répondit Lance, tout aussi incrédule que lui. »

Ils partagèrent un regard inquiet. Les Galra étaient partis depuis longtemps, mais ils n'avaient quasiment aucune informations sur la planète.

Lorsque que le cri fusa une seconde fois, rauque et désespéré, Lance s'empara de son bayard, alerte. Il vit Keith faire de même du coin de l'œil et ils se rapprochèrent instinctivement, dos à dos pour faire face à l'ennemi.

Jaune et Vert s'étaient arrêtés quelques mètres plus loin, mais Hunk et Pidge avaient disparus.

Un mauvais pressentiment rampa le long de sa colonne vertébrale, comme un serpent humide et visqueux. Il sentit son cœur s'accélérer, le rush caractéristique de l'adrénaline.

L'air s'était figé, plus rien ne bougeait sous ses yeux qui naviguaient de droite à gauche, à l'affut du moindre mouvement. L'attente était insupportable. Silence. Toutes les pierres étaient du même gris-terre, le paysage se fondait comme une grande toile uniforme.

Lance retint sa respiration dans l'espoir d'entendre quelque chose. N'importe quoi. Des pas qui approcheraient, la brise d'un vaisseau en mouvement. Ses doigts comprimaient le métal de son bayard. Il ne sentait plus que ses muscles tendus à l'extrême.

Un, deux, trois.

Le cri perça à nouveau le silence, et il sursauta si fort qu'il se cogna contre Keith, les faisant chanceler tous les deux.

« - Merde ! Jura-t-il entre ses dents. »

Il fit un tour sur lui-même à la recherche du danger, en vain. Il détestait ça. Ses yeux s'étrécirent en direction de l'endroit d'où semblait provenir le son, ses mains se resserrant instinctivement contre son arme.

« - J'y vais, déclara Keith à côté de lui. »

Il était légèrement penché en avant, son épée tenue tout contre son corps, devant sa poitrine. Il regardait dans la même direction que Lance, les sourcils froncés. Il n'attendit pas l'assentiment de son co-équipier et se laissa glisser sur un rocher en contrebas avec l'aisance d'un félin.

« - Eh mais t'es malade ! Keith ?! Attends-moi ! »

Lance se lança à sa poursuite et manqua trébucher sur les aspérités de la roche. Il sauta et atterrit à côté du paladin rouge, entraînant une cascade de poussière dans sa chute plus ou moins maîtrisée. Ses protestations indignées lui valurent un regard noir. Keith pressa fermement son index contre ses lèvres pour lui ordonner de se taire, caché derrière un recoin rocheux. Lance acquiesça vivement, bien qu'à contre cœur, et se releva pour rejoindre le paladin rouge.

« - Va encore nous faire tuer, je te jure, grommela-t-il contre la visière de son casque. »

Pas assez silencieusement, apparemment, parce que Keith lui lança un regard si glacial qu'il ne put répondre que par une moue à demie agacée.

L'endroit qu'ils visaient n'était que quelques mètres devant, ils pouvaient y arriver en sécurité s'ils étaient prudents. Lance redoutait ce qu'ils y trouveraient.

Il vit Keith fléchir les genoux du coin de l'œil, et eut à peine le temps de saisir son coude pour l'empêcher de s'élancer. S'ils attaquaient directement, ils étaient cuits.

Cette fois ci, il ne flancha pas lorsqu'il se trouva dans la ligne de mire des yeux-pistolets de l'autre garçon.

« - Pas par-là, idiot, murmura-t-il. »

Il se tourna vers l'autre extrémité du rocher et commença à descendre doucement. Il avait remarqué un chemin qui serpentait entre les pierres. S'ils l'empruntaient, ils pourraient rester à couvert et s'échapper si besoin. Plus qu'une simple précaution au vu des hurlements inhumains.

Une goutte de sueur roula contre sa tempe. Il prit une grande inspiration pour calmer le tremblement de ses doigts. Ce n'était pas le moment.

