Disclaimer : Les personnages de Teen Wolf sont la propriété de Jeff Davis.

Cet OS a été écrit pour la Fête des pères (Défi #4) de la page FB "Défis pairing fanfictions".
Contrainte : Une semaine pour écrire un OS de 6'000 mots maximum avec aucune description physique des personnages (uniquement olfactive, auditive...) !
Note auteure : pour la dernière contrainte, disons que c'est l'intention qui compte... Je suis sûr que je me suis ratée quelque part.

Merci à MlleHeathcliff pour tout son soutien, huhu. Bonne fête des bêtas à elle, bonne fête des pères à tous les papas et bonnes vacances d'été à tous les chanceux ! 3


Il y avait des moutons. C'était un fait, le pré en était recouvert. À l'heure de la rosée, les nuages s'étaient dispersés dans le ciel, tandis que d'autres se regroupaient sur la terre ferme. Ils sentaient fort, bêlaient tout autant, mais ne causaient de maux à personne. De toute façon, il n'y avait que lui qui aurait pu s'en plaindre. Des kilomètres de prairie, de pins et de sentiers de terre, et il n'y avait que lui, le berger qui n'avait jamais froid aux pieds. Seul homme dans les hautes herbes.

Cependant, il aimait les entendre, c'était sa conversation coutumière. Et si être loquace s'avérait être un inconvénient en matière de discrétion, ces braves bêtes savaient néanmoins rendre le paysage plus animé. Il n'existait bel et bien personne pour se plaindre.

Il préférait s'y plaire, cela fatiguait moins. La vie de campagne, les champs de tournesols, les mottes de foin et les maisons en vieilles tuiles n'en étaient que plus appréciables. Il y avait toujours quelque chose à découvrir, à sentir, à retaper et à protéger du gel. La ferme demandait un effort constant et lui donnait la paix. Quatre-vingt-huit brebis pour le bonheur d'un bélier, trois agneaux encore à la tétée derrière le poulailler, un potager de radis, un autre de choux, et quelques souris, quelques chats...

L'année y était souvent bonne, les pousses et les bourgeons parfois timides. Exposée sur un flanc de montagne, entre deux pics bien plus imposants, la laine des moutons ne prenait la chaleur qu'en pleine saison. Le soleil la moitié de l'année ; la brume le reste durant. Un cycle qui se répétait avec douceur, mais sûreté, pour ponctuer leur labeur.

Le berger siffla. Comme un écho, la nature lui répondit, puis ses dociles compagnes s'approchèrent après avoir arraché un énième trèfle entre leurs pattes. Alors qu'elles mastiquaient patiemment, il récupéra son bâton et il fut l'heure de rentrer. La marche inverse se fit dans le calme, portée par une brise fraîche.

Au temps des grands travaux, lorsque le toit n'était pas encore entièrement isolé, il s'était demandé ce qu'il ferait si un danger se glissait sous les planches en bois de la grange et décidait de casser sa croûte au cœur de la nuit. Jeune novice, il était pourtant déjà profondément attaché à ses belles. Cependant, ces dernières, trop dodues pour les renards, n'avaient peur de rien. Elles n'avaient, en fait, de soucis que le cliquetis des ciseaux lors de la tonte. Un danger et elles se feraient toutes croquer sans remuer le sabot.

Il ne pouvait décemment pas laisser une telle rencontre se produire. Il les avait gardées, prenant la place de ces chiens aux aguets qui l'insupportaient tant. Après plusieurs semaines sans apercevoir de loup dans la région, il s'était fait une raison ; il n'y avait que lui, le berger. Or, il s'en occupait bien, les aimait tendrement. Par conséquent, pourquoi devrait-il craindre un mal invisible ? Elles avaient une vie de repos à ses côtés.

Depuis, il dormait sur ses deux oreilles dans son propre lit, certain que ses moutons ne connaîtraient aucune infortune. Il n'eut pas tout de suite tort. Il fallut attendre jusqu'à ce jour précis, soit un bond de cinq ans en avant, pour que survienne finalement la première mésaventure.

Par habitude, il les recomptait toujours à la sortie du champ, mais ce matin-là, il dut recommencer à deux fois. La plus âgée, celle qui sommeillait de l'arrière-train, avait disparu. Introuvable, il abrita les autres au plus vite et vérifia la bonne santé de chacune. Elles ne semblaient pas effarouchées et il crut d'abord à une banale escapade. La vieillesse lui avait fait tourner de la tête et elle s'était probablement éloignée sans en avoir conscience. Au lieu de revenir sur ses pas, elle avait continué, heureuse de sa nouvelle liberté — auquel cas, il la comprenait pleinement.

Il regretta son erreur en trouvant après quelques recherches le corps inerte et ensanglanté de sa pauvre brebis. Éventrée, mâchouillée, désarticulée, il ne subsistait d'elle plus que les reliques d'un festin. Il en eut un pincement à la poitrine, puis fut pris d'une colère sourde ; une tragédie pareille était l'œuvre d'un tueur, il le chasserait. Sa peau viendrait couvrir les murs de sa maison.