Lorsqu'au bout d'une minute, il n'entendit toujours pas les bottes de métal crisser derrière lui, il leva les yeux vers le rocher. Keith se tenait droit et le regardait suspicieusement, se balançant d'un pied à l'autre. Lance retint un grognement.

Il le fixa, les sourcils haussés. Il leva les mains et les épaules de concert, lui demandant silencieusement ce qu'il faisait. Le paladin rouge roula des yeux, et c'est seulement après quelques secondes qu'il se résigna à le suivre.

Ils slalomèrent entre les pierres durant d'éprouvantes minutes. Lance remercia ses gants lorsqu'il avisa les roches en dents de scie, aussi aiguisées que des rasoirs. Les pierres étaient hautes et inégales, et son souffle formait une buée opaque sur sa visière. Leurs bottes glissaient sur le sol abîmé.

Keith était toujours sur ses talons, à peine quelques dizaines de centimètres derrière lui. Il ne semblait pas peiner, mais Lance savait qu'il était aussi fatigué que lui. Du moins, il espérait.

Une pierre dévala le long d'un rocher, à leur droite. Ils se figèrent, les muscles bandés par l'attente et les veines brûlantes d'adrénaline.

Lance fut partagé entre le dépit et le soulagement lorsqu'il reconnut le casque vert de Pidge. La jeune fille les avait vus, elle pointa le doigt en direction de l'endroit qu'ils visaient, quelques mètres en contrebas. Il n'eut pas le temps d'hocher la tête, Keith avait déjà répondu, et Pidge acquiesça avant de disparaître à nouveau derrière les pierres.

Il n'avait pas vu Hunk, mais il savait qu'il était quelque part aux côtés de Pidge. C'était rassurant, d'une certaine manière, de le savoir proche de lui. Comme un morceau de la maison. Il sursauta lorsque la main de Keith s'abattit sur son bras, assez fort pour attirer son attention mais pas pour lui faire mal. Il ne vit qu'un éclair de rouge et de blanc quand il passa devant lui et commença furtivement la descente des rochers.

Lance soupira et roula des yeux, mais se mit tout de même à suivre Keith. Qui savait ce qui pouvait lui arriver, après tout.

Ils ne faisaient pas de bruit, silencieux comme la mort, à part pour quelques gravillons qui dégringolaient occasionnellement. Plus aucune trace des autres, mais il pouvait sentir leur présence, tout proches.

Ils finirent par arriver devant l'immense roche qui semblait abriter le bruit. Le cœur de Lance s'emballa. Le cri n'avait pas retenti depuis qu'ils avaient commencé à s'en rapprocher, cela ne présageait rien de bon.

Il croisa les bras pour se donner un peu de contenance, son pistolet empoigné fermement. Il pouvait voir Keith serrer sa lame contre sa poitrine du coin de l'œil, les jambes fléchies en position de combat. Ils se jaugèrent un instant, évaluant la détermination de l'autre.

Lance hocha la tête et fit signe à Keith de faire le tour par la droite, tandis que lui arriverait par la gauche. Ils ne devaient pas sous-estimer l'adversaire, et devaient mettre toutes les chances de leur côté s'ils voulaient s'en sortir.

Il commença à s'avancer vers le bord de la pierre, penché en avant pour occuper le moins d'espace possible. En revanche, Keith ne bougeait pas. Il haussait un sourcil inquisiteur, ses épaules levées, comme débattant intérieurement de la prochaine action à effectuer. Lance avait envie de se frapper le front contre le sol. Il se contenta de grogner de désespoir et de passer les mains sur son casque, à défaut d'atteindre son visage. Ses gestes avaient pourtant été très clairs.

« - Fais le tour par la droite, crétin, grommela-t-il dans son micro. »

Keith se renfrogna, lui fit un doigt d'honneur, puis tourna les talons sans lui adresser un regard.

Il serra les dents, mais un sourire amusé remplaça rapidement le froncement de ses sourcils.

Les aspérités de la roche râpaient contre son gant, mais il préférait avoir un appui. Ce n'était pas vraiment nécessaire, plus un moyen de se rassurer. Quelque chose pour l'empêcher de tomber. La poussière salissait ses bottes, les recouvrant d'une fine couche grisâtre. Il se demanda s'il y avait de l'eau sur cette planète, tout semblait si sec et dénué de vie.

L'anticipation filait dans ses veines. Il était seul, à présent.

Keith était juste à l'opposé de lui, et les autres sûrement tout proches, mais il n'en voyait aucun. Il expira un souffle chancelant.

Il tournait doucement, mais l'inconnu se rapprochait de plus en plus vite. Il plissa les paupières, et lorsqu'il les rouvrit, il ne pensait plus à rien.

Il resserra son emprise sur son pistolet et s'avança vers l'avant du rocher.

Lorsqu'enfin il émergea du passage étriqué et se trouva à ciel ouvert, il ne vit que Keith et son air dubitatif. Rien. Juste la poussière, la grisaille et une immense pierre érodée par le temps. Du moins il supposait, parce que des trous irréguliers étaient creusés à sa surface. Trop petits pour contenir quoi que ce soit de dangereux. Enfin, de gros et dangereux.

Il regarda autour de lui, mais rien de menaçant à l'horizon.

Lance déglutit.

Un craquement brisa le silence.

Il bondit sur son arme, mais encore une fois, ce n'était que Pidge et Hunk qui semblaient aussi désorientés qu'eux.

« - Vous avez vu quelque chose ? Demanda Pidge en se laissant glisser le long d'une pierre. »

Elle trottina jusqu'à eux, suivie de près par Hunk, qui lui, eut beaucoup plus de mal à atterrir.

« - Non, absolument rien ... c'est bizarre, répondit Lance.

- Je suis d'accord, ajouta Hunk en serrant les bras autour de lui, ce truc, c'était pas humain. »

Pidge hocha vigoureusement la tête.

Keith ne disait rien, absorbé par l'étude des environs.

La jeune fille s'approcha du rocher, une main sur la hanche.

« - C'est quoi, ça ? On dirait que quelqu'un a creusé la pierre, je n'ai jamais vu ça avant … »

Elle avait la voix curieuse. Comme lorsqu'elle essayait de s'infiltrer dans des systèmes complexes, ou de résoudre un problème mathématique. Perdue dans ses pensées, elle parlait plus avec elle-même qu'avec eux. Lance ouvrit la bouche pour répondre, mais il ne put qu'écarquiller les yeux lorsque Pidge approcha sa main d'une des cavités.

Dommage.

Le hurlement qui retentit perça ses oreilles avec la force d'un millier d'aiguilles. Comme si on avait enfoncé un pic chauffé à blanc à travers son crâne. Il n'entendait plus rien, la douleur insupportable. Sa vison était noire puis soudainement blanche et brûlante, tous ses sens exacerbés. Un souffle violent le projeta en arrière et tout à coup, ses pieds n'adhéraient plus au sol et son visage s'écrasait dans la poussière. Il ramena les genoux contre son torse, les mains désespérément pressées contre ses oreilles. Il voulait arracher son casque pour mieux s'isoler des sons qui l'assaillaient.

Il ne savait pas combien de temps était passé, mais refusa d'abaisser les bras tant que le silence n'était pas revenu. Les secondes duraient des heures, et il dû se mordre la lèvre pour ne pas se mettre à crier à son tour. Ce n'était plus seulement un hurlement perçant, mais toute une cacophonie de sons qui se mélangeaient et résonnaient dans son corps tout entier, sans lui laisser une seconde de répit. Même le sol tremblait sous son armure.

Il attendit, les oreilles hermétiques, que tout se calme, que le monde arrête de tourner.

Lorsque enfin, il releva la tête, ce fut comme un poing dans la figure.

Pidge était recroquevillée à quelques mètres de lui, la tête enfouie sous ses bras. Hunk portait son canon fumant sur l'épaule, les yeux écarquillés, les genoux dans la poussière. Keith, le seul toujours debout, regardait le sol avec un air ahuri. Le rocher était percé d'un nouveau trou béant, suintant de volutes de fumée qui s'élevaient vers le ciel. C'était hypnotisant, seul mouvement dans un paysage figé.