Le berger rebroussa chemin, respirant frénétiquement des narines. Il n'appréciait certes pas les chiens, mais il en aurait volontiers adopté un pour s'éviter la présence d'un loup. De tous les animaux, celui-ci était le plus redoutable et le plus affamé. Il n'arrêtait pas, peu importait combien de fois les êtres humains essayaient de l'effrayer, et n'apportait que le mauvais œil, la destruction et la mort. Il ruinerait ses brebis et leur sérénité.

L'unique condition pour stopper ce désastre était la liquidation de ses moutons et de ses poules, ou celle de leur prédateur. Un paysan, d'aujourd'hui ou d'hier, n'abandonnait pas son élevage. Il était responsable du bien-être de cent neuf âmes, il n'en lâcherait aucune. Il s'y refusait.

De retour chez lui, il se figea net en remarquant la position de la porte. Elle était mal fermée, lui qui gardait une attention particulière à bloquer le loquet dès qu'il partait. Sinon, les chats avaient le malin plaisir de se faufiler à l'intérieur pour renverser les pots de vivres et se remplir la panse.

Il retint sa respiration et leva son bâton, prêt à frapper l'intrus qui avait franchi le seuil de sa demeure.

— Qui est là ? s'écria-t-il en ouvrant d'un coup la porte.

Rien à signaler. Il regarda de tous les côtés, sur le qui-vive, et s'avança jusqu'à avoir la place de refermer derrière lui. Ceci fait, il pivota et s'immobilisa, écoutant attentivement le moindre bruit suspect qui oserait se manifester. Le silence était complet, pas même un miaulement s'élevait pour le briser.

Il fronça les sourcils, sa faculté de discernement encore troublée par la découverte du précédent crime. Cette journée multipliait les caprices. Tout cela ne le réjouissait guère.

D'un geste prudent, il posa son arme improvisée pour attraper le fusil consigné dans le meuble d'entrée. Bien qu'il fût uniquement chargé de balles tranquillisantes, il détesta la sensation du métal entre ses doigts. Il en sentait le potentiel meurtrier, c'était lourd et désagréable à porter. Normalement, il l'utilisait sur les moutons pour faciliter le transport de la ferme au village voisin. Cette nécessité était sans doute la plus pénible à accomplir.

Se promettant de ne tirer que si l'urgence l'y obligeait, il dépassa la cuisinière et la table à manger sur la pointe des orteils. Il n'y avait que deux pièces : la salle de séjour qu'il arpentait actuellement et la chambre à coucher. Il ne manquait pas de recoins pour se cacher, surtout s'il s'agissait d'une de ces fouines de chattes. Quand elles étaient en gestation, elles se transformaient en véritables teignes. Pas question qu'elles se mettent en tête d'accoucher sur son oreiller ou dans sa penderie !

Les mains cramponnées à son fusil, il atteignit le mur du fond et s'y adossa. Il jeta un regard en périphérie, mais ne vit que de la vaisselle sale dans l'évier et de la graisse sur le réchaud. Les restes de pain et de fromage dans son assiette n'avaient pas non plus été touchés. Il en était désormais persuadé, ce qui s'était introduit dans sa chambre lui était inconnu. Si cela avait été les chats, ces chapardeurs auraient fui aussi sec à sa venue, emportant les bouts de mie et de croûte avec eux.

Il continua son inspection, collé au mur. Son souffle devint irrégulier, alors qu'il se crispait d'appréhension. Juste à côté de lui, la seconde porte était, elle aussi, entrouverte. Si peu que, de loin, il lui aurait été impossible de voir la différence.

— Je vous en supplie, pas un loup, conjura-t-il en fermant les yeux.

De la plante du pied, il poussa aussi fort que possible la porte, qui claqua contre les fondations, et pointa aussitôt son arme devant lui. Au même moment, le vieux parquet en bois craqua sous son poids. Il sursauta, surpris, et manqua d'appuyer sur la détente.

Quand il eut repris ses dispositions dans une lente inspiration, il resta en suspens au-dessus de son lit. Il baissa instinctivement son fusil le long de sa cuisse. Sa prière avait été exaucée, ce n'était pas un loup. Plongé dans la pénombre et au milieu de ses draps, un homme était affalé sur le ventre. Il empestait la maladie et, au vu de ses râles saccadés, il souffrait.

Il avait trouvé refuge chez le berger.

Ce dernier sortit brusquement de sa chambre, ferma la porte et s'assit sur sa chaise. Il écarta de ses mains l'arme qui augmentait son anxiété et la posa à plat sur la table. Ses épaules se détendirent. Il avait besoin de réfléchir.