Lance fut secoué d'une quinte de toux, le nuage de fumée et de poussière s'infiltrant par vagues dans ses poumons. Les débris se déposaient contre les parois de sa gorge, mais il essuya sa visière du revers de la main, et prit appui sur ses paumes pour se relever. Il faillit s'écrouler à nouveau sur le sol. Les gravillons griffaient la matière fragile de ses gants, mais il se campa sur ses jambes, tant bien que mal.

Il plissa les yeux en direction de Keith. Il ne pouvait toujours pas distinguer ce qu'il observait, la poussière obscurcissant le sol. En revanche, il le voyait mieux, lui. Tout son corps tendu, tiré en arrière, comme s'il voulait s'enfuir. Abasourdi.

Lance étouffa une nouvelle quinte de toux dans son poing et enfouit son nez dans le creux de son coude avant de se diriger vers le paladin rouge. Il traîna les jambes, lourdes comme du plomb. Il n'entendait rien, les oreilles toujours sifflantes. Keith, cependant, remarqua presque immédiatement sa présence. Il semblait désorienté, comme s'il suppliait Lance de lui venir en aide. Il fronça les sourcils, un drôle de pressentiment dans l'estomac. Keith n'avait pas la terreur, ni l'urgence du combat. Juste un cri de détresse silencieux qui miroitait au fond de ses yeux. Étrangement, c'était encore plus effrayant.

Il arriva à son niveau, et Keith ne protesta même pas lorsqu'il s'appuya sur lui pour retrouver son équilibre. Le son était plus ténu, mais il entendait un geignement continu, comme la plainte d'un animal blessé. Il déglutit, enfonça ses doigts dans l'avant-bras de Keith pour se redresser, et finalement, baissa les yeux.

Lance se figea. Puis écarquilla les yeux.

Il ne bougeait plus, agité par trop d'émotions. Son corps ne savait pas quelle réaction choisir.

Sa respiration se bloqua quelque part dans ses poumons, mais il ne le remarqua pas.

Il détourna les yeux, doucement, comme si temps s'était arrêté. Il lança à Keith un regard incrédule, miroir de son expression. Ils se regardèrent juste assez de temps pour que la réalité les frappe. Comme si la foudre s'était abattue sur eux. S'ils voyaient la même chose, c'était forcément vrai.

Lance serra les lèvres, les bras croisés devant sa poitrine, et reporta son attention sur le sol. Il pencha la tête sur côté, légèrement rentrée entre ses épaules.

C'était petit et violet, emmitouflé dans une couverture sale. Apparemment, c'était bruyant. Ça ressemblait beaucoup trop à un bébé, et Lance ne connaissait que trop bien la couleur jaune dont luisaient les yeux du nourrisson.

Il prit une grande inspiration et regretta immédiatement lorsque les débris s'infiltrèrent dans ses poumons. Malgré la toux qui le fit larmoyer, il ne put détacher ses yeux du bébé qui lui rendait son regard avec autant d'intérêt.

Il n'entendait rien en provenance de Hunk ou de Pidge, mais peut-être qu'il n'écoutait plus vraiment.

Il vit Keith s'avancer vers l'enfant du coin de l'œil, puis s'agenouiller devant lui. Il suivit son co-équipier à pas mesuré pour ne pas effrayer le bébé, si ça en était vraiment un, et se pencha par-dessus l'épaule de Keith. Il avait l'habitude des enfants, avec ses frères et sœurs, mais c'était une toute autre histoire, et il tenait à ses tympans. C'est pour cette raison que, lorsque Keith approcha sa main du petit corps Galra, il sauta immédiatement en arrière et encercla sa tête de ses bras.

Le hurlement fut aussi tranchant qu'avant, et la douleur dans son crâne, aussi violente. Keith n'eut pas la chance de s'éloigner de l'enfant. Il le vit s'écrouler sur lui-même, la tête sur les genoux et les paumes pressées sur les côtés de son casque. Sa vision était floue. Rien que des formes effacées et de la poussière dans ses yeux.

Il se releva quelques secondes plus tard, et Keith était déjà aux côtés du bébé alors que ses propres muscles peinaient à bouger. Son sang ne fit qu'un tour.

« - Putain t'es malade, recule, tu veux nous faire tuer ? Cria-t-il, sa voix aigüe et râpeuse. »

Il ne réalisa son erreur que trop tard. Il recula instinctivement et ferma les yeux, dans l'attente du cri perçant.

Il ouvrit une paupière quelques instants plus tard, surpris de ne pas être à terre, des milliers d'aiguilles dans la tête. Le silence était délicieux. Il soupira de soulagement.

Keith était tout près de l'enfant. Il ne voyait que son dos.

Il jeta un coup d'œil à sa droite, sa vue légèrement voilée par la poussière qui n'était toujours pas retombée. Un brouillard épais, adhérant au sol comme une seconde peau. Pidge s'était rapprochée de Hunk, qui lui avait abaissé son arme. Ils les regardaient attentivement, les yeux écarquillés, hésitants à les rejoindre. Lance tenta un sourire, mais il devait sembler trop perplexe pour être rassurant.

Ses yeux trouvèrent Keith sans qu'il ne s'en rende compte, réglés comme l'aiguille d'une boussole indiquant le nord.

« - Keith ? Tu fais quoi ? Tenta-t-il dans un murmure pressant. »

Keith se retourna enfin, et lui ordonna de se taire.

Lance gronda, la mâchoire crispée. Encore une fois, Keith n'en faisait qu'à sa tête, aussi égoïste qu'au premier jour. Il ne savait même pas pourquoi il était surpris.

Il s'approcha lentement, se figeant au moindre crissement de gravier sous sa botte. Il jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule de Keith lorsqu'il fut assez proche. L'enfant semblait calmé, mais il ne lui faisait toujours pas confiance. Il allait dire quelque chose, mais Keith se retourna avant qu'il n'ouvre la bouche.

« - Lance, c'est peut-être un piège. »

Il était la voix de la raison, mais Lance pouvait déceler dans son ton, une once d'espoir. Ses yeux étaient à la fois sombres et brillants, comme s'il se préparait au pire mais refusait d'y croire.

« - Ils ont dû l'infiltrer avec un traceur et le laisser pour qu'on le sauve, continua-t-il. »

Il ne regardait même plus Lance. Il approcha doucement ses doigts tremblants du nourrisson. Le bébé émit un gémissement crissant, mais rien d'insupportable. Keith le prit comme une autorisation, et lentement, il déposa sa main contre l'épaule de l'enfant.

Il avait la dimension d'un bébé humain, si ce n'était pour ses yeux immenses qui brillaient comme des lucioles. Lance ne pouvait s'empêcher de voir dans ses traits, un morceau de sa famille. C'était étrange, mais tous les enfants se ressemblaient plus ou moins. Une candeur qui n'avait pas d'espèce. Celui-ci n'était même pas humain, mais son cœur se pinça douloureusement.

Il pensa à ses petites sœurs.

Aucun son ne vint percer de trous à travers ses oreilles, alors même s'il avait envie d'arracher la main de Keith et de s'enfuir l'autre bout de la planète, il se contenta de regarder silencieusement.

Le paladin rouge tâta le corps du bébé pour y trouver une trace de capteur, ou de n'importe quelle technologie Galra qui pourrait les piéger. Lorsqu'il eut terminé, il retira sa main, et Lance haussa un sourcil à la vue des gouttes bleues qui parsemaient sa paume et roulaient le long de son poignet.

Keith tint sa main devant lui, tremblante. Il se tourna vivement vers Lance, tendant ses doigts colorés vers lui comme une pièce à conviction.

« - Il est blessé, on ne peut pas le laisser là. »

Du sang.

Lance avala difficilement sa salive. L'enfant avait beau être Galra, mais c'était un bébé, et il avait la preuve vivante devant lui que tous les Galra n'étaient pas à l'image de Zarkon.