Il avait deviné que l'étranger était inoffensif et avait sombré d'une façon ou d'une autre dans une semi-conscience, sinon il aurait réagi à son approche tonitruante. L'état de l'homme n'était pas ce qui le perturbait en vérité. Sa gêne venait du fait que quelqu'un avait envahi son espace et qu'à cette pensée, il n'arrivait pas à se souvenir quand était-ce la dernière fois qu'il avait côtoyé un autre être humain. Des années peut-être, si l'on omettait le mois d'avril. À cette période, il était forcé de descendre sur le plateau pour négocier le prix de ses toisons. En général, il ne faisait qu'un voyage et les vendait toutes en dix minutes à des habitués qui, ironie du sort, le connaissaient pour son manque de communication. Ils n'échangeaient alors qu'une poignée de politesse, de là à considérer cette exception comme du copinage...

— Mon dieu, murmura-il, la tête entre les mains.

Il n'était pas sûr d'avoir les qualifications pour entretenir des rapports normaux avec des gens bien portants, alors avec une personne malade ?

Il n'avait pas tout quitté par simple amour de la campagne, il avait toujours préféré vivre seul. Cela lui évitait une infinité de complications, de bévues, d'indélicatesses pour lui-même et son entourage. Les moutons étaient les rares bêtes qui lui procuraient du réconfort et de la compagnie. Les chiens l'irritaient, les chats étaient aussi asociaux que lui, les souris le rendaient fou, les poules n'étaient même pas bonnes à souper et les loups, plutôt crever. Dans un monde idéal, il aurait été l'ami des renards, mais ceux-ci bouffaient en catimini les œufs de son petit-déjeuner ; c'était impardonnable.

Il se redressa. Sa décision était prise. Il l'avouait, il était une catastrophe pour créer des liens avec autrui, toutefois, il y avait un homme intransportable chez lui et soigner, ça, il était un expert dans le domaine. Son troupeau lui avait déjà occasionné tous les symptômes de la planète et pourtant, il n'avait pas baissé les bras. Il avait aidé chacune d'entre elles à se battre.

Il le ferait à nouveau.

L'esprit clair, il se retroussa les manches, se munit d'une caisse vide et la remplit à ras-bord de linges propres. Il y ajouta une gourde, un bidon de désinfectant destiné aux soins des moutons, une trousse de secours et une bassine d'eau chaude. Il se lava ensuite méticuleusement les mains, avant de boire une gorgée de son alcool de prune personnel. Au moment de remettre la bouteille sur l'étagère, il hésita et, finalement, la rajouta au-dessus des autres affaires en haussant les épaules. S'il devait reposer un pied dans cette chambre, il allait devoir se donner du courage.

— Je t'amène à boire, prévint-il par précaution en se glissant auprès du corps allongé.

Un grognement lui parvint, suivi d'un halètement. Accroupi à quelques centimètres de sa tête, il ne lui était néanmoins pas possible de voir nettement le visage de l'homme. Quoi qu'il en fût, sa souffrance s'exprimait de tout son corps. Il se tortillait, en vain, et avait l'air de s'asphyxier positionné ainsi. Il était crucial de le mettre sur le côté ou sur le dos.

Mal à l'aise à cette idée, le berger chercha à s'éclaircir la gorge, mais renonça rapidement. Frustrées, ses lèvres rencontrèrent le goulot de sa bouteille pour en assécher le contenu. Il soupira. C'était surtout lui qui buvait dans cette histoire. Il en devenait pathétique.

— Je n'aime pas parler, d'accord ? admit-il en gardant les yeux rivés sur l'alcool. Je déteste parler ! Quand je parle, les gens me trouvent chiant et vulgaire, je me trouve chiant et vulgaire, tout le monde me trouve chiant et vulgaire. Je ne sais pas parler. Je ne sais pas pourquoi je parle. Je n'ai jamais rien à dire, mais faut toujours que je l'ouvre. Même mes brebis en ont eu ma claque de m'entendre. Elles passaient leur temps à bêler comme des idiotes pour couvrir ma voix. J'ai compris, j'ai fermé ma gueule. Ça fait des années que j'ai fermé ma gueule. Mais toi, t'arrives, là, avec tes gémissements à la con et ton espèce de malheur de merde de bourgeois des villes, tu veux que je te dise quoi ? « Oh, pauvre crétin, tu as marché jusqu'ici en plein soleil et tu t'étonnes après de pas être en forme ? » Bah voilà, je l'ai dit. T'es content ?!

Il se tut, à bout de souffle, et lâcha sa bouteille, qui roula au sol. Il s'était mis à déblatérer à toute vitesse en agitant les mains et comme d'habitude, il avait perdu le contrôle. Cela ne changerait jamais.

— Pardon, s'excusa-t-il tout bas. Je...

Il ne continua pas et referma bêtement la bouche. Bien sûr qu'il avait des choses à dire. Il en avait tellement qu'il avait peur de s'étouffer s'il démarrait l'engrenage. Alors, il refoulait tout. Il refoulait les images de la brebis dépecée à ses pieds, il refoulait son envie de hurler, de vomir, de gémir, de s'allonger dans son lit et d'envoyer le monde se faire foutre. Il était un berger reclus, chiant et vulgaire, mais il était avant tout humain.

S'il s'étouffait, au moins, ça réglerait le problème.