Les yeux de Keith étaient plissés. Durs mais suppliants. Il était vulnérable et déterminé à la fois.

Lance n'était pas un monstre. Il se souvenait de son frère et de ses sœurs, à peine plus petits que l'enfant Galra, les yeux brillants et leurs doigts boudinés qui se refermaient autour de son pouce. C'était la mission de Voltron, de sauver ceux dans le besoin, après tout.

Pidge et Hunk n'avaient toujours pas bougé.

Il fit un pas en avant, chancelant, et s'accroupit doucement aux côtés de Keith, gauche dans ses mouvements. Il ne voulait pas effrayer le bébé, ni provoquer un de ses cris ravageurs. Il sourit malgré lui lorsque le nourrisson agita ses membres dans sa couverture. La réalité eut la force d'une enclume au fond de son estomac lorsqu'il vit le tissu imbibé de bleu.

Il fixa l'enfant avec horreur.

« - Il va mourir si on ne fait rien. »

Sa voix n'était pas plus haute qu'un murmure.

Il savait que Keith avait entendu, malgré tout.

« - Je sais, lui répondit sa voix tranchante. »

Lance entendit un bruissement derrière lui, suivi d'une main gantée qui se posa sur son épaule. Il leva les yeux sur Hunk, la bouche entrouverte et la tête penchée sur le côté. Pidge n'était pas loin derrière, plus curieuse que surprise.

« - Vous êtes sûrs que ce n'est pas une ruse des Galra ? Demanda la voix tremblante de Hunk. »

Pidge croisa les bras, semblant débattre avec elle-même.

« - De toute façon, on ne vas pas l'abandonner, dit-elle en réajustant ses gants. »

Lance était d'accord, et vit l'étincelle qui traversa le regard de Keith.

Le paladin rouge se leva soudainement, essuyant la poussière qui salissait son armure.

« - Lance, prend-le, on le ramène au château, il faudra en discuter avec Allura. »

Il avait à nouveau son visage fermé et les bras croisés contre sa poitrine. Plus aucun regard derrière lui.

Lance ouvrit la bouche pour protester mais peina à trouver quoi dire, trop de mots s'entrechoquant dans sa tête. Il se leva à son tour, les mains fermement plantées sur ses hanches.

« - Quoi ? C'est hors de question, il n'y a que toi qui peut le toucher ! Je tiens pas à devenir sourd, merci. »

Keith haussa un sourcil dédaigneux.

« - Non, c'est juste que tu t'y prends mal, il faut y aller plus doucement. Tu as plus l'habitude que moi des enfants, fais-le, asséna-t-il. »

Il avait la moue et le regard du Keith intransigeant.

C'était presque drôle, la vitesse avec laquelle il pouvait changer d'humeur. Chaud ou froid. Lance ne savait jamais à quoi s'attendre. Il le laissait voir un morceau de lui, puis se rétractait comme un animal apeuré. Epuisant.

Il laissa échapper un râle outré, puis s'avança vers Keith, les poings comme deux boulets de canon à ses côtés.

« - Les gars … Avertit Hunk. »

Lance n'écoutait pas. Il n'écoutait jamais rien, lorsque ça concernait Keith.

Il se planta devant le paladin rouge, prêt à entamer sa tirade indignée. Trop tard.

Il fut à terre avant même que le son ne l'atteigne, la douleur se réverbérant dans chacun de ses membres, insupportable. Il voulait arracher sa tête à mains nues.

Keith était toujours debout, juste une grimace sur les lèvres. Il le regarda se relever d'un air blasé.

« - Tu veux que ce soit moi qui m'en occupe à ce point ? S'amusa-t-il, Désolé, mais même pour toi, c'est un peu exagéré là. »

Il avait petit sourire satisfait et se tourna vers les deux autres en quête de soutien. Lance avait l'esprit encore trop embrumé pour répondre, mais il ne manqua la surprise qui traversa le visage de Keith lorsqu'il aperçut les deux corps recroquevillés, tâches jaunes et vertes ternies par la poussière. Ils étaient à même le sol, les mains sur les oreilles.

Ses yeux naviguèrent entre Lance et les autres quelques secondes. Il le jaugea un instant, les yeux plissés. Lance avait les idées plus claires, et eut envie de hurler.

Il entendit les crissements du métal et les roulements du gravier lorsque ses deux amis se levèrent, mais toute son attention était focalisée sur Keith.

Cette fois-ci, en revanche, il n'éleva pas la voix.

« - Tu te fous de moi ? Je- »

Un grésillement dans son casque.

« - Vous êtes là, ça fait une heure que je vous cherche ! Qu'est-ce vous faîtes tous ici ? Résonna la voix autoritaire et légèrement essoufflée d'Allura. »

Ils sursautèrent de concert et se tournèrent immédiatement, cherchant la princesse des yeux. Elle accourait vers eux par la gauche, gênée par l'irrégularité des roches. Bleu était quelques mètres plus loin, là où le terrain était relativement plat. Il pouvait voir la couleur caractéristique détonner parmi la monotonie du paysage. La jeune femme soulevait dans sa course des volutes de poussière. Il la regarda s'approcher, impuissant. Il n'avait pas eu le temps de réfléchir à ce qu'ils allaient lui dire. La princesse avait un grand cœur, mais il connaissait son aversion pour les Galras.

Elle s'arrêta devant eux, haletante. Penchée en avant, les mains posées sur ses genoux pour reprendre sa respiration.

Lance jeta un regard en coin à Keith. Il était toujours agacé, mais ils avaient besoin d'un plan. Maintenant.

Keith n'était plus à ses côtés. Son corps n'attendit pas son autorisation pour faire volte-face.

Il trouva ses trois co-équipiers agglutinés devant le bébé, épaules contre épaules. Hunk se tenait légèrement en retrait et Keith avait les épaules contractées, un poids dans les bras. Il avait plutôt intérêt, étant donné que l'enfant ne semblait tolérer que lui. Et vice-versa.

« - Qu'est-ce qu'il se passe ? Demanda Allura. »

Elle posa une main sur son épaule pour mieux observer la scène, sur la pointe de pieds. Frustrée, elle n'attendit pas sa réponse et tenta de passer devant lui, mais Lance fit barrage de son bras. Le nez de la princesse se retroussa et ses sourcils se froncèrent. C'était la moue qu'elle faisait lorsqu'elle était contrariée. Elle souffla, poussant plus fort.

« - Allura-, protesta-t-il en empêchant un nouvelle tentative de la jeune femme. »

Il se plaça devant elle, espérant faire barrage de son corps. Au vu de son expression qui s'assombrissait, elle n'en démordrait pas. Il soupira.

« - On a trouvé un survivant, et-

- Quoi ?! Laisse-moi voir ! »

Lance était un jeune homme en pleine santé. Il avait une peau étincelante et des muscles en parfait état. Malheureusement, et malgré la force dont il aimait se vanter, il ne faisait pas le poids face à une princesse millénaire qui avait des biceps aussi développés que ses mollets.

Elle le poussa sur le côté sans cérémonie et se précipita vers le petit groupe.

Keith déglutit. Il inspira profondément et fit un pas en avant, le visage grave et l'enfant dans les bras.

Allura s'arrêta, incertaine.

Une, deux secondes passèrent.

« - C'est un Galra, il est blessé, dit enfin Keith. »

L'enfant gémit doucement.

Ses paroles résonnèrent comme un coup de marteau. Un feu brûlait dans ses yeux, déterminé. Il avait la tête haute et pas une trace d'hésitation. C'était Keith le guerrier. Pidge et Hunk évitaient le regard de la princesse, trop occupés par l'examen minutieux des alentours.

Silence, personne ne parla.

Keith et Allura étaient plongés dans un combat silencieux. Un leader contre un autre.

Lance passa la main sur la visière de son casque, à défaut de pouvoir la passer sur son visage. Il s'avança vers le groupe.

C'était loin d'être gagné.


...


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